samedi 27 mars 2010

Autisme : du "je" au "tu"


La réunion des bénévoles s’est tenue à quelques jours de l’arrivée du printemps. Elle a assez rapidement tourné autour de quelques attitudes de refus qu’Émile manifeste désormais. Ce peut être du genre : Reste-là et regarde-moi faire. Ou quand il improvise de nouvelles règles pour un jeu, en s’opposant à ce que son partenaire rappelle ce qui se fait habituellement, ou à ce qu’il aille consulter un mode d’emploi. On observe que ces refus sont plus fréquents et exprimés de façon assez ferme – ce qui n’empêche pas quelques revirements par la suite.

Où en sommes-nous donc ?
Par rapport à la plupart des autres enfants, Émile s’était construit au cours de ses premières années, en manifestant des sensibilités plus fortes sur certains points et des zones moins explorées ailleurs. On arrive à repérer ces plus et ces moins par comparaison avec l’évolution classique du petit enfant, depuis le moment où il est tout bébé, puis au cours de son éveil au monde qui l’entoure.

En partant de ses intérêts spontanés, en jouant avec lui, en lui manifestant approbation et affection les bénévoles qui se relaient maintenant auprès de lui, lui ont donné l’occasion de refaire un parcours dont certaines étapes lui manquaient. En guère plus d’un an, les progrès sont manifestes. En particulier, parce qu’il ressent beaucoup mieux ce que certaines parties de son corps avaient tendance à ignorer – ce qui transforme sa façon d’être au monde et ses relations avec les autres.

On s’en rend compte à voir Émile plus à l’aise dans son corps et faire ce qu’il fait de manière plus consciente – on l’entend et on le voit penser. Il arrive aussi à mieux exprimer et communiquer ses sentiments… et à chercher à communiquer tout court : on l'a vu aller spontanément à la rencontre d’autres enfants qu’il ne connaissait pas jusqu’alors, à chercher à attirer l’attention d’inconnu(e)s – au point de se demander : pourquoi ? s’il n’y a pas de répondant.

Mais attention quand même : un certain contraste est là, entre une intelligence de 7 ans (l’âge qu’il a) et une affectivité qui reste parfois celle d’un bien petit garçon. Ainsi, en cas de difficulté, Émile peut réagir en faisant le bazar : d’où lui montrer comment y faire face – respirer un bon coup, prendre son temps, demander de l’aide – et en commentant verbalement ce qui se passe.

Transition
Il semble en tout cas qu’un élément essentiel de sa personnalité, son : je, commence à être assez bien construit – ce n’est pas pour rien que l’on s’est calqué sur ses initiatives, qu’on l’a encouragé et félicité à longueur de séances. Mais pour se construire, lui, Émile a aussi besoin de se différencier de celui avec qui il se trouve, qu’il a en face de lui. On entre dans la construction du : tu.

Là-aussi, le ressenti par le corps a son importance. Déjà que tout n’est pas encore parfait de ce côté-là (transvaser, par exemple, de l’eau, de la semoule, voire des haricots… d’un récipient à l’autre). Il s’agit ici désormais de la perception des limites de son corps et de celui de l’autre notamment – revenons à ce qui se passe pour un petit enfant. Et l'on sait aussi que cette prise de distance peut être angoissante, qu’une oscillation se déclenche entre des refus qu’il exprime et le besoin de s’assurer d’être aimé, et physiquement (câlins) et en se parlant.

Autre distinction à laquelle on invite les bénévoles à être attentifs : celle entre le réel et l’imaginaire. Ainsi, le fait de préciser à quels moments on est dans le faire-semblant et l’imaginaire (on joue à faire semblant, c’est un jeu, c’est une histoire…) favorisera notamment l’ancrage dans le réel. Et quand, par ailleurs, Émile se met à employer des mots qui n’existent pas, à se lancer dans de grandes phrases dont le fil directeur n’est pas évident, ou à modifier les règles à l’occasion d’un jeu de société : lui renvoyer le mot adéquat, donner un sens et une logique à ses histoires, privilégier des jeux dont les règles paraissent plus simples.
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Illustration : Jetée du port de la Cotinière (Île d'Oléron) par A. Cailly
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Ce billet fait partie d’une série qui permet de suivre l’évolution d’Émile (ce n’est pas son vrai prénom) depuis septembre 2008 : on y accède directement en cliquant sur le thème Autisme dans la marge de droite.
D’autres articles sont voisins, notamment ceux sous le thème du Cerveau, ainsi que ceux des 15 et 16 juin 2009 (Chiffres, langues… et Savants vs neurotypiques, qui figurent aussi sous le thème de l’Autisme), ou du 27 juin 2009 (Mémoire photographique)

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