mercredi 21 février 2018

Des citoyens plus impliqués, mieux informés, plus responsables




Selon un ancien rédacteur en chef de FOREIGN POLICY, il ne suffit pas de souhaiter d'avoir de meilleurs dirigeants.

Améliorer l'information et la capacité d'appréciation des citoyens qui les élisent (ou qui trop souvent s'abstiennent lors des consultations électorales) ne serait pas un mal non plus.

Repéré dans l'édition française de SLATE au début de cet hiver.



Point de vue :
Pire que les mauvais dirigeants, les mauvais dirigés

Le monde a bien du mal à trouver de bons dirigeants: nombre d’entre eux sont malhonnêtes, incapables voire, irresponsables. Certains sont même fous et beaucoup ont tous ces défauts à la fois.

Mais il y a aussi un problème du côté des «dirigés». Un peu partout sur la planète, les démocraties sont mises à mal par les suffrages de citoyens indifférents, désinformés ou naïfs, voire irresponsables.

Ainsi des Britanniques qui, après avoir voté en faveur de la rupture d’avec l’Europe, se sont massivement rués sur Google pour chercher à savoir ce que signifiait au fond le Brexit.

Ou encore les Américains qui ont accordé leurs suffrages à Donald Trump et sont sur le point de perdre leur assurance maladie.

Et des citoyens qui ne perdent plus leur temps à se rendre aux urnes, convaincus que leur vote n’y changera rien et que «tous les politiciens se valent», qui n’en connaît pas?

 

Internet est un outil stratégique dont se servent les démagogues, certains lobbyistes et même des dictatures étrangères, pour manipuler les électeurs les plus insoucieux et distraits. Le web est non seulement une formidable source d’informations, mais il s’est transformé en un canal de diffusion de mensonges que certains exploitent comme arme politique.

Nous sommes vulnérables. Mais certains le sont davantage lorsqu’ils ne se donnent pas vraiment la peine de vérifier la véracité des messages politiques séduisants qui leur sont adressés. A l’autre bout de la chaîne se trouvent les activistes, dont les positions intransigeantes rigidifient la vie politique.

La brièveté de réseaux comme Twitter ou Instagram favorise les propos extrémistes : plus le message est court, plus il doit être radical pour pouvoir circuler largement. Les réseaux sociaux ne connaissent pas d’espace, de temps, ni de patience pour les nuances où les possibilités de convergence entre points de vue qui se croisent. Le consensus est plus difficile à trouver.

Voici quatre initiatives préliminaires pour tenter de lutter contre ce phénomène.

  1. Déployer une campagne d’éducation publique pour nous rendre moins vulnérables aux manipulateurs qui sévissent sur Internet. Il convient de diffuser les meilleures pratiques de défense contre la manipulation sur Internet.

  1. Inutile de proposer des meilleures pratiques à ceux qui ne s’y intéressent pas. Pour autant, il est indispensable de mener une campagne soutenue qui explique les conséquences pernicieuses du «je-m’en-foutisme électoral».

  1. Il faut mener la vie plus dure aux manipulateurs, parvenir à identifier ceux qui orchestrent les campagnes de désinformation, les dénoncer et, dans les cas d’abus les plus flagrants, les poursuivre en justice. Comme ils prospèrent dans l’opacité et agissent sous le couvert de l’anonymat, il est essentiel de faire la lumière sur les origines, les sources et les intérêts de ceux qui produisent les informations que nous consommons.

  1. Il faut empêcher les entreprises informatiques et de réseaux sociaux de continuer à jouer un rôle de facilitateur. L’ingérence étrangère dans les élections américaines n’aurait pas été possible sans Google, Facebook, Twitter, etc. Ces trois sociétés se sont enrichies en vendant à des clients liés à des intermédiaires russes des messages de propagande électorale. Il faut contraindre ces entreprises à user de leur immense pouvoir technologique et commercial pour protéger les consommateurs.

Des citoyens mal renseignés ou indifférents à la politique, il y en a toujours eu. De même que des personnes qui ne savent ni pour qui, ni contre qui, elles votent. S'il paraît évident qu’il faut s’efforcer de chercher de meilleurs responsables politiques, il faut aussi agir auprès des destinataires des messages.

Moisés Naím, chroniqueur pour El Pais, Repubblica, The New York Times, The Financial Times, The Washington Post, a été le rédacteur en chef de Foreign Policy pendant 14 ans.