samedi 12 juin 2010

Intermède


Ce billet ne fait pas exactement partie des condensés sur le cerveau, qui se succèdent dans ce bloc-notes. Il anticipe néanmoins celui destiné à clore l’introduction de The Master and his Emissary. Plus précisément, il développe rapidement deux notions qui y figurent : l’entropie et l’hypothèse d’une asymétrie au moment du big-bang.

L’auteur s’attarde en effet un instant sur le jeu de miroirs qui fait que, d’une part, notre cerveau divisé et asymétrique nous permettrait d’appréhender le monde de façons bien distinctes, quitte à recoller les morceaux ; et que, d’autre part, l’univers ainsi appréhendé manifeste lui-même des asymétries, parmi lesquelles il évoque plus ou moins la flèche du temps, ainsi que les deux notions que l’on vient de rappeler.

Voici – pour un premier abord et sans grande garantie de totale exactitude intellectuelle – quelques éléments que j’ai collectés à ces sujets.

L’Entropie
C’est une grandeur physique qui mesure de degré de désordre d’un système. Donnons deux exemples.

D’abord celui d’un gaz dans un tube allongé :
- Dans un cas toutes ses molécules, rassemblées et bien rangées sur la gauche, se mettraient à défiler comme des militaires le 14 juillet sur les Champs-Élysées. Désordre imperceptible ou inexistant : entropie extrêmement faible.
- Dans un autre cas, les molécules remplissent tout le tube, chacune se dirigeant au hasard dans n’importe quel sens. Grand désordre : entropie forte.

L’autre exemple est celui d’un jeu de cartes :
Si celles-ci se suivent (As, Roi, Dame… jusqu’au Deux), couleur après couleur (Pique, Cœur…), on dit qu’elles sont bien rangées, le jeu est en ordre : l’entropie est au plus bas.
Jetons le jeu en l’air plusieurs fois de suite : une fois retombées, les cartes se suivent désormais dans n’importe quel ordre : l’entropie est élevée.

D’une façon générale, pour un système laissé à lui-même, ce désordre ne peut qu’augmenter. Et si le hasard fait qu’il retrouve subitement un peu d’ordre, ce ne sera que très temporaire. C’est dans ce sens que l’on considère que l’entropie ne peut que croître, jusqu’à atteindre son niveau maximum de désordre généralisé.

Il est pourtant vrai que l’on peut localement parvenir à rendre mieux ordonné un système particulier… Ce peut être, en biologie, le cas d’une cellule qui, tant qu’elle reste en vie, maintient ou développe son niveau d’organisation. Mais, pour y arriver, il lui faut puiser de l’énergie dans son environnement extérieur. La conséquence en est que cette ponction se traduit par un plus grand désordre dans son voisinage et que, au total, l’entropie de l’ensemble constitué par la cellule vivante et son environnement aura augmenté. Quand la cellule meurt, ce transfert d’énergie en sa faveur prend fin et elle se désorganise. On en revient à ce que, globalement, l’entropie continue bien de croître au fil du temps.

La croissance irréversible de l’entropie au sein de l’univers est présentée comme une asymétrie à caractère temporel.

Big-bang asymétrique
Pour ceux qui n’adhèrent pas à un créationnisme d’une conformité sans nuance avec certains textes bibliques, le monde n’a pas été créé en 7 jours, voici 6000 ans. Ce qui ne veut pas dire que ceux qui potassent la question de la création de l’univers et élaborent théorie après théorie sur les particules élémentaires de la physique soient parvenus à des conclusions définitives ni qu’ils soient d’accord entre eux.

Il n’empêche que depuis un certain temps et résistant aux expériences qui cherchent à la mettre en défaut, l’hypothèse d’un big-bang que l’on situe il y a 13 ou 14 milliards d’années semble tenir assez confortablement la route. A noter que la prudence dicte qu’il ne s’agit pas forcément d’un commencement mais simplement d’une période dense et chaude, suivie d’une expansion dudit univers.

Chaude veut dire à une température certes mesurable mais difficilement imaginable : nous savons que l’eau bout à 100 degrés (2 zéros) et que la flamme d’un feu de bois est à plus de 1000 degrés (3 zéros) ; certains ajouteront que la couronne solaire atteint plusieurs millions de degrés (6 zéros) et que l’on aborde le domaine de la fusion nucléaire (du type bombe H). Les théoriciens du big-bang évoquent une température initiale à 32 zéros… tout en précisant qu’elle a rapidement dégringolé : un dixième de milliseconde plus tard, elle n’était plus qu’à 10 mille milliards de degrés (13 zéros), une seconde après à 10 milliards et encore 100 secondes à 1 milliard (9 zéros).

Jusqu’à présent, le Tevatron américain a été en mesure de provoquer des collisions de particules correspondant à des températures à 14 ou 15 zéros, et on espère du LHC, mis en route à la frontière franco-suisse il y a un an, qu’on parviendra aux 18 zéros. Or, en attendant, c’est justement l’analyse des expériences faites avec le Tevatron qui nous renvoie à la question d’une asymétrie dans l’univers. De quoi s’agit-il ?

On se disait que, lors du big bang originel, matière et antimatière ont été formées en quantités égales. Leurs composants élémentaires sont de même masse, mais de charge électrique opposée, à chaque particule de matière correspondant une antiparticule : ainsi de l’électron, de charge négative, et du positon, chargé positivement. Lorsqu’une particule et une antiparticule se rencontrent, elles disparaissent, leur masse se transformant en énergie (rayons gamma). Si matière et antimatière étaient restées en quantités égales, elles auraient dû s’annihiler. Or notre univers est fait de matière. Si un univers jumeau d’antimatière s’était constitué, on devrait détecter les rayons gammas produits aux frontières communes. Ce n’est pas le cas.

On en vient à l’hypothèse d’asymétrie – hypothèse qui a été confirmée par des expériences : une partie des particules de matière auraient survécu à l’annihilation réciproque avec celles d’antimatière, générant ce qui est devenu notre univers. Au début, on estimait qu’il y avait eu une particule survivante sur 10 milliards de particules de matière. Le modèle standard de la physique en était même arrivé à admettre un taux d’asymétrie de 1 pour mille. Or l’analyse de milliards de milliards de collisions réalisées avec le Tevatron pendant 8 ans donne (dans le cas des particules dites muons et anti-muons) un taux de 1%.

Ce passage de 1 pour mille à 1 pour cent est considéré comme très important. Non seulement l’hypothèse de l’asymétrie connaît une remontée spectaculaire… mais le modèle standard de la physique en est lui-même ébranlé.

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