mardi 9 novembre 2010

La mort sous quelques angles


Fin d’année et traditions
Fin octobre, le passage de l’heure d’été à l’heure d’hiver confirme que l’automne qui avait officiellement commencé vers le 20 septembre, est bien entamé. Avec ces 5 ou 6 semaines de répit, nous ne sommes pas loin d’être en phase avec la météo telle qu’on la vit : octobre ne garde-t-il pas la douceur et les couleurs de l’été indien ? Et, dans six mois, n'aurons nous pas de nouveau un bon mois d'attente après l’équinoxe de mars, avant de retrouver l’heure d’été ? En avril, est-il prudent de se découvrir d’un fil ?

Remarquons que si l’heure d’été nous avait alignés sur l’heure solaire de Kiev, celle d’hiver ne nous a guère ramenés qu’entre Vienne et Salzbourg, et qu’il nous faut encore attendre une heure à l'horloge de l’après-midi légal pour que le soleil soit au plus haut. Quoi qu'il en soit, la nuit l’a emporté en durée sur le jour et, sans nous y plonger complètement comme c’est le cas au fur et à mesure que l’on se rapproche du cercle polaire, sa progression va se poursuivre jusqu’à Noël, moment où la situation pourra s’inverser.

Se succèdent d'ici là plusieurs manifestations traditionnelles dont certaines ont été christianisées ou, plus récemment, prises en main par le complexe médiatico-mercantique. A commencer par la commémoration des personnes disparues – Jour des Morts), qui est précédée (version chrétienne) par celle de Tous les Saints ou encore (plus en sorcellerie) par Halloween. Viendra, quelques semaines plus tard, le moment de coiffer les Catherinettes qui n’ont pas encore trouvé mari à 25 ans… A moins de repousser de quelques jours l’occasion de se soucier du choix d’un futur : au 30 novembre, à la saint André. Les Andrzejki, en Pologne, c’est la fête des filles : on prépare et on décore une pièce. Dans la pénombre flotte de petits nuages de fumées au léger parfum de cire. La soirée est consacrée à plusieurs types de séances divinatoires. Tout le monde attend aussi l'arrivée des esprits qui prédiront notre avenir. (http://www.beskid.com/View.php?Article ID=1047)

Plusieurs modalités, donc – mais un même fil directeur est conservé : d'abord un regard tourné vers la mort et le passé, puis vers le couple et le futur et, comme on va enfin l’évoquer, vers le présent, la naissance et l’enfance. En revanche, selon les régions considérées, on note un relatif grand écart entre la saint Nicolas (6 décembre) et Noël (le 25). Est-ce dans cet esprit que, parmi les enfants que l’on cherche à faire patienter en leur offrant des calendriers de l’Avent, certains n’hésitent pas à jouer sur les deux tableaux ? Au lieu d’ouvrir comme se doit la petite porte qui marque chaque jour en attendant Noël et en extraire quelque bonbon, on découvre que, dès la saint Nicolas, toutes les portes ont été ouvertes et que l’ensemble des chocolats et sucreries a été ingurgité.

"Halloween" et "Jour des Morts".
Tenons-nous en à fin octobre / début novembre. C’est surtout dans le monde anglo-saxon que l’on célèbre Halloween. Quelques tentatives d’expansion aux beaux jours de la globalisation ont certes laissé leurs traces au-delà de cette sphère mais les enthousiasmes initiaux semblent s’être rafraichis. Accalmie partiellement due à quelques contre-attaques à motivation religieuse (à ce paganisme, opposer l’institution que représente la Toussaint, qui tombe justement le lendemain). Notons à ce propos que si certains font remonter Halloween à des cérémonies druidiques liées à la transition d’une année sur l’autre, l’arrivée du christianisme y avait déjà mis fin dès le 5ème siècle… mais que la Toussaint avait cependant attendu quatre siècles encore avant d’être instituée.
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C’est dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre que des enfants se déguisent en fantômes, sorcières, monstres ou vampires et vont sonner aux portes pour demander des bonbons (on y revient), des fruits ou de l'argent. Qu’on lui donne un caractère religieux (pour les catholiques, il s’agit de la commémoration des fidèles défunts) ou qu’on le fasse remonter à des traditions plus anciennes, le Jour des Morts se célèbre dans nos contrées le 2 novembre.

Dans les deux cas, attention : la mort se nourrirait-elle elle-même ? En Pologne, où l’on n’hésite pas à faire des centaines de kilomètres pour aller fleurir et se recueillir sur la tombe de proches et, à une époque qui voit souvent tomber les premières neiges, les responsables de la circulation lancent des cris d’alarme : recueillement et prière, oui ; cohue sur les routes, prudence (Wszystkich Świętych i Dzień Zaduszny to czas wyciszenia i modlitwy, ale także czas wzmożonego ruchu na drogach –
www.polskieradio.pl). Et cela fait longtemps qu’au Canada, on rappelle à la télévision les règles à suivre pour courir l'Halloween, la nuit, en toute sécurité (http://archives.radio-canada.ca/societe/celebrations/clips/1917/). Il est ainsi recommandé de porter des maquillages au lieu de masques afin de ne pas obstruer la vue, et de traverser aux passages protégés.

Dans les pays imprégnés par le bouddhisme, cette date est généralement plus en avance (août / septembre) : on y évoque éventuellement des esprits orphelins et fantômes sauvages dont on espère qu’ils pourront être délivrés – ce qui nous rapproche des fantômes d’Halloween ainsi que de traditions d’Europe orientale, telles celles décrites au début des Aïeux d’Adam Mickiewicz. En Chine, on distingue ce jour d’un autre où, début avril cette fois, on se consacre à la visite et au nettoyage des tombes familiales.

Au Mexique, ce sont les morts qui viennent à vous
Il est bien connu qu’au Mexique les apports du catholicisme espagnol se sont mélangés aux traditions précolombiennes. C’est ce que nous précise Joaquim Ibarz, qui est depuis près de 30 ans le correspondant pour l’Amérique latine du quotidien barcelonais La Vanguardia et qui tient un blog : Diario de America Latina. De façon condensée, voici ce qu’il en avait relaté, il y a un an (México celebra festivamente el Día de los Muertos :

Dans ce pays, El Día de Muertos, c’est la tradition par excellence – même si une certaine exploitation touristique et commerciale tend à la vider de son contenu spirituel, avec le risque d’en détériorer la fonction de cohésion et d’identité sociales. Ce ne sont pas tant les vivants qui se rendent sur les tombes des morts, que les morts qui reviennent rendre visite à leur famille et partager ces jours-là nourriture et quelques instants de vie. Ce n’est pas une célébration qui engendre la peur mais l’occasion de garder présents ceux que l'on a aimés et de se rappeler que la véritable mort, c’est l’oubli. Ce sont des jours de fête et non pas de deuil.

Si ce sont les morts qui reprennent le chemin qui les ramène auprès des leurs, cela ne veut pas dire que ces derniers ne se rendent pas du tout dans les cimetières : ils y apportent aliments, boissons, bougies, fleurs, etc. pour manger, bavarder et chanter avec les défunts. Mais ils font aussi ce qu’il faut pour faire venir ces derniers dans leur maison où ils ont dressé un autel à leur mémoire, avec tout le nécessaire pour leur faire plaisir. Et divers moyens sont mis en œuvre pour leur faire retrouver leur chemin plus facilement. Les carillonneurs des clochers y mettent du leur, on utilise de la résine d’encens pour qu’ils se repèrent à l’odeur, des pétales de fleurs balisent le trajet entre le cimetière et la maison…

Avant la conquête espagnole, la fête du Jour des Morts avait lieu à l’occasion du changement de saison : elle servait à rétribuer les dieux et à leur rendre grâce pour la pluie et pour les récoltes. C’était aussi l’occasion d’une rencontre à caractère spirituel avec des parents disparus. Progressivement, les offrandes se sont adressées à ces derniers, ce qui fait qu’à l’arrivée des missionnaires, le rapprochement s’est opéré avec la commémoration catholique des fidèles défunts. Cependant, la mort n’avait pas, pour les indigènes, les connotations de ciel et d’enfer : plus que le comportement durant la vie, c’étaient plutôt des conditions dans lesquelles on était mort qui déterminaient la direction empruntée par les âmes. Tout le cérémonial qui entoure les manifestations du 1er et du 2 novembre contient une grande richesse symbolique et constitue un chant à la vie.

Venus de Suisse, les Cafés mortels
Repassons l’Atlantique et dirigeons nous vers la Suisse. Il y a plusieurs années, le conservateur du Musée ethnographique de GenèveBernard Crettaz – organise une exposition qui a beaucoup de succès : La mort à vivre. Qui plus est, des visiteurs demandent à revenir le soir pour échanger sur ce sujet, comme dans un bistrot… Il se trouve que se disent alors des secrets monstrueux liés à la mort. C’est le point de départ, en 2004, des Cafés mortels – il en a animé depuis une cinquantaine, en Suisse bien sûr, mais aussi en Belgique, à Bordeaux, à Paris… Ce n’est jamais lui qui invite : les organisateurs trouvent eux-mêmes le bistrot pour accueillir les participants – de tous les milieux, hommes et femmes, jeunes et vieux. Il y a des infirmières, des médecins, des bénévoles de l’accompagnement en fin de vie… des endeuillés et tous ceux que tyrannisent des secrets depuis un mois ou 60 ans.

On a un aperçu de ce phénomène, notamment, dans le quotidien Le Temps (
http://www.letemps.ch) et via une analyse d’Isabelle FalconnierMonsieur Café mortel livre le mode d’emploi, Bernard Crettaz en ayant tiré un livre : Cafés mortels. Sortir la mort du silence (Labor et Fides) :
http://www.hebdo.ch/monsieur_cafe_mortel_livre_le_mode_demploi_44920_.html du 21 avril 2010.

Avant d’être sociologue, l'auteur était très imprégné de traditions pagano-catholiques. Gamin, tous les morts du village, je suis allé les voir. Au bistrot, les vieux ne racontaient que des histoires de morts […] Maintenant, comme à cette époque, le bistrot est un lieu accessible à tout le monde […]. On n’est obligé à rien, du coup l’on peut beaucoup se permettre. On peut y affronter directement la mort sans recourir à la philosophie, la religion, la culture, la psychanalyse ou tout système de référence. Il permet l’aveu du plus indicible et du plus intime dans la futilité apparente des propos de café de commerce.

Tout y passe: suicides, morts d’enfant, de conjoints, de parents, les morts cachés par les familles, les enterrements ratés, les avortements, les agonies de proches, les testaments qui fâchent […] A un moment donné, il faut accepter l’idée que je ne sais rien sur le moment où l’on meurt. Et qu’il faut dire au revoir au vivant qui va mourir. Peut-être les Cafés mortels aident-ils à réhabiliter le rite de l’adieu […] Il est important de lier ce travail sur la mort à notre puissance de rire. La mort se fout de nous. Elle introduit dans notre vie une puissance de dérision phénoménale. Un enterrement où on ne pique pas une crise de fou rire est pathologique.
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Dans l'illustration de ce billet : une citrouille Halloween, une image d'un spectacle de Anne Cuneo sur la Vallée de Joux (http://www.cuk.ch/articles/4305), un aperçu du Dia de Muertos, et l'inoubliable danse macabre du Septième sceau d'Ingmar Bergman.
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