lundi 17 janvier 2011

Indignations et commentaires


Le présent billet prend la suite de celui sur le livre Indignez-vous ! de Stéphane Hessel mais pour explorer d’autres facettes. Le point de départ en a été la réaction, le 4 janvier, de Pierre Assouline, auteur du blog La République des livres (RDL), sous le titre : A-t-on le droit de ne pas s’indigner avec Stéphane Hessel ? Loin d’être positive : comme mentionné précédemment, Rue89 y avait surtout vu un reproche sur le manque de contenu et sur une dégoulinade de bons sentiments.

La RDL n’a pas apprécié
Après quelques courbettes de principe sur la courtoisie et la gentillesse de l’homme, ainsi que son incroyable mémoire de la poésie, les couteaux sortent assez rapidement. Un peu voilés lorsque l’on s’interroge si c’est vraiment un livre [ISBN : 978-2-911939-76-1 pourtant]… et donc sur la pertinence de le voir figurer dans la liste des meilleures ventes. Plus enfoncés lorsqu’il est contesté à l’auteur de parler au nom de la Résistance – que ne parle-t-il pas en son nom ? Mais quand il le fait, qu’a-t-il à ne reconnaître d’humanité que chez ceux qui s’indignent et s’engagent ? Serait-ce une vacuité d’humanité que ne pas rejoindre ce cercle ?

La lame étincelle à partir du moment où l’on évoque la Palestine et touche à Israël, pour aboutir à : Manifestement, sa boussole intérieure s’est bloquée sur ce pays honni. Je n’irai pas dans le détail – voir directement à :

(http://passouline.blog.lemonde.fr/2011/01/04/a-t-on-le-droit-de-ne-pas-sindigner-avec-stephane-hessel/)
Le titre de l’article se situant sur le plan du droit, celui de réponse sur ce thème particulier est à peu de choses près respecté : 2 700 caractères sur les 7 000 du billet, contre 3 000 pour le paragraphe correspondant dans l’opuscule, où le texte de Hessel frôle les 24 000.

Changeons de cap
Provisoirement… Autant j’apprécie bonne partie des articles de Pierre Assouline, même si – on vient de l’évoquer – il en colore certains à partir d’une équation qui lui est personnelle, autant ma déception est fréquente lorsque je me hasarde à en explorer les commentaires de visiteurs. Ceux-ci sont régulièrement abondants : en dénombrer entre 100 et 400 est monnaie courante… Le contenu n'en n'est pas moins consternant. Une des particularités, cette fois, est le nombre des commentaires qu’il a suscités : ils se sont propulsés au-delà de 750.

C’est un chiffre assez exceptionnel. Dans ce ciel-là, la stratosphère commence autour de 450. En 2010, pour un total de plus de 240 billets, juste une dizaine y est parvenue. Si on met la barre à 700, long désert depuis le Churchill et De Gaulle, deux écrivains en concurrence (1228, en mars) qui concluait un 1er trimestre assez productif : L’affaire Karski et les droits du romancier (773), Comment Schlomo Sand a réinventé le peuple juif (766), Victor Hugo, Notre-Homme de Paris (723) et Gracq, le fantôme de M. Poirier en rit encore (706).

Cela étant, il semble utile de souligner que la RDL ne jouit plus sur la blogosphère du lustre qui la caractérisait, voici 3 ou 4 ans. Le site Wikio-Sources, qui se targue d’analyser et classer plus de 300 000 blogs ou medias français (
http://www.wikio.fr/blogs/top/general), fournit l’évolution du positionnement de la RDL sur la période 2008-2010, en donnant aussi les scores pour les thèmes littérature et culture.

En 2008, la RDL était le blog n°1 pour la littérature et se situait dans les 50 premiers dans le classement général. L’année suivante, elle a progressivement glissé à la 17ème place pour la littérature, puis à la 43ème en 2010. En ce début 2011, elle est remontée à la 32ème place. Reprenez les chiffres de 2009, 2010 et 2011 ; multipliez-les par 10 : vous aurez une bonne idée de la place dans le classement général. Pour la culture, la situation est bien différente : sur l’ensemble de la période, la RDL oscille entre la 35ème et la 60ème place, sans tendance nette à la hausse ni à la baisse, et se trouve aujourd’hui au 38ème rang.

Certains visiteurs se sont interrogés sur le point de savoir s’il n’y avait pas quelque machiavélisme dans la dramatisation du compte-rendu de l’ouvrage de Stéphane Hessel (ex. : Quels que soient les avis ils auront contribué à faire remonter, momentanément ? le taux de fréquentation de ce blog littéraire… ou encore : Et dites, ça se répercute comment dans votre caisse enregistreuse, de faire du commentaire comme on fait du chiffre ?)

Les commentateurs de blogs
C’est à la dynamique des commentaires que je vais m’arrêter, que je trouve être un phénomène intéressant. J’y avais été sensibilisé grâce à un autre blog, Qu’en disent les philosophes qui, pendant un millier de jours entre 2007 et 2009 avait proposé dans les 600 textes et réflexions, principalement inspirés du programme de terminale, et donné lieu en moyenne à 1 000 visites par billet. Eh bien, à la fin de 2009, les auteurs ont cessé de produire des articles et d’ouvrir aux commentaires – sans pour autant fermer leur blog… Mon intuition est que la diversité et la richesse initiales de ces commentaires s’étaient progressivement vues étouffée par un petit noyau qui s’était mis à occuper le terrain et, finalement, y faisait salon à part (voir mon analyse du 27 décembre 2009). Mais ce qui m’a semblé remarquable est que ce blog a continué d’être assidûment visité : à en lire le compteur, je déduis qu’il a reçu 700 visites par jour en 2010. Ce que confirme cette autre information : au moment où j'écris ces lignes, 20 visiteurs y sont connectés.

(http://jchichegblancbrude.blog.lemonde.fr/)

La RDL, elle, fonctionne à son rythme de croisière et, à défaut de parcourir in extenso ce qu’y déversent les commentateurs, j’ai ici cherché à discerner si un phénomène de concentration autour d’un noyau d’habitués s’y manifestait également. Confortée par de précédents coups de sonde, mon hypothèse était a priori que oui. Cette subite déferlante était néanmoins l’occasion de juger si les manifestants d’un jour bousculeraient cet ordre établi. Déferlante en nombre mais aussi en volume : les commentaires à ce billet font un demi-million de caractères, 20 fois la taille du texte de Stéphane Hessel.

Que le jour recommence et que le jour finisse
L’analyse porte sur les 712 commentaires reçus sur trois jours, depuis le début (mardi 4 à 22 heures) jusqu’au vendredi 8 à 1 heure 30. D’autres ont bien sûr suivi (une cinquantaine), mais sans le même empressement… et lesdits habitués avaient eu le temps de reprendre entre eux leurs causettes en se greffant aux billets suivants, dès le 6 janvier au soir.

Première remarque, les commentateurs peuvent se coucher tard (entre 1 et 2 heures) mais, hors quelques courageux à 7 heures du matin, ne se remettent guère devant l’écran avant 11 heures. C’est à ce moment-là qu’ils s’en donnent à cœur joie jusqu’à 15 heures – temps du déjeuner compris – puis une pointe entre 18 et 19 heures, avant de s’y remettre après le JT, principalement jusqu’à 22 heures.

Deuxième remarque, les 712 commentaires proviennent de quelque chose comme 450 commentateurs. Ce dernier chiffre est approximatif : d’une part, je ne suis pas trop en mesure de faire le tri entre ceux qui apparaissent plusieurs fois sous différents pseudonymes mais, d’autre part, j’ai néanmoins regroupé comme un seul commentateur des signatures très proches (ex. : Zhu en passant et Zhu en passant très vite) – cela ne porte que sur un petit nombre.

Troisième remarque, il existe véritablement un noyau. C’est ainsi que ceux qui se manifestent plus de 10 fois ne représentent que 3% des intervenants… mais 30% des interventions. A l’opposé, ceux qui n’envoient qu’un seul commentaire constituent près de 80% du lot mais guère plus du tiers des interventions. En allant y voir d’un peu plus près, on assiste à de véritables échanges dans la durée, exclusivement au sein du quarté ou quinté gagnant, de préférence vers la fin de l’après-midi ou après le JT.

Quatrième remarque mais dont la portée a ses limites. Puisque cet article a attiré beaucoup plus de monde que les seuls habitués, il était tentant de faire un brin d’investigation, afin de savoir comment les commentateurs occasionnels réagissaient.


Voici, sous toute réserve, comment je m’y suis pris : je ne me suis intéressé qu’à ceux qui ne s’étaient exprimés qu’une seule fois – ce qui éliminait les habitués bavards. Et puisqu’amorce de débat il y avait, je me suis interrogé sur leur éventuel commentaire, en faveur des positions contrastées affichées, soit par Hessel (ex. : Vos “arguments” , franchement pathétiques pour qui a deux sous de bon sens et aucun drapeau hissé au pavillon, pour casser ce livre me donnent simplement envie d’aller l’acheter et de plus remettre les pieds ici…), soit par Assouline (ex. : Merci beaucoup, ouf, ca fait du bien). Cette dernière étape est bien évidemment la plus subjective.

Après a voir mis de côté les commentaires qui n’avaient rien à voir avec ma question, ainsi que ceux que je ne savais pas interpréter ou qui me semblaient neutres, j’ai ventilé le reste, en pondérant à 50% les demi-approbations pour l’un ou pour l’autre.

Ce à quoi je suis parvenu laisse à penser que la balance penche davantage en faveur de Stéphane Hessel, autour de 5 contre 2. Je le redis, ceci n’est qu’un exercice assez improvisé.

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