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Nous avions commencé avec un historien allemand, selon qui l’année
et demi passée par Montesquieu
à travers l’Empire germanique lui avait donné à un avant-goût de ce que
pourrait être une Europe fédérale (billets des 30 et 31 mai).
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Suivi d’un autre historien, britannique, ayant un faible
suffisant pour l’Allemagne au point d’imaginer que si on l’avait laissée gagner
rapidement la 1ère Guerre mondiale l’Europe en serait sortie
prospère et n’aurait pas été tentée par le fascisme ni par le communisme… et
qui a livré récemment un autre scénario où, d’ici une dizaine d’années, cette
même Allemagne serait au cœur d’États-Unis d’Europe – dont les Britanniques et
les Scandinaves se seraient volontairement exclus (billet du 1er
juin).
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Notre 3ème historien est un Polonais, Marek Cichocki,
spécialiste de l’intégration européenne et de l’Allemagne : un entretien
auquel il s’est prêté, pour Gazeta Wyborcza (*) laisse à
penser qu’il considérait alors avec un relatif intérêt le rôle que ce pays voisin de la Pologne assumait ces temps-ci dans
le difficile concert européen.
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Conservateur ? Comme il a été conseiller diplomatique
du président défunt Lech
Kaczynski, ce qui correspond à la réponse spontanée serait : oui –
d’autant que l’article ici présenté date de début novembre 2006. (**) Nuance
pourtant : ledit article est paru dans Tygodnik Powszechny
(L’Hebdomadaire universel – ou général),
considéré d’excellente tenue et qualifié de catholique libéral (***) – et qui pour
cette raison, il s’attire d’ailleurs régulièrement les foudres des catholiques
conservateurs auxquels s’est progressivement ralliée une bonne partie du monde
ecclésiastique polonais.
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(*) On peut lire une traduction en
français de cet entretion, réalisé quelques semaines après le decès tragique de
Lech Kaczynski et de la
centaine de personnes qui l’accompagnaient lorsque l’avion présidentiel s’est
écrasé près de Smolensk – voir le lien suivant :
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(***) Créé en 1945, cet hebdomadaire
a réussi à traverser toute la période communiste, à l’exception des années
1953-56 : à la mort de Staline, il avait refusé d’en publier une nécrologie.
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Quelle est la teneur du propos de Marek Cichocki ?
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Pourquoi
l’UE ? Hier et aujourd’hui
Il rappelle les motivations qui ont conduit à créer la
Communauté européenne, puis de quelle façon elles ont évolué au fur et à mesure
de son élargissement – surtout avec l’arrivée des pays d’Europe centrale et
orientale.
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Pour Robert
Schuman, il s’agissait d’abord de de réconciliation franco-allemande, de
paix, de stabilité et de croissance écnomique. Pour le premier président de la
Commission, l’Allemand Walter
Hallstein, (****)
il fallait se fonder sur la raison et non
sur les émotions… sur le savoir et non sur les mythes.
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(****) Walter Hallstein avait par
ailleurs préconisé une organisation fédérale pour l’Europe – il se vit aussitôt
opposer un veto sur ce point par le général de Gaulle.
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Or, d’une part, les nouveaux États-membres d’Europe centrale
ou orientale n’ont aucune raison de réduire la raison d’être d’une Europe unie
et pacifique à la seule réconciliation franco-allemende et, d’autre part, il
semble que depuis longtemps dans les propos des dirigeants européens les
émotions ont pris le dessus sur la raison – au point que, le préambule du Traité constitutionnel évoque une
communauté de destin et une expérience historique comme étant les liens qui
unissent, et les États-membres ainsi que leurs citoyens. L’auteur remarque que
ce socle en arrive à servir de critère à l’Union européenne (EU) pour juger –
de manière parfois autoritaire – du comportement de ses États-membres, ainsi
que des relations entre eux ou avec des pays tiers.
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Se référer à la
paix de Westphalie ?
On sait que cette paix avait mis fin à la Guerre de 30 ans qui
avait ravagé le centre de l’Europe au cours de la première moitié du 17ème
siècle. Plusieurs princes allemands s’étant rangés du côté de la Réforme
protestante, (*****)
le reste du Saint Empire romain germanique,
mené par les Habsbourg,
a voulu les ramener dans le droit chemin.
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(*****) Ils ont été notamment soutenus
par les Suédois qui étaiens luthériens, et par les Français pour une tout autre
raison : bien que cherchant à mater les protestants sur le territoire
national, Richelieu souhaitait, en Allemagne, contrer les Habsbourg dont il
craignait les visées hégémoniques. Plus tard dans le siècle, Louis XIV fera de
même en ne s’opposant pas à l’Empire ottoman – il fut
particulièrement chagriné que Jean Sobieski, dont il
avait pourtant soutenu la candidature pour devenir roi de Pologne, soit accouru,
en 1683, libérer Vienne qui était
assiégée par les armées turques.
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Conclusion de ce long et tragique épisode, la paix de Westphalie sonne
la fin d’une logique fondée sur la religion et fait entrer l’Europe dans une
nouvelle période : des États souverains, dotés d’un centre de pouvoir et
d’un terrritoire bien définis. L’État-nation ayant failli au 20ème
siècle, on a pu considérer cette période comme intermédiaire, avant d’en
arriver à une UE post-souveraine et supranationale.
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C’est une manière de voir que les Polonais se sentent en
droit de ne pas approuver. A la même époque, ils ont vécu dans une république nobiliaire :
les nobles avaient leur parlement/diète, et élisaient le roi – qui n’était donc
pas héréditaire. La coopération des Polonais avec les Ruthènes, Ukrainiens
Lituaniens… était fondée sur une fédération pacifique entre les peuples et sur
une conception multi-ethnique de la citoyenneté, en symbiose avec la religion,
dans la vie publique.
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Cette situation a duré pendant environ deux siècles jusqu’au
partage de leur pays entre les empires russe, prussien et autrichien en 1795.
Or, si la paix de Westphalie a
instauré une coupure entre l’Église et la politique, on voit ici qu’elle a
conduit à ce que les plus forts se mettent à phagocyter les plus faibles.
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Le partage de la Pologne a duré plus d’un siècle et elle n’a
joui de son indépendance recouvrée en 1918 que pendant une vingtaine d’années,
avant de se retrouver sous la coupe des nazis puis des communistes pour un
demi-siècle. Tout ce qui précède laisse supposer que, vue par les Polonais, la
question de la faillite de l’État-nation ne correspond pas à l’histoire directe
de leur pays.
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Se référer aux
Lumières ?
Les effets de la paix de Westphalie
digérés, on aborde le siècle des Lumières. Il va
de soi que celles-ci peuvent être considérées comme constituant un des
principaux éléments de l’identité européenne. Mais on met trop souvent sous le
boisseau qu’il y a Lumières et Lumières : celles des Français, guidées par la raison,
ne sont ni celles des Britanniques (par la vertu sociale), ni celles des
Américains (par la liberté politique), ni celles des Polonais qui, les premiers
en Europe, sont parvenus à se donner une constitution (en 1791) à forte
composante de républicanisme politique.
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On voit les effets de la cécité sur les différences ici
rappelées : dans le préambule du Traité
constitutionnel de l’Europe, l’absence de références à des valeurs
chrétiennes correspond bien aux Lumières françaises
mais se trouve en contradiction avec les autres.
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Se référer à la 2nde
Guerre mondiale ?
Dans l’histoire de l’Europe, la 2nde
Guerre mondiale succède à une
longue série de conflits – elle apparaît comme la pire, comme suscitée par une
idéologie aberrante, et se caractérise par des destructions massives et par
l’Holocauste. L’intégration européenne est, à cet égard, une réponse
institionnalisée pour en empêcher le retour.
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Mais qu’en est-il pour les pays qui ont vécu, plusieurs
décennies durant, l’expérience du communisme et qui, depuis, rejoignent l’UE.
Évoquer cette expérience donne parfois l’impresssion d’enfreindre un tabou. (******)
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(******) L’auteur pointe certaines
réactions négatives exprimées dans la presse allemande, quand a été évoqué un
projet d’interdire le symbole de la faucille et du marteau au même titre que celui la croix gammée – au motif que ce n’était pas
comparable. Notons incidemment que ce symbole figure dans les armoiries de
l’Autriche, dont l’aigle tient, bien verticalement chacun d’entre-eux entre ses
griffes. Aller au lien :
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L’illustration de ce billet
se compose d’ailleurs d’armoiries de 12 des 27 pays de l’un – de gauche à
droite et de haut en bas :
GB - DK - S - PL
F - NL - D - A
P - E - I - GR.
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Ces pays sont-ils tenus de réciter comme un credo que l’UE
ne peut se justifier que dans l’optique d’une réconciliation
franco-allemande ? Qu’elle apporte une sécurité contre le retour du
nazisme mais qu’il faut se taire, s’agissant de l’idéologie et des pratiques de
l’ère communiste ? Qu’il faut la considérer comme une étape qui prolonge
la dynamique de la paix de Wesphalie ?
Qu’elle n’est héritière que de la seule version à la française des Lumières ?
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Ne vaudrait-il pas mieux remettre en perspective l’acquis
historique communautaire ? Et, peut-être plus difficile encore, reprendre
la réflexion sur les différentes philoophies de l’organisation de l’espace
européen commun, quand on prend conscience que chacune de celles jusqu’ici avancées,
si elle puise dans l’Histoire, cherche aussi à y trouver sa propre
légitimité ?
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