mercredi 10 août 2011

A mi-2011 – Cinéma


Ce qui suit résulte d’une relecture de ce qui a été publié au cours du 1er semestre 2011 dans le blog Cinéma : Les bons conseils d’Annie Coppermann. Chaque semaine, celle-ci livre ses coups de cœur et ses coups de griffe sur les films qui sortent en salle. Ce billet fait suite à des billets similaires portant sur l’année 2009 puis sur chacun des deux semestres de 2010. La sélection pourra paraître arbitraire et le compactage – pour rester dans un volume acceptable – en donne parfois une vision déformée : revenir si besoin aux textes originaux :

Selon une habitude que l’on aimerait bien voir davantage partagée, Annie Coppermann présente d’abord le film avant de donner son avis. Dans ce qui suit, la partie relative aux avis apparaît en italiques. Les films ici retenus se succèdent dans l’ordre chronologique de leur sortie en salle, de janvier à juin 2011.

Poupoupidou
De passage dans le Jura, du côté de Mouthe, la ville la plus froide de France – cela se passe en hiver – David (Jean-Paul Rouve), auteur de polars à la chaîne et dont l’inspiration s’épuise, croise un convoi avec un brancard, une jeune femme sans vie : on l’a trouvée enfouie sous la neige, elle se serait suicidée. David décide – malgré l’hostilité de la police – de mener sa propre enquête. Elle, c’est Candice (Sophie Quinton), elle est de Mouthe, a été remarquée et localement lancée par un photographe, est devenue la reine de toutes les fêtes votives, la Miss Météo du coin, et était apparemment aimée de tous. Rencontre de personnes telles que coiffeuse et psy, exploration du logis, journaux intimes. Cette Marilyn des neiges avait aussi son di Maggio, son Arthur Miller… et même son Kennedy – tous présents à son enterrement. Suicide ?

D’emblée, on est séduit. Par un mélange original d’humour, de polar, de tragique, de satire sociale, de chronique rurale, de mystère et d‘amour. Par une construction alternant voix off (celle de la morte !), dialogues parfois joliment loufoques, et flash-back, sur fond de clins d’œil pour cinéphiles. Par le décor. Par les interprètes, tous parfaits. Un petit film frais et goûteux, une bonne surprise, et un vrai plaisir. Réalisateur : Gérald Hustache-Mathieu.

Le discours d’un roi
Nous sommes dans les années 30. Bertie, second fils du roi d’Angleterre Georges V (et père de l’actuelle reine Élisabeth II et de Margaret), est un être falot et complexé, affligé d’un terrible bégaiement – handicap qui résiste à toutes les méthodes réputées infaillibles. C’est normalement à son frère aîné, Édouard, brillant et qui se moque de lui, de monter sur le trône mais… sitôt fait, ce dernier décide d’épouser une américaine divorcée, ayant semble-t-il un penchant en faveur de grands nazis. Scandale, il lui faut abdiquer. Fin 1936, Bertie lui succède sous le nom de George VI et, en cette veille d’apocalypse, se retrouve face aux micros.

Il fait appel à un orthophoniste aux méthodes peu conventionnelles… et ne peut pourtant s’en passer. Au bout d’un nombre incalculable de séances, les blocages se dénouent. L’apothéose de l’histoire et du film, est quand il prononce à la radio, le jour de l’entrée en guerre de l’Angleterre contre l’Allemagne de Hitler – fou furieux au verbe, lui, plus que fluide – un discours immortel qui allait galvaniser soldats et civils.

Il y avait longtemps qu’un film n’avait allié, malgré son grand classicisme apparent, originalité, panache, finesse, émotion et humour, avec autant de bonheur. L’histoire est rigoureusement authentique, la reconstitution historique pratiquement sans fausse note. Geoffrey Rush est savoureux en orthophoniste insolent mais fine mouche, qui parviendra à briser la cuirasse du monarque. Et Colin Firth est époustouflant en bègue parfois éperdu de désespoir mais toujours impassible comme l’exige son rang.

True Grit (on peut traduire par : Avoir du cran)
Un western, un vrai, humour et tendresse en plus, c’est le cadeau des frères Coen. Certes le remake du film tourné il y a quarante-deux ans par Henry Hathaway. Mais c’est aussi, surtout, un film à part entière… Où l’on retrouve tous les ingrédients du western à l’ancienne.

Mattie (Hailee Steinfeld) n’a qu’une idée : venger son père, abattu par son métayer. Pour presque rien. Jamais sortie de chez elle, une plantation de coton à quelque 120 kilomètres de là, elle veut, d’abord, que justice soit faite. Nantie de 100 dollars, elle prend le train. Le métayer s’est sans doute réfugié dans le territoire indien. Elle, va l’y poursuivre. Dans une Amérique des pionniers (nous sommes en 1870), entre puritanisme rigide et bestialité débridée. Pendaisons publiques, transferts collectifs de prisonniers enchaînés, procès à l’emporte-pièce, esclavagisme, racisme, tout y est. Dans des paysages aussi âpres que spectaculaires. Servi par des interprètes d’exception.

Inutile d’insister – et pourtant, je ne vous ai rien dit de la fin, aussi sobre qu’inattendue, d’une émouvante sécheresse, qui donne une dimension supplémentaire à tout ce qui l’a précédée. C’est un pur bonheur !

L’étrange affaire Angelica
Le nouveau film – le 49ème – de Manoel de Oliveira (102 ans, oui oui, et tout son talent !) est une petite merveille de mélancolie fantasque et de grâce. Il raconte les amours d’Isaac, un photographe juif séfarade et d’Angelica, une ravissante jeune mariée catholique. Le premier est réveillé une nuit très pluvieuse par l’émissaire d’une riche famille des environs : il lui faut, toutes affaires cessantes, rejoindre la grande demeure patrimoniale. Pour photographier Angelica. Surprise : toute de blanc vêtue sur la méridienne du salon, la jeune femme est morte. Ravissante, mais morte. Isaac s’exécute sous l’œil inquisiteur de la sœur, religieuse, de la mère, hautaine, et de toute la domesticité de la belle disparue. Qui, le temps d’un cliché, s’anime, ouvre les yeux, et lui sourit

Isaac est par ailleurs dévoré par son travail. Dans les vignobles désormais arpentés par les tracteurs, c’est la poignée d’irréductibles bêcheurs qui l’intéresse. Il mitraille jour après jour les trognes menaçantes de ces vieux paysans, levant leur outil comme une arme aux accents de chants anciens magnifiques. Sur les clichés accrochés à la ficelle, ils encadrent le lumineux visage de la jeune morte. Éperdu d’amour, Isaac ne pense plus qu’à elle. Et le sortilège s’accomplit : une nuit, devant la fenêtre ouverte, Angelica apparaît à Isaac, le rejoint sur son lit, l’enlace et, avec lui, s’envole, dans le noir et blanc d’un rêve à la Méliès, au-dessus du fleuve.

Un conte magnifique. Une méditation envoûtante, et légère, sur la vie, l’amour, l’art, la spiritualité, la mort. Un poème grave qui pourtant sait aussi avoir de l’humour. Impossible de ne pas tomber sous le charme. Et défense d’y voir un film testament !

Pina
Pina Bausch nous a quittés, brutalement, en juin 2009, à 69 ans. Au moment où son compatriote et ami Wim Wenders allait donner le premier tour de manivelle du film auquel ils pensaient ensemble depuis plus de vingt ans et qu’ils préparaient depuis deux ans. Il a d’abord voulu abandonner. La troupe, orpheline, l’en a dissuadé…

La danseuse et le réalisateur avaient choisi ensemble, pour leur film, quatre ballets, Le Sacre du Printemps, Kontakhof, Café Muller et Vollmond. Réalisé en 3 D, le film capte des fragments de spectacles dans l’enceinte du légendaire Ensemble du Tanztheater. Wenders a aussi filmé les danseurs en solos, ou en duos, dans les rues, sous le rail du métro aérien, dans la forêt automnale. On ne voit Pina Bausch qu’à travers quelques vidéos d’archives. Elle y apparaît à la fois mystérieuse – elle ne disait presque rien – exigeante, et étonnamment attentive à ses ouailles, qu’elle connaissait mieux que quiconque. Avec un mot, un regard, elle savait les inciter à aller au-delà d’eux-mêmes. D’où l’étrange beauté de ses spectacles.

Danse, ou théâtre ? Danse et théâtre. Et poésie. Et humour. Et grâce. Film hommage, du réalisateur, et de la troupe, à une chorégraphe irremplaçable, fera bien sûr courir ses fans. Mais devrait, aussi, malgré sa relative austérité, fasciner tous les autres, qu’ils soient ou non amateurs de ballets, qui découvriront, pour exprimer l’amour, la souffrance, la nature, la mort, un véritable vocabulaire du corps, aussi dépouillé qu’émouvant.

HH, Hitler à Hollywood
Un film de Frédéric Sojcher. On se laisse embarquer dans une aventure aussi ludique que folle, toute en trompe-l’œil. Maria de Medeiros, actrice et réalisatrice franco portugaise, a décidé de tourner un documentaire sur Micheline Presle qui, à 88 ans, a tant de souvenirs. Au fil des entretiens, la star évoque le film qu’elle a préféré tourner et… qu’elle n’a jamais pu voir : Je ne vous aime pas. C’était en 1939, Luis Aramchek, un jeune Belge juif qui débutait alors, n’a jamais pu terminer le tournage, la guerre l’a exilé à Londres, où il a fait de la résistance et, à la Libération, les bobines se sont avérées introuvables. Voilà Maria de Medeiros en chasse, qui finit par trouver… la bande annonce d’un autre film d’Aramchek : Hitler à Hollywood. Drôle de titre, non ?

Vérité ? Fiction ? Truffé d’images réelles, dont celles de la conférence de Yalta, où l’on voit, penché sur l’épaule de Roosevelt, un personnage présenté comme le tout puissant représentant de Hollywood dans le monde, ce faux documentaire est un savoureux jeu de piste. Micheline Presle est vraie, comme la plupart de ses formidables souvenirs. Tout comme, à la fin, les réalisateurs, de Wim Wenders à Oliveira, et les comédiens, de Patrick Chesnais à Nathalie Baye lors d’une cérémonie réelle à Cannes. Mais le vaste complot fomenté à Hollywood, à la fin de la guerre, contre le cinéma européen, qu’il s’agissait de tuer dans l’œuf pour imposer, sur nos écrans, exclusivement les productions américaines, est, bien sûr… légèrement exagéré.

Tourné avec beaucoup d’astuce et d’allant, parfois légèrement délirant, mais plein de saveur, qui devrait réjouir tous ceux qui aiment le cinéma, et préfèrent l’originalité, même parfois un peu bancale, de nos films d’auteur aux blockbusters interchangeables de l’industrie hollywoodienne !

Minuit à Paris
Woody Allen : he loves Paris et we love him.
Cela commence par un vrai dépliant touristique sur Paris, en couleurs outrageusement chromo. On a un peu peur… Descendus au Bristol, Gil et sa fiancée Inez (parfaite en peste snob), accompagnés des parents d’icelle. Le futur beau-père respire le conservatisme pur jus, sa fille court les couturiers et les bijouteries de la place Vendôme… On est de moins en moins rassuré. Heureusement, Gil va bientôt s’échapper. C’est au musée Rodin, où une ravissante guide – oui oui, vous le savez déjà, c’est Carla… que le film, de mousseux, devient champagne.

Une antique Peugeot, surgie sur les pavés d’une ruelle en pente juste après les douze coups de minuit, fait le reste : voilà Gil dans le rêve. Et nous, ravis, avec lui… Les personnages de Woody entrent dans le film – celui que se fait tout seul dans ses déambulations un Gil nostalgique du Paris des années folles. La vieille guimbarde avec chauffeur lui en ouvre les portes. Le voici de toutes les fêtes. Cole Porter est au piano, Gertrud Stein accepte de lire son manuscrit, Dali veut le peindre en rhinocéros, Hemingway parle courage et virilité avec le torero Belmonte… Il y a aussi Matisse, auquel Gil aimerait acheter des tableaux, ils sont encore donnés… Et Buñuel… Et Picasso

Seul Woody Allen pouvait oser un tel conte. Retrouver, le temps d’un rêve, le Paris enchanté décrit par Hemingway dans Paris est une fête – et même, le temps d’apercevoir Toulouse Lautrec, celui de la Belle Époque ! Nous faire, ainsi, oublier celui d’aujourd’hui, qu’il n’aime à l’évidence guère. Mais, prestidigitateur aussi lucide que souriant, nous y ramener, in fine, avec sourire et espoir. Rendez vous, une nuit claire, sur le Pont Alexandre III…

Une séparation
Tous deux devant le juge. Elle, Simin, explique qu’elle veut quitter l’Iran, pour que sa fille puisse avoir un avenir meilleur. Lui, Nader, refuse. Obstinément, parce que son père est malade. Alors, Simin demande le divorce. Mais le juge, qu’on ne voit jamais, tranche : c’est non. Ce film venu d’Iran a, cet hiver à Berlin, décroché à la fois l’Ours d’Or pour son réalisateur, Asghar Farhadi, et l’Ours d’Argent de l’interprétation féminine et masculine pour l’ensemble de ses acteurs …

Décor principal, un appartement. Celui de Nader, déserté par Simin. Il y vit avec leur fille de 11 ans et avec son vieux père, atteint de la maladie d’Alzheimer. Une aide-soignante, Razieh, vient avec sa propre fille. Elle est très croyante et s’effondre quand le vieil homme se montre incontinent : peut-elle le laver elle-même ? Pour en avoir l’autorisation, elle appelle son référent religieux… Enceinte, ce qu’elle a caché à son employeur, Razieh a soudain un malaise et part voir un médecin. Laissant le vieil homme seul, ligoté à son lit. Nader le retrouve à terre, inconscient. Le drame est évité de justesse mais la coupable licenciée brutalement. Elle perd son enfant. Et son mari assigne Nader en justice, pour meurtre d’enfant…

Les choses progressent dans une ambiguïté croissante, sous les yeux effarés des deux gamines, témoins des mensonges et reniements de leurs parents respectifs. Filmés dans une magnifique lumière, souvent à travers les vitres, les interprètes semblent jouer leur propre vie. Qui a tort, qui a raison ?

Ni féministe ni macho, ni de gauche ni de droite, mais bien lucide sur une société qui, entre tradition et modernité, étouffe tout le monde, Asghar Farhadi parle de la vieillesse, du remords des enfants devant celle des parents qu’ils ne savent pas gérer, de l’éducation des filles, de la paternité, de la différence de classes, du poids de la religion, de bien d’autres choses encore qui, bien qu’ici montrées en Iran, nous paraissent, très vite universelles. Et savent, dès lors, nous toucher, profondément.

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