jeudi 28 octobre 2010

A huit ans


Nous avions quitté Émile à la veille des vacances. Les bénévoles qui le suivent depuis deux ans maintenant (Émile vient de fêter ses huit ans) se retrouvent au début d’une nouvelle année qui devrait être de transition. Où en étions-nous ? Quel écho nous donnent ses parents sur ce qui a été vécu au cours de cet été ? Que peut-on dire des premières semaines de la reprise de contact ? Quelles sont les perspectives ?

Où en étions-nous ?
Une manière parlante de se situer est de se référer à la progression habituelle depuis la plus tendre enfance. Ce qui s’était dit début juillet est qu’Émile en était au niveau de développement, de langage, de conscience d’un enfant petit qui commence à tenir un crayon. Par le biais de l’imaginaire et du faire-semblant notamment, il exprimait plus spontanément ses colères, ses angoisses (dont enfermement – parkings, ascenseurs…) ou des inquiétudes. Il avait commencé certains apprentissages (lire, écrire, compter) : le bilan était déjà positif. Il était alors convenu qu’à la rentrée, on poursuivrait l’éveil par le jeu et la détente – mais vers plus d’activités physiques, de mises en relation avec son âge, et en intensifiant les apprentissages.

Au cours de l’été
Pour la période passée exclusivement avec parents ou proches, ceux-ci notent qu’Émile est maintenant conscient du monde qui l’entoure (ce qui n’exclut pas qu’il puisse exprimer des peurs à cet égard), que l’éventail de ses sensations corporelles s’est élargi (piqûres de moustiques, dent qui bouge)… mais avec ses limites (échardes ignorées sous la plante des pieds), et que la propreté est acquise (jour et nuit, ce qui est une nouvelle étape franchie). Davantage d’autonomie aussi, mais besoin d’être contenu, qu’on lui pose des limites – ce qui d’ailleurs le rassure : dans l’appartement à la montagne où il se trouvait, il disposait ainsi d’un plan des environs immédiats, dessiné par sa grande sœur, indiquant où il pouvait ou ne devait pas aller.

Reprise de contact
Une compréhension et un langage en progrès ; une pensée plus structurée et des sentiments qu’il était en mesure d’exprimer ; plus à l’aise dans son corps qu’il ressentait mieux : en même temps, le retour des bénévoles était impatiemment attendu. Lors du tour de table, effectué quelques semaines après la rentrée, ceux-ci confirment les évolutions qui viennent d’être évoquées.

On note qu’il se plaît à jouer avec les intonations de la voix, qu’il a pu confier qu’il était content d’arriver à dire ce qu’il avait à l’intérieur. Il a tendance à se montrer important, à vouloir gagner lors de jeux, à placer l’autre en spectateur. Il semble désormais que le je / tu ne pose plus de problème. L’éventail des sensations du corps s’élargit : massages – du bout de ses doigts ou de tout le corps, par l’autre ou par lui-même – être cogné, pincé...

Au-delà des confrontations parfois agressives (frapper avec une épée, bagarres), l’activité physique se diversifie. Émile peut y consacrer des séances entières, il lance aussi des objets (ballons, gros dés). Mais surtout, la salle de jeux où s’était développée l’interaction et la communication avec les bénévoles, et sa propre structuration, commence à faire sentir ses limites : le temps n’est-il pas venu de se dépenser davantage à l’extérieur ? Un consensus se dégage pour qu’une heure d’activités physiques par jour y soit consacrée, en plus du mercredi après-midi et du samedi / dimanche…

Petite digression ici sur le vélo : c’est une activité qui demande attention, équilibre et coordination – entre l’œil les mains et les pieds – ainsi que de la sensibilité, en surface comme en profondeur. Comme il en est à se concentrer sur les mouvements à faire et pour garder son équilibre, il en arrive à foncer sans trop regarder devant lui.

Outre le cognitif (les apprentissages), et le physique comme on vient de le voir, Émile explore volontiers l’imitation (il adore de plus être imité), le faire semblant, l’imaginaire, une certaine expression artistique, voire des dimensions plus spirituelles.

Ce qu’en dit la personne – musicothérapeute de formation, qui a orienté leur relation dans cette direction – illustre ce qui se passe : Émile semble m’avoir positionnée comme une oreille spectatrice de choses importantes qu’il a à me dire et met en scène par des figurines que j’apporte. Parole et expression ont pris le relais de l’apprentissage musical et sensoriel : il n’est plus question de sensations archaïques comme chez un nourrisson qui découvre son corps mais d’émotions et de ressentis d’un petit garçon qui grandit. Il s’agit de lui permettre d’exprimer des émotions longtemps enfouies et qu’il vit parfois avec violence (tambourins, punching-ball, hurler…) et de lui apprendre à les nommer, les comprendre, les contenir, et vivre avec.

Perspectives
Les apprentissages : une séance sur cinq leur est désormais consacrée. Car c’est une année de transition qui démarre ; Émile intègrera peu à peu l’école, dès qu’il sera prêt. Dès à présent, il semble lire couramment, décrire des images, poser des questions, effectuer sans problèmes les opérations sur les chiffres jusqu’à 5, maîtriser les notions de plus grand et de plus petit. Et l’écriture s’améliore.

On remarque que, si à ce qui précède, on ajoute les activités physiques programmées et les suivis spécialisés (orthophonie, psy- et ergothérapie), du lundi au vendredi, la présence, toujours essentielle, des bénévoles a été ramenée à 50-60%.

Pour la mise en relation avec des enfants de son âge, il est notamment envisagé la fréquentation d'un club de lecture, ouvert aux enfants et à leurs parents, et qui favorise des rencontres informelles dans le sens souhaité.

Par ailleurs…
Émile n’est pas le seul pour lequel ses parents ont opté pour cette méthode dont, depuis deux ans, les billets de ce bloc-notes donnent un écho. Dans plus d’une centaine de familles, on a réussi à installer une salle de jeu et à rassembler des bénévoles (au total, on arrive à plus de 4000) qui s’y succèdent pour communiquer, échanger de l’affection, jouer bien sûr, pour accompagner un(e) jeune autiste dans un développement qui avait connu des trop et des pas assez au cours de sa plus tendre enfance.

Lors d’une rencontre entre ces familles, à la veille des vacances, on a pu glaner les éléments suivants :
- S’agissant, entre autres choses, de l’organisation de la circuiterie cérébrale, il y a autant d’autismes qu’il y a d’autistes : il faut donner du temps pour que la plasticité du cerveau permette à chacun de progresser à sa manière.

- Parmi les enfants suivis au cours des 4 dernières années, 15% ne sont qu’aux débuts de cette manière de faire, 18% ont soit arrêté, soit ne manifestent que des progrès très lents, 12% progressent de façon lente mais continue, et 60% confirment qu’ils sont sortis de leur bulle ou en en train d’en sortir (ils sont devenus présents, ils imitent, le langage est acquis, ils sont désormais scolarisables).

- Environ 25 témoignages ont été retranscrits dans le compte rendu. Eh bien ! Ils ne concernent pas uniquement des enfants relativement jeunes : certes, la moitié a moins de 6 ans, mais 20% ont entre 15 et 28 ans. Parmi ces derniers, plusieurs, avaient fréquenté un institut médico-éducatif pendant quelques années (ces établissements accueillent – en demi-pension ou en internat - des enfants et adolescents atteints de déficience mentale présentant une prédominance intellectuelle liée à des troubles neuropsychiatriques : troubles de la personnalité, moteurs et sensoriels, de la communication). Ce qui est souligné depuis qu’on a tenté de créer autour d’eux un univers similaire à celui que nous avons eu l’occasion de décrire pour Émile, c’est le véritable virage qui a été pris, débouchant sur un comportement plus calme, enjoué, communicatif, concentré, capable de faire des projets, des choix et de mener une vie plus sociable.
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Ce billet fait partie d’une série qui permet de suivre l’évolution d’Émile (ce n’est pas son vrai prénom) depuis septembre 2008 : on y accède directement en cliquant sur le thème Autisme dans la marge de droite.
D’autres articles sont voisins, notamment ceux sous le thème du Cerveau, ainsi que ceux des 15 et 16 juin 2009 (Chiffres, langues… et Savants vs neurotypiques, qui figurent aussi sous le thème de l’Autisme), ou du 27 juin 2009 (Mémoire photographique)
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