vendredi 8 octobre 2010

Varsovie – septembre 2010 (IV)


Troisième pièce de théâtre pendant ce séjour : Pan Jowialski d’Aleksander Fredro au Teatrpolonia, établissement privé sous la direction de Krystyna Janda.

Aleksander Fredro (1793-1878)
On le désigne parfois comme un Molière polonais : il use certes de la palette du comique mais pas dans la même veine. Et il a vécu environ deux siècles plus tard : né dans la partie autrichienne de la Pologne du Partage, il s’est engagé à 16 ans dans les armées du Duché de Varsovie mis en place par Napoléon et a passé quelques temps à Paris après la chute de celui-ci, avant de revenir dans la région de Lwów.

Avec d’autres pièces du même auteur, qui remontent à la même époque, comme Śluby Panieńskie (Serments de jeunes filles) ou Zemsta (La Vengeance), Pan Jowialski (1832 – que l’on pourrait traduire par Monsieur Jovial) est parmi les plus connues du répertoire national. A noter qu’écrites à une période qui correspond au déploiement du Romantisme polonais, elles s’en distinguent, et par leur sujet et par la forme.

Pan Jowialski
Le prétexte semble mince : deux jeunes gens qui cheminent à travers le pays s’égarent dans une propriété. Découvrant l’un d’eux endormi, les hôtes du lieu s’amusent avec force déguisements et courbettes, à lui faire croire à son réveil qu’il se trouve dans quelque palais oriental dont il serait le seigneur. Il tombe amoureux de la jeune fille de l’endroit – c’est réciproque. La médaille qu’il porte fonctionne comme un deus ex machina pour dissiper tous les obstacles qui n’ont pas manqué de surgir pour contrarier le happy-end tant attendu… Clin d’œil final : sous la forme d’une mise en cage du damoiseau.

Par-delà le prétexte, autant d’occasions d’enchaîner, de joyeuse humeur, avec beaucoup d’à-propos comme d’ironie, une suite de proverbes et de petits récits qui émaillent la sagesse populaire. Tout le monde les connaît par cœur, les attend… et, en même temps, la «chute» sait prendre un tour imprévu. C’est, en la matière, Pan Jowialski – le maître du lieu, un grand-père dont, dans la présente mise en scène, la femme est loin de rester en arrière – qui orchestre ce feu d’artifice.

D’hier, d’aujourd’hui et de demain
En cet après-midi d’un premier dimanche d’automne, on aurait pu imaginer un public familial. La salle était remplie : rien d’étonnant ici. Mon étonnement est plutôt venu de la grande variété des âges : en fin de compte, pas tellement d’enfants, pas de groupes de jeunes comme au Teatr Polski. Le plus souvent des couples – dans la maturité, plus récents, plus avancés – des gens qui prenaient plaisir à participer de bon cœur, à continuer de donner vie par leurs rires et applaudissements à ce qui avait fait rire et applaudir les générations précédentes et avait été puisé bien avant encore.

Ce n’est pas le seul pays où on le constate mais, en Pologne, on est particulièrement porté à marquer la distance entre Eux et Nous (Oni / My). Eux, ce sont ceux qui détiennent le pouvoir – on l’a vu dans un précédent billet. Les acteurs sont ici des Eux particuliers en ce qu’ils sont beaucoup plus proches et souvent aimés. Il y a sans doute un peu de ce que l’on trouve ailleurs dans la presse dite people mais sur un mode paradoxalement plus profond et plus élevé.

Sur scène comme dans la salle, les générations se mélangeaient – en raison de la distribution bien sûr mais de façon plus vivante aussi : c’est Marian Opania (très aimé du public – et de la promotion de Lisbeth) qui tenait le rôle de Pan Jowialski ; Krystyna Janda en personne, devenue femme du chambellan par un second mariage : son discours, parsemé d’expressions en français, se référant constamment à son premier mari ; et les plus jeunes, notamment les tourtereaux, faisaient, tout à leur honneur, leurs premières armes alors qu’ils étaient encore en dernière année de Conservatoire.

Figure de proue du théâtre privé
Actrice au théâtre comme au cinéma (à commencer, dans L’Homme de marbre d’Andrzej Wajda) Krystyna Janda a été formée au PWST. Outre le Teatrpolonia (deux salles), lancé il y a 5 ans à Varsovie, elle y dirige l’Och Teatr. Pour la saison, elle compte y faire tourner une quarantaine de pièces (elle a mis en scène ou joue dans une quinzaine d’entre elles). Sans tomber dans le piège d’une comparaison directe des chiffres, un ordre de grandeur : sur la durée d’une semaine, la rubrique théâtre des journaux donne le choix entre une centaine de spectacles dans la capitale (*).

Maria Seweryn, fille que Krystyna Janda a eue avec Andrzej Seweryn (son premier mari mais dans la vie, cette fois… et qui revient de France pour y diriger le Teatr Polski) est également présente dans des spectacles que promeut sa mère. Notamment avec son père dans Dowód qu’il a été invité à mettre en scène au Teatrpolonia. Elle est, désormais aussi, à la tête d’un autre théâtre, dans un quartier ouest de Varsovie.
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(*) Source : supplément à Gazeta Wyborcza (Stołeczna) du 24 septembre.
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Dans l'illustration, une scène de Pan Jowialski avec, de part et d'autre de la jeune Aleksandra Grzelak, Krystyna Janda et Marian Opania ; puis l'entrée du théâtre et l'affiche de la pièce.
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N.B. - Publié en octobre, de qui précède fait partie d'un ensemble de cinq billets rédigés à Varsovie au cours du mois précédent.

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