vendredi 5 avril 2013
Quel monde dans 20 ans ? (e)
Cette carte des instabilités en 2010,trouvée sur Internet, semble provenir de The Economist Intelligence Unit
Ce billet est le cinquième d’une série qui
livre l’adaptation condensée que j’ai faite de GLOBAL
TRENDS 2030 (Alternative Worlds), rapport produit,
fin 2012, par le National
Intelligence Council
américain. Le document original peut être consulté sur le site : www.dni.gov/nic/globaltrends et téléchargé.
Après avoir identifié quelques tendances de
fond pour les 20 années qui viennent, le rapport s’interroge dans une seconde
partie sur de potentiels facteurs de changements qui pourraient modifierer la
donne. Dans le précédent billet (d), trois questions avaient été abordées :
Y aura-t-il une crise de l’économie mondiale ? Quelle sera la capacité
(des États ou d’autres acteurs) à tenir la barre ? Quels seront les
risques de conflits ? Celui-ci (e) s’attache à la question : Certaines
instabilités régionales feront-elles tache d’huile ? Le suivant (f)
sera consacré à : Quel sera l’impact des nouvelles technologies ? et
à : Quel rôle joueront les États-Unis ?
INSTABILITÉS
RÉGIONALES FAISANT TACHE D’HUILE ?
Ce
sont le Moyen-Orient et le Sud-asiatique qui se révèleront
les plus instables. Plus globalement, une Asie multipolaire pourrait avoir des
difficultés pour tempérer ses tensions, ce qui aurait un effet négatif sur
l’économie mondiale. Se repliant davantage sur elle-même, l’Europe perdrait de sa
capacité stabilisatrice. Enfin, l’Afrique subsaharienne, l’Amérique
centrale et
les Caraïbes
risquent de devenir des terres d’accueil pour les organisations criminelles à
couverture mondiale et pour le terrorisme – sans que, localement, cessent pour
autant des insurrections.
Ce
qui pourrait basculer au Moyen-Orient
Après
l’actuel bouillonnement dans une population très jeune, on va certes assister à
une maturation démographique. Mais il se peut qu’avec la décroissance de la
région comme fournisseur stratégique mondial du pétrole, ce soient les pays le
plus peuplés qui se mettent à y mener la danse. L’instabilité régionale va
s’accroître si le pouvoir islamique se maintient en Iran et que celui-ci
accède à l’arme nucléaire. À suivre aussi, l’islamisme en Égypte puis un clivage
ethno-religieux en Irak
et en Syrie.
Et raison de plus si le régime saoudien s’effondre. Plus précisément :
Parvenu
au pouvoir, l’islam politique (Turquie, Égypte, Tunisie, Gaza, Lybie, Syrie…) va-t-il se
modérer ? Il a jusqu’à présent fait appel à l’emploi fonctionnaire et
aux subventions pour la nourriture et l’énergie – mais les limites seront vite
atteintes. Jusqu’où le pragmatisme va-t-il l’emporter sur l’idéologie ?
Devant la corruption et le chômage, on pourrait assister à un retour de leaders
plus radicaux.
Pourra-t-on
éviter des guerres civiles ? Faiblesse des États et sectarisme (Iraq, Lybie, Yémen, Syrie…) favorisent la
prise de pouvoir par des minorités et des dictateurs. La création d’un Kurdistan n’est pas à exclure.
Ce sont les pays (en général non arabes) qui échapperont à ce destin qui
pourraient devenir les maîtres du jeu (Turquie, Iran, Israël).
Sur
le plan de l’économie et des échanges, tenir compte de ce que la vague des
jeunes n’est pas encore absorbée tandis que la population âgée va faire face à
une relative pénurie sanitaire. La région n’est pas attirante pour les
investissements venus de l’étranger, elle est technologiquement en retard, et
mal insérée dans la finance et les échanges internationaux. Le partenariat
s’estompe avec une Europe affaiblie (quelques opportunités avec l’Afrique
subsaharienne).
Un relatif salut pourrait venir des pays les plus riches du Golfe (investissements en Égypte, Lybie et Tunisie) mais cette manne
pourrait décroître si le prix du pétrole se replie.
L’influence
de l’Iran.
Celle-ci dépendra de ses aspirations à se doter de l’arme nucléaire. Si oui, l’Arabie
saoudite et
la Turquie suivront
rapidement puis les Émirats arabes unis, l’Égypte, voire la Jordanie : la
non-prolifération aura vécu. L’alternative serait que préférence soit donnée au
développement économique et à une meilleure insertion dans la communauté
internationale.
Un
accord israélo-palestinien ? S’il reste la puissance militaire majeure de la
région, Israël
est néanmoins travaillé par des divisions internes, sous la menace d’attaques
(y compris nucléaires si l’Iran y parvient) et voit sa marge de manœuvre
avec les pays environnants se réduire. Un accord avec les Palestiniens
ouvrirait des perspectives jusqu’alors impensables et constituerait un revers
stratégique pour l’Iran.
Out ne serait pas résolu pour autant. La voie probable pour y parvenir
consistera sans doute en une suite de petits pas non officiels.
Le
régime saoudien et les autres
monarchies sortiront-ils indemnes des mouvements de protestation ? On entrera
sinon dans une période d’incertitudes économique et politique, accompagnée de
transitions douloureuses.
Asie
du Sud : entrechocs à prévoir
Avec
une population qui va rester encore relativement jeune, l’Afghanistan et le Pakistan vont par ailleurs
être confrontés à une croissance économique faible à des pénuries en eau et en
énergie, à des prix alimentaires élevés. En meilleure position, l’Inde aura néanmoins un
système éducatif déficient, du mal à donner du travail à la partie jeune de sa
population, des inégalités marquantes et des infrastructures insuffisantes. Son
système politique va se modifier à la suite d’une urbanisation rapide, les
élites rurales perdant leurs prérogatives.
C’est
une région marquée par la méfiance entre voisins – ce qui engendre une
insécurité. Le Pakistan
compense son infériorité militaire classique vis-à-vis de l’Inde en développant son
arsenal nucléaire. L’OTAN parti, les deux pays vont se trouver en
concurrence pour se concilier l’Afghanistan. La Chine – qui représente
en elle-même un pôle antagoniste à l’Inde – supporte le Pakistan. Un éventuel
conflit entre ces deux puissances déborderait facilement sur le reste de la
région, voire à l’international.
Une
bonne partie des observateurs ne croit guère en un scénario de croissance
économique et de mise en confiance. D’autres considèrent celui d’un Islamistan, suite au rapprochement des
Islamistes pakistanais et des Talibans afghans. On entrevoit enfin la
possibilité d’une fracture politique et sociale s’instaurant dans ces deux pays
– dans lequel l’Inde
serait partiellement attiré et n’y pourrait de toute façon mais.
À
l’Est de l’Asie : entre quelques futurs
La
croissance et l’interdépendance économiques n’ont pas fait disparaître les
occasions de conflits autour des Corées et dans le détroit
entre Chine
et Taïwan.
L’économie rend la Chine
attirante : sa politique d’innovation et qui favorise la consommation
stimule les échanges et les investissements de cette région – un coup de frein
pourrait y raviver des craintes latentes. Dans le Pacifique
indien qui
devient la Méditerranée ou l’Atlantique du 21ème siècle, la
suprématie navale étasunienne s’estompe alors que celle chinoise commence à
prendre corps. Or les questions de sécurité font que les autres pays se
rapprochent entre eux ou se tournent vers les États-Unis. Quatre
perspectives sont envisageables :
Tout
continue comme actuellement, de façon relativement gérable.
Les
États-Unis devenus plus
isolationnistes, leur rôle s’efface : certaines puissances régionales cherchent
alors à accéder au club nucléaire afin de garantir leur propre sécurité.
Suite
à la poursuite de la libéralisation en Chine, une communauté
asiatique se met en place similaire à ce qui s’est passé en Europe. Les États-Unis restent un recours
pour les questions de sécurité.
C’est
un ordre à la chinoise qui se met en place – les relations entre
les pays asiatiques qui y sont intégrés l'emportent sur un régionalisme
trans-pacifique ouvert.
Attention : Si, par
exemple, l’Inde
ne décolle pas, cette option devient plus vraisemblable. Mais si les
partenaires asiatiques des États-Unis ne se ressaisissent
pas, ces derniers pourraient alors se manifester, au risque d’une confrontation
avec le Chine.
Si, en revanche, la Chine
– qui restera de toute façon un acteur majeur – ne réussit pas sa transition,
elle sera en proie à des déchirements (sa côte du Pacifique et l’intérieur) ou
à son pourtour (ex. : Tibet) et pourrait le compenser par une forte
agressivité.
Quid
de l’Europe ?
Économie,
échanges, présence internationale, technologie… l’Europe va rester un
acteur majeur pour le moyen terme. Mais ensuite ? Son futur est des plus
incertains. L’Union Européenne n’a pas été mise en place pour en fondre
les peuples en une seule entité. Les crises récentes ont mis en lumière des
divisions entre États et l’absence de consensus quant au futur. Ses handicaps
majeurs sont une productivité sur le déclin, des États trop obèses au regard du
niveau de l’économie, des tendances démographiques défavorables.
La
zone euro manque des atouts que seraient une
plus grande mobilité du travail, des transferts fiscaux, et une culture
économique et de la solidarité mieux partagée. Un clivage s’est opéré entre son
noyau et la périphérie. Des réformes qui ont été tentées mais une intégration
plus nette semble nécessaire – or les transferts de souveraineté qu’elle
implique sont souvent impopulaires. Sont présentés ici trois scénarios :
Celui
de l’effondrement – que le rapport estime peu probable mais dont les
conséquences seraient très risquées. Cela commencerait par un retrait –
contagieux – des dépôts en euros dont cette monnaie serait la victime évidente,
suivie par les institutions européennes en raison du protectionnisme national
qui se mettrait en place. Résultat : une économie disloquée, la division
politique, l’amorce d’une récession mondiale.
Avec
un déclin progressif, on échapperait au pire mais les mesures les plus
nécessaires ne seraient cependant pas prises. Les États se serreraient les
coudes, les institutions survivraient, mais le mécontentement public serait
manifeste. La présence internationale de l’Europe se ratatinerait et
les pays renationaliseraient leurs politiques étrangères.
L’Europe a déjà fait la
preuve qu’elle était arrivée à sortir par le haut de situations
difficiles : c’est le scénario de la renaissance. Une sorte de bond en avant fédéraliste dont le support
populaire serait dicté par la crainte du pire. Cela commencerait autour d’un
noyau, par la poursuite du marché unique en vue de le compléter, par une politique plus commune vis-à-vis de
l’international et en matière de sécurité et par une gouvernance européenne plus
démocratique. La présence et l’influence de l’Europe en sortiraient
renforcées.
La
Russie dans le monde
Jusqu’alors
l’économie a peu progressé, la population active vieillit et la Russie s’en tire avec le
revenu de ses ressources énergétiques. L’espérance de vie est de 15 ans moindre
qu’à l’Ouest : dans les 20 ans sa population va sans doute diminuer de 10 % et la composante
islamisante, démographiquement dynamique, devrait passer de 1 personne sur 7 à
une sur 5 – s’attendre à des frictions. Il lui faudrait mieux accueillir
l’investissement étranger et créer des opportunités d’exportation pour des
produits manufacturés. Sa récente admission à l’OMC (Organisation
mondiale du commerce) est un élément favorable.
Un
facteur critique réside dans ses relations avec l’Ouest et avec la Chine. Sa capacité de
partenariat avec les autres donne lieu à un débat stratégique au sein de ses
instances dirigeantes – ce qui conduit à envisager trois issues :
Celle,
la plus probable, d’un mariage de convenance.
Celle,
moins coopérative, du retour à un effort de reconstruction de sa puissance
militaire – ne serait que pour pouvoir faire face à la Chine.
L’apparition
d’un leader qui, pour calment le mécontentement lié à une baisse du niveau de
vie et à des perspectives économiques plutôt sombres, joue sur la fibre
nationaliste et chercherait à intimider et dominer les pays voisins.
L’Afrique
subsaharienne
À
l’exception d’un bref passage pessimiste sur la région du Sahel, le Congo et la Somalie, cette partie du
rapport oppose sans trop les nommer les pays africains qui sauront s’en sortir
et ceux qui resteront dans la mouise. Les atouts mentionnés tournent autour de
l’adoption de techniques qui ont fait leurs preuves ailleurs, de croissance
démographique sans vieillissement, de relative expansion des classes moyennes,
de productivité, de gestion des ressources agricoles, énergétiques et
aquifères, etc. À l’opposé, on y parle de mentalité de rentiers, de
populisme, de corruption, de populations vieillissantes, de pénuries de
ressources, d’émigration des plus qualifiés, de marchés volatiles qui sapent
les revenus des fournisseurs de produits de base.
Dans un monde davantage multipolaire, l’Afrique aura du mal à se faire
entendre, alors que les États-Unis et l’Europe seront moins à même d’y affirmer leur leadership et d’apporter une assistance.
Les conflits, les réseaux criminels et les groupes terroristes risquent de
s’étendre
Une
Amérique latine plus prospère mais fragile
On
a assisté ces dernières années à une croissance économique soutenue, à une
réduction de la pauvreté, à la montée des classes moyennes et à des accords
commerciaux qui rapprochent l’Amérique du Sud de celle du Nord. Mais la répartition
des bénéfices ainsi assurés reste très inégalitaire. Par ailleurs, la violence
liée au trafic de la drogue n’a pas cessé de s’étendre. Pour les années qui
viennent, il va falloir être attentif à deux facteurs : l’un externe et
l’autre interne :
Il
s’agit d’abord du rythme de la croissance mondiale, qui conditionne la demande
de produits de base, de biens, du travail et d’autres services en provenance de
l’Amérique latine. Attention à une dépendance exagérée des exportations vers la
Chine, ainsi que de la
concurrence de la part de celle-ci sur le marché des biens manufacturés à bas
prix.
L’autre
question est de savoir quel usage sera fait de l’investissement éducatif, de la
libéralisation des marchés, de la mise en place d’un État de droit et d’une
bonne gouvernance. En 2030, le revenu par tête aura augmenté de 50% et le PIB
de la région équivaudra à la moitié de celui des États-Unis. Plus nombreuses,
les classes moyennes auront des attentes plus nettes à l’égard de leurs
gouvernements.
Si
les circonstances ne sont pas aussi favorables, il pourrait en résulter une
plus grande insécurité, une montée de la criminalité, des politiques populistes
et une chute de la croissance. Et même si tout va globalement correctement, l’Amérique
centrale et
les Caraïbes
resteront à la traîne. À l’opposé le Brésil garde un statut
hors norme – mais… notamment la déforestation de l’Amazone est un danger pour
l’écologie et la météo mondiales : il se pourrait que l’on soit proche du
point de basculement vers une situation irréversible.
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