jeudi 17 août 2017

JEANNE MOREAU



This article appeared in the Obituary section of the print edition of THE ECONOMIST under the headline "Life as defiance" - Aug 10th 2017 (Tentative de traduction).


C’est à 16 ans que Jeanne Moreau est tombée amoureuse de vouloir jouer - quand elle a vu l' "Antigone" de Jean Anouilh. Elle n'était pas autorisée à aller au théâtre, alors elle a menti à son père et y est allée de toute façon. Pour son plus grand plaisir, la pièce portait aussi sur une fille qui disait non.
C’est ce qu’elle a dit à nouveau quand son père, quelques années plus tard, a essayé de l'empêcher d'être une actrice en l'appelant putain et en lui giflant le visage. Elle est allée au Conservatoire, puis à la Comédie Française, puis au Théâtre National Populaire, où sa Maggie, chancelante et magique, dans "Un Chat sur un toît brûlant" réussit bientôt à ravir Paris. "Vous voyez ?", lui dit-elle silencieusement.
Quand elle est devenue, dans les années 1960, l'actrice la plus célèbre en France et une star internationale du film, les gens l'ont appelée Grande Dame. Ce n’est pas ce qu’elle aurait dit. Elle était une femme, qui était un titre suffisant pour elle : quelquefois muse et parfois amante de ses chers amis Louis (Malle), François (Truffaut), Luis (Buñuel), Joseph (Losey) et Orson (Welles). Elle était simplement elle-même. La Nouvelle Vague qui balayait le cinéma français à la fin des années 1950, et à laquelle Malle l'avait amenée après quelques incursions infructueuses dans le film, lui a permis de se faufiler en dépit de la contrainte exercée par les costumiers qui se plaignaient de ses poches sous les yeux et de son manque de beauté à la mode. Au lieu de cela, elle était dans un monde réel de caméras portables, de lumière naturelle, de peau non maquillée, de pluie : une liberté totale.
Elle pourrait désormais jouer des femmes complexes et réfléchies. Et elle ne voulait pas se se plier aux castings classiques. Certes, d'abord, elle donna à répétition dans le thème des femmes ennuyées et bourgeoises qui à la recherche de l'amour, errant dans les rues nocturnes et dans les parcs avec presque trop d'agitation émotionnelle débordant de ses yeux que le monde fatiguait . Mais elle pourrait aussi exprimer une légèreté de garçon manqué, comme la Catherine enchanteresse et taquineuse de "Jules et Jim", ou de l'insolence sautillante, comme Célestine dans "Le Journal d’une femme de chambre", ou un burlesque de porteuse de flingue, avec Brigitte Bardot dans "Viva Maria !". Un côté exagéré qu’elle a mis sur le dos de son sang anglais, de sa mère Tiller Girl. Ce qui lui a permis de transgresser la convention d’une manière qui, si elle n’avait été que purement française, elle n'aurait peut-être pas osé.
Ces rôles étaient encore principalement ceux de femmes fatales. Mais ils avaient pour armes un cerveau, de l'esprit, ainsi que du sexe. (Sans spirits qui, comme Lidia dans "La Notte", la conduisirent vers les pilules avec leur vide.) Dans presque tous ses rôles, le spirit se manifestait dans un mouvement de mâchoire, souligné parfois par la façon dont ses traits se creusaient vers le bas autour de sa bouche, d’où elle laissait pendre une cigarette, puis en chasser  la cendre. Elle était peut-être la seule à pouvoir rendre le défi si désirable.
La «sensualité» était le mot qu'elle voulait. La «sexualité» réduisait tout juste une femme à un objet, à un morceau de viande. La sensualité signifiait le pouvoir, comme quand on la voit manger une fraise dans "Les Amants" en 1958, très lentement, la savourant pour que son amant potentiel puisse le voir. C'était le film dans lequel elle montrait au monde, pour la première fois sur le celluloïd, comment une femme se sentait vraiment à la hauteur du plaisir. Les spectateurs en sont restés bouche bée, et les censeurs ont coupé, mais quel intérêt ? Elle avait brisé le tabou. Dans "Lumière", le premier film qu'elle  a dirigé par elle-même, des femmes qui ont l’air plus ou moins vieilles sont assises tout autour, en parlant de leurs affaires. Encore une fois, elle a montré les femmes telles qu'elles étaient, sans contrainte. Non pas comment les hommes les dépeignent - même si c'est toujours un monde d'hommes.
Eh bien, c'est peut-être ça. Pourtant, elle l’a enrobé de fraîcheur : Malle et Truffaut, Marcello Mastroianni et Miles Davis, Peter Handke et Tony Richardson, Pierre Cardin. (Tout Paris pensait qu'il était gay, mais elle l'avait vu.) Elle aimait facilement, profondément ; puis, lorsque le parfum s'était évanoui, elle allait ailleurs. Ses deux mariages ont été brefs, parce qu'elle ne voulait pas être sous contrôle. Elle se voulait responsable : elle ôtait des tasses quand elles n’étaient pas compatibles et mettait des serviettes rationnellement en tas ; elle cessait de boire quand ça commençait à aller trop loin ; elle a renoncé à posséder des maisons parce qu'elle s’y attachait. De la discipline dans chaque partie de sa vie.
En ce qui concerne cette vie, c'était comme un morceau de terre qu'elle aurait reçu en cadeau, et qu’elle devait cultiver avec concentration et dévouement. La meilleure chose qu'elle pouvait faire était de jouer. Et jouer signifiait qu'elle devait s'exposer aux nerfs à vif ; ou plutôt, mettre à nu le personnage imaginé par quelqu'un d'autre. Sous la surface la plus simple, elle a construit des histoires élaborées, en particulier pour les morceaux qu'elle a acceptés à mesure qu'elle vieillissait. Rien ne serait dit à l'écran explicitement ; mais quand elle a joué, par exemple, la grand-mère solitaire dans "Le temps qui reste" de François Ozon (2005), elle pouvait encore briller avec une histoire secrète de passion satisfaite.
Son amant favori
Cette lueur restait en elle aussi, et beaucoup d'histoire cachée. Elle a résisté à en parler. Le mystère a ajouté à son attrait. Qui étaient ses influences? Un veuf qui lui avait appris des noms de fleurs, un grand-père qui lui avait montré les étoiles. Son directeur préféré ? Vous pourriez également vous demander qui était son amant favori. C'est Buñuel qui remarqua que, en talons, elle marchait un peu instable, comme si elle n'était pas si sûre d'elle-même. Elle a admis que la seule chose dont elle était certaine était ce qu'elle ne voulait pas faire.
Elle savait que ses films ont contribué à une révolution dans le cinéma, en particulier pour représenter des femmes. Et oui, une grande partie de sa vie était en elles, d'une manière ou d'une autre. Mais pourquoi se fixer sur le passé? Quand quelqu'un a demandé si elle regardait ces films, si elle leur prêtait une quelconque attention ... la réponse arrivait de nouveau, avec un rire enfumé, une manière parfaite de rejeter les cheveux, et cette torsion de la mâchoire : c’était non, et non.


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