mercredi 17 janvier 2018

Mieux vaut ne pas le savoir




Laura Spinney (born August 1971) is a British science journalist and writer, resident in France, whose most recent nonfiction book Pale Rider (2017), dealt with the 1918 flu pandemic. The book was positively reviewed in The Times and The Guardian. She has written for The Times, National Geographic, The Economist, Nature, New Scientist and The Daily Telegraph among others (traduit de l’anglais — 04.10.2017)
Des années de dépistage génétique nous montrent que lorsqu'ils ont le choix, les gens préfèrent en savoir le moins possible.
En 1996, une religieuse française, découvre qu'elle n'a pas la maladie de Huntington, une affection neurodégénérative mortelle d'origine génétique. Depuis très longtemps, elle est persuadée qu'elle est porteuse de la maladie qui a tué sa mère et sa grand-mère.
Toutes les décisions importantes de son existence ont été prises en fonction de ça :
Elle ne s'est pas mariée ; elle n'a pas eu d'enfants ; elle est entrée dans les ordres.
Ce qu’elle ne regrette pas, tout en se demandant si cela n'a pas non plus orienté son engagement religieux.
Dans les années 1980, lorsque les médecins avaient pris conscience qu'un test prédictif de Huntington était en vue, ils ne présageaient pas des réactions de ce type. Ils étaient avant tout préoccupés de l'effet sur les individus dont le diagnostic serait défavorable.
Les tests génétiques prédictifs ont aujourd'hui une trentaine d'années. Avec leur essor on dispose désormais d'une assez longue expérience et les conclusions que l'on peut en tirer sur le comportement humain sont assez surprenantes.
La maladie de Huntington, qui se manifeste en général entre 40 et 50 ans : il suffit d’avoir hérité de la copie d’un (seul) gène défectueux pour développer la maladie.
Lors des enquêtes préalables, environ 70% des individus à risque ont déclaré qu’ils passeraient le test dès qu'il serait disponible.
En réalité, depuis qu’il l’est, seulement 15% des patients susceptibles d'être porteur du gène de Huntington s’y sont soumis – quels que soient les pays et les décennies.
Des tendances similaires ont été observées avec des tests portant sur d'autres maladies cérébrales incurables. La grande majorité des gens préfère ne pas savoir.
Et il y a une certaine logique là-dedans. Quel intérêt si vous ne pouvez rien y changer?
En revanche, pour d'autres maladies, les tests sont d'autant plus pratiqués qu'il existe de réelles chances thérapeutiques.
Environ deux-tiers des femmes qui se sont fait diagnostiquer un cancer du sein survivent au moins vingt ans – principalement grâce à l’amélioration des traitements.
Si l’on pose la question aux 15% qui se font tester pour une maladie incurable, ils justifient en général leur décision par deux raisons :
  • La première et la plus importante : ils veulent dissiper l'incertitude.
Du moins au début: toute nouvelle est un soulagement.
Même s'il n'existe pas de traitement, les malades peuvent faire des choix reproductifs éclairés et préparer leur avenir.
  • La seconde : ils ne veulent pas transmettre des gènes défectueux à leur descendance.
Les tests génétiques prénataux sont aujourd'hui couramment disponibles, mais chez les couples attendant un enfant et dont l'un des membres est porteur d'une maladie incurable, ils sont encore moins utilisés que dans ce que l’on vient de voir ci-dessus.
La plupart des parents choisissent de faire naître un enfant qui aura un risque de développer un jour la maladie équivalent au risque qui était le leur à l'époque de leur propre naissance.
Une étude montre que :
  • Si un couple reçoit un résultat favorable lors d'un premier test prénatal, la majorité mène la grossesse à terme et ne fait pas d'autre enfant.
  • La majorité de ceux qui reçoivent un test défavorable avortent et essayent de faire un autre enfant.
  • Si le test est alors «bon» pour cette seconde tentative, ils ont l'enfant et n'en font pas d'autre.
  • Mais si le résultat est encore une fois «mauvais» et s'ils avortent une deuxième fois, ils changent de stratégie : 45% vont concevoir un bébé de manière naturelle, sans passer le test prénatal.
Selon la généticienne de l'équipe de l’étude : le désir d'enfant supplante tout le reste.
Dans une étude en attente de publication, des couples qui, après avoir été informés sur un test prénatal mais avant de l'avoir effectué, avaient affirmé qu'ils procéderaient à un avortement si jamais le résultat est défavorable. Aucun d'entre eux n’a en réalité tenu cette promesse.
Avant l'arrivée des tests prédictifs, les médecins espéraient qu'une telle technologie permettrait en quelques générations l'éradication de certaines maladies rares du pool génétique, ce qui aurait rendu obsolète la recherche d'un traitement.
Mais le faible taux de dépistage chez les adultes à risque, et le taux encore plus faible de dépistage prénatal chez les porteurs, ont tué cet espoir :
Nous savons que ces maladies sont encore là pour longtemps.
Avec l'expansion des tests génétiques, les réactions risquent d'être imprévisibles.
Bientôt, seront couramment disponibles des tests comme le séquençage génomique complet, qui peut révéler des prédispositions pour des maladies d'hygiène de vie comme l’obésité, où l'influence génétique n'est que partielle.