jeudi 4 avril 2013

Quel monde dans 20 ans ? (a)


  

La série de quelques billets qui débute ici n’est rien d’autre que mon adaptation condensée de GLOBAL TRENDS 2030 (Alternative Worlds). Il s’agit d’un rapport de 160 pages produit, fin 2012, par le National Intelligence Council, placé auprès du Président américain. C’est le cinquième rapport de ce type qui parait sur un rythme sensiblement quinquennal. Le document original peut être consulté sur le site : www.dni.gov/nic/globaltrends et téléchargé.

Il explore ce qui pourrait advenir au monde au cours des 20 prochaines années, en identifiant les grandes tendances dont on peut être assuré, ainsi que les principaux facteurs de changement auxquels il faudra être particulièrement attentif. Cela débouche sur quelques scénarios contrastés qui cherchent à décrire où on pourrait en être en 2030.

Ce n’est certainement pas le seul rapport de ce type. Et il s’agit certes d’une démarche américaine dont on peut ne pas partager les présupposés, voire les préoccupations – mais n’en n’a-t-on pas soi-même ? Les auteurs du rapport disent en avoir soumis le projet avant publication à nombre de leurs vis-à-vis étrangers pour en recueillir les remarques. J’y ai trouvé des formulations assez ouvertes. J’estime que la méthodologie est solide. Loin de le considérer comme une bible, je le prends surtout comme un support de réflexion – ce qui est la vocation habituelle des scénarios… et je m’interroge parfois, en prenant ces temps-ci connaissance de prises de positions ou de décisions aux États-Unis ou ailleurs, si ces thèmes n’ont pas commencé à tracer leur sillon.

C’est dans cet esprit que j’en ai fait une adaptation condensée en français d’une vingtaine de pages. Cet exercice a ses limites, en raison de celles de mes capacités de traduction, de compréhension et de reformulation. Plus que le mot-à-mot, c’est le rendu du sens qui a été privilégié.



Autre remarque préliminaire : le découpage du monde, vu des États-Unis, débouche parfois sur un vocabulaire légèrement différent de celui employé en Europe. C’est ainsi qu’il n’est pas rare de voir le Moyen-Orient englober jusqu’à l’Afrique du Nord. L’Iran en fait partie mais beaucoup moins (voir ci-après) l’Afghanistan et le Pakistan.
Plus classiquement,  le continent asiatique se répartit en Asie centrale, Asie du Sud (dont Afghanistan et Pakistan) et l’Est de l’Asie (la Chine surtout – mais l’Inde est mentionnée pour les deux sous-continents Sud et Est).
Et il se peut – c’est moins net – que la représentation faite des deux Amériques soit modulée par le simple fait que les États-Unis en font partie : on passe ainsi la frontière vers le Mexique, avant de parler des Caraïbes et de l’Amérique centrale – sans trop savoir si on est déjà en Amérique latine ou si celle-ci ne fait maintenant que commencer.
L’option prise ici a été de conserver le vocabulaire géopolitique utilisé dans le rapport.


Commençons, pour en avoir un premier aperçu, par ce qui sert de sommaire – celui-ci reflète la structure du document : tendances relativement certaines ; facteurs de changement ; quelques scénarios contrastés.

… Avec un rappel pour mémoire : La Grande-Bretagne qui avait alors une dizaine de millions d’habitants a mis plus de 150 ans pour multiplier sa capacité de production (PIB) par 2. Plus tard, avec plusieurs dizaines de millions d’habitants, l’Allemagne et les États-Unis ont mis entre 30 et 60 ans. Avec plusieurs centaines de millions d’habitants, la Chine et l’Inde sont actuellement en passe de le faire en 10 à 20 ans.


Continuité et évolution – quatre tendances majeures

Place à l’individu : Réduction de la pauvreté et montée de la classe moyenne dans les pays en développement. Niveau d’éducation. Utilisation de nouvelles technologies pour les communications et pour la production. Avancées en matière de santé. Risque que certains s’emparent de technologies létales.

Dilution du pouvoir des États : Fin des hégémonies. Montée du BRIC+ (hors Russie) et stagnation européenne. Importance prise par les réseaux et les coalitions. Monde multipolaire.

Évolutions démographiques : Structure moins génératrice d’instabilités. Vieillissement s’accompagnant d’une moindre croissance économique. Urbanisation mondiale atteignant 60 % (accentuation de pénuries d’eau). Davantage de migrations (pénurie de main-d’œuvre dans les pays matures).

Tensions sur les ressources : L’accroissement en nombre de la population mondiale et de son niveau va accroître la demande – notamment pour l’alimentation, l’eau et l’énergie (de 35 à 50 %). Risques de pénuries.  Le climat (pays humides, plus humides – pays secs, plus secs) accentuera le phénomène. Favoriser une des trois ressources se fera aux dépens des deux autres. Sous réserve de maîtriser l’aspect environnemental (gaz de schiste), les États-Unis pourraient devenir énergétiquement indépendants. Fort impact négatif sur l’OPEP.


Les facteurs de changement – en six questions

Crise de l’économie mondiale ? Effondrement, suite aux déséquilibres entre des acteurs dont les intérêts divergent ? Ou un ordre économique qui résiste, du fait que le monde est devenu multipolaire ? Risque particulier d’un effondrement en Europe ?

Capacité à tenir la barre ? Les gouvernements sauront-ils s’adapter assez vite au changement ou seront-ils débordés ? Des instances non-gouvernementales viendront s’en mêler. Que seront devenus le Conseil de Sécurité de l’ONU, la Banque mondiale, le FMI ?

Risques de conflits ? Rapidité des évolutions et glissements en matière de pouvoir vont-ils favoriser des conflits au sein et entre les pays ? Apaisement du terrorisme d’origine islamique, ne voulant pas dire fin du terrorisme. Probabilité de prolifération nucléaire.

Instabilités régionales faisant tache d’huile ? Est-ce que l’instabilité que l’on constate au Moyen-Orient et au Sud de l’Asie pourrait se répercuter au niveau mondial ? Risques de manifestations d’un nationalisme chinois au sein de son espace régional, comme réponse au désir de démocratie lié au seuil économique atteint (PIB / habitant)… ou s’il faut compenser un éventuel tassement de son actuel taux de croissance ? Attitude en conséquence des États-Unis ? Comportement de la Russie, selon qu’elle réussit ou non sa modernisation ? Et de l’Iran ?

Quel sera l’impact des nouvelles technologies ? Est-ce que les évolutions dans ce domaine arriveront suffisamment à temps pour améliorer la productivité, aider à relever les défis dus aux ressources devenues rares (alimentation, eau, énergie) et permettre de faire face à la croissance démographique, à l’urbanisation galopante et aux changements climatiques ? Dialectique entre progrès sanitaires et vieillissement démographique ? Risque à l’inverse d’une pandémie respiratoire.

Quel rôle pour les États-Unis ? Probablement encore le premier parmi les égaux – mais… ? Un rapide retrait des affaires mondiales génèrera-t-il une anarchie à travers la planète ? Seront-ils en mesure, avec de nouveaux partenaires, de réinventer un nouveau système international ?


Quatre scénarios typiques pour 2030

Le futur pourrait plus ou moins puiser dans chacun d’entre eux.

Tous freins serrés (c’est le plus plausible parmi les pires scénarios) : Accroissement des conflits entre États. Les États-Unis se retirent sous leur tente. L’Europe aussi. La mondialisation est en panne

De concert (dénommé fusion dans le document – c’est le plus plausible des meilleurs scénarios) : La Chine et les États-Unis coopèrent, attitude qui s’étend au plan mondial.

Les inégalités l’emportent : Il y a de grands gagnants et de grands perdants entre les pays. Les inégalités en interne sont sources de tensions sociales – y compris en Chine entre les régions de la côte et l’intérieur, et au sein du Parti. Les États-Unis arrêtent de jouer au gendarme mondial.

Les États jettent l’éponge : Nouvelles technologies aidant, ce sont des acteurs non-étatiques qui prennent la relève (ONG, multinationales, institutions académiques, gouvernements locaux – notamment ceux des méga-cités). Ils s’appuient sur un consensus d’opinion sur les questions liées à la pauvreté, à l’environnement, à la corruption, à la paix… Les problèmes de sécurité internationale subsistent : c’est un monde pas glorieux mais plutôt stabilisé.

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