vendredi 13 août 2010

Entre les deux… (8)

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Différence dans la similitude
Ce serait une erreur de croire que chacun des deux hémisphères se borne à assurer une fonction spécifique de traitement de l’information, l’un mettant en valeur ce qui est différent et l’autre ce qui est similaire. Ce qui se passe doit être envisagé à un tout autre niveau : ils contribuent à fonder un monde au sein duquel nous cherchons justement à comprendre comment et l’un et l’autre fonctionnent.

Selon l’hémisphère gauche, l’individu est un univers à lui tout seul, où s’accumulent une infinité de moments qui se succèdent, des expériences, des perceptions… tandis que le droit considère ce qui précède comme un tout. Quelqu’un qui présente des déficits de l’hémisphère droit peut en arriver à croire qu’il a affaire à plusieurs personnes de suite et à plusieurs endroits – et même qu’il y a des imposteurs parmi celles-ci – alors qu’il s’agit à chaque fois de la même personne.

Pourtant, ce à quoi l’un et l’autre hémisphères font face est, à la fois, tout autant un ensemble agrégé, en relation avec un contexte, qu’un regroupement de parties qui le composent : à cet égard, leur fonctionnement et leur mode d’attention diffèrent.

Personnel versus impersonnel
Ne cherchant pas à se situer dans l’abstrait mais dans un contexte, l’hémisphère droit s’intéresse à ce qui a une qualité personnelle. C’est ce qui fait et sa force et sa faiblesse. Par ailleurs, il se repose de préférence sur une mémoire de nature émotionnelle (on verra plus loin à ce sujet une tendance vers des sentiments de tristesse).

Vivant versus non-vivant
L’hémisphère droit s’intéresse davantage à des individus vivants qu’à des objets que l’homme a fabriqués – c’est, dans ce dernier cas, le gauche qui s’en charge… et qui considère, si besoin, certains êtres vivants comme des choses qu’il peut utiliser ou comme des proies potentielles. Notons cependant que, pour ce que nous venons d’aborder, la nourriture et les instruments de musique se rangent du côté du vivant.

Tourné vers le mécanique, l’hémisphère gauche montre une affinité pour les mots et les concepts relatifs aux outils et à ce qui a été fabriqué par l’homme. Avec un hémisphère droit endommagé, on continue à savoir se servir d’outils (bien que certaines actions en séquence ne soient plus aussi faciles à mener)… mais si c’est le gauche, adieu aux marteaux, clous, clés, etc.

L’hémisphère droit donne la priorité à ce qui se passe effectivement, ce qui nous concerne, ce qui a un sens dans un monde vivant… Il tient également compte de l’environnement. Il arrive que ce soit le gauche qui se trouve le plus à l’aise face à des images non-réalistes, fantastiques ou bizarres, artificielles ou sans grande signification.

Empathie et "Théorie de l’esprit"
Avant de rendre compte de cette sous-partie, il me faut souligner que son titre en anglais (Empathy and “Theory of mind”) m’a d’abord laissé perplexe. Fallait-il traduire par Théorie de l’esprit ou par Théorie de la pensée ? Mais, surtout, qu’est-ce que cela voulait dire ? Sans pousser bien loin mes recherches, je me suis rabattu sur Wikipedia – dont on sait la richesse mais aussi les limites. Comme dans d’autres occasions, la première réjouissance à laquelle il ne faut pas manquer de goûter est de mettre en regard ce qui est rédigé sur le même sujet dans plusieurs langues différentes. J’ai commencé par le français et par l’anglais. Première constatation : Theory of mind existe bien et c’est à Théorie de l’esprit que l’on aboutit en français – quels que soient mon étonnement et mon incompréhension pour ce terme et, plus encore, pour ce qu’il est censé signifier.

En anglais, on explique :
Presumption that others have a mind is termed a theory of mind because each human can only prove the existence of his or her own mind through introspection, and no one has direct access to the mind of another. Jusqu’ici, ça va. Mais la définition à la quelle on aboutit est :
Theory of mind is the ability to attribute mental states – beliefs, intents, pretending knowledge, etc. – to oneself or others and to understand that others have beliefs… etc., that are different from one’s own.

En français, on y va de façon plus ramassée : En sciences cognitives, l’expression théorie de l’esprit désigne les processus cognitifs permettant à un individu d’expliquer ou de prédire ses propres actions et celle des autres agents intelligents. On précise ensuite que le but affiché est de créer une science générale du fonctionnement de l’esprit. Belle révérence à ce qui nous parvient de l’autre rive de l’Atlantique, le même article cite les conférences Macy puis les travaux de Gregory Bateson comme étant à l’origine de ces évolutions conceptuelles – Macy et Bateson sont pourtant inconnus au bataillon de Wikipedia en anglais.

Le titre de la présente rubrique faisant clairement référence à l’empathie, que donnent ces mêmes recherches ? En français,
le concept de Théorie de l’esprit se distingue de celui d’Empathie car il désigne la compréhension de tous les états mentaux, tandis que l’empathie s’applique aux sentiments et aux émotions [qui sont irréductibles à une explication physique – c’est ce qu’on appelle des qualia]. En anglais
Empathy is a related concept, meaning experientially recognizing and understanding the states of mind, including beliefs, desires and particularly emotions of others, particularly emotions of others, often characterized as the ability to put oneself in another’s shoes.

L’un et l’autre article de Wikipedia ont fait l’objet, notamment cette année, de nombreuses révisions depuis leur lancement vers 2004-2005. Les dernières versions datent de juin-juillet. Autres articles de taille un peu conséquente sur le même sujet, en allemand et en russe. Viennent après ceux en espagnol et en italien (Teoria de la / della mente) ainsi qu’en polonais. Quelques uns encore, très succincts. La plupart comportent une rubrique sur l’autisme. Signalons enfin que, en français, la théorie de l’esprit est une faculté propre à l’homme, qu’en anglais on va néanmoins voir du côté des chimpanzés, et que l’article en allemand évoque les chiens.


Revenons à l’ouvrage The Master and his Emissary. A ce stade, l’auteur avance que l’hémisphère droit, qui s’ouvre à la relation entre les choses, s’intéresse plus spontanément aux autres en tant qu’individus et joue un rôle de médiateur pour l’identification empathique (ex. : Si je m’imagine souffrir, mes deux hémisphères sont mis à contribution… mais votre souffrance à vous, elle est pour mon hémisphère droit). C’est lui qui, d’une façon générale, attribue un contenu – émotionnel ou non – à l’état d’esprit de quelqu’un d’autre, en particulier si cela touche à l’affectivité.

Mais il faut que cet autre soit un être vivant. Nous avons une propension à imiter quelqu’un qui agit – et cela de façon plus marquée que quand ça part de notre propre désir volontaire. Mais, si ce qui précède est vrai par rapport à une personne, ça ne l’est plus face à un ordinateur. Ce comportement se trouve chez les primates ; chez l’enfant, il ne se stabilise que vers l’âge de 4 ans ; et certains autistes n’y parviennent jamais. Une absence ou un déficit de l’hémisphère ou du cortex frontal droits vont à l’encontre de l’empathie.

Il faut ici dire un mot à propos des neurones miroirs qui s’activent aussi bien quand nous faisons quelque chose que quand nous observons d’autres personnes faire cette même chose. On en avait initialement identifié dans l’hémisphère gauche, mais depuis qu’on en trouve tout autant dans le droit, la question qui portait sur la capacité d’imiter l’autre s’est déplacée vers la manière dont ça se passe. Lorsqu’il s’agit d’une imitation à visée instrumentale, se sont les neurones miroirs de l’hémisphère gauche qui sont en première ligne. Si c’est à caractère non-instrumental, ce sont ceux de l’hémisphère droit.

The Master and his Emissary – The divided brain and the making of the Western world – Iain McGilchrist – Yale University Press – 2009 – 597 pages.
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Le présent billet fait suite à celui du 10 août. Il fait partie d’une séquence sur le Cerveau commencée le 4 juin 2010 (voir la liste des thèmes dans la marge de droite). Il n'est pas exclu qu'au cours de la traduction et en cherchant à condenser, il y ait eu des erreurs ou une mauvaise compréhension : se référer directement à l'ouvrage mentionné ci-dessus.

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