jeudi 4 avril 2013

Quel monde dans 20 ans ? (b)



Ce billet est le second d’une série qui livre l’adaptation condensée que j’ai faite de GLOBAL TRENDS 2030 (Alternative Worlds), rapport produit, fin 2012, par le National Intelligence Council américain. Le document original peut être consulté sur le site : www.dni.gov/nic/globaltrends et téléchargé.

Ce texte en français a ses limites, en raison de celles de mes capacités de traduction, de compréhension et de reformulation. Plus que le mot-à-mot, c’est le rendu du sens qui a été privilégié.

Le billet précédent (a) fournissait de manière cursive une sorte de sommaire du rapport. Les deux suivants (b et c) décrivent quatre tendances majeures qui ont été identifiées comme relativement certaines à l’horizon 2030 :
(b) la place prise par l’individu ; la dilution du pouvoir des États ;
(c) les évolutions démographiques ; les tensions sur les ressources vitales.



PLACE À L’INDIVIDU

C’est la plus importante des tendances majeures : elle joue à la fois comme cause et effet. L’initiative individuelle aidera à faire face aux défis mondiaux – mais, en même temps – ces mêmes individus (ou de petits groupes) vont avoir accès à des technologies létales ou désorganisatrices.
Le pouvoir pris par l’individu résultera d’une moindre pauvreté, de la montée importante des classes moyennes – en passe de devenir le principal secteur économique et social dans la majorité des pays, du niveau d’éducation et de l’amélioration des services de santé.

Moindre pauvreté. Aujourd’hui, 1 milliard d’humains vivent dans une pauvreté extrême (moins de 1,25 $ par jour) et 1 milliard en sous-nutrition. Ces nombres pourraient être divisés par 2 d’ici 20 ans. Cela a commencé en Chine et en Extrême-Orient et devrait s’étendre au Sud de l’Asie, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Peu d’espoirs en revanche pour l’Afrique subsaharienne. En cas de récession mondiale prolongée, la réduction de la pauvreté serait moindre : 30% au lieu de 50 %.

Montée des classes moyennes. Selon les définitions retenues et le type de projection faite, on passerait de 1 milliard de personnes faisant actuellement partie des classes moyennes à 2 ou 3 milliards dans 20 ans. Il s’agit d’abord de la Chine puis de l’Inde qui prend la relève et dépasse même son voisin du Nord. Dans ce rapport, on considère comme faisant partie de la classe moyenne ceux dont la consommation est comprise entre 10 et 50 $ / jour (calculé en parité de pouvoir d’achat – PPA / PPP : purchasing power parity).

Il faut reconnaître qu’une grande partie des nouveaux venus seront dans la fourchette basse. On estime cependant que ceux dans la moitié supérieure (équivalence avec les pays occidentaux)  passeraient de 0,33 à 0,67 milliard de personnes. Les implications en sont multiples : transformation de la structure de la consommation (dont l’automobile) ; apparition d’autres valeurs et demande de changement politique (qui peut aller du populisme ou de la dictature jusqu’à plus de démocratie) ; tassement des inégalités mais, du fait de celle ressentie entre villes et campagnes, flux migratoires alimentant l’urbanisation ; alors qu’ailleurs les classes moyennes se développent, celles du monde occidental se sentent menacées.

Secteur de l’éducation et place des femmes. Le statut économique des individus et des pays dépendant largement de leur niveau d’éducation, ce secteur bénéficiera largement de l’expansion de la classe moyenne. Par ailleurs, pour les femmes, non seulement ce niveau progressera mais ce sera encore plus rapide dans le sens d’un rattrapage. Et l’évolution des pays sera d’autant plus accélérée qu’ils sauront attirer et retenir des femmes sur leur marché du travail. Cela se fera préférentiellement en Extrême-Orient et en Amérique latine, alors que le retard restera marqué au Sud de l’Asie, au Moyen-Orient et dans l’Afrique subsaharienne.

Technologie des communications. La seconde génération de téléphones mobiles (ex. : smartphones) réduit la nécessité pour les pays en développement d’investir dans des infrastructures coûteuses, ainsi que le clivage – encore net avec la 1ère génération – entre villes et campagnes. On le voit en Afrique où la couverture est dès à présent assez forte (ex. : lutte contre les maladies du fait de l’eau polluée).

Progrès en matière de santé. Les décès dus à des maladies transmissibles (SIDA, diarrhée, malaria, infections respiratoires…) pourraient diminuer de 30 %. Les progrès dans la lutte contre les maladies chroniques (cardiovasculaires, cancer, diabète…) sont déjà tangibles. L’effort va se porter davantage sur la mortalité infantile – sans pour autant espérer pouvoir atteindre le niveau actuel dans les pays développés. Ne pas exclure enfin le risque d’épidémies foudroyantes (ex. : affectant la respiration) ou d’autres à effet plus long mais tout autant mortifères (comme cela a été le cas pour le SIDA).

Conflits pour des raisons idéologiques. Bien des pays vont être concrètement sensibles aux effets du progrès matériel à l’occidentale mais les valeurs qui le sous-tendent entrent en conflit avec celles proches d’identités culturelles et religieuses ainsi que de traditions politiques locales. Cela peut être source de dysfonctionnements et de fragmentations, ou encore générer des idéologies hybrides entre Ouest et tradition. Le rôle de la religion au sein de l’État et de la société sera vraisemblablement au centre de ces débats (ex. : Islam).

À observer : une possible montée du nationalisme en Extrême-Orient ; des manifestations tribales et ethniques en Afrique subsaharienne ; des cristallisations locales à base religieuse au sein des métropoles…


DILUTION DU POUVOIR DES ÉTATS

Que l’on se réfère au PIB, à la démographie, aux dépenses militaires ou à l’investissement dans la technologie, en 2030 l’Asie aura dépassé l’Amérique du Nord et l’Europe combinées – l’économie chinoise viendra de doubler celle des États-Unis… et l’Inde fera preuve à cette époque d’une vigueur comparable à celle de la Chine aujourd’hui. Il faut remonter à plusieurs siècles pour retrouver une situation similaire, tant le décollage occidental avait été vigoureux. Peloton suivant – plus dispersé certes – la Colombie, l’Égypte, l’Indonésie, l’Iran, l’Afrique du Sud, le Mexique et la Turquie feront autant à eux tous que l’Europe, le Japon et la Russie réunis.

Revue par continent :

L’Égypte, l’Éthiopie et le Nigéria seront de sérieux challengers pour l’Afrique du Sud – mais la gouvernance restera leur point faible.

Le Vietnam sera arrivé au coude à coude avec la Thaïlande.

Le Brésil confirmera sa position, face à la Colombie et au Mexique.

L’Allemagne sera restée le leader au sein de l’Union européenne – mais le vieillissement de sa population sera son handicap (situation initiale démographique encore pire en Russie – qui pourrait néanmoins trouver une issue honorable).

L’OCDE utilise un indice de puissance à partir du PIB, de la population, des dépenses militaires et de la technologie (mentionnés un peu plus haut). On a tendance désormais à y inclure aussi la santé, l’éducation et la gouvernance. Les courbes ici présentées se basent sur ce nouvel indice. Si l’on en reste à celui de l’OCDE, les États-Unis sont rattrapés par la Chine dès 2030 et par l’Inde vers 2050. Et les pays de l’OCDE se font doubler 15 ans plus tôt par les pays non-OCDE (entre 2015 et 2020).

L’autre leçon importante à tirer de ces évolutions est qu’il sera quasiment impossible à qui que ce soit d’être en position hégémonique. La technologie des communications aidant, on s’achemine vers la mise en place de réseaux d’acteurs aussi bien étatiques que non-étatiques.

Notons au passage (car ce sont loin d’être les seuls auxquels ou peut penser) que des Google et Facebook gèrent et analysent beaucoup plus d’informations qu’un quelconque État : ils sont par là même en mesure d’identifier à grande échelle – autant ou plus que lesdits États – les motivations des gens et d’influencer leurs comportements.

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