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En ces temps dits de crise, alors que les questions
financières et économiques chahutent le présent et menacent le futur de l’Union
Européenne (UE), l’ami Till a exhumé pour moi un article du journal allemand Die
Zeit datant du début de l’an dernier. Il aborde la question des
relations entre les pays de l’UE sous un angle autre que l’image actuellement
en vogue d’une Chancelière d’un pays qui se veut responsable et qui dicterait
leur marche à suivre à des pays du Sud par trop prodigues : quelle dose de
fédéralisme doit-elle être instillée dans le fonctionnement de l’UE ?
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Réunion d’États indépendants ou État fédéral ?
Chacun sait que la question n’est pas neuve. Même si c’est
loin d’être l’alpha et l’oméga en la matière, l’article de la version française
de Wikipedia ne cache pas que la manière de conduire l'UE a toujours
hésité entre une voie où les États conservent l'ensemble de leurs prérogatives
et celle, dite fédérale, où une partie de la souveraineté des États lui est
déléguée. Dans le premier cas, les décisions communautaires doivent être prises à l'unanimité – seuls les
chefs d'État ayant la légitimité démocratique pour représenter leurs citoyens.
Dans le second cas, les institutions doivent représenter directement les
citoyens – ce qui relève d’un autre type de prise de décision au sein des
institutions.
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Il est intéressant de noter que,
passant d’une version de Wikipedia à l’autre, selon la langue choisie, et la
structure de l’article et la manière de présenter la question peut sensiblement
différer. La version française prend acte que l’UE est, pour une part, une
confédération (où des États indépendants délèguent certaines compétences à des
organes communs) et, sur d’autres aspects, il y a une entité supérieure aux
États, comme dans une fédération. Les Allemands, les Autrichiens et les Belges
germanophones donnent à ce type de structure le nom de staatenverbund ce qui revient à penser en termes
de gouvernance multi-niveau – les États membres restant néanmoins unitaires (à
moins d'être déjà fédéraux comme l'Allemagne, la Belgique ou l'Autriche).
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Montesquieu
parcourt l’Europe
Venons-en à l’article que, en janvier 2011, Jürgen Overhoff,
historien qui enseigne à l’université de Hambourg a signé dans Die
Zeit sur l’influence qu’a eu pour Montesquieu le séjour qu’il a
effectué en Allemagne en 1728-29. Qui ne connaît Montesquieu (1689-1755) et son
ouvrage L’Esprit
des lois (1748) où il a jeté des fondements qui ont servi à la
constitution des États modernes ? En soulignant notamment la nécessaire
indépendance et le contrôle réciproque des trois pouvoirs : l’Exécutif, le
Législatif et le Judiciaire. On sait aussi que sa pensée s’est inspirée de ce
qu’il avait découvert au cours de voyages en France et en Europe.
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Ainsi, en Angleterre où, depuis la Glorieuse Révolution
de 1688-89, les lois étaient édictées suite à une procédure impliquant des
représentants élus des citoyens, le roi et des lords parmi les plus influents
(en revanche, pour le 3ème pouvoir – la Justice – il n’y avait pas
grand-chose à voir avec la vision idéale qu’il s’en faisait).
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Ce qui reste étonnant est que – alors que l’on dispose des
notes et des lettres rédigées au cours de son long voyage à travers le Saint Empire
romain germanique – celles-ci n’ont guère été exploitées, même après avoir été
imprimées à Bordeaux, un siècle et demi après sa mort… ni d’ailleurs été
traduites en allemand. Quand on s’y penche pourtant, on est stupéfait d’y
trouver, non seulement un compte rendu fort vivant sur les Allemands, leur
culture les paysages et les villes, mais aussi la description d’un régime
constitutionnel unique en son genre et susceptible de servir de modèle pour
d’autres Nations. Montesquieu y découvre le fédéralisme et le considère comme un des
éléments faisant partie de l’héritage constitutionnel pour l’avenir de
l’Europe.
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Son chemin à travers l’Allemagne
C'est en avril 1728 qu'il prend la route pour Karlsruhe –
ça commence mal : Montesquieu maudit l’état des routes et renonce à
remonter sur Hambourg. Il se dirige vers Ratisbonne (Regensburg), ville où,
depuis 1663, siège en permanence la Diète d’Empire. Il longe ensuite le Danube en
direction de Vienne, résidence séculaire de l’empereur des Habsbourg, puis pique vers
Graz, Ljubljana (*)
et Trieste, jusqu’à la frontière italienne qu'il atteint pour le Nouvel an de 1729.
(*) Ljubljana
est l’actuelle capitale de la Slovénie – cette ville s’appelait alors Laibach.
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Il repart vers le Nord : Munich, Augsbourg,
Ludwigsburg, Mannheim, Francfort-sur-le-Main, Bonn, Cologne, Düsseldorf,
Münster, Hanovre, Brunswick (Braunschweig) et un crochet par le massif du Harz
avant de reprendre le chemin du retour par la Hollande. En octobre 1729 il est
de nouveau en France.
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Impressions de voyage
Plus d’un an et demi donc au total, où il a accumulé nombre
de remarques étonnantes. Il s’émerveille des paysages du Württemberg, des
vignobles du Rhin (il est bordelais d’origine), de la salaison des jambons de
Westphalie… Il apprécie le pumpernickel mais tout aussi
bien les galeries de peintures de Düsseldorf (des Rubens, des Van Dyck, des
Raphael qui s’y trouvaient alors ont depuis migré vers Mannheim ou Munich), la
résidence – Nymphenburg – du souverain bavarois, la cathédrale de Cologne en
cours de reconstruction, (**)
l’Hôtel de ville d’Augsbourg, cité où coexistent, en paix et à
parité, catholiques et protestants – chose alors impensable en France. (***)
(**) En fait, pour
des questions d’argent et parce que le gothique n’était plus de mode, la
construction de la cathédrale de Cologne avait été interrompue au 16ème siècle, même si quelques
timides tentatives avaient suivi. La reprise des travaux et l’achèvement
attendront le 19ème siècle.
(***) L’édit
de Nantes (Henri IV – 1598) avait donné la liberté de culte aux protestants.
Ses clauses furent révoquées par étapes successives au cours du 17ème
siècle, et de façon définitive en 1685 : le protestantisme devint interdit
sur le territoire français – ce qui provoqua un exil massif de huguenots vers des pays protestants, en
Europe et de l’autre côté de l’Atlantique. Même si cette décision fut appliquée
de façon progressivement plus souple par les successeurs de Louis XIV, elle ne
fut abolie qu’à la Révolution Française.
Or il faut savoir que, en 1715 – année de la
mort de Louis XIV, Montesquieu avait, à 26 ans, épousé une riche protestante…
Ses remarques sur le sujet ne viennent donc pas de quelqu’un qui y est
indifférent.
L’auteur
de l’article insère une anecdote : pris de fièvre alors qu’il se trouvait
justement à Augsbourg, Montesquieu consulte un médecin catholique qui le soigne
avec des médicaments d’un médecin protestant – la fièvre tombe en effet mais
cet épisode s’achève avec un estomac à son tour détraqué.
Rappelons-nous
enfin que c’est à Augsbourg, en 1530, que l’empereur Charles Quint, ayant réuni le
conseil du Saint Empire romain germanique afin de savoir quelle ligne suivre
face à la Réforme protestante, le texte présenté par les luthériens (la
Confession d’Augsbourg) fut rejeté.
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Généralement reçu de façon amicale et avec bienveillance,
Montesquieu note qu’en Saxe cependant, les habitants sont plus prompts à des
réparties qui ne manquent éventuellement pas d’esprit, alors que, en Bavière,
demander l’heure qu’il est peut plonger votre vis-à-vis dans une grande
perplexité… et demander un verre d’eau faire pouffer de rire : pourquoi
pas de la bière comme tout le monde ? Mais, tout compte fait, une fois une
certaine réserve passée et la glace rompue, les Allemands lui plaisent.
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Le présent
billet se compose de deux parties qui se suivent chronologiquement et dont le
titre se termine, respectivement, par (A) et (B).
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Ma
maîtrise de la langue allemande étant incertaine, il est recommandé – pour
aboutir à une compréhension plus exacte – de se référer au texte original de
l’article. Celui-ci est accessible en ligne à l’adresse
suivante :
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Ce même
texte, découpé en trois parties, a également été publié en France dans le
magazine Vocable-Allemand en mars 2011. Je lui
suis reconnaissant pour le lexique des principaux mots qui y figure en marge et
qui m’a aidé à restituer une interprétation moins approximative que ce que j’en
comprenais spontanément.
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La carte
s’inspire de celle qui se trouve à l’article de Wikipedia sur le Saint Empire
romain germanique en 1648 – donc plusieurs décennies avant le voyage de
Montesquieu (1728-29). Elle permet de visualiser le trajet parcouru.
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