mardi 23 juin 2009

Amour et science


Avec Till, nous faisons le tri parmi d’anciens articles de journaux qui avaient, en leur temps, paru intéressants, qui s’empilent et que personne ne relira jamais. Nous avons déjà vidé plusieurs corbeilles et, dans la pièce qui leur est consacrée, on commence à respirer. Voici pourtant un article qui nous fait hésiter. Il s’intitule «I get a kick out of you».

«Mais je l’ai traduit !» se souvient-il. Nous retrouvons le texte en français. Scientifique mais sorti exprès pour la Saint-Valentin, il y a 5 ans, ledit texte a gardé une certaine fraîcheur et a permis de transformer le titre en «Je prends un malin plaisir avec vous».
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Idée : «Cela ferait un bon billet pour le blog…» Sauf qu’il approche les 25 000 caractères – beaucoup trop. A moins de le condenser. Passage à l’acte. Voici le résultat.

Campagnols des prairies et des montagnes
Après avoir laissé artistes, poètes et autres contribuer à faire progresser l’humanité dans sa compréhension de ce qu’est l’amour, voici que les scientifiques s’y mettent à leur tour. Ils avaient déjà fourré leur nez dans la régulation neurochimique des liens de sociabilité. Ils viennent de faire un pas de plus en s’intéressant aux campagnols des prairies qui sont monogames (le couple formé reste stable pour la vie) et ceux des montagnes qui se désintéressent de leur partenaire, une fois la nuit passée ensemble.

Ils sont pourtant génétiquement semblables à plus de 99% mais, lors de leur rencontre, les campagnols des prairies libèrent deux hormones (l’ocytocine et la vasopressine) qui vont stimuler une région du cerveau en charge de la récompense et du renforcement : c’est un 3ème élément chimique (la dopamine) qui est libéré à son tour et qui encourage de recommencer car on se sent bien. Si on bloque la libération de l’ocytocine et de la vasopressine, les campagnols des prairies se contentent d’une relation éphémère. Si on la provoque artificiellement chez les campagnols des montagnes, ça ne leur fait rien car ils n’ont pas les récepteurs adéquats.

Chez les humains
Chez ces animaux, ce qui précède permet de reconnaître leur partenaire par l’odorat et de revenir vers lui. Le mécanisme n’a pas encore été bien analysé pour les humains mais, parmi les primates qui leur sont proches, on observe un niveau de vasopressine associée aux centres de récompense, plus élevé chez les ouistitis monogames (comme c’est le cas d’environ 3% des mammifères) que chez les rhésus macaques qui ne le sont pas.

L’échographie pratiquée avec des étudiants qui se déclaraient follement amoureux a montré qu’une toute petite partie de leur cerveau en était activée – non pas celle associée à des émotions fortes (peur, colère…) mais à ce qui est en jeu quand on s’adonne à la drogue. On a aussi montré qu’il pouvait exister une forte variabilité d’un individu à l’autre – chez les animaux et en particulier chez les humains quand au gène relatif au récepteur de la vasopressine.

Amour à trois dimensions
Étape suivante – le terme d’amour peut recouvrir trois phénomènes séparés dont chacun dispose d’un système d’émotions qui lui est propre :

- Le désir charnel qui conduit à l’accouplement et dont les séquelles sont similaires quand on a pris des opiacés – avec accroissement des niveaux de sérotonine, ocytocine, vasopressine et d’équivalents de l’héroïne produits dans le corps.

- Le fait d’être amoureux (amour romantique) permet de se focaliser sur un partenaire précis avec la tentative éventuelle de susciter une réaction de réciprocité. Certains chercheurs estiment que cela peut avoir quelque chose de proche des TOC (troubles obsessionnels compulsifs), pulsion particulièrement forte (éventuellement davantage que la faim) et difficile à «traiter» une fois qu’elle est mise sur les rails.

- L’étape finale, qui convient mieux dès lors qu’il s’agit d’élever des enfants, est celle du lien à long terme, qui se caractérise généralement par plus de calme, de sérénité, d’être bien en société et d’union émotionnelle.

Savoir naviguer et choisir son cap ?
Mais ces trois systèmes sont indépendants les uns des autres, en arrivent donc à fonctionner chacun dans son coin – ce qui peut avoir de dangereuses conséquences, sans compter d’avoir des enfants en extra. Ce qui fait dire à certains que nous n’avons pas été fabriqués pour être heureux mais pour nous reproduire. Avec, de surcroît, quelques différences entre l’homme (plus facilement éveillé par des stimulations visuelles et attiré par la jeunesse et la beauté) et la femme (pour qui la culture et la situation matérielle et sociale du partenaire compte).

Ne pas oublier qu’au-delà de toutes ces histoires génétiques, les facteurs culturels et sociaux ainsi que les mécanismes d’apprentissage jouent un rôle considérable, que les expériences qu’elles ont eues… et le hasard, font que, au fil du temps, certaines personnes se sont dressé des «cartes de l’amour» qui leur servent à évaluer un partenaire potentiel et fréquenter de préférence ceux qui sont du même «type».

Illustration : Diane chasseresse, bronze par Houdon (Musée du Louvre - Paris)
Article paru dans The Economist du 14-02-2004

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