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Vers une
République fédérative d’Allemagne ?
Au-delà du réel souci que nous avons constaté d’aller dans
le détail quand il prend des notes, l’intérêt de Montesquieu porte
manifestement sur l’organisation politique complexe qu’il découvre. À la
différence d’une France centralisée, il s’agit d’une structure
constitutionnelle qui laisse une grande liberté aux régions, aux territoires et
à certaines villes qui ne sont pas sous la coupe directe d’un des souverains. (*) Ainsi, la
Bavière, le Württemberg, la Saxe mais aussi Ratisbonne, Augsbourg ou Hambourg,
se comportent presque comme des États souverains, tout en restant membres d’un
même corps politique.
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(*) On distingue les villes d’Empire,
directement rattachées à l’empereur et des villes libres qui n’ont ni impôt à
verser ni troupe à fournir à l’empereur
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Quel nom donner à tout cela, se demande-t-il. Membre
respectable de la noblesse, il est invité à dîner chez des maires, des
ministres de haut rang, voire des souverains et pas des moindres. Ce qui lui
est dit l’aide ainsi à comprendre que cette manière de faire est
l’aboutissement d’un chemin sinueux au fil de l’Histoire. C’est à partir des
cinq grands duchés qui existaient au Moyen-âge (Bavière, Souabe, Lorraine,
Franconie, Saxe) que le pays allemand est progressivement devenu un tout.
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Pas de monarque héréditaire mais un empereur qui, depuis le
13ème siècle est désigné par 7 (puis 9) souverains. Afin de parvenir
à ce que tous s’entendent – et ce et jusque y compris le souverain le moins
puissant ainsi que les villes – l’empereur réunit régulièrement les
représentants de chacune des parties à l’Hôtel de ville de Ratisbonne en vue de
trouver une position commune pour chacun des points litigieux. La Diète
d’Empire de Ratisbonne, se dit alors Montesquieu, incarne d’une certaine façon
une séparation entre le pouvoir impérial et celui sous l’égide des territoires
et villes rassemblées. Et d’admirer comment ce gouvernement fonctionne en
douceur.
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Ce qui ne veut pas die que cette manière de faire n’a pas
été l’objet de critiques. Montesquieu avait eu connaissance de la traduction en
français de l’ouvrage datant de 1667, d’un spécialiste du droit public – Samuel
von Pufendorf – qui voyait en l’Allemagne une alliance assez lâche et non
l’expression d’un État souverain. Par ailleurs, le 1er ministre du
Brunswick lui avait signalé un problème récent : depuis 1701, l’armée du
Royaume de Prusse était en croissance continue – ce qui représentait un facteur
d’imprévisibilité. Et le roi Frédéric Guillaume 1er y exerçait, de
façon tyrannique, un pouvoir centralisateur.
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Montesquieu, qui ne se prend pas pour un devin, se garde
d’en juger. Et, au moment où il quitte – à regret semble-t-il – l’Allemagne, il
est persuadé que, en dépit des objections mentionnées, l’Empire a trouvé sa
voie vers une organisation étatique articulée sur deux niveaux : si l’on
parvient à maîtriser la Prusse allemande et si l’on accorde aux sujets des
principautés des libertés comparables à celles dont on bénéficie dans les
villes, on aura un État qui sera l’exemple-type selon les principes d’une
organisation confédérée. Ce qu’il décrira explicitement plus tard comme la
République fédérative d’Allemagne dans L’Esprit des lois. N’est-ce
pas ce que – dans une traduction un peu libre – on pourrait désigner comme la
Bundesrepublik Deutschland ? À savoir la RFA.
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Les échos de l’Histoire – aux USA, en RFA. Pour l’UE ?
Le concept est nouveau. Il est de portée historique.
Lorsque, en 1776, les colonies britanniques d’Amérique du Nord se sont
détachées de leur contrée d’origine et se sont rassemblées pour devenir les
États-Unis, le juriste et homme politique James Madison a dit avoir trouvé,
dans les écrits de Montesquieu, comme un oracle : dans L’Esprit
des lois (1748), le passage sur l’Allemagne l’avait particulièrement
intéressé. Et quand, en 1786, il eut à rédiger cette Constitution qui a
transformé une confédération assez lâche d’États en une Union, il s’est inspiré
de l’organisation prévalant dans l’Empire germanique – époustouflant contrecoup
de l’Histoire.
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Au cours des deux derniers siècles, l’ancien Empire a connu
une évolution que l’historien et écrivain Albert Funk décrit de façon
fascinante dans sa Petite Histoire du fédéralisme
(Kleine
Geschichte des Föderalismus) et a abouti, pour les régions et le
villes qui en faisaient encore partie, à la RFA. En mettant entre parenthèses les deux épisodes bien
connus [ce qui ne semble pas une raison pour en sous-estimer la signification] du national-socialisme et de la RDA, il conclut que l’Allemagne est
restée constamment fidèle aux principes du fédéralisme.
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L’Europe doit-elle devenir un jour une véritable fédération
comme Montesquieu en avait explicitement exprimé le vœu dans une lettre au 1er
ministre du Brunswick ? On n’en n’est pas encore là. Il se peut que son
édifiant oracle pousse, à l’avenir, nos hommes politiques à s’interroger plus
fréquemment à ce sujet.
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Le présent
billet se compose de deux parties qui se suivent chronologiquement et dont le
titre se termine, respectivement, par (A) et (B).
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Ma
maîtrise de la langue allemande étant incertaine, il est recommandé – pour
aboutir à une compréhension plus exacte – de se référer au texte original de
l’article en allemand. Celui-ci est accessible en ligne à l’adresse
suivante :
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Ce même
texte, découpé en trois parties, a également été publié en France dans le
magazine Vocable-Allemand au cours de mars 2011. Je lui
suis reconnaissant pour le lexique des principaux mots qui y figure en marge et
qui m’a aidé à restituer une interprétation moins approximative que ce que j’en
comprenais spontanément.
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La carte
s’inspire de celle qui se trouve à l’article de Wikipedia sur le Saint Empire
romain germanique en 1789 – donc plusieurs décennies après le voyage de Montesquieu
(1728-29). Elle permet de visualiser le morcellement de l’Empire.
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