dimanche 15 mai 2011

Varsovie : exposition Zapolska


Gabriela Zapolska n’est pas une inconnue pour les lecteurs du présent bloc-notes à la Voile ou au Moteur. Et ils peuvent en apprendre davantage en allant faire une excursion du côté d’un bloc-notes voisin, Seine & Vistule (pour y accéder : marge de droite de cet écran, en bas). Par ailleurs, ce billet a pu voir le jour grâce aux apports et remarques d’Arturo Nevill, co-traducteur avec Lisbeth Virol de lettres, chroniques journalistiques et pièces de théâtre de Gabriela Zapolska.

L’illustration permet, à côté d’un portrait de Zapolska, de situer le Musée de la Littérature où se tient l’exposition : sur la Place du Marché (Rynek) de la Vieille Ville (Stare Miasto). A droite de la vue aérienne, on distingue nettement le Château Royal.

Un album en polonais et en français
A l’exposition que le Musée de la Littérature de Varsovie consacre à Gabriela Zapolska de mi-avril à mi-juillet 2011, on peut se procurer un très bel album d’une centaine de pages, publié en polonais et en français, en collaboration avec l’Ambassade de France et l’Institut Français de Varsovie.

L’exposition, dont le titre se complète par Zbuntowany talent (Le talent en révolte), est la première de cette importance sur cette femme de lettres (dramaturge, romancière, journaliste) et actrice, qui a vécu de 1857 à 1921 dans une Pologne partagée puis devenue indépendante en 1918. Zapolska est par ailleurs venue pendant six ans en France, de 1899 à 1895.

Séjour qui ne fut pas neutre, dans la mesure où elle en a fourni un témoignage riche et vivant, sur la vie artistique, culturelle et sociale en France à cette époque – plus d’un millier de pages – grâce à ses chroniques parisiennes pour des journaux varsoviens, et à sa correspondance. Et aussi, parce qu’elle a joué sous la direction d’Antoine, le fondateur du Théâtre Libre, particulièrement novateur, et dans ses méthodes et dans son répertoire, qu’elle en a été conquise et qu’elle a cherché à son retour à les promouvoir dans son pays.

La publication de l’album a été confiée au Musée Théâtral qui fait partie du Grand Théâtre et de l’Opéra National de Varsovie. L’option prise qu’il puisse également être lu en français se justifiait pleinement. Celui qui avait paru, voici deux ans dans des conditions similaires, sur l’actrice Helena Modrzejewska qui avait beaucoup joué dans la langue de Shakespeare, n’était-il pas en polonais et en anglais ?

Des articles de fond
Après l’introduction, suivi d’un texte de Zapolska à caractère autobiographique, l’album nous livre cinq articles de fond : sur cette femme de lettres insoumise ; sur la sauvage qui, dans le jardin des arts, nettoie la place avant l’arrivée des grandes avant-gardes du 20ème siècle ; sur sa carrière d’actrice, riche et pourtant jusqu’ici méconnue ; sur sa relation à la peinture, à travers ses lettres parisiennes ; et sur son analyse au quotidien des attitudes et relations entre l’homme et la femme.

Avec une belle sobriété, l’introduction attire notre attention sur le caractère complexe et hors du commun de cette femme qui a vécu sur fond de tournant de siècle, où divers courants et tendances artistiques bouillonnaient. A la fois exclue, talentueuse et ambitieuse, Zapolska s’intéressait d’abord, avec un regard de femme, aux affaires ordinaires des gens ordinaires, et elle savait, d’une plume acérée, démasquer les apparences sans pour autant sombrer dans un sérieux ennuyeux.

Remarques autobiographiques au moment de la cinquantaine
L’extrait autobiographique sur lequel on enchaîne a été publié deux ans après la mort de Zapolska mais avait été rédigé quinze ans plus tôt, en 1908. C’est précisément la période où sont écrites et jouées ce que l’on considère comme ses meilleures pièces (La Morale de Madame Dulska en 1906, Eux quatre en 1907, et Skiz en octobre 1908). Et c’est la réaction de Zapolska au mauvais accueil qu’y ont fait certains critiques qui semble finalement colorer l’ensemble de son texte : Pour mes romans, on ne m’écharpe pas. Le plus souvent, on les noie dans un silence sans fond, mais on s’abat toujours sur mes pièces comme sur de la charogne.

Le reste de l’extrait nous apprend qu’elle aurait commencé à être publiée – presqu’à son insu dans un journal de Lwów – quand elle avait 26 ans et qu’elle aurait transposé un de ses romans à la scène quatre ans plus tard. Elle écrivait ce qui lui passait par la tête et a eu la désagréable surprise (il ne me vint pas à l’esprit qu’il existait une chose dite le naturalisme) de se voir agonir d’injures par la critique. Cette boue, ces flots d’injures, dénigrements, et autres saletés, selon ses termes, ne cessèrent pas par la suite.

Au début, dit-elle, ces réactions lui laissent croire qu’elle n’est pas capable d’écrire pour la scène – elle se replie sur des romans. De retour de son séjour parisien, nouvelle tentative avec Żabusia : la contre-attaque est immédiate mais, cette fois – Zapolska approche de la quarantaine – elle pense connaître sa valeur et avoir une bonne capacité d’autocritique. D’autres pièces, qu’elle vit comme des succès, sont désormais portées à la scène. Ce qui n’exclut pas quelques périodes de découragement, au cours desquelles elle trouve refuge dans le journalisme ou le roman.

C’est au moment où, à 50 ans et avec quelle maturité d’écriture, elle vient de reprendre une plume de dramaturge qui lui assurera une réputation qu’un siècle plus tard encore, nul ne le dénie, que se situe la rédaction de cet extrait. De nouveau le découragement la guette : 25 ans de lutte c’est trop. Elle annonce son intention de déposer les armes, en exprimant un regret : que lui importe d’être reconnue à ce point à l’étranger (elle sera certes beaucoup traduite mais certaines affirmations sont ici invérifiables et éventuellement infondées), Zapolska dit ne pas aspirer à être reconnue comme un écrivain européen mais comme un écrivain polonais.

Papier égaré parmi des notes manuscrites au sein d’un document inachevé ? Sans crier gare, nous dégringolons brutalement, vers la dernière page, de 1908 à la période parisienne (1889-95) et voyons le ludion remonter en passant par la fondation par Zapolska de son école dramatique, en 1904. Le passage par Paris avait déjà été évoqué vers le milieu de l’extrait : pourquoi y revenir ?

En fait, ces quelques lignes complètent ladite autobiographie – essentiellement tournée vers l’écriture (romans, théâtre, journaux) – sur un point important et néanmoins passé sous silence : Zapolska a été tout autant actrice pendant une vingtaine d’années et joué dans plusieurs centaines de rôles différents. Ces quelques lignes qui semblent raccrochées un peu au hasard, nous parlent d’Antoine, puis de rôles ensuite tenus à Cracovie et à Lwów, et enfin de son école dramatique. Mais, en 1908, cela fait bientôt dix ans que Zapolska a cessé de jouer et, malgré ses états d’âme du moment, c’est bien par le biais de l’écriture qu’elle se manifeste alors le plus intensément.

L’album est richement illustré (on y relève près de 90 portraits et tableaux, photos de personnes ou d’objets, affiches ou dessins…). En pleine page, certaines illustrations ont, en légende, un court extrait, de la plume de Gabriela Zapolska. Voici ce que l’on trouve, inséré dans le présent article :

Je suis le courant – je ne veux pas avoir de manière à moi – je ne suis que le miroir. Je n’écris pas d’épopées historiques, mais une épopée des instants que je vis. (Lettre à Stefan Laurysiewicz, Paris 1894).

Je compte donner d’autres aperçus par la suite, sur ce bel album, sur les articles de fond qui le composent et sur ses illustrations diversifiées et soignées, qui donnent un avant-goût de l’exposition.

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