mardi 16 juillet 2013

Indignation, efficacité, réalité


Banalisation
Il fut une époque où le paradoxal Il est interdit d’interdire balayait bien des objections sur son passage. Je me garderai bien, aujourd’hui, de m’indigner de l’indignation des indignés – d’autant que le spectre couvert est large et que tout est loin d’être bon à jeter.

Il n’empêche que, en dépit de quelques tentatives de filtrage à visée prophylactique, débarquent parfois dans ma boite à lettre électronique des appels à l’indignation dont on peut légitimement se demander quelle est la véritable portée.

Ainsi, sur un fond assez manifeste de défiance de l’opinion publique à l’égard du monde politique et alors que celui-ci est invité à légiférer en faveur d’une plus grande transparence, je constate qu’il est fait une part relativement belle à des messages dénonçant tels ou tels privilèges dont ce monde bénéficie ainsi que des détournements d’usage qui s’y font.

Soit. Mais le bouchon est si besoin poussé un cran plus loin : Supprimons lesdits privilèges et le Ciel qui menace de nous tomber sur la tête va se dégager comme par enchantement. Voici un exemple récent.

Bonne conscience à 0,01% d’efficacité
Le mail que j’extrais du lot invite à sabrer quelques indemnités qui atterrissent dans les poches d’élus locaux ou nationaux… voire à réduire le nombre de députés et sénateurs. Ponctué d’affirmations tranchantes en lettres majuscules, et sans lésiner sur la couleur rouge ni sur les points d’exclamations, cette proposition affiche son sérieux grâce à quelques chiffres bien sentis (tant multiplié par tant égale tant) d’où il ressort que l’économie attendue est de 10 ou 20 millions d’euros par an.

Soit encore. Mais la conclusion est admirable : une telle décision serait à même d’enterrer toutes les autres velléités de projets touchant – par exemple – à la TVA et aux retraites. La question n’est pas celle du bien-fondé de tels projets. C’est la mise en regard d’une proposition particulière à, mettons, 20 millions… au sein d’une course éperdue concernant l’équilibre des dépenses et recettes publiques.

Le même jour, en effet, il se confirme que la dette publique de la France a dépassé 1 800 milliards en brut (en fait, 1 870) et approche les 1 700 milliards en net (la différence vient de ce qu’il y a par ailleurs de l’argent prêté ainsi que de la trésorerie au fond du tiroir). Ce qui veut dire une dette qui tourne autour des 30 000 euros par personne. Hypothèse prise un peu au hasard : ce sont 3 000 euros par an si on voulait l’éponger en 10 ans.

Face à cela, 10 ou 20 millions d’euros d’économies, ça parait énorme vu du citoyen moyen. Mais pour une population de 60 millions, l’économie est de 15 à 35 centimes d’euros par personne (et par an). 30 centimes par rapport à 3 000, ça fait 1 / 10 000. On ne résout ainsi que 0,01 % du problème… Il reste à se dépatouiller avec les 99,99 % qui restent. C’est justement ce qui n’est pas dit dans la chanson.

N.B. : On peut faire d’autres hypothèses : au sein de l’Union Européenne, la dette brute (dite dette de Maastricht) devrait être maintenue à moins de 60 % du PIB. Or le PIB de 2013 est sensiblement de 2 000 milliards. La dette devrait ainsi être ramenée de 1 870 à 1200, soit 670 à trouver (11 000 euros par personne)  – mais sans doute plus vite qu’en 10 ans. En un quinquennat, ça fait encore 2 200 euros par personne et par an. La contribution de 15 à 35 centimes, souhaitée dans le mail que j’ai reçu (portée par l’espoir que ce beau geste de députés, sénateurs, et autres conseilleurs dans les collectivités locales, permettra de faire l’impasse sur la question de la TVA et des retraites) est-il à la hauteur des ambitions affichées ?

J’assaisonne mon propos avec deux articles tournant autour de sujets similaires – non pour demander d’y adhérer mais pour contribuer à ce genre de réflexion : l’un sur les conditions d’une meilleure efficacité des élus (en France), l’autre sur  la perception parfois déformée (en Grande-Bretagne) qu’ont la plupart des citoyens sur ce qui se passe en réalité.

Projets de réforme pour les élus
Le premier s’intitule : L'élu de la République: stop ou encore ? Il est signé par Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public, et il a été publié le 3 juillet dernier par le Huffington Post


Voici le condensé que je m’en suis fait.

L'élu est le personnage essentiel de la République. Il est le personnage choisi pour la faire fonctionner: sans élus, elle ne fonctionne pas, avec trop d'élus, elle fonctionne mal, avec de mauvais élus, elle ne fonctionne plus.

Les obligations auxquelles les élus sont subordonnés sont actuellement en pleine évolution. En raison, d'une part, de projets de lois sur la transparence de la vie publique, notamment, quant à une déclaration, relative à leur patrimoine et à leurs intérêts. L’auteur n’est pas choqué que les députés aient décidé d’interdire leur publication et en la remplaçant par un libre accès aux documents : pour lui, transparence ne signifie pas translucidité, et démocratie ne correspond pas à populisme.

Il est en revanche dubitatif quant à l’effet d’annonce présentant ces mesures comme devant assurer que les intéressés exercent leurs fonctions avec dignité, probité et impartialité. Est-il possible ou même souhaitable, avance-t-il, qu'une personne assumant une fonction politique, donc engagée, donc partisane, soit impartiale ? Et s’il attend des personnalités politiques qu'elles soient compétentes, investies dans leur travail, qu'elles l'assument avec intégrité et l'accomplissent avec honnêteté, il s’interroge sur le terme de dignité.

En raison, d'autre part, des projets de lois interdisant le cumul des mandats. C'est sans doute dans l'air du temps, se dit M. Derosier, il faut s'y résoudre… tout en estimant que les raisons habituellement avancées sont mauvaises. Car c'est oublier qu'un homme politique est essentiellement un homme de terrain et que c'est à sa présence sur le terrain qu'il doit, avant tout, son élection et sa réélection. C'est oublier, également, que, présent sur Paris, il n'est pas nécessairement concerné par les sujets qui viennent à l'ordre du jour, tout simplement parce qu'ils ne relèvent pas systématiquement de son champ de compétence.

Il est certes en faveur d’un plus large investissement des parlementaires dans les divers sujets de la vie politique, mais cela devrait accompagner une réforme plus profonde : une réduction du nombre: de 577 députés et 348 sénateurs, à respectivement 400 et 250, ce qui permettrait un meilleur fonctionnement à partir de groupes restreints et devrait correspondre une augmentation de leurs moyens, humains, avant tout. La réduction du nombre de parlementaires permettrait d'équilibrer, en termes financiers, l'augmentation des moyens.

Le fait divers déforme la perception du réel
Le second article : Pourquoi nous déformons notre réalité, nous vient de Grande-Bretagne. Il est signé de Ally Fogg, a paru dans The Independent et a été repris par PressEurop du 11 juillet (traduction par Caroline Lee)


Voici le condensé que je m’en suis fait.

D'après une étude récente, les Britanniques ont une vision largement faussée de presque tous les sujets de société controversés. Cet écart a de lourdes conséquences sur le plan politique.

Quelques exemples :

. Les Britanniques donnent en moyenne une estimation du taux de grossesse chez les adolescentes 25 fois supérieure à la réalité.
. Pour une vaste majorité, ils pensent que la délinquance augmente ou reste constante alors que les chiffres officiels révèlent une diminution de 53% entre 1995 et 2012.
. Ils croient la fraude aux allocations sociales 34 fois plus élevée que la réalité. Dans leur esprit, la fraude représente 24% de la facture totale alors que ce chiffre ne concerne que 0,7% des cas.
. Quand on leur demande de choisir quelle mesure permettrait de dégager le plus d'économies, un tiers opte pour une limitation des prestations sociales à environ 30 000 euros (économies en fait attendues : 335 millions d'euros). Ils sont deux fois moins nombreux à choisir l'allongement de l'âge de la retraite à 66 ans (économies en fait attendues : 5 700 millions d'euros)
. Plus d'un quart placent l'aide internationale parmi les deux ou trois premiers postes du budget (avant les retraites ou l'éducation d’un montant pourtant 74 fois et 51 fois plus élevé).
. En moyenne, ils pensent que les musulmans représentent 24% de la population (en réalité 5%). Le nombre d'immigrés est également estimé à un niveau deux ou trois fois supérieur à la réalité.

Il est tentant d'attribuer cette situation aux authentiques mensonges que véhiculent les médias et les responsables politiques. Ce ne sont pas les exemples qui manquent. Ce n'est pourtant qu'une partie du problème. Cela fait longtemps que le public ne croit plus un mot prononcé par un responsable politique. Même les études les plus sérieuses sont suspectées de sortir tout droit de l'imagination de leurs auteurs. Le véritable problème est que les journalistes de tous bords parlent, par exemple, de délinquance et de fraude aux allocations sans donner de contexte ou d'ordre de référence.

Les statisticiens ont naturellement plaidé pour une meilleure pédagogie autour de leur science, mais l’auteur ne pense pas que ce soit le cœur du problème. Comment chercher même à comprendre si les médias font l’impasse sur les informations de base ? Notre vision de la société est constituée d'anecdotes individuelles et de faits divers, comme si nous ne regardions que des fragments et jamais l'ensemble du tableau. Nous faisons alors appel à nos biais cognitifs et heuristiques pour combler les vides.

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