dimanche 29 mai 2011

Jeune Pologne au quotidien


Ce billet fait partie d’une série. Un album a été édité pour l’exposition consacrée à Gabriela Zapolska, en ce printemps 2011 à Varsovie. L’intention est d’en donner une idée. Il s’agit de synthèses des articles qu’on y trouve – essentiellement à partir de la version en français. On pourra déceler quelques maladresses ou des oublis : je ne saurais trop engager le lecteur à se référer aux textes originaux.

Préambule très schématique à mon billet sur l’article de Henryk Izydor Rogacki : afin de mieux situer le contexte à propos de cette Jeune Pologne qui figure dans le titre et qui mérite un détour. C’est une période que l’on fait habituellement courir depuis 1890 et qui se prolonge jusqu’à la fin de la 1ère Guerre mondiale, donc jusqu’à l’indépendance recouvrée de la Pologne. Sur l’ensemble de l’Europe, on entre dans la modernité et on s’éloigne d’un optimisme lié à la science et au progrès – le monde se désenchante.

Dans la Pologne du partage, c’est le début de la production industrielle. Au cours d’une première phase (qui coïncide d’ailleurs avec le séjour parisien de Zapolska puis à son retour au pays), c’est le pessimisme qui prévaut. Les Positivistes sont encore très présents, et il ne se passe pas grand-chose. Ce n’est qu’à partir de 1905 – les romans de Zapolska analysés par l’auteur de l’article datent précisément de 1904 et de 1907 – qu’un regain se produit. Si l’influence européenne s’y fait sentir, la sève polonaise y est très présente.

Alors que la pression prussienne ou russe reste très forte dans leurs zones d’occupation respectives, il en va tout autrement à Cracovie dont les artistes, cultivés et cosmopolites, sont en permanence en contact avec Paris, Vienne, Munich, Berlin… Une des figures majeures est Stanisław Wyspiański, à la fois peintre et dramaturge (ses Noces – d’ailleurs évoquées en 1904 dans le roman ici cité de Zapolska – datent de 1901). Mais il mourra en 1907, avant même avoir atteint la quarantaine. Bien qu'il ait séjourné à Paris entre 1891 et 1894, donc alors que Gabriela Zapolska s’y trouvait, il n’a pas été mentionné dans la correspondance ni dans les chroniques journalistiques parisiennes de cette dernière. Il allait pourtant voir des pièces de théâtre (plutôt classiques) et avait fréquenté Gauguin au point de visiter avec lui des musées de la capitale.

Outre son activité au Musée théâtral de Varsovie, Henryk Izydor Rogacki enseigne à l’Académie de Théâtre (ex-PWST). Son choix a porté sur L’Amour d’une Saison, roman écrit par Zapolska, et sur La Fille de Touchka qui en est la suite. Dans un cas à Cracovie, dans l’autre à Varsovie, il s’agit de personnages qui – même s’ils sont relativement en marge, reflètent le style, le modèle culturel et la vie familiale de la société polonaise de l’époque – ils se considèrent par ailleurs comme appartenant à l’intelligentsia.

Place de l’homme
Mû par le désir ou par l’obligation même, non pas de vivre mais simplement de survivre et de faire passer la vie, l’homme est l’instigateur et le moteur initial de la famille. Il bûche dur dans sa jeunesse afin de faire partie des gens honnêtes. Cédant à la tentation de se stabiliser, il se marie et se trouve ainsi attelé à vie à une brouette : il ne doit désormais jamais cesser de faire des efforts pour que son épouse ait tout ce à quoi elle est habituée … il doit gagner pour les enfants, les gendres, les petits enfants … il s’emmure vivant dans son travail – et atteint les sommet du ridicule quand sa propre femme et l’amant de celle-ci disent de lui : notre homme.

Voilà pour le béotien. Et l’artiste ? Plus que par les femmes, il est modelé par sa propre vanité. Il évite le mariage, séduit les épouses d’autrui, ou des femmes libérées.

Place de la femme
Elle a été éduquée et intensément dressée pour briller un jour en tant que ménagère, femme du monde et esprit indépendant. Obligation pour une femme du monde, le mariage reste son but suprême et si, en tout elle s’adapte à son mari, elle peut déclarer que c’est bien son idée du féminisme.

Et les comédiennes ? Elles se satisfont de l’amour d’une saison.

Il n’y a pas de juge plus sévère pour une femme qu’une autre femme – juger est une activité instinctive et inconditionnelle. De la vanité découle un penchant féminin pour le faire semblant – prétention qui conduit très souvent la femme du monde, qui a attendu un nombre incalculable d’années de connaître une gloire et une admiration publique dont elle était pourtant si follement assoiffée, au théâtre amateur et à de multiples formes de l’imitation du vrai.

Quant à la comédienne, elle sort si épuisée du jeu qu’elle a tenu sur scène qu’elle retourne chez elle pour se reposer.

Le foyer, la famille, le couple
Sur le mode du paraître, l’appartement situé dans un immeuble imite le manoir ou la demeure seigneuriale – avec porte barricadée en façade, tandis que celle de service reste largement ouverte à l’arrière. A l’intérieur, pas de véritable coin à soi. Au cœur, un salon toujours vide, avec un meuble vitré, et peuplé de babioles. La chambre conjugale… Passons.

Économie. Hygiène et sens moral pour devise. Sans oublier les convenances – même les tout jeunes sont comme de petits vieux. La tendresse, rationnée. Des scènes qui éclatent, alors que le soleil brille. L’attractivité sexuelle s’estompe après la conception du petit dernier – elle aura duré une décennie environ. Vient alors le temps du dénigrement et du laisser-aller. Les ruses menant à l’infidélité sont réservées aux hommes, dans la mesure où, bien plus que la vertu individuelle ou la religion, la perspective d’une rupture est, pour la femme, l’écroulement de l’édifice économique et financier familial sur lequel elle se repose.

On repère néanmoins des exceptions : une dimension éthique du couple dans certaines bonnes familles, ou une aisance matérielle qui permet des solutions évitant la dépravation.

Le second roman, qui se passe à Varsovie, insiste – plus que sur l’occupation, l’esclavage ou la confrontation – sur la coexistence entre Polonais et Russes. L’un et l’autre ouvrages sont certes truffés de pointes d’humour – ce qui n’empêche la Mort de s’inviter à la fin : une jeune fille, une balle perdue, le tragique, le trivial du quotidien.


L’album est richement illustré (on y relève près de 90 portraits et tableaux, photos de personnes ou d’objets, affiches ou dessins…). En pleine page, certaines illustrations ont, en légende, un court extrait, de la plume de Gabriela Zapolska. Voici ce que l’on trouve, inséré dans le présent article :

Je n’aspire pas à être considérée comme un écrivain européen, mais comme un écrivain polonais. Cela me suffit car je sais qu’une telle reconnaissance a des bases plus solides. (Autobiographie)

Le talent doit accompagner l’évolution et le progrès, refléter comme dans un miroir tout ce qui préoccupe l’esprit humain universel, dispersé à travers des milliers de particules. (Les Nouvelles Tendances dans l’Art 1894)

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