Le langage et la main
dimanche 15 janvier 2012
Entre les deux… (17)
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Le langage et la main
Ce n’est pas pour rien que, dans l’hémisphère gauche, l’aire
dédiée à la parole et celle liée à la capacité de saisir soient si
proches : il y a de nombreuses connexions entre la main et le langage. Un
handicap dans le développement de la main peut d’ailleurs se répercuter du côté
du langage.
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On observe une corrélation, notamment au stade du babillage,
entre le fait de nommer et celui de pointer ou de désigner de la main. Par la
suite, cela produit ses effets sur la locomotion, le fait de saisir, la
manipulation… Associations qui perdurent à l’âge adulte. Dans cet hémisphère,
la région concernée met en œuvre les neurones-miroirs, aussi bien pour les
mouvements de vos propres doigts que pour l’observation des mouvements de la
main chez d’autres personnes.
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La proximité avec la formulation linguistique est d’ailleurs
étonnante – en allemand, on a : begreifen, erfassen,
eindruck, behalfen, überlegen ;
en anglais : grasping et les dérivés du latin (comprehend, intend…) ; ajoutons, en
français : saisir, comprendre, impression, tendre à /
vers…
Notons que ces expressions ne se limitent pas à une action sur le monde
extérieur mais peuvent aussi refléter des démarches intérieures intellectuelles
du je : Vous saisissez ? C’est de la manipulation… Je
viens de mettre le doigt dessus…
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Le sens très basique du toucher – qui existe déjà chez les
êtres les plus élémentaires – ne donne une image des choses que par morceaux,
que par catégories d’objets, et non comme un tout. On et bien dans une logique
d’hémisphère gauche (qui s’impose d’ailleurs tout aussi bien chez les gauchers
eux-mêmes). En revanche les mouvements exploratoires qu’effectuent l’une ou l’autre
main renvoient à une activité de l’hémisphère droit – ce que confirme le
comportement de personnes ayant, selon le cas, l’un ou l’autre hémisphère endommagé.
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Langage et manipulation
On a pu avancer que l’apparition du langage n’a pas été
motivé par le besoin de communiquer mais par celui de dresser une sorte de
carte du monde – allons plus loin : et de le manipuler. Il ne s’agit pas
tant de communiquer que d’une certaine façon de communiquer… pas tant de penser
que d’une certaine façon de penser. Car une communication qui escamote tout ce
qui n’est pas verbal, escamote en même temps la relation interpersonnelle (je / tu)
au profit de celle qui vise le monde des objets (je ou nous / ceci ou cela).
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Laissés à eux-mêmes, les mots stabilisent des concepts et
les rendent accessibles à la mémoire. Nommer donne un pouvoir ce qui est nommé.
Le langage affine l’expression des relations causales et élargit une capacité
de planifier et de manipuler, ainsi que de mémoriser. L’écriture va encore plus
loin dans ce sens, en permettant l’enregistrement sur un support externe.
Capacité de manipuler qui s’étend en direction des autres êtres humains – et
aussi, par rapport à la communication non-verbale, de mieux masquer la vérité.
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On peut isoler les choses de leur contexte, ce qui permet de
ne se focaliser que sur certains aspects de la réalité. En revanche, le langage
nous fait perdre tout ce qu’il y a d’implicite, de fluide, d’insaisissable. Saisir, au sens
physique comme au sens mental, nous permet de manipuler, de posséder, de
contrôler l’environnement. Avoir pu – grâce à cette fonction localisée dans
l’hémisphère gauche – accéder à cette capacité, a été un élément déterminant pour
l’homme dans la lutte entre les espèces, et entre les individus les uns par
rapport aux autres.
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La métaphore
Dire que le langage est l’argent de
la pensée est une métaphore. Or seul l’hémisphère droit est en
mesure de comprendre des métaphores. Le langage est ici compris comme étant un
intermédiaire – au même titre que l’argent : il puise dans le monde de
l’expérience et il y retourne. On notera que, de plus, il est enraciné dans le
corps.
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À un niveau supérieur, les mots débouchent sur un vaste
réseau de connotations, présentes mais implicites, que l’on apprécie de façon
globale et non de manière séquentielle et focalisée, de tout notre être
conscient. A un niveau plus basique, chacun des mots est une porte de sortie
hors du langage, vers un élément du monde vécu, associé à notre existence
incarnée.
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Pour revenir à l’argent, celui-ci prend, à un niveau basique, sa valeur dans des
choses (qui peuvent éventuellement être vivantes – ex. : du charbon, un
poulet…), pour en restituer, à un niveau supérieur, une valeur sous forme de
marchandise ou de service (ex. : nourriture, vêtement, réparation d’une
voiture…). Entre les deux, se trouvent les transactions virtuelles du système
monétaire.
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Au stade du
langage, une métaphore met en relation des concepts distincts
(ex. : argent / langage ; ou
encore : choc des cymbales / choc des
arguments / choc des couleurs / choc des épées…). Mais au stade de notre
vécu incarné, il ne s’agit que d’éclairages différents portant sur des tout similaires. La métaphore ne reste pas à sens unique
(ex. : argent > langage) mais se lit
dans les deux sens (ou plus si besoin).
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Au-delà des mots, la métaphore est centrale pour la
pensée : elle est une fonction de l’hémisphère droit qui est enraciné en
profondeur dans le corps où s’expérimente le monde. Il diffère de l’hémisphère
gauche qui considère que le langage – tout coupé qu’il puisse être du monde –
en constitue pourtant la réalité. Une des limites de la philosophie des
Lumières, qui est guidée par la raison, est de sous-estimer la métaphore – à la
limite, de la considérer comme un élément distrayant, voire une tromperie.
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The Master and his Emissary – The divided brain and the making
of the Western world – Iain McGilchrist – Yale University Press – 2009 – 597
pages...
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Le présent billet fait suite à celui du 15 décembre. Il fait
partie d’une séquence sur le Cerveau
commencée le 4 juin 2010 (voir la liste des thèmes dans la marge de droite). Il
n'est pas exclu qu'au cours de la traduction et en cherchant à condenser, il y
ait eu des erreurs ou une mauvaise compréhension : se référer directement à
l'ouvrage mentionné ci-dessus.
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mercredi 4 janvier 2012
Jung referait-il surface ? (A)
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Plusieurs personnes de mon
entourage se sont embarquées dans l’aventure de la psychanalyse, certaines même
professionnellement. Cela ne fait évidemment pas de moi un spécialiste en ce
domaine.
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Je cherche par ailleurs à ne
pas me laisser bercer par la prose médiatique qui l’enrobe depuis des décennies ;
ni à être entraîné par les récentes polémiques qui, à la différence de celles
qui n’ont pas manqué depuis ses origines, ne sont plus tant des querelles entre
différentes écoles en son sein, mais se veulent une remise en question de la
raison d’être et du devenir de la psychanalyse.
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Que vient ici faire
Jung ?
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En guise d’apéritif : deux
évènements quasi-actuels
En ces temps de fêtes de fin
d’année je remarque, en vitrine de plusieurs librairies de tout poil, la présence d’un
imposant volume à couverture rouge sous la signature de Jung : son Livre rouge – on le mettrait facilement parmi les livres d’art qui ornent
volontiers les vitrines en cette saison.
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Début septembre à Venise, le
film Une Méthode dangereuse a figuré dans la compétition pour le Lion d’Or : il s’agit principalement de la relation de Carl Jung avec Sabina Spielrein qui fut, et sa patiente en analyse, et sa maîtresse,
et qui devint elle-même analyste. Le film sous-entend que cette situation a sa
part dans la rupture – a priori pour des raisons théoriques – entre Freud et
Jung, jusqu’alors fort proches.
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Hors-d’œuvre : un peu de
chronologie
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… Sigmund Freud
Médecin juif autrichien né en
1856, Sigmund Freud est le
pionnier de la psychanalyse, dont on peut faire remonter les premiers pas aux
alentours de 1896. Les développements de cette discipline ne vont pas sans conflits
et scissions mais on la voit, dès 1908, s’institutionnaliser et, après la
Première Guerre mondiale, connaître une expansion en Europe et dans les pays
anglo-saxons. Dès 1933, les Nazis brûlent les écrits de Freud en Allemagne.
Suite à l’annexion de l’Autriche en 1938, il s’exile à Londres avec sa
famille : il y mourra l’année suivante, à 83 ans.
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… Carl Jung
Médecin et psychiatre suisse
alémanique, Carl Gustav Jung vient au
monde une vingtaine d’années après Freud : en 1875 ; et il meurt à 86
ans, en 1961. La psychologie des profondeurs dont il est le pionnier, établit
un lien entre la structure de la psyché et les productions de celle-ci, ainsi que ses
manifestations culturelles. Les notions auxquelles il fait appel puisent dans
un vaste champ des sciences humaines. On le considère souvent comme le père
fondateur d’une psychologie des cultures.
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Devenu médecin et chercheur,
il s’intéresse aux travaux de Freud et, vers 1906, débute entre eux une
correspondance qui rassemble environ 360 lettres et durera jusqu’à leur
rupture, qui s’amorce en 1911 et sera consommée en 1914. Dès 1907, Jung vient
le rencontrer à Vienne et, malgré certains points de divergences qu’ils ne
cachent pas, apparaît comme un dauphin de Freud.
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C’est à cet endroit que se
situe l’épisode de sa liaison avec Sabina Spielrein, qui sert de prétexte au
film Une Méthode dangereuse. Jung aura d’autres liaisons, notamment avec Toni Wolff, à partir de 1911 – année où s’amorce, pour des
raisons qui semblent aussi bien théoriques que personnelles, une rupture avec
Freud, qui sera consommée en 1914. Or c’est en 1914 que débute la rédaction de
ce Livre rouge qui ne vient d’être publié que récemment, plus de 40
ans après la mort de Jung.
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C’est un intense retour sur
lui-même, une période d’élaboration théorique où se fonde la psychologie analytique. Viendront ensuite des voyages auprès des Indiens
d’Amérique, ainsi qu’en Afrique, un approfondissement de ses théories et de sa
pratique, de nouveaux déplacements dans les pays anglo-saxons ainsi qu’au
Proche-Orient et en Inde…
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Nous sommes désormais dans
années 1930 – la part de son activité touchant à l’Allemagne a nourri une
polémique où il reste difficile de démêler si, jusqu’où et comment il aurait
collaboré avec le régime nazi. Pendant la guerre, il travaille comme agent
secret pour les Alliés. Après la guerre, avec une santé affaiblie, il consacre ses
quinze dernières années à la rédaction de plusieurs ouvrages de synthèse et à
la poursuite de ses recherches.
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Trois coups de projecteur
La suite de ce billet se
résume à la période autour de 1906 (liaison avec Sabina Spielrein – d’où le
récent film sur le sujet), puis à partir de 1914 (amorce de la rédaction du Livre Rouge, qui n’est paru qu’en 2009), et enfin au cours des années 1930 et 1940
(polémique à propos de l’attitude vis-à-vis du nazisme, puis enrôlement par les
Alliés) – ce qui ouvre à une interrogation sur des thèmes actuels.
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… 1906 – le film Une Méthode
dangereuse
Sabina Spielrein, née en 1885
dans une famille juive de Rostov-sur-le-Don, était venue en Suisse en 1904 et,
à 19 ans, devint la patiente de Jung – mais aussi sa maîtresse. Dans l’une de
ses premières lettres à Freud, en 1906, Jung mentionne qu’il la traite pour
hystérie. Mais ce n’est que 2 ou 3 ans plus tard qu’il lui avoue leur liaison
qui durait depuis cette date… Notons qu’à même époque, l’intéressée écrivait de
son côté à Freud ; elle viendra aussi le rencontrer à Vienne.
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Elle
deviendra elle-même analyste et comptera le célèbre psychologue pour enfants, Jean
Piaget, parmi ses propres patients. Il
semble même que Freud se soit inspiré d‘un de ses articles (Die Destruktion als Werdens") paru en 1912 dans le Jahrbuch
der Psychoanalyse, pour introduire en
1920 la pulsion de mort dans ce que l’on appelle la seconde topique (le ça, le moi et le surmoi – alors que la première topique tournait autour de l’inconscient, du préconscient et
du conscient). Elle retourne en Russie en 1923. En 1942, elle y est assassinée
par les Allemands, vraisemblablement en raison de ses origines.
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La période d’une dizaine
d’années, couverte par le film de David Cronenberg, est celle d’une psychanalyse en éclosion. Celle
aussi d’un triangle ne serait-ce qu’épistolaire, avec un Freud d’abord entraîné
à jouer les sages et les arbitres, face au duo passionnel entre Jung et
Spielrein – mais aussi dont l’antagonisme sur le plan théorique ne fait que
monter vis-à-vis de celui qui, de potentiel dauphin, en arrivera à être exclu
du cercle psychanalytique freudien. Dans un entretien, David Cronenberg dit
plutôt pencher du côté de Freud, parce qu’il le considère comme un athée qui s’intéresse
de préférence aux corps, tandis que Jung infléchirait par trop la discipline
vers la religion, voire le mysticisme.
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Un film est un film :
une partie de la critique en a regretté l’aspect réducteur – à trop vouloir
notamment superposer les relations entre les personnages et le conflit
théorique alors en gestation.
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… 1914 : amorce du Livre
Rouge
Alors que le film Une Méthode dangereuse porte grosso-modo sur la période 1904-1914, le Livre Rouge de Jung correspond pour l’essentiel à la décennie suivante, mais sa
rédaction se poursuivra jusque vers 1928.
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Si on voulait pousser les
analogies, on soulignerait que la rédaction de cet ouvrage correspond à la
période la plus manifeste de la liaison de Carl Jung avec Toni Wolff. Issue d’une famille de Zurich, celle-ci (1888-1953)
fut tout aussi bien sa patiente, que sa maîtresse… et devint également
psychothérapeute. Mais elle est restée dans la mouvance jungienne, alors que
Spielrein a plutôt glissé sur le versant freudien. Toni Wolff a mis à jour plusieurs
des figures archétypiques chères à Jung, principalement parmi celles féminines
de l’anima. Leur relation s'est poursuivie bien au-delà de cette
période et on la désigne fréquemment comme la seconde
femme de Jung.
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La rédaction du Livre Rouge débute au moment où Jung vient d’être officiellement exclu du
mouvement psychanalytique freudien. Il est désorienté – c’est un saut dans
l’inconnu. C’est dans cet ouvrage calligraphié en lettres gothiques et illustré
par Jung, que celui-ci consigne ses expériences de régression puis
l’élaboration de ses méthodes, telle que l’imagination
active et ses théories autour des
concepts d’animus, d’anima et de persona : le journal
de voyage intérieur de sa cosmologie et de sa confrontation avec l’inconscient, a-t-on pu écrire (Pierre
Assouline, RDL, septembre
2011). Il y rencontre diverses figures (dont notamment le vieux sage Philémon),
éléments composants d’un inconscient collectif, sorte d’ADN psychologique
commun à toute l’humanité.
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Au dire de Jung, ce qu’il
contient est à la source de ce qui, par la suite, n’a été que mise en ordre et
mise en musique dans la pratique courante. C’est à la même époque que s’est
constituée autour de lui l’Association
de Psychologie analytique qui
rassemblait des analystes – principalement zurichois – ayant rompu avec Freud.
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Eh bien ! Ce manuscrit a
attendu jusqu’en 2009 avant de pouvoir être livré au public (facsimilé du
texte en allemand, traduction en anglais, abondantes annotations par un
universitaire familier de l'œuvre de Jung – la version en français est disponible
depuis fin 2011). Jung lui-même ne l’avait pas souhaité car il ne le
considérait pas comme une œuvre suffisamment scientifique. Après sa mort en
1961 et pendant une quarantaine
d’années, ses héritiers s’y sont opposés. Plusieurs spécialistes, parmi ceux qui viennent
d’en prendre connaissance, ne sont pas loin de penser que l'ensemble de l’œuvre jusqu’alors
publiée de Jung mérite d’être reconsidérée à la lumière de ce document.
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… 1930-1940 : Polémique à propos du
nazisme
À la fin des années ’20, Jung
s’affilie à un groupe berlinois qui cherche à concilier les courants
psychanalytiques freudien, jungien et adlérien – il en est même nommé membre
d’honneur. Au début des années ’30, avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir, le président, Juif, et la plupart des
membres juifs de cette société démissionnent ou s’exilent. Et la psychanalyse
freudienne, stigmatisée, disparaît en Allemagne. L’association elle-même fait
l’objet d’une mise sous tutelle de la part du régime.
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Il faut dire que le concept
d’inconscient collectif, utilisé cette fois dans un sens plus politique que
scientifique, fournit des arguments aux thèses racistes nazies. On a aussi reproché à Jung d'avoir, dans l’un de ses essais 15 ans auparavant (1918), estimé qu’il
y avait une différence d’inconscient entre les Aryens et les Juifs (si on en approfondit la signification, on peut néanmoins y lire que les Juifs, plus civilisés mais en
l’absence d’une patrie, n’ont pas cette relation à la terre qui caractérise
l’homme germanique).
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Alors que le régime nazi se
met en place, la position de Jung semble ambivalente : reconnaissance de
l’existence de fait de ce régime alors qu’il exprime par ailleurs que la
psychothérapie ne peut être inféodée à une politique nationaliste – ce qui
permet cependant de la part des Nazis une insistante récupération : ils parviennent à contrer ses tentatives
d’abandonner ses responsabilités dans cette association. C’est à l’occasion
d’un article qu’il a signé dans une revue américaine et où il traite Hitler de
dictateur qu’il en est définitivement démissionné en 1940 et inscrit sur
la liste des auteurs dont les ouvrages sont bannis.
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Impressionnés par l’analyse que
Jung avait faite dès 1936 sur la psychologie des Nazis (son essai : Wotan),
les Alliés l’approchent et finissent par le recruter. Jung préconise notamment
de diriger l’attention de Hitler vers l’URSS. Un de ses pronostics est, par
ailleurs, qu’Hitler finira par se suicider. Son point de vue est enfin pris en
compte dans l’immédiat après-guerre, sur la manière de s’y prendre pour que les
Allemands acceptent leur défaite et pour rétablir leur économie exsangue.
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Déjà un peu longuet, ce qui
précède n’épuise certes pas la description de ces quelques temps forts du
parcours jungien. Et la pertinence en reste relative :
je suis à plus d’une fois allé m’enquérir à des sources wikipédiennes – la version
française étant d’ailleurs l'une des plus nourries.
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Un second billet suivra,
qui cherchera à identifier, dans ce qui se manifeste de nos jours, quelques
échos à cette apparente résurgence de Jung.
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