jeudi 7 octobre 2010

Varsovie – septembre 2010 (I)

J’avais laissé quelques traces d’un passage à Varsovie en avril dernier. C’était à l’époque de la catastrophe de Smolensk où le Président en exercice a disparu ainsi qu’une centaine de personnalités qui l’accompagnaient. C’était aussi la période du nuage de cendres volcaniques qui a perturbé le trafic aérien sur la plus grande partie de l’Europe. Nous sommes repassés dans la capitale polonaise en ce mois de septembre – le contexte n’était pas aussi sombre, mise à part une épidémie ORL qui s’épanouissait parmi les personnes rencontrées et qui a fait plus que de nous effleurer.

L’élection présidentielle a eu lieu
Par ailleurs, l’interrogation qui se formulait alors à propos des présidentielles anticipées était levée : Bronisław Komorowski, de tendance modérément libérale, l’avait emporté fin juin, face à Jarosław Kaczyński, frère jumeau du Président défunt, nettement conservateur, et au sursaut considéré comme plus qu’honorable (10-15%) du candidat de gauche. Mais la victoire avait été obtenue à tête relativement courte et, forts du surcroît d’adhésion obtenu dans une ambiance dramatique et dramatisée, les conservateurs ont favorisé un climat de presque guérilla voire de contestation de la légitimité du pouvoir désormais en place.

Positionnements politiques
D’autant qu’une partie de l’Église catholique et de sa hiérarchie a fait le choix de soutenir politiquement l’aile conservatrice qui lui semblait mieux à même d’influer, par exemple, en faveur de lois anti-avortement : cela s’est manifesté lors de la campagne présidentielle. Une personne née en Pologne et vivant depuis longtemps en France m’a indiqué que le ton de la presse catholique polonaise à Paris allait également dans ce sens.

L’Église a soutenu, depuis, le projet émanant des mêmes sources de réimplanter la grande croix qui avait été dressée à l’entrée du palais présidentiel dans les temps d’émotion qui ont suivi la catastrophe d’avril – projet à visée définitive alors qu’un nouveau président est maintenant élu, que l’on considère depuis l’autre bord comme instaurer une confusion entre les sphères du pouvoir religieux et du pouvoir temporel. Je ne dispose pas en détail de ce qui s’en est suivi – reste que, à l’image d’un Fort Chabrol, ledit palais a alors été barricadé par une double enceinte artificielle avant de pouvoir à nouveau respirer vers le 23 septembre.
L'image qui illustre ce billet montre l'entrée sous surveillance et le trottoir qui longe le palais, rendu inaccessible par les barrières métalliques renforcées - puis, sur la droite, ces mêmes abords désormais dégagés à fin septembre. En bas à gauche, un pastiche caricatural, qui avait auparavant circulé sur Internet y faisant apparaître le Christ de Rio-de-Janeiro (une statue similaire de plus de 30 mètres et couronnée - le Christ-roi - étant en cours d'implantation près de la frontière allemande).
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La personne mentionnée plus haut, qui se trouvait à la même période que nous à Varsovie, a assisté à une messe, le dimanche 19 dans l’église bien connue à 350 m de là, face à une statue de Copernic et à l’entrée de l’Université. Aucun commentaire sur l’évangile du jour lors du prêche de plus d’un quart d’heure, mais concentration sur le registre politique, rappel de Smolensk, invitation à se méfier de ce que l’on peut trouver dans les médias, évocation du positionnement adopté par Jarosław Kaczyński

Un sondage en forme de signal
Méfiez vous donc si tel est votre parti de ce que publie le quotidien Gazeta Wyborcza – il a en effet été plutôt du bord de Bronisław Komorowski pendant sa campagne. Mais si vous savez séparer le bon grain de l’ivraie, vous y apprendrez ceci. Début septembre, l’un des principaux instituts de sondage du pays (CBOS) s’est inquiété des effets provoqués par ces prises de position de l’Église.

En moins d’un trimestre, l’appréciation que lui manifestent les Polonais a connu sa chute la plus brutale depuis une quinzaine d’années : le différentiel entre ceux qui la soutiennent et ceux qui la critiquent s’est effondré de 20% (10% de soutiens en moins, 10% de critiques en plus – pas de refuge transitoire donc dans la neutralité).

On apprend à cette occasion que la vitesse de croisière tourne autour de 2/3 favorables et un quart critiques (reste dans les 10%) et que les premiers se recrutent de préférence en zone rurale et parmi ceux dont le niveau d’études correspond au primaire, tandis que les seconds habitent plutôt des villes de plus de 100 000 habitants, gagnent mieux leur vie et / ou votent à gauche.

Mais il y a eu des périodes plus particulières. Au moment du tournant de 1989-90, le capital de confiance était énorme et l’appréciation positive est parvenue à 90%. Mais ceci s’est dégradé au cours de années ’90, avec un creux en 1996, alors que l’Église a voulu capitaliser sur cette situation (infléchir des lois, positionnement vis-à-vis d’un éventuel concordat, récupération comme propriétaire de biens dont elle s’estimait avoir été spoliée par le régime précédent). Nouveau pic – assez temporaire – au moment de Smolensk, puisque l’on est monté à 73% contre 10% (différentiel : 63%). En juin, 2 mois plus tard, on avait pratiquement retrouvé les normes antérieures 64% favorables, 25% critiques (différentiel : 39%)… et voici le verdict de septembre : 54% favorables, 35% critiques (différentiel : 19%).

A confirmer ?
A regarder, dans ce ciel primo-automnal, les nuées d’hirondelles qui s’apprêtent à prendre le large, on sait que – surtout à cette époque – une seule ne fait pas le printemps : il est donc raisonnable d’attendre confirmation ou infirmation avec de prochains sondages. Ce qui n’empêche pas les commentaires de s’épanouir. Pour le patron de CBOS, cela vient surtout de l’engagement de plusieurs évêques (mais pas de tous – l’Église est donc apparue divisée) en faveur de Jarosław Kaczyński et l’attitude à propos de la croix devant le palais présidentiel.

Parmi les catholiques, certains font mine de ne pas s’émouvoir et classent cette information au rayon de l’écume des jours, tant que la religiosité n’est pas touchée…, alors que le jésuite qui signe dans l’hebdomadaire catholique Tygodnik Powszechny, rejoint les conclusions venant de CBOS, y voit un signal marquant et un appel à ce que l’Église reconsidère sa tendance à s’ingérer dans le monde de la politique.

Toile de fond
Compte tenu des questions ici abordées, il semble nécessaire d’apporter aux lecteurs de ce bloc-notes quelques éléments pour aller un peu plus loin que les impressions premières ou que les images toutes faites que l’on trouve communément en France sur la religion (et sur l’Église catholique en particulier) en Pologne. Sans remonter au Déluge, contentons-nous de 966, date de la naissance (dite aussi du baptême) de la Pologne.

Ce qui suit s’inspire de notes prises lors du cours d’Histoire de la Pologne de M. Bruno Drwęski, à l’INALCO – j’en prends la responsabilité ; ce texte ne l’engage pas.

En décidant de se faire baptiser, le roi Mieszko Ier impose la religion catholique romaine à des sujets qui ne la connaissent pas jusqu’alors : ils ne l’ont pas choisie. On leur fait pratiquer un rituel, avant qu’ils ne commencent à comprendre ce qu’il y a derrière – l’importance du rituel a toujours été présente et subsiste de nos jours.

Par ailleurs et surtout, la christianisation est un élément fondateur de l’État. Sachant lire et écrire le latin, les clercs aident à constituer la base d’une administration d’État. L’Église organise notamment la formation, non seulement de ses religieux mais des dignitaires. Enfin, l’Église peut utilement aider à orienter les choses : celui qui va du bon côté est censé aller au Paradis après sa mort tandis que, dans l’autre cas, se profilent les flammes de l’Enfer.

La christianisation a été assez rapide en Pologne, à l’inverse de ce qui s’est passé dans l’Empire romain où la religion chrétienne s’est diffusée par le bas. Le processus avait duré plus de 300 ans et, bien avant l’officialisation de la religion, les gens avaient eu le temps pour se positionner. En Pologne, la religion apparaît spontanément comme un instrument du pouvoir. A l’opposé de ce qui s’était passé pour les Romains qui, s’ils se faisaient Chrétiens, étaient des rebelles, pour les Polonais, devenir Chrétien c’était se soumettre.

D’où l’habitude prise de considérer que les changements se font au sommet… et qu’il va de soi que l’élite peut changer de discours du jour au lendemain, sans avoir à en rendre compte à la population. Ce qui explique, négativement d’abord, une méfiance à l’égard d’un pouvoir et, positivement sur le moyen terme par ailleurs, qu’il soit difficile d’être fanatique. D’un point de vue ethnographique très marqué par un imaginaire polythéiste venant du paganisme, les autres religions équivalent à adorer d’autres dieux sans considérer que ce sont de faux dieux. Adhérer à une religion, c’est en reconnaître la force et non affaire de conviction. Elle se traduit par des exigences, ce qui en privilégie le côté rituel – aspect qui finit par devenir un élément identitaire. Il n’y a pas de volonté de convertir les autres – ni croisades, ni guerres de religion ; au Moyen-âge, accueil des Juifs, persécutés et chassés ailleurs en Europe.

Associé à la construction de l’État polonais, le christianisme coïncide avec le sentiment d’identité qui en résulte – ce qui diffère de ce qui s’est passé à l’Ouest où l’État, préexistant à la religion, cette dernière ne participe pas à la création de ce sentiment d’identité. Mais, même si on en pratique le rituel, l’Église en Pologne a pu être perçue depuis ses débuts comme une structure coercitive, ce qui explique – les Français ont du mal à le comprendre – que l’on puisse y être et croyant et anticlérical. La laïcité française est généralement éloignée de la religion. La laïcité polonaise est plutôt religieuse : le Polonais reste un croyant.

N.B. - Publié en octobre, de qui précède fait partie d'un ensemble de cinq billets rédigés à Varsovie au cours du mois précédent.

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