jeudi 3 août 2017

Des benzodiazépines à la musique classique : désintox




Laurent SAGALOVITSCH - la cinquantaine - est un romancier.
Il tient un blog depuis 2011 (YOU WILL NEVER HATE ALONE). Une centaine de ses textes ont paru sur le site de SLATE.
J’en ai sélectionné trois qui décrivent (en vrai ? aménagé ?) les étapes d’une démarche qu’il dit avoir été la sienne.
Ils sont précédés par un article de LIBÉ, datant de 2012 et qui n’est pas de lui.
Il s’agit ici d’un condensé, à partir d’extraits que j’ai remembrés

Automne 2012 (extraits d’un article de Libération)

La Haute Autorité de Santé s’alarme un peu plus que d’habitude sur la trop forte consommation de somnifères en France chez les personnes âgées : un tiers de cette tranche d’âge en prennent systématiquement.

D’autant qu’une récente étude aggrave ce constat en établissant un risque élevé de démence chez les personnes prenant régulièrement des benzodiazépines (somnifères, anxiolytiques, etc.). estimation : entre 15 000 et 3o 000 malades supplémentaires par an en France. Le résultat principal est globalement le suivant : un consommateur régulier de benzodiazépines a un risque 50% plus élevé de présenter une démence de type Alzheimer dans les quinze ans qui suivent qu’une personne qui n’en consomme pas.

Il ne faut pas semer la panique en diabolisant les benzodiazépines qui demeurent des médicaments utiles et parfois indispensables. L’étude renvoie à des personnes consommant des benzodiazépines sur des périodes longues, souvent des années.

Les recommandations de bonnes pratiques médicales précisent que ce type de médicament ne devrait pas a priori être prescrit plus de deux à quatre semaines. Dans cette étude par ailleurs, on s’est intéressés à des gens qui avaient débuté leur traitement longtemps avant un diagnostic de démence ; il devient ainsi peu probable que les benzodiazépines aient été prescrites à cause des premiers symptômes.


Quatre ans plus tard (dans le blog, en 2016 - 1ère étape)


Je ne sais plus ni quand, ni pourquoi, mais au beau milieu du mois d’avril, j’ai décidé que dorénavant je me passerais d’anxiolytiques. Ce fut, je dois le dire, une décision des plus surprenantes pour moi qui depuis des décennies ne pouvait concevoir l’existence sans avoir recours à ces pilules de survie.
Elles m’étaient devenues indispensables. J’en prenais le matin, à midi, le soir, à chaque âge de ma vie, non pas par poignées entières mais d’une manière calculée et raisonnable, et toujours sous la scrupuleuse surveillance d’un médecin.
Ces pilules me maintenaient avec une rare efficacité au-dessus de la ligne de flottaison et je leur en étais infiniment reconnaissant, je le suis toujours et je reste toujours convaincu de leur parfaite efficacité. Et puis, en avril dernier, j’ai donc décidé qu’il était temps de m’en passer. Ou tout du moins d’essayer. De voir, si je pouvais, en usant d‘une méthode raisonnée, me débarrasser progressivement de leur présence. Je me sentais prêt.
J’en parlais avec un docteur spécialisé, il se montra d’accord. Il ne me laisserait pas tomber. Ce serait un combat difficile. J’allais en baver. En l’espace de cinq mois, je suis parvenu à réduire ma consommation de plus d’un tiers.
Des jours se passent dans le brouillard de pensées éparses et confuses. Des nuits se déroulent dans l’anarchie d’un sommeil incapable de remplir sa fonction de gardien de l’âme.
Et je ne finis pas de m’interroger. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? A toutes ces questions, je n’ai toujours pas de réponses satisfaisantes. Je sais seulement que la vie demeure une lutte de tous les instants où chacun se débrouille comme il peut. Avec ou sans pilules.


Au bout d’une année (dans le même blog, en mai 2017  - 2ème étape)


C'est donc il y a plus d'une année. A cette époque, je prenais huit milligrammes de Valium par jour. J'en consommais de la sorte depuis mes vingt ans.

À chacun son remède. Qui l'alcool, qui la télé, qui le travail, qui la routine de la domesticité, qui Dieu. Et puis un jour, par défi, j'ai décidé d'entreprendre ce fichu sevrage : on me promettait l'enfer. À l'heure où j'écris ces lignes, ma consommation quotidienne de Valium est de 2,3 mg par jour.

Il me reste encore six mois avant d'arriver au bout. Si je n'ai pas vécu à proprement parler l'enfer, pas un jour ne s'est écoulé sans que ce fut difficile.

Je souffrais de trop. À chaque fois que je réduisais mes doses, dans les jours qui suivaient je barbotais dans un désordre mental d'une complexité et d'une sauvagerie folle, je subissais la révolte d'un corps qui, totalement déréglé, me mettait au supplice, j'avais des idées noires. Passé ces jours, je me rétablissais peu à peu : mais c'était alors qu'il me fallait réduire à nouveau ma consommation et retourner dans mon bourbier.

Mon docteur me disait de tenir bon; je tenais bon. Il m'écoutait d'une oreille certes compatissante, mais on lui avait appris à prescrire des anxiolytiques pas à s'en désaccoutumer. Au fond, ce n'était pas vraiment son problème. C'était à moi de m'aider.


Quelques mois plus tard (dans le même blog - 3ème étape - 29 juillet 2017)


Je pensais finir mon existence dans la même parfaite indifférence vis-à-vis de la musique classique. Cancre en la matière j'étais, cancre en la matière je resterais.

J’étais sourd à ce genre de musique. De cette infirmité je n'en étais pas fier ; je me forçais même parfois à en écouter ; au bout de cinq minutes, je baillais d'ennui ; je retournais vers mes musiques adolescentes, celles que j'écoutais depuis toujours : les Smiths, Belle and Sebastian, Cohen, Dylan, Lloyd Cole, Brel, et tant d'autres… Je n'avais jamais mis les pieds dans une salle de concert, je ne possédais aucun disque appartenant à ce répertoire.

Bref, j'avais une culture musicale digne d'un footballeur de bas étage.

Ce n'est que lorsque j'ai entamé mon sevrage aux benzodiazépines que, sans même y prêter attention, j'ai commencé à rechercher la compagnie de cette musique-là.

Comme si mon âme, mon cœur, mon esprit en avait besoin pour m'aider dans cet abandon progressif et mesuré des tranquillisants. Comme si elle avait ce pouvoir d'attendrir mes angoisses, d'envelopper mes peurs sous un voile de pureté et de beauté afin de me rendre l'existence plus douce.
Depuis, elle m'est devenue indispensable. Aurais-je découvert la foi que je n'en serais pas autant bouleversé.

Il me semble que s'ouvre à moi un vaste royaume où où je n'aurai pas assez de mille vies pour épuiser cette richesse, cette splendeur que patiemment, siècle après siècle, des compositeurs ont bâti.

Quel bonheur! Quelle découverte ! Je ne m'y attendais pas.

C'est comme si je venais d'apprendre à lire : je ne sais rien sur rien, je veux tout connaître sur tout.

Désormais mon chat me regarde étrangement, ma compagne s'inquiète pour moi, ma voisine s'interroge sur ce soudain changement, mes amis ne me reconnaissent plus, je m'en moque.



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