mercredi 30 mai 2012

Montesquieu, Allemagne, fédéralisme (A)

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En ces temps dits de crise, alors que les questions financières et économiques chahutent le présent et menacent le futur de l’Union Européenne (UE), l’ami Till a exhumé pour moi un article du journal allemand Die Zeit datant du début de l’an dernier. Il aborde la question des relations entre les pays de l’UE sous un angle autre que l’image actuellement en vogue d’une Chancelière d’un pays qui se veut responsable et qui dicterait leur marche à suivre à des pays du Sud par trop prodigues : quelle dose de fédéralisme doit-elle être instillée dans le fonctionnement de l’UE ?
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Réunion d’États indépendants ou État fédéral ?
Chacun sait que la question n’est pas neuve. Même si c’est loin d’être l’alpha et l’oméga en la matière, l’article de la version française de Wikipedia ne cache pas que la manière de conduire l'UE a toujours hésité entre une voie où les États conservent l'ensemble de leurs prérogatives et celle, dite fédérale, où une partie de la souveraineté des États lui est déléguée. Dans le premier cas, les décisions communautaires  doivent être prises à l'unanimité – seuls les chefs d'État ayant la légitimité démocratique pour représenter leurs citoyens. Dans le second cas, les institutions doivent représenter directement les citoyens – ce qui relève d’un autre type de prise de décision au sein des institutions.
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Il est intéressant de noter que, passant d’une version de Wikipedia à l’autre, selon la langue choisie, et la structure de l’article et la manière de présenter la question peut sensiblement différer. La version française prend acte que l’UE est, pour une part, une confédération (où des États indépendants délèguent certaines compétences à des organes communs) et, sur d’autres aspects, il y a une entité supérieure aux États, comme dans une fédération. Les Allemands, les Autrichiens et les Belges germanophones donnent à ce type de structure le nom de staatenverbund ce qui revient à penser en termes de gouvernance multi-niveau – les États membres restant néanmoins unitaires (à moins d'être déjà fédéraux comme l'Allemagne, la Belgique ou l'Autriche).
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Montesquieu parcourt l’Europe
Venons-en à l’article que, en janvier 2011, Jürgen Overhoff, historien qui enseigne à l’université de Hambourg a signé dans Die Zeit sur l’influence qu’a eu pour Montesquieu le séjour qu’il a effectué en Allemagne en 1728-29. Qui ne connaît Montesquieu (1689-1755) et son ouvrage L’Esprit des lois (1748) où il a jeté des fondements qui ont servi à la constitution des États modernes ? En soulignant notamment la nécessaire indépendance et le contrôle réciproque des trois pouvoirs : l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire. On sait aussi que sa pensée s’est inspirée de ce qu’il avait découvert au cours de voyages en France et en Europe.
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Ainsi, en Angleterre où, depuis la Glorieuse Révolution de 1688-89, les lois étaient édictées suite à une procédure impliquant des représentants élus des citoyens, le roi et des lords parmi les plus influents (en revanche, pour le 3ème pouvoir – la Justice – il n’y avait pas grand-chose à voir avec la vision idéale qu’il s’en faisait).
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Ce qui reste étonnant est que – alors que l’on dispose des notes et des lettres rédigées au cours de son long voyage à travers le Saint Empire romain germanique – celles-ci n’ont guère été exploitées, même après avoir été imprimées à Bordeaux, un siècle et demi après sa mort… ni d’ailleurs été traduites en allemand. Quand on s’y penche pourtant, on est stupéfait d’y trouver, non seulement un compte rendu fort vivant sur les Allemands, leur culture les paysages et les villes, mais aussi la description d’un régime constitutionnel unique en son genre et susceptible de servir de modèle pour d’autres Nations. Montesquieu y découvre le fédéralisme et le considère comme un des éléments faisant partie de l’héritage constitutionnel pour l’avenir de l’Europe.
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Son chemin à travers l’Allemagne
C'est en avril 1728 qu'il prend la route pour Karlsruhe – ça commence mal : Montesquieu maudit l’état des routes et renonce à remonter sur Hambourg. Il se dirige vers Ratisbonne (Regensburg), ville où, depuis 1663, siège en permanence la Diète d’Empire. Il longe ensuite le Danube en direction de Vienne, résidence séculaire de l’empereur des Habsbourg, puis pique vers Graz, Ljubljana (*) et Trieste, jusqu’à la frontière italienne qu'il atteint pour le Nouvel an de 1729.
(*) Ljubljana est l’actuelle capitale de la Slovénie – cette ville s’appelait alors Laibach.
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Il repart vers le Nord : Munich, Augsbourg, Ludwigsburg, Mannheim, Francfort-sur-le-Main, Bonn, Cologne, Düsseldorf, Münster, Hanovre, Brunswick (Braunschweig) et un crochet par le massif du Harz avant de reprendre le chemin du retour par la Hollande. En octobre 1729 il est de nouveau en France.
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Impressions de voyage
Plus d’un an et demi donc au total, où il a accumulé nombre de remarques étonnantes. Il s’émerveille des paysages du Württemberg, des vignobles du Rhin (il est bordelais d’origine), de la salaison des jambons de Westphalie… Il apprécie le pumpernickel mais tout aussi bien les galeries de peintures de Düsseldorf (des Rubens, des Van Dyck, des Raphael qui s’y trouvaient alors ont depuis migré vers Mannheim ou Munich), la résidence – Nymphenburg – du souverain bavarois, la cathédrale de Cologne en cours de reconstruction, (**) l’Hôtel de ville d’Augsbourg, cité où coexistent, en paix et à parité, catholiques et protestants – chose alors impensable en France. (***)
(**) En fait, pour des questions d’argent et parce que le gothique n’était plus de mode, la construction de la cathédrale de Cologne avait été interrompue au 16ème siècle, même si quelques timides tentatives avaient suivi. La reprise des travaux et l’achèvement attendront le 19ème siècle.
(***) L’édit de Nantes (Henri IV – 1598) avait donné la liberté de culte aux protestants. Ses clauses furent révoquées par étapes successives au cours du 17ème siècle, et de façon définitive en 1685 : le protestantisme devint interdit sur le territoire français – ce qui provoqua un exil massif  de huguenots vers des pays protestants, en Europe et de l’autre côté de l’Atlantique. Même si cette décision fut appliquée de façon progressivement plus souple par les successeurs de Louis XIV, elle ne fut abolie qu’à la Révolution Française.
     Or il faut savoir que, en 1715 – année de la mort de Louis XIV, Montesquieu avait, à 26 ans, épousé une riche protestante… Ses remarques sur le sujet ne viennent donc pas de quelqu’un qui y est indifférent.
     L’auteur de l’article insère une anecdote : pris de fièvre alors qu’il se trouvait justement à Augsbourg, Montesquieu consulte un médecin catholique qui le soigne avec des médicaments d’un médecin protestant – la fièvre tombe en effet mais cet épisode s’achève avec un estomac à son tour détraqué.    
     Rappelons-nous enfin que c’est à Augsbourg, en 1530, que l’empereur Charles Quint, ayant réuni le conseil du Saint Empire romain germanique afin de savoir quelle ligne suivre face à la Réforme protestante, le texte présenté par les luthériens (la Confession d’Augsbourg) fut rejeté.
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Généralement reçu de façon amicale et avec bienveillance, Montesquieu note qu’en Saxe cependant, les habitants sont plus prompts à des réparties qui ne manquent éventuellement pas d’esprit, alors que, en Bavière, demander l’heure qu’il est peut plonger votre vis-à-vis dans une grande perplexité… et demander un verre d’eau faire pouffer de rire : pourquoi pas de la bière comme tout le monde ? Mais, tout compte fait, une fois une certaine réserve passée et la glace rompue, les Allemands lui plaisent.
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Le présent billet se compose de deux parties qui se suivent chronologiquement et dont le titre se termine, respectivement, par (A) et (B).
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Ma maîtrise de la langue allemande étant incertaine, il est recommandé – pour aboutir à une compréhension plus exacte – de se référer au texte original de l’article. Celui-ci est accessible en ligne à l’adresse suivante :
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Ce même texte, découpé en trois parties, a également été publié en France dans le magazine Vocable-Allemand en mars 2011. Je lui suis reconnaissant pour le lexique des principaux mots qui y figure en marge et qui m’a aidé à restituer une interprétation moins approximative que ce que j’en comprenais spontanément.
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La carte s’inspire de celle qui se trouve à l’article de Wikipedia sur le Saint Empire romain germanique en 1648 – donc plusieurs décennies avant le voyage de Montesquieu (1728-29). Elle permet de visualiser le trajet parcouru.
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