samedi 28 mai 2011

Lettres parisiennes sur l’art


Ce billet fait partie d’une série. Un album a été édité pour l’exposition consacrée à Gabriela Zapolska, en ce printemps 2011 à Varsovie. L’intention est d’en donner une idée. Il s’agit de synthèses des articles qu’on y trouve – essentiellement à partir de la version en français. On pourra déceler quelques maladresses ou des oublis : je ne saurais trop engager le lecteur à se référer aux textes originaux.

C’est à la fin de ce mois de mai qu’Iwona Danielewicz fait un exposé sur la Collection des tableaux que Gabriela Zapolska a ramenés en Pologne après son séjour parisien. Et ce n’est pas d’hier que cette conservatrice du Musée National de Varsovie s’y intéresse : il y a une bonne douzaine d’années, elle avait notamment signé une étude sur ce sujet, qu’elle avait présentée lors d’une conférence faite devant l’Association des Historiens d’Art, à Varsovie.

L’article qu’elle fait paraître dans l’album de l’actuelle exposition au Musée de la Littérature, est à la fois proche et légèrement différent, puisqu’il s’appuie sur les chroniques que Zapolska faisait parvenir à Varsovie depuis Paris, ainsi que sur sa correspondance. Sur la peinture, bien sûr.

Rappel préalable du rôle de foyer culturel pour l’Europe, joué par Paris dès le 18e siècle. Et des Salons dont chacun, avec les prix qu’on y distribuait et l’abondance des commentaires et critiques de la part des plus grandes plumes, était considéré comme un évènement artistique et social prestigieux. En réaction aux deux Salons qui coexistaient depuis 1880, était né en 1884 un Salon des Indépendants.

Pas très portée dans cette direction lors de ses débuts parisiens, Zapolska y fut incitée par Maria Szeliga-Loevy, forma progressivement son goût au cours de la relation qu’elle entretint avec Stefan Laurysiewicz et le développa surtout, à l’occasion de la vie qu’elle partagea avec le peintre nabi, en même temps que théoricien de l’art, Paul Sérusier.

On la voit ainsi initialement très réticente vis-à-vis de la peinture académique (elle ne se départira pas de cette opinion), de Puvis de Chavannes (elle revient ensuite sur son jugement pour en faire un précurseur), mais aussi de la peinture moderne. Au début, Zapolska trouve par exemple monstrueux les tableaux pointillistes de Seurat ou de Van de Velde – mais adopte une attitude plus favorable dès l’année suivante.

L’intérêt qu’Antoine, le directeur du Théâtre Libre où elle joue, porte à ce domaine, la conduit à davantage fréquenter des peintres. L’obligation que son métier de journaliste lui fait d’être en permanence en contact, et de près, avec la vie sociale et mondaine parisienne, aiguise son sens de l’observation. Mais c’est, lors d'un séjour en Bretagne, sa rencontre avec Paul Sérusier qui sera – on l’a évoqué – décisive.

Au cours de cette relation, Zapolska en est arrivée à constituer une magnifique collection d’œuvres d’art, recueillies ou rachetées auprès d’impressionnistes ou de nabis – collection qu’elle emmena avec elle en Pologne. Deux expositions furent organisées de son vivant, pour les montrer au public : à Lvov en 1906 et à Cracovie en 1910. Elle vendit quelques tableaux (un Gauguin, un Van Gogh et un Seurat notamment). Après sa mort (en 1921), ce fut sa sœur qui en hérita. La collection fut ensuite dispersée. Plusieurs peintures de Sérusier se trouvent désormais au Musée National de Varsovie : la plupart d’entre elles illustrent l’article que nous analysons dans cet album.

Parmi les textes de Zapolska sur la peinture, il faut tout spécialement mentionner Les Nouvelles Tendances dans l’Art *, paru en 1894 et qui s’adresse à un public pour qui les œuvres de Gauguin ou de Van Gogh, par exemple – qui n’étaient d’ailleurs pas encore si populaires que ça en France – sont alors complètement inconnues en Pologne. Expositions de peintres polonais rentrés de France, articles sur le sujet et, bien sûr, celui de Zapolska : autant d’objets de débats ou polémiques.

* Le lecteur de ce bloc-notes retrouvera dans le précédent billet (La Carrière d’actrice) comment prendre directement connaissance d’extraits du texte même de Zapolska, en migrant vers le blog voisin (Seine & Vistule) – soit en polonais (Paryskie wędrówki Zapolskiej, dans le billet du 15 février), soit dans une traduction en français (Promenades parisiennes, dans celui du 25 mars).

Iwona Danielewicz va à la recherche de sources où ces tendances sont annoncées ou évoquées. Elle en trouve datant d’avant l’arrivée de Zapolska en France (Moréas, Zola, Kahn en 1886), puis plus récentes (Laurysiewicz, Stanisław Witkiewicz, de Gourmont…). Elle rappelle que Zapolska avait revendiqué auprès du rédacteur de la revue Przegląd Tygodniowy, l’entière responsabilité de ses affirmations. Avec quelques remaniements, elle a repris ce même article douze ans plus tard, à l’occasion de l’exposition de sa collection de tableaux à Lvov.

Dans celui de 1894, Zapolska souligne ce que les idées novatrices sur l’art et l’esthétisme doivent à Manet, fait notamment une leçon sur le pointillisme et reste très pédagogique pour décortiquer l’enchainement des mouvements alors à l’œuvre. Elle ne manque surtout pas de s’attarder sur Gauguin, Van Gogh – et Sérusier.

N.B. : Parmi les illustrations qui accompagnent le texte publié dans l’album, on trouve une affiche (celle conservée à la Bibliothèque Jagellonne) que Toulouse-Lautrec a réalisée pour une pièce jouée au Théâtre Libre, L’Argent. A cette époque, il s’agissait d’un format proche de celui d’un programme : les spectateurs l’achetaient et souvent le pliaient et le mettaient dans leur poche. On lit nettement le nom de Zapolska dans la distribution. Deux personnages y sont représentés de dos : un homme et une femme, celle-ci au premier plan.

Or, pour l’auteure de l’article, ce serait Zapolska. On peut légitimement s’interroger car la pièce tourne autour de M. Reynard (joué par Alexandre-Charles Arquillière) et Mme Reynard (Henriette Henriot). On pourrait ainsi s’attendre à ce que ce soit Henriette Henriot, et non Zapolska, qui soit ici représentée. C’est l’affirmation qui ressort de l’information fournie à l’occasion de la mise en vente d’autres exemplaires de ce programme, notamment par la Poster Auctions International de New York, et par la William Weston Gallery de Londres.
http://www.artfact.com/catalog/searchLots.cfm»scp=m&catalogRef=&shw=50&ord=2&ad=DESC&img=0&alF=1&houseRef=&houseLetter=A&artistRef=L2OWOGBUF0&areaID=&countryID=&regionID=&stateID=&fdt=0&tdt=0&fr=0&to=0&wa=&wp=&wo=&nw=&upcoming=0&rp=&hi=&rem=FALSE&cs=0&row=101
http://www.williamweston.co.uk/pages/catalogues/single/1283/55/1.html

Les deux femmes sont nées la même année, en 1857 : elles ont donc alors 38 ans (Henriette Henriot a vécu une bonne vingtaine d’année que Zapolska. Encore toute jeune, à 17-20 ans, à l’époque où Zapolska se mariait, elle avait servi de modèle à Pierre-Auguste Renoir (dont le tableau La Parisienne, 1874, toute de bleu vêtue). Jeanne Samary, dont il est par ailleurs question dans la correspondance de Zapolska, avait pris la relève comme modèle de Renoir, peu après. Henriette Henriot ne doit pas être confondue avec Jane Henriot, tragiquement décédée à 22 ans dans un incendie à la Comédie-Française en 1900.


L’album est richement illustré (on y relève près de 90 portraits et tableaux, photos de personnes ou d’objets, affiches ou dessins…). En pleine page, certaines illustrations ont, en légende, un court extrait, de la plume de Gabriela Zapolska. Voici ce que l’on trouve, inséré dans le présent article :

Mon appartement se transforme en musée. J’ai des Van Gogh, Gauguin, Denis, Vuillard, Anquetin, des sculptures de Lacombe, Riotto et d’autres. (Lettre à Stefan Laurysiewicz – 1894)

Les peintres synthétistes bretons créent lentement et en toute indépendance. Leurs tableaux coulent comme un chant, se tissent simplement comme un conte. Ces peintres ne sont qu’une poignée, mais représentent une grande force dans la peinture française. Leurs noms : Gauguin, Sérusier, Vuillard, Ranson, Denis, Bonnard, Anquetin et d’autres. (Dans les bruyères roses et dans les brumes opalines)


2 commentaires:

mdenbaes a dit…

Bonjour,

Je fais des recherches sur Jane Henriot et donc également sur sa mère Henriette Henriot, de son vrai nom, Henriette Marie Alphonsine Grossin. J'aimerais vous poser quelques questions à ce sujet, si vous le voulez bien.
Voici mon mail: mdenbaes@gmail.com

Espérant réponse favorable à ma requête, je vous prie da'gréer mes sincères salutations.

Raoul N a dit…

Une demande directe de contact a été faite à l'auteur du commentaire.