jeudi 28 octobre 2010

A huit ans


Nous avions quitté Émile à la veille des vacances. Les bénévoles qui le suivent depuis deux ans maintenant (Émile vient de fêter ses huit ans) se retrouvent au début d’une nouvelle année qui devrait être de transition. Où en étions-nous ? Quel écho nous donnent ses parents sur ce qui a été vécu au cours de cet été ? Que peut-on dire des premières semaines de la reprise de contact ? Quelles sont les perspectives ?

Où en étions-nous ?
Une manière parlante de se situer est de se référer à la progression habituelle depuis la plus tendre enfance. Ce qui s’était dit début juillet est qu’Émile en était au niveau de développement, de langage, de conscience d’un enfant petit qui commence à tenir un crayon. Par le biais de l’imaginaire et du faire-semblant notamment, il exprimait plus spontanément ses colères, ses angoisses (dont enfermement – parkings, ascenseurs…) ou des inquiétudes. Il avait commencé certains apprentissages (lire, écrire, compter) : le bilan était déjà positif. Il était alors convenu qu’à la rentrée, on poursuivrait l’éveil par le jeu et la détente – mais vers plus d’activités physiques, de mises en relation avec son âge, et en intensifiant les apprentissages.

Au cours de l’été
Pour la période passée exclusivement avec parents ou proches, ceux-ci notent qu’Émile est maintenant conscient du monde qui l’entoure (ce qui n’exclut pas qu’il puisse exprimer des peurs à cet égard), que l’éventail de ses sensations corporelles s’est élargi (piqûres de moustiques, dent qui bouge)… mais avec ses limites (échardes ignorées sous la plante des pieds), et que la propreté est acquise (jour et nuit, ce qui est une nouvelle étape franchie). Davantage d’autonomie aussi, mais besoin d’être contenu, qu’on lui pose des limites – ce qui d’ailleurs le rassure : dans l’appartement à la montagne où il se trouvait, il disposait ainsi d’un plan des environs immédiats, dessiné par sa grande sœur, indiquant où il pouvait ou ne devait pas aller.

Reprise de contact
Une compréhension et un langage en progrès ; une pensée plus structurée et des sentiments qu’il était en mesure d’exprimer ; plus à l’aise dans son corps qu’il ressentait mieux : en même temps, le retour des bénévoles était impatiemment attendu. Lors du tour de table, effectué quelques semaines après la rentrée, ceux-ci confirment les évolutions qui viennent d’être évoquées.

On note qu’il se plaît à jouer avec les intonations de la voix, qu’il a pu confier qu’il était content d’arriver à dire ce qu’il avait à l’intérieur. Il a tendance à se montrer important, à vouloir gagner lors de jeux, à placer l’autre en spectateur. Il semble désormais que le je / tu ne pose plus de problème. L’éventail des sensations du corps s’élargit : massages – du bout de ses doigts ou de tout le corps, par l’autre ou par lui-même – être cogné, pincé...

Au-delà des confrontations parfois agressives (frapper avec une épée, bagarres), l’activité physique se diversifie. Émile peut y consacrer des séances entières, il lance aussi des objets (ballons, gros dés). Mais surtout, la salle de jeux où s’était développée l’interaction et la communication avec les bénévoles, et sa propre structuration, commence à faire sentir ses limites : le temps n’est-il pas venu de se dépenser davantage à l’extérieur ? Un consensus se dégage pour qu’une heure d’activités physiques par jour y soit consacrée, en plus du mercredi après-midi et du samedi / dimanche…

Petite digression ici sur le vélo : c’est une activité qui demande attention, équilibre et coordination – entre l’œil les mains et les pieds – ainsi que de la sensibilité, en surface comme en profondeur. Comme il en est à se concentrer sur les mouvements à faire et pour garder son équilibre, il en arrive à foncer sans trop regarder devant lui.

Outre le cognitif (les apprentissages), et le physique comme on vient de le voir, Émile explore volontiers l’imitation (il adore de plus être imité), le faire semblant, l’imaginaire, une certaine expression artistique, voire des dimensions plus spirituelles.

Ce qu’en dit la personne – musicothérapeute de formation, qui a orienté leur relation dans cette direction – illustre ce qui se passe : Émile semble m’avoir positionnée comme une oreille spectatrice de choses importantes qu’il a à me dire et met en scène par des figurines que j’apporte. Parole et expression ont pris le relais de l’apprentissage musical et sensoriel : il n’est plus question de sensations archaïques comme chez un nourrisson qui découvre son corps mais d’émotions et de ressentis d’un petit garçon qui grandit. Il s’agit de lui permettre d’exprimer des émotions longtemps enfouies et qu’il vit parfois avec violence (tambourins, punching-ball, hurler…) et de lui apprendre à les nommer, les comprendre, les contenir, et vivre avec.

Perspectives
Les apprentissages : une séance sur cinq leur est désormais consacrée. Car c’est une année de transition qui démarre ; Émile intègrera peu à peu l’école, dès qu’il sera prêt. Dès à présent, il semble lire couramment, décrire des images, poser des questions, effectuer sans problèmes les opérations sur les chiffres jusqu’à 5, maîtriser les notions de plus grand et de plus petit. Et l’écriture s’améliore.

On remarque que, si à ce qui précède, on ajoute les activités physiques programmées et les suivis spécialisés (orthophonie, psy- et ergothérapie), du lundi au vendredi, la présence, toujours essentielle, des bénévoles a été ramenée à 50-60%.

Pour la mise en relation avec des enfants de son âge, il est notamment envisagé la fréquentation d'un club de lecture, ouvert aux enfants et à leurs parents, et qui favorise des rencontres informelles dans le sens souhaité.

Par ailleurs…
Émile n’est pas le seul pour lequel ses parents ont opté pour cette méthode dont, depuis deux ans, les billets de ce bloc-notes donnent un écho. Dans plus d’une centaine de familles, on a réussi à installer une salle de jeu et à rassembler des bénévoles (au total, on arrive à plus de 4000) qui s’y succèdent pour communiquer, échanger de l’affection, jouer bien sûr, pour accompagner un(e) jeune autiste dans un développement qui avait connu des trop et des pas assez au cours de sa plus tendre enfance.

Lors d’une rencontre entre ces familles, à la veille des vacances, on a pu glaner les éléments suivants :
- S’agissant, entre autres choses, de l’organisation de la circuiterie cérébrale, il y a autant d’autismes qu’il y a d’autistes : il faut donner du temps pour que la plasticité du cerveau permette à chacun de progresser à sa manière.

- Parmi les enfants suivis au cours des 4 dernières années, 15% ne sont qu’aux débuts de cette manière de faire, 18% ont soit arrêté, soit ne manifestent que des progrès très lents, 12% progressent de façon lente mais continue, et 60% confirment qu’ils sont sortis de leur bulle ou en en train d’en sortir (ils sont devenus présents, ils imitent, le langage est acquis, ils sont désormais scolarisables).

- Environ 25 témoignages ont été retranscrits dans le compte rendu. Eh bien ! Ils ne concernent pas uniquement des enfants relativement jeunes : certes, la moitié a moins de 6 ans, mais 20% ont entre 15 et 28 ans. Parmi ces derniers, plusieurs, avaient fréquenté un institut médico-éducatif pendant quelques années (ces établissements accueillent – en demi-pension ou en internat - des enfants et adolescents atteints de déficience mentale présentant une prédominance intellectuelle liée à des troubles neuropsychiatriques : troubles de la personnalité, moteurs et sensoriels, de la communication). Ce qui est souligné depuis qu’on a tenté de créer autour d’eux un univers similaire à celui que nous avons eu l’occasion de décrire pour Émile, c’est le véritable virage qui a été pris, débouchant sur un comportement plus calme, enjoué, communicatif, concentré, capable de faire des projets, des choix et de mener une vie plus sociable.
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Ce billet fait partie d’une série qui permet de suivre l’évolution d’Émile (ce n’est pas son vrai prénom) depuis septembre 2008 : on y accède directement en cliquant sur le thème Autisme dans la marge de droite.
D’autres articles sont voisins, notamment ceux sous le thème du Cerveau, ainsi que ceux des 15 et 16 juin 2009 (Chiffres, langues… et Savants vs neurotypiques, qui figurent aussi sous le thème de l’Autisme), ou du 27 juin 2009 (Mémoire photographique)
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jeudi 21 octobre 2010

Télescopages


L’actualité pour prétexte
Ce n’est ni la motivation ni l’objet de ce bloc-notes que de disserter politique. Ce n’est pourtant pas faute, en ces temps de manifestations à propos du report de deux ans de l’âge de la retraite, d’en percevoir les échos. Visuels (banderoles) et auditifs (tambours, slogans, mégaphones… et klaxons d'automobilistes piégés dans le dispositif). Virtuels, sous forme de power-points démonstratifs qu'on se passe de mail en mail : de l’argent il y en a où puiser et ainsi garder la retraite à 60 ans. Médiatiques pour qui veut s’y abreuver.

Le déclic est venu, cette fois, d’une phrase dont l’accent trahissait quelqu'ailleurs, échappée dans un bus (qui marchait et qui avait trouvé un itinéraire de détournement) : Des poules mouillées…. Plus porté à évoquer les stéréotypes du béret, de la baguette ou du coq gaulois, un anglo-saxon aurait sans doute fait référence à notre Chantecler, plutôt qu’à ses poules blanche, grise, faisane ou de Houdan. En écho, une voix plus autochtone (et renseignée) a grommelé dans son coin : D’autant qu’on a d’abord mis dans les défilés ceux qui sont à l’abri dans les services publics… ou ceux qui pourraient en profiter plus tard – les jeunes. Bref, que ce soit sur le pavé ou que ce soit dans le bus, les deux bords avaient eu l’occasion de s’exprimer.

Et, en matière de presse, à franchir les frontières de l'hexagone, on décèle, au-delà des analyses classiques, une évocation de 68 (pas si idiot : 1968, ce sont les 20 ans des baby-boomers… qui, partant justement ces temps-ci à la retraite et lâchant de ce fait les leviers de commande, laissent à leurs successeurs l’opportunité d’être enfin en première ligne)…

Cela s’accompagne d’une série d’incompréhensions ou d’étonnements : Les Français sont un peuple étrange. (Tagesspiegel, allemand de centre-gauche). La grève est carrément inscrite dans leurs gènes. (De Morgen, flamand). La France d'aujourd'hui semble un pays hors du temps lancé dans une bataille idéologique rétrograde. (Corriere della Serra, italien)…

Thèmes voisins
Au même moment, me passent sous les yeux deux articles qui n’ont, a priori, pas grand-chose à voir avec ce qui précède. Et pourtant.

L’un adopte un point de vue surtout psychologique. Remarquons néanmoins qu’il reste implicitement inséré dans un Monde occidental qui peut se payer assez aisément le luxe d’une telle approche. Il s’intéresse au couple plaisir / déplaisir comme manifestation d’une liberté typique de la condition humaine.

Le second est extrait d'un commentaire fait par l’auteur du film Biutiful sur le degré auquel sont parvenues ces mêmes sociétés occidentales à échapper à la douleur – la contrepartie pouvant être que la joie n’y est plus au rendez-vous.

Liberté humaine entre plaisir et déplaisir
Les deux rives d’un même fleuve est un entretien, signé par Anna Lietti dans le journal suisse Le Temps de lundi dernier, avec les auteurs d’un ouvrage (Les énigmes du plaisir) paru chez Odile Jacob.

Entrée en matière avec le ballet du faisan avec notre poule faisane, mentionnée plus haut, et dont, nous humains, ne semblons pas avoir l’équivalent, dans la mesure où nous sommes biologiquement programmés pour être libres – au point de souvent choisir le malheur. Cette liberté qui nous ouvre à l’inattendu peut s’avérer créatrice mais aussi destructrice (envers les autres ou nous-mêmes). Ce qui nous pousse à l’action s’appuie sur des expériences qui ont laissé en nous des traces, ce qui nourrit des anticipations qui régissent, et nos décisions conscientes, et nos pulsions inconscientes.

Ainsi, le nouveau-né humain, le plus inachevé des êtres vivants, est notamment envahi par des sensations désagréables auquel il ne sait pas quel sens donner, avant d’obtenir réconfort de la part d’autrui – expérience qui poussera par la suite à recréer des états de détresse afin de revivre l’issue que l’on se sent en droit d’attendre.

A cette explication de l’analyste, le neurobiologiste ajoute que l’exemple des toxicomanes montre que – deux systèmes s’activant simultanément dans le cerveau, celui de récompense et son contraire – la recherche du plaisir passe, chez eux, derrière celle de la fin du déplaisir.

Échapper à la douleur, est-ce échapper à la joie ?
C’est à l’époque où on a appris que le film Biutiful avait été sélectionné par le Mexique pour représenter ce pays en vue de l’Oscar 2011 du meilleur film étranger (donc au printemps prochain), que Manuel Cuéllar a rendu compte dans El Pais du 3 août dernier de l’entretien qu’il venait d’avoir avec le réalisateur, Alejandro González Iñárritu. Il se trouve que ce film sort cette semaine à Paris.

C’est à la dérobée, dans les quartiers populaires d’une Barcelone loin de ce que nous en a livré récemment Woody Allen, que la caméra nous emmène, au cœur des ateliers chinois clandestins ou des appartements où se regroupent sénégalais ou pakistanais. Trafiquant de main d’œuvre immigrée, avance Uxbal (joué par Javier Bardem qui a reçu, à Cannes en mai, le prix d'interprétation masculine pour ce film – à droite sur l'illustration de ce billet), émigrant sur sa propre terre, qui porte en lui cette foule silencieuse des exilés et que sa quête d’une rédemption fera cheminer vers la lumière.

Le passage ci-après – dont j’ai préféré ne pas donner en français une version mot à mot maladroite, même au regard d’une traduction automatisée – aborde lui-aussi le thème de la joie et du plaisir. Mais il en décèle l’absence car, dans les sociétés aujourd’hui riches, on en est venu à craindre la douleur et à trouver des traitements pour y échapper. Nous échappent de plus mille petites choses très intenses de la vie de tous les jours, tant nous nous croyons éternels.

Conclusion paradoxale : malgré les apparences, du fait qu’il contient une dose de douleur, il s’agit pour son auteur d’un film vital, classiquement tragique, dont le côté extrême provoque une poussée d’adrénaline et, pour autant, divertissant :

En las sociedades occidentales al tratar de evitar el dolor constantemente también se está negando la posibilidad de la alegría y del placer. Le tenemos tanto miedo al dolor que negamos la posibilidad del placer. A mí las películas que contienen una dosis de dolor me gustan, porque me parecen más vitales. Hay muchas cosas que tenemos todos los días, pequeñas cosas muy intensas y no somos capaces de vivirlas con cierta importancia porque nos creemos eternos. En ese sentido, y aunque parezca increíble, me parece que es una película divertida. Si tuviera que etiquetar la película en un género, este sería el de la tragedia clásica. Es la caída libre de un hombre. Hay gente a la que le divierten esos juegos extremos y a mí me divierten. Me enganchan y me llenan de adrenalina.

dimanche 17 octobre 2010

Obésité pourrielle 10-T3



Grâce à Ivona, plus experte que moi en ce domaine, nous avons pu analyser les spams et autres hameçons qui sont parvenus à nos boites à lettres e-mails au cours des trois derniers mois. Cette 4ème édition (le dernier message sur le sujet date du 2 juillet) confirme donc le rythme devenu trimestriel que nous donnons à notre propos

Bref rappel : filtrage amont à 90%Cette analyse concerne les spams qui sont passés entre les mailles de filets déjà installés en amont, d’abord par le fournisseur d’accès Internet (FAI) puis par le logiciel antispams installé sur le PC. A partir de quelques 260 messages considérés comme indésirables et bloqués par le FAI au cours de la dernière semaine (ceux d’avant avaient été effacés au fur et à mesure), on est tenté de déduire que le rythme est passé à près de 37 par jour. A ces 37 spams, il faut en rajouter 4 qui ont franchi les barrages (360 repérés au total entre juillet et septembre).

Ce qui conduit à deux types de remarques :

- Si cela se confirmait, ce serait une accélération très importante, au regard de la dizaine par jour que l’on avait notée au cours des mois précédents. Il se peut aussi que cette dernière semaine ait été exceptionnelle. Mais cette nouvelle poussée n'est-elle pas confirmée par les 360 spams qui ont réussi à se frayer leur chemin jusqu'au bout au cours d'un été où les marketeurs et informaticiens prennent pourtant des vacances ? Ce score représente
une grimpette de 30% par rapport aux 270 d’avril à juin et de 45% par rapport aux 240 du 1er trimestre 2010.

- Le taux de filtrage en amont serait alors redescendu à 90% du total des spams, alors que dans notre analyse de juillet nous nous réjouissions qu’il ait progressé de 90 à 95 entre le 1er et le 2nd trimestre.

Rappelons enfin qu’en bonne part les spams bloqués en amont sont souvent rédigés en anglais et que ceux qui passent à travers le sont en français (bénéficieraient-ils d’un régime de faveur ?).

D’où viennent ces spams ?En matière de sources, on peut distinguer trois niveaux :

- Le plus immédiat est celui des offres ou entreprises à l’origine de la proposition : particuliers cherchant à écouler des logiciels à prix réduit, proposant une formation au théâtre ou une invitation à un concert, dans certains cas. Messages de la part de Nestlé, Sofinco, Carrefour, Allianz, Meetic, EDF, Facebook, Maeva, Le Monde, Marionnaud, Hertz, etc. la plupart du temps. La démarche artisanale qui est la nôtre a exclu de s’encombrer d’une collecte systématique et donc d’une esquisse statistique à ce niveau.

- Vient ensuite ce qui apparaît dans l’adresse e-mail de l’expéditeur (ex : "Veronique de Paddhoue" noreply(arobase)auto-verte.info). Depuis un an, nous avons collecté près de 600 adresses de ce genre, qui se renouvellent assez régulièrement : c’est ainsi que nous n'en avons respectivement eu que 156, 145 et 178 au cours des 3 premiers trimestres de 2010 – mais ce n’étaient pas automatiquement les mêmes d’une fois sur l’autre.

- Et enfin le n° IP de l’émetteur qui est souvent un hébergeur de plusieurs expéditeurs : nous en avons recensé dans les 330 depuis le début. Mais, en poussant un peu plus loin, c'est-à-dire en regroupant les émetteurs dont l’intitulé était semblable, on descend au-dessous de 200. C’est dire que l’on a affaire à des hébergeurs qui accueillent des expéditeurs de spams.

Les hébergeursPrenons des IP des séries [92.243.xxx.xxx] et [95.142.xxx.xxx] comme [92.243.31.222] (émetteur : xvm-31-222.ghst.netexpéditeur : "Regroupements de crédits") ou comme [95.142.161.135] (émetteur : xvm-161-135.ghst.netexpéditeur : "MyMutuelle")… Nous en avons ainsi totalisé une vingtaine de la forme xvm-xxx-xxx.ghst.net.

Autres gros hébergeurs en xxx.do05.net, dans la série [80.118.49.xxx] et en wanadoo.fr (généralement de la part de petites entités ou de particuliers). Viennent ensuite xxx.amenworld/-pro.comxxx.ccemails.com/netxxx.rev.gaoland.net

Fastidieux en 17 étapes, voire inutileOn comprend dès lors que les recommandations faites à leurs clients par certains FAI pour contribuer à éliminer les spams ("Nous avons fait notre part du boulot, à vous de jouer maintenant...") sont fastidieuses ou inutiles – voire les deux.

Leur recette est, à partir du message reçu, de retrouver l’IP du spammeur grâce au Jeu de l'Oie suivant : (1) "Propriétés" puis (2) "Détails" puis (3) trouver la bonne ligne "Received: from" et (4) recopier l’adresse IP qu’on y trouve.

Il faut ensuite (5) ouvrir un site Internet spécialisé dont ils donnent l’adresse, (6) aller à la page permettant de retrouver les coordonnées du titulaire de l’IP, (7) y copier cette adresse et attendre l’arrivée des coordonnées, (8) rechercher dans le flot d’information l’adresse e-mail de leur Service dit "Abuse" qui est censé faire la police chez eux.

Il s’agit maintenant d’envoyer un message circonstancié – c’est-à-dire donnant les informations nécessaires et utiles à ce Service "Abuse". Ce qui, en pratique, nécessite de (9) préparer un message à destination dudit Service "Abuse", (10) de lui raconter – si besoin dans sa langue (*) qu’on a reçu un spam venant de son adresse IP et (11) qu’il s’arrange parce qu’on ne veut plus en recevoir, puis lui mettre les points sur les "i", ce qui demande au préalable (12) de revenir à l’étape n° (2) et poursuivre (13) vers la "Source du message", (14) de le sélectionner / surligner en entier, (15) d’en préparer la copie (ex : via CTRL.C) et (16) la déposer (ex : CTRL.V) à la fin du message que l’on pourra (17) alors gratifier d’une formule de politesse, signer, envoyer et prier le Ciel qu’il y ait une suite favorable.
(*) D’une part, il n’est pas rare de tomber sur des interlocuteurs anglo-saxons qui vous avouent avec une grande franchise ne s’exprimer qu’en anglais. D’autre part, si (outre ceux en .fr) les hébergeurs en .biz - .com - .eu - .info - .net - .org sont au rendez-vous, d’autres en .br - .ch - .cl - .de - .es - .gr - .it - .ke - .ma - .pl - .rs - .ru - .tw - .uk ne manquent pas non plus.

Démarche fastidieuse comme on vient de le voir, d’autant plus que les spammeurs de niveau 1 savent passer par plusieurs canaux. NESTLE, par exemple, utilise aussi bien comme expéditeur, amie (arobase) lamieshoppeuse.info hébergé par xvm-29-166.ghst.net sous l’adresse IP [92.243.29.166]… que alertebonplan (arobase) alertebonplan.info, hébergé par 76.212.forpsi.net sous l’adresse IP [81.2.212.76].

Démarche potentiellement douteuse puisque, dans presque la moitié des cas, on atterrit chez un hébergeur qui a un confortable portefeuille de spammeurs et dont on imagine que le Service "Abuse" aura appris avec le temps comment gérer les conflits d’intérêts de sa boite entre le nerf de la guerre et quelques plaintes d’isolés.

Avant ou après le tsunami ?
Dans le numéro de septembre dernier, qui inaugure la fusion entre les principaux mensuels de la presse française dédiée à la micro (L’Ordinateur individuel et SVM), Jean-Christophe Le Toquin qui vient d’être élu président de Signal-Spam affirme que la guerre au spam est déclarée.

L’espoir qui émane de cette déclaration se nourrit du parcours de l’intéressé : spécialisé en propriété industrielle, il a notamment, pendant cinq ans, été délégué permanent de l’AFA (association qui regroupe les FAI) dont il a rédigé un code de déontologie, et a eu pour mission d’expliquer les tenants et aboutissants de ce genre de métier aux médias et aux politiques.

Le bémol vient de ce que Signal-Spam, qui existe depuis quelques années, est plus ou moins une émanation des leaders de la vente à distance. L’expérience que nous en a relaté un particulier qui, comme bien d’autres, avait été incité à s’y inscrire pour signaler des spams sur leur site n’a pas été enthousiasmante : information pratiquement à sens unique (vers Signal-Spam) doublé d’une efficacité pratiquement nulle quant à voir disparaître la pression de la part des spammeurs signalés.

lundi 11 octobre 2010

Entre les deux… (11)


La musique et le temps
L’hémisphère droit trouve une de ses expressions naturelles dans la musique : celle-ci est enracinée dans le corps ; elle communique de l’émotion et de l’implicite (nous explorerons dans un chapitre ultérieur comment un recouvrement s’opère avec le langage).

Autre caractéristique qui lie la musique à l’hémisphère droit : elle consiste entièrement en des relations, en des entre-deux : notes silences, mélodie, harmonie, rythme… Et non seulement «entre» mais en formant un tout, un contexte qui donne à chaque élément une vie nouvelle, inédite – il en va de même pour la poésie, expérience qui procure à chaque mot une nouvelle naissance. Cette expérience se déploie continûment au fil du temps – on a pu dire, à la suite de Novalis, que tout art aspire à retrouver les conditions propres à la musique.

L’enracinement dans le corps ne se limite pas à ces mouvements volontaires que l’on exécute quand on danse : la musique nous affecte physiquement au travers des émotions – sous ses diverses formes, elle crée des attentes qui pourront aussi bien nous combler que nous décevoir, et dont les effets se manifestent dans la respiration, par des battements de cœur, des transpirations, des larmes qui viennent aux yeux, des cheveux qui se dressent. La conjonction propre à l’hémisphère droit avec les centres sub-corticaux, l’hypothalamus et le reste du corps, n’y est pas pour rien.

La musique (cela vaut aussi pour la poésie) semble associée à la tristesse. Il y a certes des musiques joyeuses, mais en mode mineur, comme si on partait en vacances.


Par ailleurs, capable de ressusciter des émotions ou des ambiances qui nous sont familières, la musique arrive à en susciter d’autres (voire même des passions) que nous n’avions pas connues jusqu’alors – elle en élargit le spectre. L’auteur prend ici ses exemples chez Mozart, Bach ou Mendelssohn.

Alors que la parole relève a priori de l’hémisphère gauche, les mots que nous prononçons alors que nous chantons entrainent une forte activité dans l’hémisphère droit. Ainsi, un patient était devenu incapable de parler, son hémisphère gauche étant endommagé – mais il pouvait chanter sans difficulté les paroles d’une chanson. De même, on a vu des artistes, des compositeurs, des chefs d’orchestre qui se trouvaient dans une situation analogue, poursuivre correctement leur activité. Si, à l’inverse, l’hémisphère droit est endommagé, c’est la capacité d’apprécier la musique, de la comprendre et de la jouer qui sera touchée, ainsi que la perception des sons non-verbaux.

S’agissant du rythme, les choses sont plus nuancées ; une partie des rythmes de base sont également pris en charge par l’hémisphère gauche – mais dès que les choses se compliquent et on revient vers l’hémisphère droit.

Autre particularité : à la différence des amateurs, les musiciens entrainés ou professionnels semblent davantage se reposer sur leur hémisphère gauche. On donne à cela plusieurs interprétations : apprentissage plus conscient, approche plus analytique, sollicitation de l’attention visio-spatiale. On peut aussi penser que, tandis que l’hémisphère droit se consacre préférentiellement à la découverte de ce qui est nouveau, le gauche prend en charge ce qui est devenu finalement familier. A preuve que, face à des situations plus exploratoires (ex. : l’œuvre contrapunctique de Bach), ces mêmes professionnels font à nouveau fortement appel aux ressources de leur hémisphère droit.

Comme pour l’expérience narrative, comme pour celle de nos vies elles-mêmes, l’expérience musicale se déploie dans le temps – celui-ci servant de contexte pour donner signification à toute chose et, réciproquement, tout ce qui porte pour nous signification a son existence dans le temps. Dès que l’on se trouve dans l’appréciation d’un temps vécu – avec passé, présent et avenir – on est du côté de l’hémisphère droit.

A contrario, les abstractions intemporelles, les représentations d’entités… nous font passer du côté gauche. Mais si cet hémisphère est incapable de suivre un fil narratif, il est en mesure de traiter une succession d’évènements momentanés, fractionnés, non reliés entre eux – même si cela porte sur une accumulation d’instants temporels, mécaniques, rapprochés, à la manière des images d’un film qui donnent une illusion de continuité.

En résumé : avantage à l’hémisphère gauche pour les situations statiques, et au droit pour les flux temporels. Tel est le cas de la musique, à un point tel que celle-ci devient le temps au-delà de la temporalité – non pour nous en libérer mais en nous faisant accéder à l’éternité (il en va de même pour accéder à la spiritualité, au-delà de l’existence physique, à l’universalité, au-delà du particulier).

Profondeur de champ
L’équivalent du temps dans le domaine visuel pourrait être la profondeur du champ spatial et on en revient à l’hémisphère droit dès qu’il s’agit d’être en relation avec d’autres, sans nous limiter à une catégorisation plus propre à l’hémisphère gauche (au-dessus / au-dessous, à rapprocher du avant / après temporel… et ainsi de suite) et à une tendance à se rapprocher des schémas ou des figures géométriques.

On le vérifie pour des sujets chez qui on a neutralisé l’un des deux hémisphères et à qui on demande de dessiner, successivement, le même objet : si c’est l’hémisphère gauche qui fonctionne seul, le sens de la profondeur disparaît et, pour un dessin d’immeuble par exemple, on obtient une succession de ses différentes façades, mais alignées comme dans certains dessins d’enfants.

Cet hémisphère gauche a d’ailleurs du mal à apprécier des surfaces à trois dimensions, irrégulières et légèrement incurvées, telles qu’on en trouve souvent dans le cas d’êtres vivants ; alors que l’hémisphère droit les traite de façon réaliste et détaillée, en profondeur, avec un sens esthétique de l’intensité et de la beauté.

The Master and his Emissary – The divided brain and the making of the Western world – Iain McGilchrist – Yale University Press – 2009 – 597 pages...

Le présent billet fait suite à celui du 17 août. Il fait partie d’une séquence sur le Cerveau commencée le 4 juin 2010 (voir la liste des thèmes dans la marge de droite). Il n'est pas exclu qu'au cours de la traduction et en cherchant à condenser, il y ait eu des erreurs ou une mauvaise compréhension : se référer directement à l'ouvrage mentionné ci-dessus.

samedi 9 octobre 2010

Varsovie – septembre 2010 (V)


La question nous est parfois posée. Sans être spécialistes, nous sommes plus ou moins au courant des prix de la vie de tous les jours en Pologne.

Les prix d’il y a 10 ans
En faisant le ménage avant coup de peinture, nous sommes tombés sur quelques tickets de caisse et bouts de papiers datant d’une dizaine d’années. Le choc d’après la chute du Mur (forte inflation et mesures économiques drastiques) était déjà en grande partie absorbé et la Pologne commençait à loucher du côté de l’Union Européenne où l’on s’apprêtait en 2001 à passer à l’euro (elle y est entrée en 2004 mais la décision n’est pas encore prise aujourd’hui d’abandonner le zloty - les bruits qui couraient ce mois-ci dans les sphères du pouvoir et de la finance faisaient état de préparatifs pour un passage à l'euro en 2015).

En 2001 donc, le zloty se changeait à presque 2 francs, soit 3,5 zlotys pour un euro, contre 4 actuellement. Et voici ce que nous livrent les chiffres empoussiérés que nous avons décryptés, et certains plus actuels :
Attention !
Selon la configuration de l'écran, les colonnes ci-dessous ne sont pas forcément bien alignées.
En ce qui me concerne, j'obtiens une apparence correcte en "plein écran" et zoom à 100%.
[En euros]..........2001....Pologne....France..........2010.....Pologne....France
Café en terrasse.............1,30..........1,60........................1,50...........2,20
Litre eau minérale...........0,20..........0,11........................0,37
Kilo de pain....................0,46..........2,90........................2,00..........4,40
Kilo de pommes............. 1,80.........................................1,20..........2,30
Kilo de bananes..............0,90.........................................1,50..........1,50
Kilo de beurre................3,30...........6,00........................6,25.........11,00
Kilo Danone naturel........ 2,30..........1,60........................1,60
Pantalon (teinturerie)..... 2,90..........5,00........................3,30..........3,90

...........Cela ne fait que donner une idée approximative car ces prix dépendent de l’endroit (grande ou petite agglomération / grande surface ou petit magasin).

Téléphoner quand on voyage aujourd’hui en Pologne
Il nous a fallu cette fois-ci nous fixer une ligne de conduite en matière de communications téléphoniques car il n’y avait pas de téléphone fixe dans l’appartement qui nous a servi de point de chute et nous reposer sur nos seuls téléphones mobiles en aurait fait exploser les forfaits. Lorsque nous les utilisons en France, les communications reviennent à un peu moins de 15 euros de l’heure. Dès que nous sommes en Pologne, le compteur se met à tourner deux fois plus vite pour les appels que nous passons vers nos destinataires en Europe (aussi bien donc vers la France que vers la Pologne) et nous payons un surcoût d’un peu plus de 10 euros de l’heure pour les communications que nous recevons – notre correspondant ayant été facturé au tarif normal dans son pays.

Nous avons expérimenté trois solutions qui ne sont d’ailleurs pas exclusives :
- SMS : pour 13 euros, on peut expédier une centaine de ces messages courts (l’équivalent de 4 ou 5 lignes du présent texte, sans faire d’acrobaties, par ex. en compactant les mots, et en acceptant les lettres avec accents ou cédilles)… et quand on en reçoit, on ne paie rien de plus.
- Cartes de cabine téléphonique vers un numéro de téléphone fixe ailleurs en Europe : sans mesure précise, donc à l’intuition, une carte à 15 zlotys permet de tenir entre 10 minutes et un quart d’heure – à 4 euros pour un zloty, cela voudrait dire dans les 15 à 22 euros de l’heure, ce qui reste moins cher que les 26 à 30 avec un téléphone mobile emporté de France.
- Une personne de l’équipe avait de nombreux correspondants à joindre en Pologne même. Dans la galerie marchande près de la station de métro Centrum à Varsovie, elle a trouvé un portable à 120 zlotys (30 euros) fonctionnant avec cartes prépayées : ses communications lui reviennent alors à moins de 5 euros de l’heure. A noter que, à la différence de l’option courante du téléphone mobile à carte en France, on n’est pas poussé à consommer dans les semaines qui suivent sous peine de perdre son avoir : on peut donc revenir en Pologne jusqu’à un an plus tard, le solde est toujours valable – et il n’est pas ici demandé de fournir son identité lors de l’achat initial.

Qualité de service
Pour la troisième année, un des principaux quotidiens du pays s’est associé avec un site Internet qui sert d’observatoire pour la qualité de service dans le commerce de détail en Pologne : dans un supplément de 16 pages, il publie un classement par branches ainsi que des meilleures chaines de magasins, le tout accompagné de commentaires. Les critères pris en compte sont : l’organisation et le temps mis pour fournir le service ; l’offre, les prix et l’assortiment ; l’apparence du lieu ; la compétence du personnel ; sa courtoisie et sa présentation (*).

Les notes semblent représenter un différentiel en % entre les opinions positives et négatives : Multibank obtient un score de +84, tandis que les transports urbains se voient attribuer un –18 (ce sont d’ailleurs les services postaux, les télécommunications fixes ou le transport ferroviaire qui se regroupent dans la zone négative). Dans le même ordre d’esprit, les pharmacies sont à +67 et les cabinets médicaux à +37 mais les hôpitaux au voisinage de zéro. Avec +58, les cafés (et dégustation de glace) devancent les hôtels et restaurants (+47), et plus encore les fastfoods (+41). La confection pour homme semble mieux appréciée (+54) que celles pour les dames (+46) ou pour les jeunes (+35). Les supermarchés sont notés +30 et les hyper +18.

Parmi les établissements bancaires, on a vu que Multibank était bien cotée (+84). Elle est suivie par BZ WBK (+47 – dont il me semble que, il y a quelques mois, la publicité était agrémentée par la tête de Gérard Depardieu) puis par ING Bank Śląski (+46). En revanche, Pekao SA (+8) et Kredyt Bank (+6), des vieux de la vieille rebaptisés, tiennent la lanterne rouge.

Biedronka (+38 – la Coccinelle, chaine d’origine portugaise m’a-t-on dit ici) sert de chef de file de la qualité de service pour les supermarchés. Viennent ensuite Intermarché (+34) et Lidl (+33). Carrefour Express semble se situer aux alentours de zéro.

Que l’on puisse déguster, un café, une pâtisserie ou une glace dans cette rue plutôt chic, dite du Nouveau Monde (Nowy Świat), ce n’est pas nouveau. Ce qui l’est est que de tels endroits se sont mis à y pulluler tout du long. Ce qui fait que lorsque vous y flânez en consultant le hit-parade les concernant, vous vous sentez en terrain connu. Car Tchibo (+60) s’y trouve bien évidemment, de même que Grycan (+58, surtout les glaces) et Costa coffee pas loin derrière.

Et si vous prenez le volant et vous mettez à la recherche des meilleures stations-services, pensez à repérer Statoil (+63), LOTOS (+55) et Lukoil (+54).

(*) Source : supplément à Rzeczpospolita du 23 septembre.

N.B. - Publié en octobre, de qui précède fait partie d'un ensemble de cinq billets rédigés à Varsovie au cours du mois précédent.

vendredi 8 octobre 2010

Varsovie – septembre 2010 (IV)


Troisième pièce de théâtre pendant ce séjour : Pan Jowialski d’Aleksander Fredro au Teatrpolonia, établissement privé sous la direction de Krystyna Janda.

Aleksander Fredro (1793-1878)
On le désigne parfois comme un Molière polonais : il use certes de la palette du comique mais pas dans la même veine. Et il a vécu environ deux siècles plus tard : né dans la partie autrichienne de la Pologne du Partage, il s’est engagé à 16 ans dans les armées du Duché de Varsovie mis en place par Napoléon et a passé quelques temps à Paris après la chute de celui-ci, avant de revenir dans la région de Lwów.

Avec d’autres pièces du même auteur, qui remontent à la même époque, comme Śluby Panieńskie (Serments de jeunes filles) ou Zemsta (La Vengeance), Pan Jowialski (1832 – que l’on pourrait traduire par Monsieur Jovial) est parmi les plus connues du répertoire national. A noter qu’écrites à une période qui correspond au déploiement du Romantisme polonais, elles s’en distinguent, et par leur sujet et par la forme.

Pan Jowialski
Le prétexte semble mince : deux jeunes gens qui cheminent à travers le pays s’égarent dans une propriété. Découvrant l’un d’eux endormi, les hôtes du lieu s’amusent avec force déguisements et courbettes, à lui faire croire à son réveil qu’il se trouve dans quelque palais oriental dont il serait le seigneur. Il tombe amoureux de la jeune fille de l’endroit – c’est réciproque. La médaille qu’il porte fonctionne comme un deus ex machina pour dissiper tous les obstacles qui n’ont pas manqué de surgir pour contrarier le happy-end tant attendu… Clin d’œil final : sous la forme d’une mise en cage du damoiseau.

Par-delà le prétexte, autant d’occasions d’enchaîner, de joyeuse humeur, avec beaucoup d’à-propos comme d’ironie, une suite de proverbes et de petits récits qui émaillent la sagesse populaire. Tout le monde les connaît par cœur, les attend… et, en même temps, la «chute» sait prendre un tour imprévu. C’est, en la matière, Pan Jowialski – le maître du lieu, un grand-père dont, dans la présente mise en scène, la femme est loin de rester en arrière – qui orchestre ce feu d’artifice.

D’hier, d’aujourd’hui et de demain
En cet après-midi d’un premier dimanche d’automne, on aurait pu imaginer un public familial. La salle était remplie : rien d’étonnant ici. Mon étonnement est plutôt venu de la grande variété des âges : en fin de compte, pas tellement d’enfants, pas de groupes de jeunes comme au Teatr Polski. Le plus souvent des couples – dans la maturité, plus récents, plus avancés – des gens qui prenaient plaisir à participer de bon cœur, à continuer de donner vie par leurs rires et applaudissements à ce qui avait fait rire et applaudir les générations précédentes et avait été puisé bien avant encore.

Ce n’est pas le seul pays où on le constate mais, en Pologne, on est particulièrement porté à marquer la distance entre Eux et Nous (Oni / My). Eux, ce sont ceux qui détiennent le pouvoir – on l’a vu dans un précédent billet. Les acteurs sont ici des Eux particuliers en ce qu’ils sont beaucoup plus proches et souvent aimés. Il y a sans doute un peu de ce que l’on trouve ailleurs dans la presse dite people mais sur un mode paradoxalement plus profond et plus élevé.

Sur scène comme dans la salle, les générations se mélangeaient – en raison de la distribution bien sûr mais de façon plus vivante aussi : c’est Marian Opania (très aimé du public – et de la promotion de Lisbeth) qui tenait le rôle de Pan Jowialski ; Krystyna Janda en personne, devenue femme du chambellan par un second mariage : son discours, parsemé d’expressions en français, se référant constamment à son premier mari ; et les plus jeunes, notamment les tourtereaux, faisaient, tout à leur honneur, leurs premières armes alors qu’ils étaient encore en dernière année de Conservatoire.

Figure de proue du théâtre privé
Actrice au théâtre comme au cinéma (à commencer, dans L’Homme de marbre d’Andrzej Wajda) Krystyna Janda a été formée au PWST. Outre le Teatrpolonia (deux salles), lancé il y a 5 ans à Varsovie, elle y dirige l’Och Teatr. Pour la saison, elle compte y faire tourner une quarantaine de pièces (elle a mis en scène ou joue dans une quinzaine d’entre elles). Sans tomber dans le piège d’une comparaison directe des chiffres, un ordre de grandeur : sur la durée d’une semaine, la rubrique théâtre des journaux donne le choix entre une centaine de spectacles dans la capitale (*).

Maria Seweryn, fille que Krystyna Janda a eue avec Andrzej Seweryn (son premier mari mais dans la vie, cette fois… et qui revient de France pour y diriger le Teatr Polski) est également présente dans des spectacles que promeut sa mère. Notamment avec son père dans Dowód qu’il a été invité à mettre en scène au Teatrpolonia. Elle est, désormais aussi, à la tête d’un autre théâtre, dans un quartier ouest de Varsovie.
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(*) Source : supplément à Gazeta Wyborcza (Stołeczna) du 24 septembre.
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Dans l'illustration, une scène de Pan Jowialski avec, de part et d'autre de la jeune Aleksandra Grzelak, Krystyna Janda et Marian Opania ; puis l'entrée du théâtre et l'affiche de la pièce.
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N.B. - Publié en octobre, de qui précède fait partie d'un ensemble de cinq billets rédigés à Varsovie au cours du mois précédent.

jeudi 7 octobre 2010

Varsovie – septembre 2010 (III)


Autre décalage entre ce que l’on affiche et la manière dont on se comporte : Moralność Pani Dulskiej (La Morale de Madame Dulska). Nous sommes cette fois au tout début du 20ème siècle – c’est la pièce la plus connue de Gabriela Zapolska, créée en 1907.

La pièce de Zapolska
C’est un coup de projecteur sur un épisode de la vie d’une famille de la petite bourgeoisie, sous la férule de la femme qui dirige le foyer. Sa ligne de conduite se résume finalement à assurer par tous les moyens l’honorabilité de sa maison vis-à-vis de l’extérieur.

Propriétaire de l’immeuble où ils habitent, elle n’hésite pas à mettre à la porte un couple dont la femme vient de faire une tentative de suicide parce que son mari venait de la tromper – motif : l’ébruitement provoqué par cet acte de désespoir, d’où la mauvaise publicité (et la baisse de rentabilité) pour la valeur de ses biens. Mais elle se satisfait en même temps qu’un autre de ses logements soit occupé par une cocotte qui mène son commerce dans la discrétion voulue et paie rubis sur l’ongle.

Puis elle chassera la bonne qui vient de se faire engrosser par son fils, devant le comportement duquel elle montre toutes les faiblesses. L’opération aboutira mais moins facilement que prévu : pour qu’il paraisse blanc à l’extérieur, il faudra avoir lavé le linge sale en famille. Car la pièce n’aurait pas le poids qu’elle s’est avérée avoir au fil du temps, si elle n’était pas sous-tendue par la psychologie des personnages.

Plusieurs des membres de la famille ne suivent pas aisément les rails d’une telle programmation sociale. A commencer par le fils, un oisif qui, s’il court les boites la nuit, et accessoirement la bonne avec la bénédiction tacite de sa mère, fait ce qu’il fait et l’exprime dans un esprit de révolte qui se veut conscient. La bonne est enceinte ? Il déclare vouloir se marier avec elle mais sera bientôt amené à mettre les pouces. Et la mère, bien que très réticente, dotera l’intéressée d’un relativement important pécule de départ.

Tournent autour deux sœurs plus jeunes : l’une un peu nunuche mais personnage qui, dans la pièce, fait le plus montre d’empathie ; l’autre qui s’apprête au contraire, avec le cynisme voulu, à mordre la vie à belles dents. Une de leurs cousines, un peu plus âgée et déjà mariée mais ne dédaignant pas s’attirer les attentions de quelques jeunes officiers, lui sert en quelque sorte d’exemple à suivre. A la différence de Madame Dulska, elle ne possède pas de biens et n’est pas coincée dans sa position sociale – mais comme cette dernière, elle n’hésite pas à jouer des coudes et, assez démerdarde, elle lui sert au besoin de conseillère.

Dans le foyer, c’est Madame Dulska qui porte la culotte : elle octroie à son mari tout juste d’argent de poche pour aller rencontrer ses alter egos au café. Il n’apparaît qu’à de rares occasions dans la pièce, s’exprime par mimiques et n’y prononce qu’une seule phrase, d’ailleurs inachevée.

Dulscy z O.O. : une adaptation
La pièce que nous sommes allés voir au Teatr Polski n’est pas exactement celle qui vient d’être résumée mais une transposition à notre époque – donc un siècle plus tard. Explication sur le titre : en polonais, on dit Monsieur Dulski, Madame Dulska, et les Dulscy – on pourrait traduire Dulscy z O.O. par Les Dulski S.A.R.L.

L’intention était fondée et la trame d’ensemble a été assez fidèlement respectée. Ce qui change à première vue, ce sont les vêtements, l’ameublement design, le recours à des téléphones portables (ex. : pour la mise à la porte expéditive de la locataire qui avait tenté de se suicider – ce qui permet, les temps sont durs dans le théâtre, d’économiser un personnage dans la distribution).

L’impression que j’en ai cependant ressentie est que l’on a beaucoup misé sur l’aspect visuel, souligné à certains moments par des effets sonores (sortes de jingles envahissants que Madame Dulska zappe d’un geste autoritaire) : décor, coloris dont ceux des habits – on se croirait parfois devant une passerelle de défilé de mode, démarches obsessionnellement mécaniques ou, par contraste, exagérément décontractées.

Je crains – et j’ai cru comprendre car, ici aussi, ma capacité à suivre en polonais avait ses limites – que le jeu des personnages soit resté dans la convention de la pièce et que la densité psychologique qu’elle recèle et qui, depuis ses débuts, avait attiré des actrices et acteurs de renom pour en camper et mettre en valeur les personnages, ait été reléguée à un second plan sauf, peut-être, pour le rôle du fils.

Moralność de Zapolska a en effet réussi à traverser les années et les régimes (Pologne partagée puis indépendante, d’avant-guerre puis de derrière le rideau de fer, d’après la chute du Mur, et désormais dans l’Union européenne…). Elle est en bonne place dans les Lagarde & Michard des programmes scolaires. Bien que la pièce ait été représentée en soirée, une partie non négligeable de spectateurs était composée par des groupes de jeunes. Sa souhaitable persistance dans l’être mérite sans doute plus de profondeur sur scène.

Disponible dans plus d’une vingtaine de langue, on ne trouve jusqu’alors pas de traduction publiée en français. Il en existe néanmoins une, sous forme manuscrite, de Paul Cazin (1881-1963), qui date de 1933 – une douzaine d’années après la mort de Zapolska. C’est celle qu’il est envisagé d’insérer dans la publication bilingue en cours d’élaboration à l’Université de Varsovie, et dont la lecture m’a permis de mieux me préparer à la représentation au Teatr Polski.

Les trois coups allaient être frappés qu’une Polonaise qui nous accompagnait, bien au fait de ce qui se trame ici, a attiré notre attention sur deux silhouettes de noir vêtues, qui venaient de s’installer au balcon, au plus près de la scène. L’une était celle d’Andrzej Seweryn. Celui-ci est un acteur connu et apprécié en France où il réside depuis bien des années. Sociétaire de la Comédie-Française, il se vit en même temps comme, dans son domaine, un ambassadeur de la Pologne, ne manquant pas de reconnaître ce qu’il doit à ceux qui l’ont formé… car lui aussi (voir le billet précédent sur Tartuffe) a fait PWST. Le jour même d’ailleurs, un grand quotidien du lieu avait publié un entretien avec lui sur ce thème.

Sa présence, ce soir là n’était pas neutre : il a, en effet, été désigné pour prendre dans quelques mois la direction de ce même Teatr Polski – l’un des plus anciens et renommés à Varsovie – actuellement subventionné par la région (voïvodie).

Sur l’illustration, l’affiche de Dulscy z O.O. qui est présentée comme une adaptation de la pièce de Zapolska, et – au-dessus d’une vue de l’entrée du Teatr Polski (ouvert en 1913) – à droite, Anna Seniuk dans le rôle de Madame Dulska (Télévision polonaise, en 1992), et à gauche, Andrzej Seweryn pressenti pour prendre la direction de ce théâtre en 2011.

N.B. - Publié en octobre, de qui précède fait partie d'un ensemble de cinq billets rédigés à Varsovie au cours du mois précédent.

Varsovie – septembre 2010 (II)

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Reposons nos pieds sur terre : nous n’étions pas à Varsovie, Sélénia et moi, pour faire du journalisme politique mais pour voir comment rafraîchir un appartement qui pourrait nous y servir de pied-à-terre. Et pour accompagner Lisbeth et Arturo, nos deux promoteurs de Gabriela Zapolska : ils commençaient à avoir de bonnes raisons de croire que, d’ici quelques mois, une exposition serait consacrée à leur héroïne, dramaturge bien connue et actrice d’il y a un siècle, sous les auspices du Muzeum Literatury et du Muzeum Teatralne. Et ils avaient espoir que sortirait vers la même époque un ouvrage bilingue destiné aux étudiants de l’Université de Varsovie, pour la présenter, avec le texte de sa pièce la plus jouée (Moralność Pani Dulskiej), ainsi que ses chroniques depuis Paris (où elle a séjourné de 1889 à 1895), notamment sur les évolutions dont elle y avait été témoin dans le théâtre et dans la peinture.

Tartuffe en polonais
La saison théâtrale reprenait sur la pointe des pieds, ce qui nous a permis de voir, justement, Dulscy z O.O., d’après l’œuvre de Zapolska, au Teatr Polski, Pan Jowialski d’Aleksander Fredro au Teatrpolonia, et l’une des dernières reprises de Tartuffe en polonais, dans une mise en scène de Jacques Lassalle, au Teatr Wielki (le Grand Théâtre). Commençons par ce dernier.

On se souvient – voir les billets de juillet – que nous avions croisé Jacques Lassalle lors du Festival d’Avignon. Il y avait publiquement fait les louanges du théâtre et des acteurs polonais et l’avait redit en particulier à Lisbeth, formée à PWST (Conservatoire national de Théâtre de Varsovie). Cette mise en scène de Tartuffe remonte à 2006 : c’est la première qu’il ait réalisée en polonais avec des acteurs polonais (il avait auparavant été invité à présenter, en ce même Teatr Wielki, le Misanthrope avec le Théâtre Vidy de Lausanne, en 2000, et Don Juan avec la Comédie Française, en 2004). Fort de l’estime que lui porte le directeur artistique (Jan Englert, lui-même excellent acteur et metteur en scène reconnu… et de la même promotion de PWST que Lisbeth), il s’apprête, pour la prochaine saison, à renouveler l’expérience, mais avec Lorenzaccio d’Alfred de Musset.

Dans la salle et sur scène
Bien que récemment arrivés, nous avions réussi à obtenir des places correctement situées. Dans la salle, totalement remplie, pas de tenues négligées (et ceux qui avaient essayé d’échapper au vestiaire avaient obligeamment été incités à revoir leur position). Il n’est pas question pour moi de faire ici un commentaire sur ce à quoi j’ai assisté ne serait-ce qu’en raison d’une maîtrise insuffisante de la langue.

Mais je ne peux nier avoir été conquis et avoir partagé les excellentes impressions de ma voisine, totalement à l’aise sur le plan théâtral comme dans la compréhension spontanée de ce qui se disait. A souligner, le rôle clé qui se dégage du jeu de Dorine, au service d’Orgon, le père tartuffié, et de sa fille Marianne : comme toutes les servantes de Molière, c’est une battante qui n’a notamment pas sa langue dans sa poche face à son maître – mais c’est également une femme qui a l’expérience de la vie et sait faire passer des réflexions de bon sens et proposer comment surmonter les obstacles au fur et à mesure qu’ils apparaissent.

Au début (ensuite, non), l’écoute m’a paru un peu attentiste – ce qui a éveillé en moi une interrogation. Dans le contexte français d’aujourd’hui, Tartuffe semble rouler un Orgon outrancièrement crédule dès qu’il s’agit de religion, ce qui rend son rôle plutôt comique ; tout déplaisant qu’il soit, Tartuffe joue cyniquement son jeu ; la religion n’est à la limite qu’un prétexte ; c’est d’ailleurs sur un autre terrain qu’il s’attaque à Elmire, la femme d’Orgon.

Comment traduit-on imposteur ?
Mais ici en Pologne, peut-on mettre aussi facilement la religion entre parenthèses ? En faire un prétexte comme un autre ? Or, dès la formulation du titre, la question est posée : Tartuffe, ou l’Imposteur avait jusqu’à présent été traduit par Świętoszek, de Święty (Saint) avec une nuance bien péjorative – on le voit sur les affiches des représentations précédentes, en 1933, 1950, 1987, ainsi que sur la plaque apposée dans la rue Molière qui jouxte le Teatr Wielki et qui présente l’auteur en quelques lignes… Cette fois-ci, le titre est clairement Tartuffe albo Szalbierz – à savoir un imposteur tout court, religion ou pas religion.

Trois textes précèdent la traduction en polonais qui est fournie dans la plaquette du programme : celui signé par le metteur en scène, Jacques Lassalle (A Tartuffe? / Et Tartuffe ?) ; celui du traducteur en même temps qu’interprète du rôle d’Orgon, Jerzy Radziwiłowicz (Bardzo zabawna komedia / Une comédie fort réjouissante) ; et celui de Lech Sokoł, que tout le monde connaît parmi le public du Teatr Wielki, puisqu’il n’a pas été jugé nécessaire de le présenter dans ce document (Tartuffe 2006. Rzecz o komedii Moliera / Tartuffe 2006. C’est bien une comédie de Molière). Sans s’y limiter, aucun n’escamote la portée de l’emploi du terme Szalbierz.

Ainsi, Sokoł pose d’entrée de jeu la question du titre de la pièce, puis valse un temps entre świętoszek, szalbierz et obłudnik (hypocrite). Il se demande vers la fin si Molière avait eu l’intention d’attaquer la religion pour – en passant par Don Juan (et l’athéisme), le 11 septembre et Jürgen Habermas – estimer qu’avec cette pièce, nous sommes en pleine actualité. Radziwiłowicz nous plonge dans les délices et chausse-trappes qui, sous le règne de Louis XIV, ont balisé une hasardeuse venue au monde du Tartuffe de Molière.

Et Jacques Lassalle nous fournit un éclairage particulièrement intéressant quand il nous rappelle que la présente mise en scène est la troisième qu’il ait faite après celle de 1983-84 à Strasbourg puis Paris, avec Gérard Depardieu et François Périer et celle de 1992 avec des acteurs du Théâtre national d’Oslo dont plus d’un avaient joué sous la direction d’Ingmar Bergman. Dans le premier cas, il avoue ne pas s’être tellement posé la question d’une imposture sur fond religieux, se concentrant plutôt sur le caractère d’Orgon et celui de Tartuffe, ainsi que des relations qui en découlaient, et entre eux et vis-à-vis d’Elmire. Sérieuse inflexion de cap en Norvège pour prendre en compte sa tradition protestante, voire puritaine : Tartuffe bascule cette fois dans le fanatisme et une folie de Dieu, qui emporte le reste à l’avenant.

Et que va devenir le Tartuffe polonais, se demande-t-il dans son propos de 2006, à la veille de la première ? Souligner les apports de ceux qui s’embarquent alors avec lui dans cette aventure – et on a indiqué au début quelle estime il leur porte – apparaît nécessaire mais pas forcément suffisant. En arrière-plan monte un thème qu’il semble désormais vouloir maintenir contre vents et marées – nous l’avons entendu de sa bouche récemment à Avignon – celui de l’importance et du retour au texte : … le texte que l’on appelle classique peut se révéler actuel et prendre à nos yeux une dimension universelle, dans la mesure où il réussit à passer l’épreuve de la réalité, aussi bien celle de l’époque que celle de l’ici et maintenant. A commencer par le titre de la pièce.
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Sur la droite de l'illustration, l'affiche qui présente Tartuffe au Teatr Narodowy de Varsovie. En haut le fronton du Teatr Wielki, qui abrite ce théâtre et l'Opéra, ainsi que le Quadrige. Au-dessous, Jan Englert (à gauche), Directeur artistique du Teatr Narodowy, et Jacques Lassalle qui a mis en scène Tartuffe.

N.B. - Publié en octobre, de qui précède fait partie d'un ensemble de cinq billets rédigés à Varsovie au cours du mois précédent.

Varsovie – septembre 2010 (I)

J’avais laissé quelques traces d’un passage à Varsovie en avril dernier. C’était à l’époque de la catastrophe de Smolensk où le Président en exercice a disparu ainsi qu’une centaine de personnalités qui l’accompagnaient. C’était aussi la période du nuage de cendres volcaniques qui a perturbé le trafic aérien sur la plus grande partie de l’Europe. Nous sommes repassés dans la capitale polonaise en ce mois de septembre – le contexte n’était pas aussi sombre, mise à part une épidémie ORL qui s’épanouissait parmi les personnes rencontrées et qui a fait plus que de nous effleurer.

L’élection présidentielle a eu lieu
Par ailleurs, l’interrogation qui se formulait alors à propos des présidentielles anticipées était levée : Bronisław Komorowski, de tendance modérément libérale, l’avait emporté fin juin, face à Jarosław Kaczyński, frère jumeau du Président défunt, nettement conservateur, et au sursaut considéré comme plus qu’honorable (10-15%) du candidat de gauche. Mais la victoire avait été obtenue à tête relativement courte et, forts du surcroît d’adhésion obtenu dans une ambiance dramatique et dramatisée, les conservateurs ont favorisé un climat de presque guérilla voire de contestation de la légitimité du pouvoir désormais en place.

Positionnements politiques
D’autant qu’une partie de l’Église catholique et de sa hiérarchie a fait le choix de soutenir politiquement l’aile conservatrice qui lui semblait mieux à même d’influer, par exemple, en faveur de lois anti-avortement : cela s’est manifesté lors de la campagne présidentielle. Une personne née en Pologne et vivant depuis longtemps en France m’a indiqué que le ton de la presse catholique polonaise à Paris allait également dans ce sens.

L’Église a soutenu, depuis, le projet émanant des mêmes sources de réimplanter la grande croix qui avait été dressée à l’entrée du palais présidentiel dans les temps d’émotion qui ont suivi la catastrophe d’avril – projet à visée définitive alors qu’un nouveau président est maintenant élu, que l’on considère depuis l’autre bord comme instaurer une confusion entre les sphères du pouvoir religieux et du pouvoir temporel. Je ne dispose pas en détail de ce qui s’en est suivi – reste que, à l’image d’un Fort Chabrol, ledit palais a alors été barricadé par une double enceinte artificielle avant de pouvoir à nouveau respirer vers le 23 septembre.
L'image qui illustre ce billet montre l'entrée sous surveillance et le trottoir qui longe le palais, rendu inaccessible par les barrières métalliques renforcées - puis, sur la droite, ces mêmes abords désormais dégagés à fin septembre. En bas à gauche, un pastiche caricatural, qui avait auparavant circulé sur Internet y faisant apparaître le Christ de Rio-de-Janeiro (une statue similaire de plus de 30 mètres et couronnée - le Christ-roi - étant en cours d'implantation près de la frontière allemande).
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La personne mentionnée plus haut, qui se trouvait à la même période que nous à Varsovie, a assisté à une messe, le dimanche 19 dans l’église bien connue à 350 m de là, face à une statue de Copernic et à l’entrée de l’Université. Aucun commentaire sur l’évangile du jour lors du prêche de plus d’un quart d’heure, mais concentration sur le registre politique, rappel de Smolensk, invitation à se méfier de ce que l’on peut trouver dans les médias, évocation du positionnement adopté par Jarosław Kaczyński

Un sondage en forme de signal
Méfiez vous donc si tel est votre parti de ce que publie le quotidien Gazeta Wyborcza – il a en effet été plutôt du bord de Bronisław Komorowski pendant sa campagne. Mais si vous savez séparer le bon grain de l’ivraie, vous y apprendrez ceci. Début septembre, l’un des principaux instituts de sondage du pays (CBOS) s’est inquiété des effets provoqués par ces prises de position de l’Église.

En moins d’un trimestre, l’appréciation que lui manifestent les Polonais a connu sa chute la plus brutale depuis une quinzaine d’années : le différentiel entre ceux qui la soutiennent et ceux qui la critiquent s’est effondré de 20% (10% de soutiens en moins, 10% de critiques en plus – pas de refuge transitoire donc dans la neutralité).

On apprend à cette occasion que la vitesse de croisière tourne autour de 2/3 favorables et un quart critiques (reste dans les 10%) et que les premiers se recrutent de préférence en zone rurale et parmi ceux dont le niveau d’études correspond au primaire, tandis que les seconds habitent plutôt des villes de plus de 100 000 habitants, gagnent mieux leur vie et / ou votent à gauche.

Mais il y a eu des périodes plus particulières. Au moment du tournant de 1989-90, le capital de confiance était énorme et l’appréciation positive est parvenue à 90%. Mais ceci s’est dégradé au cours de années ’90, avec un creux en 1996, alors que l’Église a voulu capitaliser sur cette situation (infléchir des lois, positionnement vis-à-vis d’un éventuel concordat, récupération comme propriétaire de biens dont elle s’estimait avoir été spoliée par le régime précédent). Nouveau pic – assez temporaire – au moment de Smolensk, puisque l’on est monté à 73% contre 10% (différentiel : 63%). En juin, 2 mois plus tard, on avait pratiquement retrouvé les normes antérieures 64% favorables, 25% critiques (différentiel : 39%)… et voici le verdict de septembre : 54% favorables, 35% critiques (différentiel : 19%).

A confirmer ?
A regarder, dans ce ciel primo-automnal, les nuées d’hirondelles qui s’apprêtent à prendre le large, on sait que – surtout à cette époque – une seule ne fait pas le printemps : il est donc raisonnable d’attendre confirmation ou infirmation avec de prochains sondages. Ce qui n’empêche pas les commentaires de s’épanouir. Pour le patron de CBOS, cela vient surtout de l’engagement de plusieurs évêques (mais pas de tous – l’Église est donc apparue divisée) en faveur de Jarosław Kaczyński et l’attitude à propos de la croix devant le palais présidentiel.

Parmi les catholiques, certains font mine de ne pas s’émouvoir et classent cette information au rayon de l’écume des jours, tant que la religiosité n’est pas touchée…, alors que le jésuite qui signe dans l’hebdomadaire catholique Tygodnik Powszechny, rejoint les conclusions venant de CBOS, y voit un signal marquant et un appel à ce que l’Église reconsidère sa tendance à s’ingérer dans le monde de la politique.

Toile de fond
Compte tenu des questions ici abordées, il semble nécessaire d’apporter aux lecteurs de ce bloc-notes quelques éléments pour aller un peu plus loin que les impressions premières ou que les images toutes faites que l’on trouve communément en France sur la religion (et sur l’Église catholique en particulier) en Pologne. Sans remonter au Déluge, contentons-nous de 966, date de la naissance (dite aussi du baptême) de la Pologne.

Ce qui suit s’inspire de notes prises lors du cours d’Histoire de la Pologne de M. Bruno Drwęski, à l’INALCO – j’en prends la responsabilité ; ce texte ne l’engage pas.

En décidant de se faire baptiser, le roi Mieszko Ier impose la religion catholique romaine à des sujets qui ne la connaissent pas jusqu’alors : ils ne l’ont pas choisie. On leur fait pratiquer un rituel, avant qu’ils ne commencent à comprendre ce qu’il y a derrière – l’importance du rituel a toujours été présente et subsiste de nos jours.

Par ailleurs et surtout, la christianisation est un élément fondateur de l’État. Sachant lire et écrire le latin, les clercs aident à constituer la base d’une administration d’État. L’Église organise notamment la formation, non seulement de ses religieux mais des dignitaires. Enfin, l’Église peut utilement aider à orienter les choses : celui qui va du bon côté est censé aller au Paradis après sa mort tandis que, dans l’autre cas, se profilent les flammes de l’Enfer.

La christianisation a été assez rapide en Pologne, à l’inverse de ce qui s’est passé dans l’Empire romain où la religion chrétienne s’est diffusée par le bas. Le processus avait duré plus de 300 ans et, bien avant l’officialisation de la religion, les gens avaient eu le temps pour se positionner. En Pologne, la religion apparaît spontanément comme un instrument du pouvoir. A l’opposé de ce qui s’était passé pour les Romains qui, s’ils se faisaient Chrétiens, étaient des rebelles, pour les Polonais, devenir Chrétien c’était se soumettre.

D’où l’habitude prise de considérer que les changements se font au sommet… et qu’il va de soi que l’élite peut changer de discours du jour au lendemain, sans avoir à en rendre compte à la population. Ce qui explique, négativement d’abord, une méfiance à l’égard d’un pouvoir et, positivement sur le moyen terme par ailleurs, qu’il soit difficile d’être fanatique. D’un point de vue ethnographique très marqué par un imaginaire polythéiste venant du paganisme, les autres religions équivalent à adorer d’autres dieux sans considérer que ce sont de faux dieux. Adhérer à une religion, c’est en reconnaître la force et non affaire de conviction. Elle se traduit par des exigences, ce qui en privilégie le côté rituel – aspect qui finit par devenir un élément identitaire. Il n’y a pas de volonté de convertir les autres – ni croisades, ni guerres de religion ; au Moyen-âge, accueil des Juifs, persécutés et chassés ailleurs en Europe.

Associé à la construction de l’État polonais, le christianisme coïncide avec le sentiment d’identité qui en résulte – ce qui diffère de ce qui s’est passé à l’Ouest où l’État, préexistant à la religion, cette dernière ne participe pas à la création de ce sentiment d’identité. Mais, même si on en pratique le rituel, l’Église en Pologne a pu être perçue depuis ses débuts comme une structure coercitive, ce qui explique – les Français ont du mal à le comprendre – que l’on puisse y être et croyant et anticlérical. La laïcité française est généralement éloignée de la religion. La laïcité polonaise est plutôt religieuse : le Polonais reste un croyant.

N.B. - Publié en octobre, de qui précède fait partie d'un ensemble de cinq billets rédigés à Varsovie au cours du mois précédent.