Das Trinkgeld
ist eine Anerkennung für guten Service – oder? Forscher der Universität
Frankfurt haben jetzt herausgefunden, dass ganz andere Faktoren eine Rolle
spielen. Etwa, mit wem man beim Essen sitzt.
Über Geld spricht man einer Redewendung zufolge bekanntlich
nicht. Ähnlich ist es auch beim Trinkgeld, das in Deutschland von einer
Vielzahl von Konventionen bestimmt wird. Diese sind aber nicht eindeutig
definiert – und sorgen damit oft für Irritationen. Dies haben Forscher im
Fach Wirtschaftssoziologie an der Universität Frankfurt herausgefunden.
Das fängt schon damit an, dass keiner genau weiß, was das
Servicepersonal in Restaurants oder Bars an Trinkgeld bekommt. Fragt man die
Empfänger, dann gehen diese von zehn Prozent aus. Die Gebenden wiederum
sprechen gerne von fünf bis zehn Prozent – oder runden mit einem freundlichen
„Stimmt so“ einfach auf.
Unter Anleitung von Professor Christian Stegbauer haben
Studierende in einem Forschungsseminar in ausführlichen Interviews rund 40
Kellner und Gäste befragt. Dabei wurde Wert auf einen Querschnitt gelegt –
vom Café über die Bar bis zum teuren Restaurant.
Schwerpunkt war dabei, wonach sich die Gäste beim Trinkgeld
richten. „Das hat oft nichts mit der Qualität des Restaurants zu tun. Es geht
vielmehr um die Beziehung der Gäste untereinander“, sagt Stegbauer.
So hat das Seminar festgestellt, dass sich Gruppen beim
Trinkgeld stark aneinander orientieren. Jede Gruppe entwickelt dabei ihr
eigenes Ritual. Wenn man sich einigermaßen gut kennt, legt man beim Zahlen
oft zusammen. Bei der Höhe des Trinkgelds wird dann geschaut, wer was gibt.
Diskutiert wird über die Höhe des Trinkgelds aber meist nur, wenn die
Beziehungen wie etwa unter guten Freunden oder in der Familie sehr eng sind.
Ganz schlecht kommt an, wenn zum Beispiel unter
Arbeitskollegen der Chef weniger Trinkgeld gibt als seine Untergebenen. Das
kann dann auch noch am Tag danach für viel Gesprächsstoff im Betrieb sorgen –
so ein weiteres Ergebnis aus den Interviews.
Der Einfluss der Gruppe scheint beim Trinkgeld also immens.
„Wenn man großzügig sein will, muss man nur die eigene Gruppe übertrumpfen
und sonst niemanden“, sagt Stegbauer. Verblüffend sei, dass viele dennoch
behaupteten, sie ließen sich beim Trinkgeld vom eigenen Umfeld nicht
beeinflussen.
Nicht verwunderlich ist dagegen, dass beim ersten romantischen
Date besonders viel Trinkgeld fließt. Schließlich geht es darum, bei der
Partnerin oder dem Partner im Restaurant einen guten Eindruck zu
hinterlassen.
Daneben ist das Trinkgeld aber immer auch ein wichtiges Signal
in der Kommunikation zwischen Gast und Servicekraft. Der Flirt-Faktor kann
laut Seminar bei den Geschlechtern in beiden Richtungen eine Rolle spielen:
Auf Körperkontakt sei ein Gast aus, wenn er der Bedienung das Geld in die
Tasche stecke. Den Faktor könnten sich auch Kellnerinnen mit bestimmter
Kleidung und entsprechendem Lächeln zunutze machen, hieß es.
Manchmal sogar mit Anweisung, wie die Interviewer
herausgefunden haben: Eine weibliche Servicekraft wurde demnach von einem
Wirt dazu angehalten, den älteren Herrschaften doch immer wieder mal den Arm
auf die Schulter zu legen. Aber auch Kellner könnten beim weiblichen
Geschlecht einiges an Trinkgeld herausholen.
Das Trinkgeld kann neben einem adäquaten Service zudem auch
der gerechte Lohn für ein prima Essen sein. „Vieles wird dabei auf den
Geldbetrag reduziert“, sagt Stegbauer. Soll heißen: Gesprochen wird über die
Qualität des Essens meist nicht so gern mit der Servicekraft – vor allem wenn
es schlecht war. „Selten wird da die Wahrheit gesagt“, weiß der Soziologe.
Wo landet aber letztlich das Trinkgeld? Nur bei der Servicekraft
oder am Ende doch beim Wirt? Das Seminar hat in den Interviews alle möglichen
Formen gefunden. Oft wird das Geld auch mit der Küche geteilt.
Trinkgelder gelten, wenn sie als Anerkennung des Services ans
Personal gehen, als steuerfrei. Wenn es nicht so üppig ausfällt, ist es für
die Servicekräfte aber immer auch Anlass, über die Gäste zu lästern. Auch
dies ist ein Ergebnis der Studie.
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Donner un pourboire c’est en
reconnaissance d’un bon service - non ? Des chercheurs de l'Université de
Francfort viennent de découvrir que des facteurs très différents y jouent un
rôle. Par exemple, selon avec qui vous êtes assis en mangeant.
L'argent, on n’en parle pas - c’est bien connu. Il en va de
même pour les pourboires qui, en Allemagne, sont déterminés par une
multitude de conventions. Celles-ci ne sont pourtant pas clairement
définies - ce qui est parfois énervant. C’est ce qu’ont découvert
des chercheurs en sociologie de l’économie de l’Université de Francfort.
D’abord, personne ne sait précisément ce que personnel en
service dans les restaurants ou dans les bars reçoit à titre de
pourboire. Si vous le demandez aux bénéficiaires, ils vous disent
que c’est plus que 10%. Ceux qui donnent, quant à eux, préfèrent
parler de cinq à dix pour cent - ou bien simplement d’arrondir
le montant, acccompagné d’un sympathique C’est bon comme ça (gardez la
monnaie).
Sous la direction du professeur Christian Stegbauer, des
étudiants qui participaient à un séminaire de recherche ont interrogé une
quarantaine de serveurs et de clients au cours d'entretiens approfondis.
Au cours de ce sondage, on s’est attaché à avoir un échatillon représentatif
- en allant du café au bar puis un restaurant cher.
L'accent a été mis sur le jugement que porte le client sut le
pourboire. Selon Stegbauer : Cela n’a souvent rien à voir avec la
qualité du restaurant. Il s’agit plutôt de la relation qui s’est établie
entre les clients.
Ce travail a ainsi permis de constater que les groupes ont une
attitude fortement marquée sur ce sujet. Chaque groupe développe son propre
rituel. Quand on se connaît assez bien, on met souvent des consommations
en commun. On examine ensuite quel sera le montant du pourboire pour savoir
qui donne quoi. En fait, le montant du pourboire n'est généralement
discuté que si les relations sont très étroites, par exemple entre de bons
amis ou en famille.
Il est assez mal vu que, par exemple entre collègues de
travail, le chef donne moins de pourboire que ses subordonnés. Un des
conclusions des entretiens est que cela peut se traduire le lendemain par bon
nombre de commentaires au sein de l'entreprise.
L'influence du groupe semble donc considérable en ce qui
concerne les pourboires. Si vous voulez être généreux, il vous suffit
d’être le seul à surpasser votre propre groupe, déclare Stegbauer. Il est
ainsi surprenant que beaucoup prétendent encore ne pas se laisser influencer
par leur propre environnement.
Il n’est en revanche pas étonnant qu’à l’occasion d’un
premier rendez-vous romantique le montant du pourboire soit particulièrement
élevé. Ne s’agit-il pas, au fond, de laisser une bonne impression à la ou
au partenaire dans ce restaurant. ?
Par ailleurs, le pourboire est toujours un signal important
dans la communication entre le client et le personnel. Une des
conclusions de l’étude est que le facteur flirt peut jouer un rôle
entre sexes - dans un sens comme dans l’autre : il s’établit un contact physique
si le client met l'argent dans la poche de la serveuse. Ce facteur - a-t-on
dit - peut également être mis en oeuvre par les serveuses selon leur vêtement
et le sourire qui va avec.
C’est parfois même une consigne, comme les enquêteurs l'ont
découvert : un patron a ainsi exhorté une servante à mettre systématiquement
son bras sur l'épaule des vieux messieurs. De même des serveurs arriveraient
à soutirer des pourboires de la part des femmes.
Le pourboire peut aller au-delà d’un service adéquat ainsi que
du juste prix d’un bon repas. Pour une bonne part, on se limitera au
montant de l'addition, déclare Stegbauer. En d'autres termes, les gens
n’ont pas beaucoup tendance à parler de la qualité de la nourriture avec le
personnel de service - surtout si c'était mauvais. On dit rarement la
vérité , dit le sociologue.
Dans poche de qui va le pourboire ? Seulement celle du
personnel ou, finalement, dans celle du patron ? A cours des interviews, on a
rencontré tous les cas. Souvent, l'argent est également partagé avec la
cuisine.
Encore une conclusion de
l'étude : Comme les pourboires sont considérés comme exempts d’impôt s’ils
sont adressés au personnel à titre de reconnaissance d’un service, et au cas
où il n’est pas très généreux, c’est au moins une occasion pour le
personnel de service de maudire les invités.
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mercredi 19 décembre 2018
Le pourboire - mode d'emploi
À mi-juin de cette année 2018, DIE WELT a rendu compte, sous la plume de Thomas
Maier, d'une étude universitaire qui a été faite sur la pratique du pourboire. J'en donne une traduction des plus approximatives : se référer prioritairement au texte original.
jeudi 6 décembre 2018
Livres, aiguillages et ripaille
Cela fait un mois, 9 novembre, une mésaventure due à
une erreur d'aiguillage a obligé un train à revenir en gare de Lyon, à Paris.
Et pas n'importe lequel, car ce train était celui qui conduit chaque année le
cortège d'auteurs et de journalistes à la Foire du livre de
Brive-la-Gaillarde.
Pourtant, ce convoi spécial était bien parti à 9h31 -l'heure
annoncée- de la gare de Lyon.
Mais un peu moins d'une heure après le départ, le
contrôleur a annoncé aux passagers du train:
Ne riez pas, il y a eu une
erreur d'aiguillage...
Le train s'est alors arrêté et a été contraint de
revenir en gare de Lyon le temps de corriger l'aiguillage.
Finalement, le train des auteurs est arrivé en gare de
Brive-la-Gaillarde avec plus d'une heure de retard sur l'horaire prévu.
Cette
mésaventure pourrait coûter cher à la SNCF. La loi dispose qu'au delà de 60
minutes de retard prévisible, les voyageurs peuvent demander un dédommagement.
La Ville de Brive-la-Gaillarde, organisatrice de la Foire du livre depuis 1973,
va voir son organisation bousculée par ce retard et pourrait par conséquent
demander un remboursement.
C'est une première dans l'histoire de la foire a déclaré François David,
commissaire de la Foire.
Présent dans le train, il est venu saluer les
participants et les rassurer à travers les allées.
Mais ce retard n'a en
réalité fait que prolonger un voyage devenu traditionnel grâce à ses coutumes
épicuriennes uniques depuis 1985.
Pendant tout le trajet, des repas régionaux
sont distribués aux participants et les liqueurs coulent à flots... dès 9
heures du matin.
Ce qui lui a valu le surnom de train du cholestérol
(appellation que l’on attribue à Bernard Pivot)
mercredi 21 novembre 2018
Restauration d'enluminure
Souvent, avant de rentrer le soir, elle faisait
un détour pour aller voir François, le restaurateur de manuscrits.
Elle se penchait sur des dessins de vierges
bleues dont le visage pâle la regardait.
Des feuilles d’acanthe s’enlaçaient parfois
dans leurs cheveux.
Puis elle scrutait les arabesques des
enluminures qui dessinaient des lettres aériennes.
François savait raviver leurs couleurs,
redonner de la fraîcheur à des peintures ternies par le temps.
Il lui détaillait la souplesse des parchemins,
lui découvrait la finesse du trait qui réapparaissait au gré de ses
interventions.
Elle comprenait la lenteur, admirait ces
artistes sans nom qui mettaient des visages sur des mots calligraphiés avec des
volutes singulières qui lui citaient Voltaire : l’écriture est la peinture de
la voix.
Alors, elle se penchait pour les entendre, si
près que, parfois, il la tirait en arrière, les mains sur ses épaules, sur ses
joues, vers sa bouche qu’il ne touchait jamais, comme s’il voulait la sauver de
la noyade, l’éloigner d’un fleuve sur les rives duquel ils avançaient, dans
cette partie sombre du sous-sol que les bruits et les autres avaient depuis
longtemps désertée.
Un jour, il lui montra une enluminure sur
laquelle il effectuait une restauration difficile.
Il n’était pas venu la voir depuis trois jours
déjà.
Elle s’aperçut qu’il lui avait manqué quand
elle le suivit. Il avait une nuque puissante partagée par une ligne profonde.
La miniature représentait Mélusine allaitant :
une femme nue à la queue de poisson, prise entre les barreaux de colonnes
graciles qui soutenaient créneaux et tours d’un château.
On devinait son sein. Au fond, il y avait un
lit.
Ce soir-là, ils allèrent au restaurant et chez
elle.
Il la caressa longtemps, avec minutie, comme
s’il retirait des couches de couleur sur son corps.
Elle se laissait faire, le souffle court et,
quand elle lui demanda de prendre sur son bureau un pinceau pour la caresser au
creux de ses jambes, il sourit, conquis par cette audace, qui la courba dans
ses bras.
Elle pensa à son double de peinture. Elle
n’avait jamais rien ressenti de pareil.
Cette enluminure semble être extraite du codex
Manesse (nom d’une famille de patriciens de Zurich) - qui est un recueil de
poésies courtoises compilées au 14ème siècle et qui est depuis conservé à
Heidelberg.
La poésie courtoise des troubadours a pris
naissance vers le 11ème siècle dans les pays de langue d’oc, puis s’est répandu
vers les pays de langue d’oïl avec les trouvères et la chanson de geste, et à
l’Europe tout entière. Ce recueil qui contient aussi 137 enluminures fut
publié quatre siècles plus tard.
La présente image est la planche 249 du
recueil, associée à des poèmes du 13ème siècle, de Konrad von Altstetten,
ménestrel issu d’une famille seigneuriale (vers 1400). alors que ce document
est attesté, certains rattachent aussi l’image au Perceval du Conte du Graal
(composé à la fin du 12ème siècle), la femme se penchant vers lui pouvant être
Blancheflor, Ultime interprétation : le faucon pourrait, comme un double,
symboliser Perceval et faire le lien avec l’épisode des trois taches de sang.
mercredi 24 octobre 2018
Traduire
Entretien avec André Markowicz (né en 1960 à Prague) avec Cécile Bouanchaud, paru en mars 2018 dans Le Monde (à l’occasion du Salon du Livre où la Russie était à l’honneur).
Le traducteur André
Markowicz, qui a re-traduit tout Fiodor Dostoïevski (1821-1881), est un
passeur de la littérature russe en France ; il revient sur son travail et
l’impossibilité de traduire une œuvre « dans l’absolu », emmenant ainsi
le lecteur « entre deux mondes ».
Le premier principe, c’est
qu’il n’y a pas de principe. Si je devais en trouver, je dirai que c’est rendre
sensible à autrui la lecture que je fais d’un texte. C’est une lecture
appliquée, la traduction doit rendre compte de la structure du texte et doit
prendre en compte tous les éléments de cette construction, c’est
particulièrement vrai pour le style. Traduire, c’est rendre compte de la
matérialité de la langue.
Les textes que je traduis
n’ont pas été pensés en langue française, donc ils ne doivent pas répondre à
des règles d’une langue littéraire française préétablies. La traduction est un
exercice d’accueil et d’enrichissement des possibilités de la langue française.
On ne peut pas juger un texte traduit en fonction de lois qui ne sont pas les
siennes.
C’est pour cela que j’ai
traduit les œuvres complètes de Dostoïevski, pour que le lecteur puisse
s’habituer, qu’il comprenne que ce n’est pas la langue de San Antonio, par
exemple, et qu’il n’y a pas à comparer. C’est pour cela que je traduis par
cycle, par grands ensembles, aucun livre séparé ne peut exister.
Qu’est-ce qui vous anime
dans le travail de traduction ?
Ce qui me plaît, c’est le
travail sur la langue. Ou plutôt, le travail sur les langues, celle au départ
et celle à l’arrivée. La traduction, c’est toujours un entre-deux, on est ni là
ni ailleurs. Il ne faut jamais penser que le livre en français d’un auteur
russe équivaut au livre russe. Aucune traduction n’existe d’une façon absolue,
c’est à chaque fois des interprétations, des tentatives, non pas pour passer
d’un monde à l’autre, mais pour faire comprendre au lecteur que l’on est entre
deux mondes.
Je décris cela dans mon
nouveau livre, L’Appartement*, dans lequel j’explique comment un
traducteur vit entre deux mondes, entre deux temps, en l’occurrence entre la
Russie et la France. La traduction est un lieu physique, qui redevient un lieu
mental, puis un nouveau lieu physique.
* A Saint-Pétersbourg,
André Markowicz a hérité de l'appartement dans lequel vivait sa grand-mère
depuis 1918. Cet appartement, devenu propriété de la famille au moment de
l'effondrement du système communiste, est le prétexte d'un récit mêlant
souvenirs familiaux, réflexions sur le régime communiste, la littérature, les
intellectuels russes, dessinant une forme d'autobiographie sensible du poète et
traducteur.
Est-ce que cela n’est
justement pas frustrant de ne jamais pouvoir traduire un texte dans son «
absolu » ?
Il ne faut pas prendre
cette situation de déplacement comme quelque chose de tragique, mais comme
quelque chose de l’ordre de la nature : c’est comme ça. Comme quand il pleut,
ce n’est ni bien ni mal, c’est comme ça. Il y a toujours de la frustration et
du renoncement. Mais que voulez-vous, plus le temps passe, plus je m’aperçois
qu’il y a des personnes plus jeunes que moi, c’est frustrant, mais qu’est-ce
que je peux y faire ? Je me plains beaucoup ou je pleure.
Qu’est-ce qui est
constitutif de la culture russe et qui vous pose des difficultés en tant que
traducteur ?
J’ai commencé à traduire
Dostoïevski avec L’Adolescent. Ce personnage a une idée : il veut être
Rothschild, non pas pour être l’homme le plus riche du monde, mais pour être
l’homme le plus libre. Car Rothschild est le seul à pouvoir faire ce qu’il veut
ou à ne pas le faire. La liberté russe, ce n’est pas la liberté de l’action,
c’est un accord libre et sans contrainte avec un ordre préexistant. Un
Occidental américanisé a du mal à comprendre cette idée. Par ailleurs, dans la culture
russe, la prise en compte de l’individu n’existe pas, elle est toujours
secondaire.
Un autre exemple que l’on
retrouve dans la culture russe : dans la vie de tous les jours, il y a une
exacerbation des sentiments et des choses, une sorte de violence extrême et en
même temps une sorte de grande chaleur humaine. Une confrontation tragique
entre la conscience de l’histoire et la conscience de la valeur d’une vie
humaine, dans laquelle Fiodor Dostoïevski n’entre pas, à l’inverse de Léon
Tolstoï, Mikhaïl Boulgakov ou Vassili Grossman.
Dans La Fille du
capitaine, d’Alexandre Pouchkine, quand Pougatchev prend une forteresse et
va pendre les officiers de celle-ci, les hommes chargés de les traîner à la
potence, leur disent « ça va aller ». Tout cela est dit avec compassion,
gentiment, mais ils les pendent. Cet état d’esprit est une caractéristique
russe. Évidemment, la Russie ne se résume pas à cela. D’ailleurs, je ne sais
pas ce que c’est la Russie, je n’ai absolument pas envie de le savoir, il n’y a
pas d’essence sur le sujet de la culture.
Y a-t-il des mots russes
qui sont particulièrement difficiles à traduire ?
Les difficultés
fondamentales de traduction sont dans Dostoïevski. Dans Crime et Châtiment,
un personnage mineur, qui n’apparaît que deux fois sans être nommé, aperçoit
Raskolnikov, et lui dit un seul mot : « assassin ». Mais ce n’est pas
exactement cela, il s’agit d’un mot russe, imprégné de langue populaire et de
légende biblique, et qui ne signifie pas exactement qu’il est un assassin, mais
qu’il a enfreint le commandement de Dieu en tuant. Si je traduis « assassin
», je traduis l’intrigue du roman, mais pas l’idée, pas le sens. C’est pour
cela que j’ai délibérément mal traduit, en disant : « tu as tué ». C’est
cela qui compte. Ces difficultés-là, c’est constant, il y en a des centaines
auxquelles les traducteurs se confrontent.
En complément, des extraits d’un entretien datant de
2012, paru dans "Place publique" (Rennes)
Je suis né
à Prague (1960) mais par accident. Mon père était un militant communiste
français, fils d’un juif arrivé en France au début des années trente après
avoir été expulsé de Pologne. Journaliste dans la presse communiste française,
en particulier étudiante, mon père avait, lors d’un séjour en Union soviétique,
rencontré une jeune fille russe qui parlait français et qui allait devenir ma
mère. Elle était née en Sibérie où ses parents étaient déportés. Elle était
médecin.
Après, mon
père a travaillé à Moscou et j’y ai donc vécu jusqu’à l’âge de quatre ans.
Là-bas, j’ai été éduqué en russe par ma grand-mère et par ma grand-tante…
Imaginez, toutes deux avaient vécu le tsarisme, la guerre de 14, le stalinisme,
le blocus de Leningrad, les campagnes antisémites... Ma grand-mère considérait
que les petits enfants pouvaient tout comprendre, qu’on pouvait leur parler
comme à des adultes. Ainsi me disait-elle les poèmes de Pouchkine, notamment
Eugène Onéguine. J’ai appris à parler en parlant Pouchkine.
Ensuite,
quand on est venus en France, ma mère a fait des études de lettres, a passé son
agrégation de russe et est devenue prof d’université. Pour elle, c’était
impossible de me parler dans une autre langue que le russe. Même si elle parle
français comme vous et moi, elle ne peut pas parler autrement qu’en russe quand
elle s’adresse à un petit enfant… ou à un animal. Si le russe est ma langue
maternelle, pour le reste, j’ai été éduqué comme un petit Français normal de la
banlieue parisienne des années soixante. En trois mois, j’ai changé de langue.
Ma langue, c’est le français de l’école publique. J’ai adopté ma langue
paternelle.
Ma mère
connaissait un professeur de Leningrad, qui s’appelait Efim Etkind. Élève des
grands formalistes russes, il avait été expulsé d’Union soviétique. En Russie,
il était aussi l’un des grands spécialistes de la traduction. Quand j’avais 16
ans, il m’a demandé si je ne voulais pas traduire Pouchkine.
J’ai eu
une autre grande chance, celle d’avoir rencontré Hubert Nyssen, l’éditeur
d’Actes Sud. Je lui ai proposé de traduire l’intégrale de Dostoïevski. Il a
accepté, ce que plus aucun éditeur ne pourrait faire aujourd’hui. Il s’est engagé pour une durée de dix ans par simple contrat
verbal. Mais pas que cela.
Au même moment, j’ai rencontré quelqu’un d’aussi fondamental pour moi :
Antoine Vitez, le metteur en scène, qui était alors administrateur de la
Comédie française et qui m’a introduit dans le monde du théâtre.
Je travaille surtout «à l’oreille». Il me faut aussi rendre
hommage à ma mère qui relisait toutes mes traductions en comparant avec le
texte russe. D’un autre côté, Françoise (son épouse) a tout relu en français.
Double lecture fondamentale. S’y ajoute la relecture d’Hubert Nyssen et de Sabine
Wiespieser qui, à l’époque, ont réalisé un vrai travail éditorial.
mercredi 19 septembre 2018
Que sont devenus les péchés capitaux ?
À la veille des vacances d'été, le quotidien de Suisse romande, LE TEMPS, a rendu compte d'un essai du philosophe Christophe Godin sur la réhabilitation et la médicalisation des biens connus "péchés capitaux". Ce qui suit est un condensé de l'article.
Énoncée à la fin du VIe siècle par le pape Grégoire le Grand (auquel on doit le chant grégorien), stabilisée au XIIIe siècle (celui de Thomas d’Aquin), la liste des sept péchés capitaux a été sujette à d’innombrables discussions et interprétations théologiques, prolongées dans une riche tradition iconographique.
La liste, la voici : l’avarice, la paresse, la gourmandise, la colère, la luxure, l’envie, l’orgueil. Pourquoi le meurtre, le viol ou le parjure n’y figurent-ils pas ? C’est que capital ne signifie pas le plus grand mal, mais plutôt ce qui est au principe de tous les maux. Ainsi, la luxure engendre le mensonge, la ruse, le vol, jusqu’au meurtre.
Que sont donc devenus les péchés capitaux ? Telle est la question que pose Christian Godin (il est notamment l’auteur de La philosophie pour les nuls, ouvrage remarquable que peu de philosophes professionnels auraient été capables de rédiger) dans son dernier essai : Ce que sont devenus les péchés capitaux (Le Cerf, 216 p.).
Globalement, Christian Godin voit une double évolution :
Premièrement, un mouvement général de réhabilitation, dans la mesure où ils vont bien avec le libéralisme capitaliste de notre époque. Ainsi, par exemple, l’avidité et la cupidité, qui sont des dimensions de l’avarice, sont cultivées comme jamais car elles constituent des dynamiques psychiques éminemment favorables à l’entretien de la machinerie techno-économique actuelle. De même, sous la forme de l’émulation, de la rivalité et de la concurrence […] l’envie passe pour une vertu.
Deuxième évolution dans la réinterprétation contemporaine des péchés: leur médicalisation. La paresse est devenue dépression. La gourmandise, sévèrement condamnée au Moyen Âge, est disculpée par l’économie de la consommation sous la figure du gourmet (C’est tellement bon que c’est un péché !). Simultanément, la boulimie a été médicalisée, ce qui permet en retour de valoriser la bonne gourmandise dont le marché a besoin.
Le chapitre conclusif sur l’orgueil, que la morale chrétienne opposait à l’humilité, est l’occasion d’une réflexion sur le triomphe de la volonté comme trait majeur de notre époque, comme on le voit dans l’apologie sociale de l’ambition, ou dans les délires prométhéens d’immortalité.
Source : Quotidien suisse LE TEMPS (22 juin 2018)
mercredi 11 juillet 2018
La livraison à domicile
La Gazette de l'École des Mines de Paris a rendu compte en début d'année d'un mémoire rédigé en 2017 et consacré à la livraison à domicile, à vélo (surtout des repas) ou par chauffeurs-livreurs (notamment les colis commandés "en ligne").
Avec l’explosion du e-commerce, les livraisons à domicile se sont
multipliées, entraînant l’apparition de nouveaux livreurs - sous-traitants,
indépendants, salariés… qui doivent faire face aux exigences toujours plus
fortes de leurs “employeurs”. Le consommateur bénéficie de services plus
personnalisés, à un prix souvent dérisoire.
Nous avons été à la rencontre des acteurs du monde de la
logistique urbaine, en tournée avec des chauffeurs-livreurs, mais aussi dans
les bureaux lors d’entretiens (start-ups, grands groupes, pouvoirs publics).
Nous avons découvert les contraintes, qui pèsent sur le dernier maillon de la
chaîne : les livreurs à domicile.
LES LIVREURS À VÉLO
Une myriade de livreurs à vélo parcourt aujourd’hui les rues des
grandes métropoles. Plusieurs milliers (Deliveroo, Foodora…), livrant en moins
de 30 minutes repas et courses de supermarché. Non polluant, peu encombrant,
silencieux, ce mode de livraison semble parfaitement adapté aux centres villes.
Et pourtant, les entreprises qui mettent en relation
restaurateurs, consommateurs et livreurs à l’aide d’une application mobile,
font l’objet de vives critiques.
Un statut peu protecteur - C’est avant tout le statut de ces
travailleurs qui pose problème. Ce ne sont pas des salariés mais des
indépendants, sous le statut du micro-entrepreneuriat pour la plupart, au
régime fiscal simplifié. Ils travaillent pour leur compte mais cette liberté
s’accompagne d’une précarité de l’emploi.
La plupart sont rémunérés à la course sans aucune rémunération
horaire minimale. S’il y a moins de livraison ou si leur notation est mauvaise,
leurs revenus peuvent disparaître.
Une indépendance contestée - Leur indépendance n’est pas si
évidente à prouver : la loi prévoit qu’il ne doit pas exister de lien de
subordination entre l’indépendant et l’entreprise. Mais de nombreux livreurs
dénoncent un salariat déguisé (sanctions contre les livreurs peu assidus,
tarifications des livraisons imposées, port du logo obligatoire…).
La loi El-Khomri - Le gouvernement avait souhaité apporter plus de
garanties aux micro-entrepreneurs de plateformes numériques, et aux start-ups
de survivre. L’article 60 de la loi mise en application au 1er janvier 2018), a
contraint les plateformes numériques à fournir plus de garanties aux
travailleurs (remboursement des cotisations d’assurance accident du travail,
paiement de la cotisation à la formation professionnelle, respect du droit de
grève, et de la possibilité de former des syndicats).
Cette loi est à double tranchant : donnant plus de garanties aux
travailleurs, elle leur est bénéfique ; mais comme elle institutionnalise le
statut de travailleur indépendant de plateforme, elle éloigne les possibilités
de requalification en salariat.
Les plateformes qui étaient jusqu’ici dans une zone grise du
droit, ont donc vu leurs pratiques sanctuarisées par cette nouvelle loi,
éloignant ainsi le spectre de la requalification.
Les conditions de travail - Les livreurs ont vu les plateformes
baisser progressivement et imposer des rémunérations à la livraison sans
minimum horaire. Le paiement à la tâche les incite à travailler toujours plus
vite. Les grèves de livreurs se font de plus en plus fréquentes pour protester
contre ces modes de rémunération.
Les livreurs à vélos ne sont pas des étudiants cherchant un peu
d’argent de poche – au contraire. De plus en plus de livreurs exercent à temps
plein, sont peu diplômés, et et financièrement dépendants de ces plateformes.
Concurrence - Le recours aux indépendants permet de répondre à la
flexibilité de la demande et réduit la prise de risque pour l’entreprise. C’est
aussi le statut d’indépendant qui induit une baisse de coût. En effet, une
entreprise qui emploierait des salariés devrait payer sur le salaire des
charges patronales notamment versées à l’Urssaf afin de financer la protection
sociale (assurance maladie, assurance vieillesse, allocations familiales...).
Ne payant pas de cotisations patronales sur le travail des livreurs, les
plateformes bénéficient d’une différence de coût du travail qui n’est pas
anodine…
Dans le secteur du transport de passagers, Uber en a bien compris
l’intérêt. L’Urssaf estime avoir établi que Uber a recours à du salariat
déguisé et a engagé à la rentrée 2015 une procédure devant le Tribunal des
affaires de sécurité sociale, pour exiger le remboursement des cotisations
patronales non perçues.
Les plateformes semblent ainsi exercer une concurrence déloyale
vis-à-vis des entreprises de transport traditionnelles en ayant recours à des
micro-entrepreneurs et en profitant d’un coût du travail artificiellement bas.
Avec le risque de voir d’autres entreprises se convertir
massivement au micro-entrepreneuriat, remettant en cause le financement de
notre système de sécurité sociale.
LES CHAUFFEURS LIVREURS
Malgré l'apparition de ces nouveaux livreurs à vélo, le marché de
la logistique du e-commerce reste dominé par les acteurs traditionnels de la
livraison de colis (La Poste, DHL, FedEx, UPS…). Les défis dus à la
complexification des livraisons remettent en cause leur fonctionnement.
Les colis sont aujourd’hui livrés un par un à des particuliers
souvent absents et dont l’adresse est incomplète, le numéro de téléphone
manquant, le digicode inconnu. Or la fragmentation des livraisons coûte cher.
Souvent, ce coût supplémentaire n’est pas répercuté sur le
consommateur final (offres de “livraison gratuite”). Qui donc le paye ?
S’y ajoute une pression sur les coûts due à la concurrence dans le
secteur de la logistique - pression accentuée par le pouvoir de négociation des
Amazon, Cdiscount, etc. qui concentrent la majeure partie des chiffres
d’affaire du e-commerce.
De nombreuses solutions ont été envisagées :
Développement du numérique pour optimiser les tournées, création
de consignes automatiques, utilisation de relais colis, diversification de
l’offre pour faire face à la concurrence, développement de technologies de
pointe comme les drones…
Mais ces innovations cachent une organisation opérationnelle qui
n’a pas vraiment évolué : l’optimisation se base en grande partie sur une
pression accrue portée sur les livreurs.
Une sous-traitance massive - Une fois franchie la porte des
entrepôts logistiques de colis du e-commerce, force nous a été de constater que
les grands acteurs de la livraison n’ont de “transporteur” que le nom : elles
jouent le rôle de commissionnaire de transport, contractant avec des dizaines
d’entreprises prestataires de services qui fournissent la main-d’œuvre pour
effectuer les livraisons.
Le chiffre communément admis pour la sous-traitance des livraisons
effectuées en zone urbaine dense est d’environ 90%. Le tissu d’entreprises de
transport routier de marchandises est constitué d’une multitude de TPE, dont 95
% emploient moins de cinq salariés .
Les véritables victimes de ce bouleversement sont difficile
d'accès, invisibles au grand public car portant les couleurs des donneurs
d’ordre sur leurs camionnettes, mais invisibles aussi aux pouvoirs publics car
absentes des fédérations syndicales.
Ce modèle n’est pas nouveau dans le transport routier de
marchandises. Ces petites entreprises ont une durée de vie souvent courte dans
un environnement très concurrentiel. L’externalisation de la masse salariale
s’accélère.
Des entorses au droit du travail - Aux côtés de chauffeurs, nous
avons constaté la réalité de l’optimisation des coûts à travers la pression que
subissent les livreurs.
Arrivé sur le site à 5h30 pour le tri des colis, l’un des livreurs
enchaîne avec une tournée de livraison le matin, prend deux heures de pause
pour dormir dans sa camionnette (quand c’est possible), puis cumule avec une
seconde tournée l’après-midi. La journée se finit à 20h30.
Les onze heures de repos réglementaires ne sont pas respectées. La
semaine de travail compte soixante-treize heures.
Un autre livreur travaille depuis 1999. Rattaché successivement à
différentes entreprises de sous-traitance, il n'a jamais été requalifié salarié
du groupe.
Les donneurs d’ordre en sont évidemment conscients : les livreurs
travaillent dans leurs centres logistiques, utilisent leurs outils numériques
pour scanner les colis et enregistrer les heures de livraison. Le tarif de
rémunération au colis est si faible qu’il apparaît difficile pour les
entreprises sous-traitantes d’être rentables en employant des CDI faisant les
35 heures…
Il apparaît vite que les obligations légales auxquelles sont
soumis les donneurs d’ordre restent très superficielles concernant la
supervision des conditions de travail des employés des entreprises de
sous-traitance. Sur le plan réglementaire, ils doivent vérifier que le
sous-traitant est inscrit au registre des transporteurs et demander
l’attestation de vigilance auprès des patrons des entreprises de sous-traitance
(fournir la preuve du paiement des cotisations sociales). Aucun contrôle du
volume horaire effectué par les sous-traitants n’est prévu par la loi.
Que fait l'inspection du travail ? Consciente du problème, elle ne
possède que peu d’outils fonctionnels pour débusquer les abus, les prévenir et
les dissuader. Dans la mesure où elle peut réunir des preuves, elle peut
enclencher des poursuites au pénal - procédures longues et qui n’aboutissent
pas forcément.
Et il est difficile de contrôler les horaires sur route en
l’absence de chronotachygraphe comme c'est le cas pour les poids lourds.
NB : Ces pratiques ne sont pas spécifiques à la livraison en
ville. De nombreux secteurs ont largement recours à des travailleurs
sous-traitants dont les conditions de travail sont opaques (ex. : la
construction). De plus en plus de secteurs ont recours à des
micro-entrepreneurs à la place de salariés (ex. : monde du journalisme).
Marie Baumier, Mathilde Pierre, mémoire - MINES ParisTech, 2017
Libellés :
Economie et finance,
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