dimanche 22 mai 2011

Bienheureux placebo ?


Dans la rubrique Science & Technology de sa livraison du 19 mai, le magazine The Economist nous invite à réfléchir sur l’effet placebo : Alternative medicine - Think yourself better.

Médecines parallèles
On y trouve des ordres de grandeur : ainsi, en Grande-Bretagne, un adulte sur cinq ferait appel aux médecines parallèles (dont : acupuncture, cristaux qui soulagent, herbes médicinales, homéopathie, réflexologie, Reiki japonais…) et cela représenterait un marché de 210 millions de livres. Quant au marché mondial, il tournerait autour de 60 milliards de dollars. (N.B. : un douteux calcul de coin de table me conduit à 60 euros par adulte britannique consentant, et à 1% des dépenses mondiales de santé, dans la mesure où on les estime à 10% du PIB mondial ? Pas énorme...)

Commentaire au passage : alors que les médicaments officiels doivent avoir été testés afin d’être admis à la vente, il en va rarement de même pour les produits à vocation thérapeutique utilisés dans le cas des médecines alternatives.

Plus qualitativement, l’article cite les conclusions auxquelles est parvenu le Dr Edzard Ernst qui a consacré près de deux décennies à des recherches sur le sujet. Ce n’est pas rien : il n’y a que dans 5% des cas que l’on peut déceler un effet qui puisse être meilleur que le célèbre effet placebo. Et encore… ce n'est pas une certitude mais souvent l'indication qu’il s’est passé quelque chose d’intéressant, ce qui mériterait des études complémentaires.

L’effet placebo
On sait maintenant assez bien en quoi consiste l’effet placebo : au lieu d’administrer le traitement médical normal au patient, on lui donne, une pilule qui n’est que du sucre, on lui fait une injection inoffensive, ou encore une opération chirurgicale bidon. Le patient n’est pas averti de cette substitution. Et si l’on constate une amélioration pour ce dont il souffre, on l’appelle effet thérapeutique placebo (Remarque : le patient en arrive aussi parfois à subir les mêmes effets secondaires négatifs associés au médicament normal).

Les pseudo-traitements ou pseudo-médicaments ont notamment été utilisés comme base de comparaison, dans les laboratoires de recherche où l’on teste les futurs médicaments. Mais ce fameux effet placebo nécessite d’être prudent quant aux conclusions : puisqu’il existe, c'est qu'on n’est pas en train de faire, comme on le croyait initialement, une comparaison avec un produit neutre !

Sortons maintenant des laboratoires pour nous intéresser à l’effet placebo dans la vie courante. Il semble bien que les effets soient les plus marquant pour les troubles où c’est le mental et le subjectif qui prédominent (l’exemple donné dans l’article laisse entendre que les antidépresseurs de la dernière génération ne font guère mieux que des pilules placebo).

Domaine proche, celui de la douleur : ce qui est ici souligné est que l’importance de l’effet dépend de ce à quoi le patient s’attend : il sera nettement plus soulagé de sa douleur si on lui dit que la pilule (qui n’est en fait que du sucre) contient de la morphine plutôt que de l’aspirine. L’imagerie médicale montre que le cerveau se met alors à produire par lui-même des éléments chimiques qui contrent la sensation de douleur. On a aussi observé que des traitements placebo pouvaient en fin de compte influer sur le rythme cardiaque, la pression sanguine, la digestion…

La dramatisation y joue son rôle : une injection se révèlera plus efficace qu’une pilule, et la pseudo-chirurgie encore mieux. A cet égard, il y a les praticiens des médecines alternatives dignes de tous les éloges : ils prennent leur temps et créent une atmosphère détendue au moment de la consultation, ils croient dur comme fer dans le traitement qu’ils prescrivent, et ils n’oublient pas d’entourer l’énonciation de leur prescription de tout l’apparat nécessaire.

Guérisons inexpliquées
Il se trouve qu’à peine une semaine avant, le quotidien suisse Le Temps faisait paraître un article d’Anna Lietti sous le titre : C’est un miracle ! :

Le thème est celui des guérisons inexpliquées et la motivation sous-jacente est qu’une guérison de ce genre a été un élément déterminant lorsqu’il s’est agi pour le Vatican de se prononcer sur la béatification de Jean-Paul II.

Telle n’est pas ma préoccupation ici, même si, à la lecture de l’article, j’ai été frappé par l’importance considérable que donne l’Église catholique à des évènements qu’elle authentifie comme miraculeux. Pierre Delooz, un sociologue belge, aurait épluché le dossier de toutes les béatifications et canonisations depuis quatre siècles, et recensé 1200 évènements de ce type, dont un millier de guérisons. Ma réflexion, sans beaucoup de recul il est vrai, est que cette insistance sur les miracles porte le risque de faire passer à un second plan ce que la vie du personnage qui va être déclaré saint ou bienheureux, a pu témoigner du message évangélique.

Attitude du corps médical
Ce qui m’a ici davantage intéressé est que – qu’il s’agisse du placebo ou du miracle – la conviction, voire la croyance ou la foi, sont mises en regard d’une démarche qui se veut plus scientifique. Et que dans les deux cas, lié plus ou moins à ce qui vient d’être dit, les représentants de la médecine officielle n’abordent le sujet qu’avec des pincettes : ce serait une perte de temps, ce sont des fariboles, prêcher le faux en vue d’obtenir un effet réel reviendrait à mentir au patient.

Dans le cas de la religieuse dont la guérison a contribué à fonder la décision de béatifier Jean-Paul II, c’est la maladie de Parkinson qui avait été diagnostiquée et le fait d’écrire le nom du pape l’avait remise sur pied du jour au lendemain. Or si le corps médical reconnaît qu’il n’y actuellement pas de traitement pour guérir cette maladie, la question du diagnostic est moins évidente.

Interrogations sur le diagnostic
Il est vrai que la qualité de certains diagnostics antérieurs à une guérison surprenante n’est pas systématiquement vérifiable. Mais, d’une part, le processus de vérification mis en place par le Vatican est considéré comme recherchant de très fortes garanties de rigueur scientifique. Et, d’autre part dans d’autres cas avec les progrès de la médecine moderne, on dispose de bases autrement plus solides que par le passé (imagerie médicale, résultats de biopsies ou d’analyses, etc.). Les cas de guérisons spontanées à la suite de cancers, notamment, sont souvent bien documentés.

Sans donc exclure des erreurs de diagnostic et sans se limiter en quoi que ce soit à la sphère religieuse, on a ainsi pu constater des guérisons particulièrement remarquables : l’état actuel de la science ne permettant pas de les expliquer (Le cancéreux chasse sa tumeur, l’asthmatique retrouve son souffle, le brûlé sa peau de bébé…).

Des pistes utilisables ?
Comme le remarque le sociologue cité plus haut, miracle ou non : Quelque chose se passe dans la tête de la personne, et son système immunitaire se met en branle au-delà de ses fonctionnements habituels. A son sens d’ailleurs, la qualité des dossiers des miracles agréés du Vatican et le sérieux de la documentation qu’ils recèlent, gagneraient à être pris au sérieux par le corps médical et ouvriraient vraisemblablement des pistes.

Autre type de considération : des analyses extensives sur plusieurs dizaines d’années conduisent à estimer qu’il y a une guérison spontanée pour 100 000 cas.

Le taux de guérisons à Lourdes serait du même ordre, ce qui tendrait à en estomper le côté miraculeux. Cette dernière remarque ne met pas automatiquement hors jeu la dimension spirituelle (rôle de la prière ou de la contemplation d’images pieuses dans un cas… ou d’un être aimé dans un autre cas).

Fréquence et rareté
Qu’il s’agisse de l’effet placebo, des médecines parallèles ou des guérisons inexpliquées, on aborde un domaine où l’on commence à déborder au-delà des actuelles explications raisonnablement admises (représentées par la connaissance médicale et par les médicaments ayant été rigoureusement testés et ayant pratiquement fait leurs preuves).

Dans le cas du placebo, on a vu que son efficacité se manifestait de préférence lorsque le trouble relevait du mental et du subjectif, ainsi que, jusqu’à un certain point, pour combattre la douleur. Aucune estimation n’a été fournie dans les articles analysés, mais d’autres sources mentionnent jusqu’à un quart ou un tiers d’effets perceptibles pour ces genres d’affections. Ce qui a été indiqué pour les médecines parallèles est que, dans 5% des cas, on pouvait envisager un effet au moins équivalent à celui d’un placebo – ou parfois à confirmer.

Et pour les guérisons inexpliquées, on est renvoyé vers une couche atmosphérique raréfiée : le millième de %. Faisons une digression sur ce dernier point : en supposant que sur notre planète de 7 milliards d’individus, un sur dix soit atteint d’une maladie éligible en vue d’une guérison inexpliquée, 7 000 d’entre eux bénéficieraient ainsi de cet heureux dénouement – soit, puisque l’augmentation de la durée de vie va dans le sens d’un renouvellement complet de l’humanité tous les 70 ans, autour de 2 par semaine.

Ancrage des convictions
Au détour de l’un des articles, l’auteur attire l’attention sur un constat pour lui étonnant : il arrive fréquemment qu’un patient dont l’amélioration est due à la prise d’un placebo, voit cette amélioration se poursuivre, même si on lui avoue la vraie nature du placebo. C’est ce que j’ai voulu exprimer en utilisant le terme d’ancrage de la conviction.

Cela se rapproche d’ailleurs de cette expérience classique : on soumet des sujets à test logique où une lumière verte ou rouge s’allume selon que la réponse est bonne ou mauvaise. Au fur et à mesure des questions, la lumière verte s’allume de plus en plus fréquemment. Le sujet pense naturellement que cela vient de ce qu’il a compris la logique des questions. Or il n’y a aucune relation entre ses réponses et la lumière qui s’allume – la lampe verte est programmée pour s’allumer au hasard de plus en plus souvent. Ce qui est sublime est que, pour environ deux tiers des participants, ils refusent de le croire une fois qu’on le leur dit après coup : ils se sont trop investis pour s’avouer avoir été bernés.

Façonnage personnel
Autre perspective : prendre du champ par rapport au contexte habituel du placebo, des médecines parallèles ou de la guérison inexpliquée. Dans tous ces cas, l’amélioration résulte de l’intervention d’un produit, d’une personne ou d’un force extérieure, voire surnaturelle. Ce qui n’exclut pas – on l’a vu, notamment au niveau du cerveau – que l’intéressé y mette du sien.

Il y a aussi des démarches où c’est ce dernier qui devient entièrement le chef d’orchestre de l’opération. On peut citer la méthode Coué par laquelle il parvient à se convaincre lui-même au fil du temps que les choses vont s’améliorer. On a aussi de multiples exemples – mais ce n’est pas donné à tout le monde – de personnes qui se sont façonnées sur la base d’un projet de vie qu’elles s’étaient établi pour elles-mêmes.

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