dimanche 14 août 2011

Glissando


Marquée par ses origines
Il n’est pas impossible que la station Radio Classique souhaite, dans quelques mois, fêter son trentième anniversaire. Elle a été créée en 1982, à l’époque de l’ouverture de la bande FM, par quelques dissidents de France Musique. Elle a, à ses débuts, partagé sa fréquence avec Radio Latina. Non sans raison, la légende wikipédienne cite également un natif phocéen au tempérament entreprenant et qui n’a pas démenti cette qualification depuis, en revenant dans le monde du tourisme qui a toujours eu ses faveurs.

Il est un nom moins cité à cette occasion, dont il est plus que probable que sa présence a alors façonné la station : Pierre Faurre. Effacé dans son apparence, ouvert dans son écoute, cultivé, mélomane (et bon pianiste si mes sources sont exactes), mais aussi grand décisionnaire, doué et efficace. Les hasards de la vie l’avaient porté à la tête du groupe Sagem, qu’il a redressé et réorienté. Un peu de diversification à vocation culturelle ne lui déplaisant pas, la Sagem se rendra propriétaire du Monde de la Musique, ainsi que de Radio Classique, dont elle sera en quelque sorte un mécène majeur – et les revendra au bout de plusieurs années. Ainsi, la station avançait sur deux pieds : celui de l’information et de la réflexion sur l’économie et les affaires lui attirant des décideurs et des cadres parmi ses auditeurs ; et surtout une grande part du temps consacrée à la musique classique, caractérisée par une présentation sobre et par la qualité de sa sélection.

Culture, convivialité, modernité
Cela fait une dizaine d’années que Pierre Faurre est décédé. Il avait entre temps élargi le cercle de ses activités, non seulement dans le monde des affaires où il était apprécié, mais aussi en fonction de convictions plus générales et de société. La station était déjà passée entre les mains du groupe Expansion et, depuis 2007, elle se trouve dans la galaxie LVMH, pas trop loin des Échos. Après avoir cherché à faire une escapade dans le convivial, il semblerait que, depuis trois ans son étoile du berger soit la vie moderne – à savoir, apporter quelque chose à ceux qui ont soif de détente et de culture. Ce qui s’en est suivi est loin de m’avoir enthousiasmé.

Restons raisonnables. Sous réserve des prochains résultats, l’audience ne s’est pas écroulée. La station qui dispose désormais de 85 fréquences garde ses quelques 150 000 auditeurs d’avance sur France Musique, en cumulé (avez-vous vous écouté cette station au moins une fois aujourd’hui ?), et fait presque un tiers de plus en part de marché (quelle station êtes-vous en train d’écouter maintenant ?) – et on estime même qu’entre 2009 et 2010 elle a un peu progressé.

Dommages collatéraux
Le premier dommage collatéral de cette légitime orientation est un retour marqué au bavardage. Dommage de mon point de vue car je ne fais pas partie des adeptes de France-Culture ou de Radio Notre-Dame (estimation de l’audience à 500 000 et 100 000 respectivement) qui se sentent mieux si quelques voix humaines meublent de temps à autre leur appartement, voire leur inspiration. Radio Classique avait sur France Musique l’inestimable avantage d’échapper à l’étalage de commentaires, anecdotes, aveux qui ne flattent que le narcissisme des pénitents et n’engraissent que leurs confesseurs. Et sans se laisser entraîner par ces mauvaises langues pour qui la musicologie est à la musique ce que la gynécologie est à l’amour, on y respirait enfin l’air avec ses propres poumons.

Las ! Nous voici désormais à la remorque d’une mamie qui recycle le cursus de pédagogie musicale qui lui avait réussi il y a quelques décennies, suivie de baby-boomers – ce genre de pipoles inoxydables qui confondent surfer sur une crête démographique et dans les oreilles des gens – et enfin des néo-quinquas qui se sont mis dans leur roue. Tout y passe, même les festivals de l’été dont on est naturellement condamné à subir le battage à partir du moment où on n’a pas payé sa place, et, à titre d’exemple il y a quelques mois, une rafale de Gershwin (compositeur qui ne me déplaît pas à dose normale – y compris, mais ici sur le plan musical, pour le glissando qui amorce sa Rhapsody in Blue), parce que ça rappelait son enfance au dit présentateur.

L’autre dommage qui vaut à la station mon label mp3 (marteau-pilon à la puissance 3), est le parti pris de la communication (l’auto-pub). En bref : le classique, nous avons les moyens de vous le faire aimer. Cela prend appui sur le nom même Radio Classique qui (1) vous est seriné à cadence soutenue, comme le supplice de la goutte d’eau, (2) avec une intensité qui fait que vous n’y échappez pas et (3) sur un ton qui s’adresse aux cancres tout près des radiateurs. En revanche, je ne me permettrai pas de s’appesantir sur la pub proprement dite – il faut admettre que la station doit se trouver des moyens de vivre – même si une mention spéciale doit être décernée pour le choix des qualificatifs pompeux, pour notamment décrire des produits et évènements relevant de l’offre musicale.

Morceaux choisis
Une initiative – que je trouve heureuse dans son principe mais surprenante quant à ce qu’elle révèle – consiste à permettre aux auditeurs de voter sur le site Internet pour les morceaux qu’ils ont entendu… et à publier la liste des 50 premiers (score entre 6700 et 2800, environ). Précisons qu’il s’agit rarement d’œuvres dans leur entier mais, par exemple, d’un des mouvements d’un concerto. Cette sombre clarté qui nous tombe des étoiles filantes en cette mi-août, nous apprend ceci :

Mozart et Schubert raflent les deux-tiers des suffrages – presque la moitié pour Mozart (22 citations) et 20% pour Schubert (10 citations).
… Et chez Mozart, la concentration est particulièrement forte sur certains extraits : ainsi, parmi les concertos pour piano, 4 fois le 2ème mouvement du n°21 et 3 fois le 2ème du n°23... les interprètes sont bien évidemment différents.
… Chez Schubert, le quintette pour 2 violons, alto et 2 violoncelles apparaît 3 fois (1er mouvement, puis 2ème, puis finale).
… Parmi les 15 compositeurs restants, il n’y en a que trois qui sont cités deux fois : Brahms, Massenet (2 interprétations de la Méditation de Thaïs) et Verdi (2 fois l’ouverture de la Force du Destin).
… Les autres, chacun une seule fois, sont : Bach, Beethoven, Chopin, Chostakovitch, Dvorak, Galuppi, Mendelssohn, Paganini, Rodrigo, Rossini, Scarlatti, Telemann.
… Pas d’œuvres vocales. De la Force du Destin n’a été retenue que l’ouverture. Une exception : Ruhe sanft, mein holdes Lebe (extrait d’un Singspiel inachevé de MozartZaïde, K.344). On est loin de l’enthousiasme apparent que la moindre pub à prétention musicale manifeste de façon répétée pour les équivalents de la Reine de la nuit, qu’elle fait subir en arrière-plan sonore.
… S’agissant des interprètes, c’est l’Orchestre philharmonique de Vienne qui se détache (6 citations pour des œuvres de 4 compositeurs différents) ; l’Orchestre symphonique de Vienne et celui de la Radio de Vienne sont également cités. Puis l'Orchestre symphonique de Berlin (4 citations dont 3 pour Mozart et 1 pour Massenet).

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