samedi 4 janvier 2014
D'une langue à l'autre
CONDENSÉ
La
presse en ligne est abondante.
Ce
qu’on y trouve est inégal.
Je n’y
ai sélectionné que quelques titres et repéré quelques articles.
Ce qui
suit est le condensé de deux d’entre eux.
(LE TEMPS – Quotidien de Suisse romande – 25 septembre 2012 – Anna
Lietti)
Et voilà pourquoi l’allemand met le verbe à la fin… C’est ce
que nous explique Heinz Wisman, philosophe allemand qui vit et enseigne à Paris.
Une
affirmation, une nuance : Pour être parlé, le Hochdeutsch suppose que les locuteurs soient libérés
de la contingence des affects… Mais, en pratique, la plupart du temps, les
Allemands parlent, une langue intermédiaire, syntaxiquement en rupture avec le
carcan du pur Hochdeutsch, qui est
terriblement contraignant.
Par exemple : Le français place le déterminant
après le déterminé : Une
tasse à café. En allemand, c’est l’inverse : Eine Kaffeetasse. Étendu à
l’ensemble de la phrase, ce renvoi à plus tard demande une discipline de fer. Les
présentateurs des informations télévisées lisent en général leur texte : il leur
serait malaisé d’improviser.
Par ailleurs, cette structure syntaxique limite la
spontanéité de l’échange – on ne peut pas interrompre un Allemand qui parle – l’interlocuteur
est obligé d’attendre la fin de la phrase pour savoir de quoi il est question.
Les
Français peuvent se permettre de s’interrompre, parce que l’essentiel est posé
d’emblée et l’accessoire suit. Aux oreilles d’un Allemand, ce sont des gens qui
parlent tous en même temps.
Cette
rigidité puise son origine dans la traduction des Évangiles par Luther. Pour faire court, avant d’être
adopté comme langue nationale, le Hochdeutsch a été une langue littéraire, puis
administrative, mais pas vraiment parlée.
Ainsi, placer le verbe à la fin de la phrase veut
dire que le verbe est
essentiel. Il porte l’ensemble de l’énoncé. Par contraste, la phrase latine
est conçue à partir du sujet, sur lequel s’appuie le reste de l’énoncé.
Exemples :
-
La femme est grande. Entre femme et grande, est joue un rôle subalterne. En
allemand, le verbe est beaucoup plus puissant. On dit La femme est grand, ce qui suppose un verbe grand être :
l’attribut grand
du français s'insère ici dans une fonction adverbiale.
-
On
retrouve cette différence dans la notion même de réalité : la res
latine est une entité nettement circonscrite, à la limite immobile. La Wirklichkeit
provient du verbe wirken : agir. Elle correspond à une réalité dynamique.
Certes, on peut
aussi dire Realität en allemand, mais pour
constater un état de fait, avec une nuance de regret : les rides qui se
creusent sur mon front sont une Realität, pas une Wirklichkeit.
- Par
ailleurs, dans les des pays latins (où le soleil est mâle, remarquons-le), la
vue est dégagée : la référence est l’espace. En Allemagne (au nord en
général), la brume voile la perception visuelle. C’est l’ouïe qui domine.
Répercussion sur la notion d’appartenance : En
allemand Zugehörichkeit
contient le verbe hören,
entendre : on appartient à un groupe si l’on
est capable d’entendre son appel. Le rapport au réel passe par l’ouïe (c’est
pourquoi la musique constitue l’une des contributions principales des
germanophones à la culture universelle).
Chaque
langue porte en elle un reflet du réel. Quand je décolle de la mienne pour
aller vers une autre, j’enrichis ma capacité à percevoir de la réalité. Je me
donne une chance de développer une intelligence réflexive, c’est-à-dire d’aller
voir ailleurs et de revenir enrichi de ce que j’ai compris en m’écartant de moi.
Heinz Wisman oppose
cette attitude au syndrome identitaire, qui est la forme la plus stupide de
l’affirmation de soi : on est fier de n’être que ce que l’on est. C’est comme si
les gens ne trouvaient pas d’autre moyen de résister à la mondialisation.
On
vit dans un monde très ouvert, mais c’est une fausse ouverture car notre
perception de l’ailleurs passe généralement par un filtre unique : celui
du globish,
cette langue de service, dénuée de toute dimension connotative, qui réduit à la
portion congrue notre rapport au réel. L’anglais international ne reflète guère
que l’univers des marchandises. C’est très appauvrissant.
(LE TEMPS – Quotidien de Suisse romande – 17 août 2012 – Albertine
Bourget)
Prendre une décision ? Un véritable casse-tête. Aux
idées rationnelles s’opposent souvent des arguments chargés d’émotivité ou de
parti pris. La solution : réfléchir dans une autre langue. C’est ce qui
ressortirait d’études
auprès de quelque 600 étudiants de langues française, japonaise, coréenne ou
anglaise, répartis dans plusieurs pays, et qui avaient tous une excellente
maîtrise d’une langue étrangère.
Conclusion :
Les biais émotionnels disparaissaient lorsqu'ils réfléchissaient dans cette autre
langue – et ce serait un gage d’efficacité et de rationalité.
Deux
tests : celui des médicaments et un jeu où on parie.
Test
des médicaments – Une maladie risque de tuer 600 000 personnes. Si on
choisit le médicament A, on en sauvera 200 000. Si on choisit le B, une
chance sur 3 de sauver tout le monde et 2 chances sur 3 de ne sauver personne.
Avec le choix A on
est dans un univers certes cruel mais certain. Avec le choix B, plus rationnel,
on est en revanche dans un univers d’incertitude.
Dans leur langue
maternelle, 4 étudiants sur 5 choisissaient le médicament A. Dans la langue
étrangère, 2 étudiants sur 5 seulement.
Jeu
où on parie – c’était pour tester la capacité de prendre un risque et de perdre
ou bien de ne pas jouer… mais sans rien espérer gagner.
Grosso modo, dans
sa langue maternelle, la moitié jouait la sécurité. Dans une langue étrangère,
les trois-quarts tentaient le pari.
mercredi 1 janvier 2014
Autour de la musique et de la voix
CONDENSÉS
La presse en ligne est abondante.
Ce qu’on y trouve est inégal.
Je n’y ai sélectionné que quelques titres
et repéré quelques articles.
Ce qui suit est le condensé de quelques uns
d’entre eux.
Voix et
texte
(LE TEMPS – Quotidien de Suisse romande – 17 février 2012 – Jonas
Pulver)
La
soprano française Natalie Dessay exerce la fascination de l’éther.
Sa tessiture de colorature lui a ouvert toutes les scènes, mais, après tant
d’années essentiellement offertes au spectacle lyrique, des polypes aux cordes
vocales ont dit l’usure, et contraint la star à s’éloigner des plateaux.
Or
au don de voix répond un don de soi qui en fait une actrice saisissante. Le
texte. Natalie Dessay le chérit par-dessus tout. C’est son paradoxe: alors que durant
ses jeunes années, on l’a tant admirée pour sa tessiture vif-argent, elle, ne
jure que par le théâtre. Enfant déjà, je
savais combien devenir adulte me pèserait. Je préfère jouer, même des histoires
déchirantes. Il me faut les mots des autres. Alors je me transforme en
conteuse.
Elle
s’était initialement essayée aux planches, avait fréquenté un temps la Faculté
d’allemand. Mais l’attrait de cette voix incomparable a été plus fort. Une voix
infiniment haute et pure, extrêmement agile et
très facile,
comme elle aime la décrire à la troisième personne.
Au niveau du chant,
j’ai l’impression d’avoir accompli ce qui devait l’être. Je rêverais de me
lancer dans Puccini ou Wagner, mais je ne suis pas équipée en conséquence.
Alors, je vais finir ce que j’ai à faire, et changer d’orientation.
Elle
s’imagine. Sur les planches. J’attends d’un
metteur en scène qu’il me guide comme on accompagne les premiers pas d’un
enfant. Qu’il me regarde. Qu’il m’aime […] C’est comme lorsque je fais du
trapèze. Inutile d’avoir compris en théorie. Ce qui compte, c’est que je
possède le mouvement, que je l’intègre physiquement. Du trapèze? Oui, j’ai commencé à en faire dans une école de cirque. Pour
devenir clown trapéziste.
Accompagner
(LE TEMPS –Quotidien de Suisse romande – 28 juin 2013 – Julian
Sykes)
Helmut Deutsch, est aujourd’hui l’un des
pianistes accompagnateurs les plus recherchés.
Baignant dans le milieu viennois des années
1950, il a très vite assimilé le répertoire du lied. À 3 ou 4 ans, il a déjà
dans l’oreille la plupart
des célèbres lieder de Schubert et Mozart. En revanche, il
commence le piano assez tard.
Selon lui, la profession de pianiste
accompagnateur a radicalement changé depuis 40 ans : Aujourd’hui, les chanteurs au plus haut niveau
acceptent que nous soyons des partenaires. Beaucoup veulent être guidés,
poussés, stimulés. Aujourd’hui, aucun pianiste accompagnateur ne se demanderait
s’il joue trop fort. Il se demande s’il joue trop vite, ou trop lentement.
Sa percée à lui, il l’accomplit dès 1980 en
accompagnant Hermann Prey
pendant près de douze ans – l’autre
baryton
que Fischer-Dieskau considérait comme un rival.
Être
un pianiste accompagnateur est beaucoup plus difficile qu’on ne l’imagine. On
ne joue pas le 3e Concerto de Rachmaninov,
mais en une seule minute d’un lied de Strauss ou Wolf, il peut y avoir autant de difficultés. Il ne
faut pas être timide, surtout pas !
Chanter
(HUFFINGTON POST –25 août 2013)
Lorsque
plusieurs personnes chantent à l'unisson, non seulement les différentes voix
d'une chorale s'harmonisent mais leurs battements de cœur se synchronisent.
Un
peu d'exercice vocal aide à muscler le voile du palais et la partie supérieure de la gorge liés à la respiration.
Aussi
bizarre que l'idée puisse paraître, mettre un vibromasseur sur la gorge relaxe
la tension du larynx : cela améliore la puissance et la projection de la
voix, et permet de monter dans les octaves.
On
peut travailler sa propre voix et l'effet qu'elle va avoir sur son corps. Par
des séries de vocalises on apprend à mieux gérer ses émotions. Cela s'adresse
aussi bien aux chanteurs professionnels qu’à ceux qui ne chantent que sous la
douche.
La
pratique du chant aide à renforcer le système immunitaire, régule l’humeur et évite
d'avoir le blues. Chez des personnes ayant coutume de chanter dans une chorale
notamment, la production d'immunoglobuline A (un anticorps) augmente.
Un pianiste
(LA RÉPUBLIQUE
DES LIVRES – 10 novembre 2013 – Pierre
Assouline)
Alexandre
Tharaud relève de la catégorie assez particulière de ces musiciens qui ne
possèdent pas d’instrument chez eux. Il avait bien autrefois un demi-queue
Bösendorfer jusqu’à ce qu’il décide de s’en séparer. Depuis, il n’a de piano
que celui des autres. Volontairement. Pour travailler loin de chez lui, distinguer
ses univers, ne pas laisser étouffer par ses livres, ses partitions, ses images
familières, privilégier la concentration. Il dispose donc d’un trousseau de
clefs ouvrant plusieurs appartements parisiens appartenant soit à des proches
soit à des mélomanes de rencontre qu’il connaît à peine. Ils ont en commun de
posséder un piano et de vivre dans des lieux inspirants qui dégagent une
énergie dont il se nourrit. On lui demande parfois d’arroser les plantes.
Produit d’une longue et riche conversation,
ces propos figurent dans un livre signé Philippe Rey. Alexandre Tharaud a
toujours déchiffré et improvisé. La concentration est bien sûr essentielle.
Chez lui, yoga, natation, technique Alexander et longue sieste de l’après-midi.
Il constate qu’il pratique en fait deux métiers : enregistrer un disque
revient à chuchoter à l’oreille de l’auditeur, donner un concert consiste à
s’adresser à celui du dernier rang.
Un film documentaire de Raphaëlle Aellig
Régnier, vient également de lui être consacré. Plutôt la captation d’un regard,
d’un esprit, d’une âme. Non sa vision du monde mais sa sensation du monde. Le
voyage, la répétition, le concert, la chambre d’hôtel, la solitude au bout du
monde, et le ressac de ce rituel parfois exténuant sont le lot de tant
d’interprètes sans que jamais rien n’en affleure publiquement. La réalisatrice excelle
à rendre son toucher, ce qu’il a à la fois de déterminé et d’aérien. Cet Alexandre
Tharaud, le temps dérobé renouvelle le genre du documentaire sur la musique
et ouvre une voie.
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