mardi 16 juin 2009

Savants vs neurotypiques

La fois précédente, nous sommes partis d’un article de «Der Spiegel» pour évoquer un autiste léger particulièrement doué pour les chiffres et pour les langues. Till attire cette fois mon attention sur un article de «The Economist» à mi-avril, qui, sous le titre «Genius locus – Autism and extraordinary ability», a épluché les actes d’une conférence tenue à l’automne dernier, sous les auspices de la Royal Society et de la British Academy.

Autistes savants vs neurotypiques
Question : «Le cerveau des génies serait-il différent de celui des autres gens ?» Il y avait déjà eu lieu débat dans le passé à propos d’un lien possible entre génie artistique et schizophrénie ainsi que syndrome maniaco-dépressif. S’agissant de ce qu’en anglais on appelle des «savants» (ceux qui ont une connaissance approfondie dans un domaine spécifique – alors qu’en français, il s’agit d’une connaissance plus générale), on se souvient que ce thème a été abordé dans le film «Rain Man» (1969), l’autiste savant étant personnifié par Dustin Hoffman.

RRBI et conséquences
Lorsque l’on cherche ce qui distingue les autistes des «gens normaux» (appelés ici «neurotypiques»), on retient (1) une relative incapacité à se mettre à la place de l’autre puis (2) de se demander ce que l’autre peut penser… mais aussi, (3) des comportements et des intérêts limités et répétitifs (restrictive and repetitive behaviours and interests – abrégé ici en RRBI).

Face à cela, on soulignait jusqu’alors que pour faire un bon «savant», ce pouvait être déterminant que de redéployer des ressources mentales habituellement tournées vers l’interaction et la communication, et les mettre au service d’une «expertise» dans un domaine particulier. Ce à quoi on assiste actuellement est une plus grande prise en considération du point n°3 des autistes – ce qui revient à faire gravir au RRBI les échelons du podium.

Glané au cours d’une conférence
Dans ce qui a été présenté, on trouve notamment :

- Près de 30% des autistes auraient des capacités en matière de calcul et de musique – et, comme chez les autistes, on note chez nombre de tempéraments créatifs (en science, ingénierie, musique, dessin, peinture…), une communication appauvrie et une obsession du détail.

- Les talents musicaux et artistiques qui se manifestent chez les jeunes enfants (autistes ou non) sont souvent associés à du RRBI. Ce à quoi parviennent les savants pourrait alors découler de la capacité qu’ils auraient à détecter des différences, là où les neurotypiques ne voient que simple répétition de la même chose.

- Certains estiment qu’à hyper-systématisation et hyper-attention au détail, il faut encore ajouter hyper-sensibilité.

- Une intervenante – professeur d’université et ancienne autiste – rapporte qu’elle avait la possibilité de «penser par images». Il y a des autistes, dit-elle, qui n’ont pas ces facultés visuelles, mais pensent plutôt par schémas (pattern thinkers) et excellent en maths ou en musique ; d’autres sont spécialisés sur le verbal et se distinguent dans la parole et l’écriture.

- D’avoir eu à disséquer quantité de cerveaux, un autre intervenant attire l’attention sur la forme que prennent les colonnes de cellules nerveuses dans le cortex cérébral. Chez les autistes, elles sont plus étroites que chez les neurotypiques et elles sont davantage interconnectées avec les colonnes qui leur sont proches – et moins interconnectées avec les colonnes plus éloignées.

- Autre démarche visant à permettre à des neurotypiques d’accéder à des capacités qui semblaient réservées aux savants : inhiber certains de leurs processus neurologiques, grâce à une stimulation magnétique appliquée à la partie antérieure du lobe temporal gauche. Les tests qu’on leur fait passer dans ces conditions montreraient que ça leur permet – comme chez les savants – de se souvenir littéralement des choses plutôt que de se raconter des histoires reconstruites à partir de «fausses remémorations».

La médaille a son revers
L’article se boucle comme une fable de La Fontaine – par une morale.

Intéressons-nous d’abord aux chauffeurs de taxi londoniens (les «cabbies») : ils en arrivent à acquérir une prodigieuse connaissance géographique de la capitale britannique… et même la forme de cette partie du cerveau associée à l’apprentissage à long terme (l’hippocampe) se modifie. En revanche, pour d’autres tests de mémoire, y compris la mémoire spatiale, ils sont en dessous de la moyenne.

Bribes de morale : on n’a rien pour rien – ne nous forçons pas à singer ceux qui sont doués dans tel ou tel domaine… et acceptons les comme ils sont.


Ceux qui ont été intéressés par cet article auront peut-être envie d'explorer des thèmes voisins en cliquant sur celui de l'Autisme ou sur celui du Cerveau, dans la marge de droite.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

"Une intervenante – professeur d’université et ancienne autiste"

Est-il possible de "guérir" de l'autisme? n'est ce pas un état permanent comme par un exemple la Trysomie?

Raoul N a dit…

Je ne connais pas grand chose à propos de l'autisme. Idem pour les trisomies.

En revanche, depuis quelques mois, je suis engagé dans une action visant à faire évoluer un garçon qui a maintenant 6 ans et que je désigne dans ce blog sous le pseudonyme de "Émile". Certains de mes billets font écho à cette action. D'autres billets donnent des coups de projecteur sur des cas particuliers qu'il faut - à mon avis - se garder de généraliser.

Ce que je crois comprendre pour le moment se résume à ceci :
- Il y a une assez grande variété de formes d'autisme, même si certaines manifestations leur semblent communes.
- Même s'il n'est pas exclu qu'il y ait des raisons organiques, celles-ci produiraient leurs effets au cours du développement du cerveau - or ce dernier peut éventuellement faire preuve de plasticité - ce qui permet d'explorer des voies complémentaires à celle du développement habituel des autres enfants. Je comprends aussi que dans le cas de l'autisme cette plasticité ne rencontre pas les mêmes limites que dans celui de certaines trisomies.
- L'action à laquelle je participe a donné de bons résultats - généralement en un an et demi à deux ans - pour plusieurs dizaines d'enfants. Ce qui se traduit par une réinsertion sociale et scolaire - ce qui, sinon, est très loin d'être évident.
- Cette action combine une présence assez nombreuse (des bénévoles se relaient par tranches d'environ une heure et demi, à raison de 40 à 50 h par semaine au cours des deux ans). Elle demande aussi un pilotage avec des personnes qui ont le bagage professionnel suffisant.
- Cela permet une toute autre dimension que celle offerte par le cadre institutionnel. Ce dernier peut certes offrir son professionnalisme mais non la permanence de présences consacrées de façon suivie à un enfant particulier.
- L'appel à des bénévoles vient des parents eux-mêmes - ce qui suppose de leur part une belle capacité d'organisation... mais dont j'ai constaté que la contrepartie particulièrement gratifiante est la création d'une communauté qui fait qu'ils ne sont plus isolés. Plusieurs bénévoles semblent eux mêmes bénéficier de la relation qu'ils établissent avec un enfant qu'ils voient, mois après mois, s'ouvrir à la vie.
- Cet appel à des bénévoles apporte ainsi une réponse à un problème dont la dimension économique mettrait rapidement à genoux une approche strictement institutionnelle. Si on admet (à discuter) que les symptômes de l'autisme touchent un enfant sur 150, consacrer à chacun d'entre eux une trentaine de personnes pendant 2 années de sa vie voudrait dire que de façon permanente en France, plus de 300 mille personnes devraient être mobilisées à cette fin pour y consacrer deux ou trois heures par semaine (présence et trajet).
- Comme il s'agit essentiellement d'apporter de la disponibilité, de savoir accompagner son rythme en jouant avec lui - bref d'accompagner comme avec tout enfant son éveil à la vie - la "formation" des bénévoles n'est pas un obstacle. En revanche, il est nécessaire de partager régulièrement les expériences en présence de professionnels à même de savoir faire le point.

Merci à la personne qui a fait le commentaire initial : ceci n'est pas tant une réponse qu'une occasion de rassembler des éléments dispersés dans ce blog ou non encore exprimés.

Mais dans la mesure où l'intervenante se présente comme ancienne autiste et maintenant professeur d'université, fallait-il prendre la question sur la possibilité de "guérir" de l'autisme, au premier degré ?

RN

Anonyme a dit…

«un autre intervenant attire l’attention sur la forme que prennent les colonnes de cellules nerveuses dans le cortex cérébral»
Vous devriez au moins donner une référence ici parce qu’à ma connaissance il n’existe aucune publication de ce genre (biopsie ou autopsie).

Raoul N a dit…

Merci pour votre remarque qui m’incite à aller plus loin. Je ne suis personnellement pas spécialiste dans ce domaine. Un ami m’a signalé cet article et j’en ai simplement fait ressortir quelques points qui m’avaient particulièrement intéressé.

Il s’agit de «Genius locus» paru dans le n° du 16 avril 2009 de The Economist. Voici (avec l’aide de mes dénicheurs de sites sur Internet) quelques points de repères pour votre recherche :

A – Des extraits de cet article :
[…] some of the symptoms associated with autism, including poor communication skills and an obsession with detail, are also exhibited by many creative types, particularly in the fields of science, engineering, music, drawing and painting […] So what is the link? […] Those were the questions addressed by papers […] published this week in the Philosophical Transactions of the Royal Society. […] The latest edition is the outcome of a conference held jointly with the British Academy […] last September. […] The question of how the autistic brain differs physically from that of neurotypicals was addressed by Manuel Casanova of the University of Louisville, in Kentucky. Dr Casanova has spent many years dissecting both. His conclusion is that the main difference is in the structure of the small columns of nerve cells that are packed together to form the cerebral cortex. The cortical columns of those on the autistic spectrum are narrower than those of neurotypicals, and their cells are organised differently. The upshot of these differences is that the columns in an autistic brain seem to be more connected than normal with their close neighbours, and less connected with their distant ones. Though it is an interpretative stretch, that pattern of connection might reduce a person’s ability to generalise (since disparate data are less easily integrated) and increase his ability to concentrate (by drawing together similar inputs). […]

B – Le sommaire de ce qui a été publié sur ce sujet par la Royal Society se trouve à l’adresse suivante : http://rstb.royalsocietypublishing.org/content/364/1522.toc. De là on peut avoir un «abstract» de l’article du Dr Casanova, ainsi que son adresse e-mail. Pour accéder à l’article entier, il faut soit s’inscrire «en ligne» à la Royal Society, soit acheter ce n° (édition papier) consacré à l’autisme.

C – Une recherche via Google fournit plus de 2000 entrées en utilisant les mots-clés suivants : Manuel Casanova University Louisville Kentucky autist
On y trouve notamment :
(1) Qu’il existe un article sur Dr Manuel Casanova dans Wikipedia (en anglais – dernière modification du 24 juillet 2009) :
http://en.wikipedia.org/wiki/Manuel_Casanova
Voir notamment les paragraphes : Research - Publications (une quarantaine mais toutes de 2006 ou antérieurement).
(2) Les extraits d’un ouvrage : «Recent developments in autism research» par Manuel F. Casanova (Editor – avec plusieurs contributeurs) - 2005 Nova Science Publishers, Inc - ISBN 1-59454-497-2
http://books.google.fr/books?id=61qguNWM06AC&pg=PA133&lpg=PA133&dq=Manuel+Casanova+University+Louisville+Kentucky+autist&source=bl&ots=FaDqMkZx7u&sig=yjh_9WSTHpyv9muhfsr7k6Zo3Dg&hl=fr&ei=Il5tSvKECZy4sgbkkKmhBw&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=1
En particulier, le chapitre VI – signé par Manuel Casanova pp. 133-143 : Minicolumnar Pathology in Autism (Introduction – Minicolumns – Significance of Findings – References (46))