vendredi 4 juin 2010

Entre les deux mon cerveau balance

Cela date d’au moins une dizaine d’années : le recours à l’Internet pour la vie de tous les jours était presqu’inexistant et les nouveautés intéressantes vous arrivaient sur des disquettes 3 ½ pouces. C’est dans ces conditions que m’est tombé entre les mains un programme avec des questions en anglais mais pas trop compliqué. Un test, pour savoir si votre cerveau droit l’emportait sur votre cerveau gauche ou le contraire ; et si vous étiez plutôt visuel ou auditif.

Test et paradoxe
Une fois répondu aux questions, le verdict. Divine surprise (avais-je triché ? il me semblait que pas trop) : équilibre presque parfait entre le gauche et le droit, et entre l’auditif et le visuel. Mais il y avait un commentaire circonstancié : la douche froide… Il prenait acte des résultats tels que je viens de les indiquer, pour conclure (toujours en anglais) : "Mon cher Raoul, situé à ce point d’équilibre, vous êtes dans l’incapacité d’avancer ou de reculer, d’aller d’un côté ou de l’autre… et ainsi de prendre des décisions."

En clair, j’étais dans la situation de l’âne de Buridan qui est mort de faim et de soif entre son picotin d’avoine et son seau d’eau, faute de choisir par quoi commencer (philosophe de la première moitié du 14ème siècle, Jean Buridan, à qui on attribue ce paradoxe légendaire, fut aussi recteur de l’Université de Paris). C’est peu dire que, pendant un certain temps, j’ai considéré avec envie une de mes connaissances dont le score était bien éloigné du centre de la cible.

Les deux hémisphères du cerveau
Relation de cause à effet ? Le temps a passé et j’apprends de source bien informée qu’un ouvrage de lecture abordable mais de bon niveau est récemment paru, sous le titre : “The Master and his Emissary” (voir les références à la fin de ce billet). Le point de départ concerne précisément les deux hémisphères du cerveau et le point d’arrivée transparaît dans le sous-titre : ”The divided brain and the making of the Western world”, la thèse étant que le cerveau gauche l’ayant progressivement emporté au cours de l’évolution de la culture occidentale, celle-ci est désormais affligée d’un handicap dont il serait judicieux de parvenir à l’en débarrasser.

Servi par une belle clarté d’expression et un réel souci pédagogique, l’ouvrage est non seulement riche mais également volumineux. Au bout de quelques dizaines de pages, la question commence à poindre de savoir si l’on a bien assimilé ce qui avait précédé. C’est dans cet esprit que je me suis pris par la main en vue d’en dégager et mettre en noir sur blanc les lignes de force. Ce qui suit en est le résultat en ce qui concerne les premières pages.

Et la suite ? Je suis conscient de m’être aventuré dans une expédition qui pourra prendre du temps et se traduire par une certaine quantité d’articles dans ce bloc-notes. Même si la règle du jeu est de le partager avec d’éventuels lecteurs, je m’en sens le premier bénéficiaire. Il ne faut pas, par ailleurs, s’attendre à une quelconque qualité professionnelle, s’agissant du passage de l’anglais au français : en dépit de la longueur qui subsistera c’est bien un condensé, avec pour conséquence d'estomper certains aspects.

Voici donc, réduite à environ un tiers de son volume, la première partie de l’introduction de l’ouvrage de Iain McGilchrist.

Introduction
Il s’agit ici d’un livre sur nous-mêmes, sur le monde et comment nous en sommes arrivés là où nous sommes. C’est surtout une tentative pour comprendre quelle est la structure de ce monde que notre cerveau – lui qui est à la croisée de la pensée et de la matière – a en partie créé.
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A cet égard, la structure dudit cerveau nous fournit des indices sur celle du monde dont il nous aide à prendre connaissance : pourquoi, notamment, est-il constitué de deux hémisphères bien distincts et, qui plus est, asymétriques ?
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Ce n’est que vers le milieu du 19ème siècle qu’on s’est mieux rendu compte de cette asymétrie – le langage résidant de façon préférentielle dans l’hémisphère gauche. On s’est ensuite aperçu que c’est l’hémisphère droit qui était le mieux équipé pour l’imagerie visuelle. Étape suivante : on a concédé que l’un et l’autre hémisphère traitaient aussi bien les mots que les images… mais chacun à sa façon.
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La croyance populaire en est restée à un hémisphère gauche rationnel, réaliste et plutôt tristounet, le droit étant plus fantasque, plus créatif, bref, plus passionnant. Et, comble de l’affirmation erronée, l’hémisphère gauche serait typiquement masculin, à l’opposé du droit, féminin.
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Ne pas croire, en revanche, que c’est au seul hasard qu’on devrait la répartition de tel ou tel aspect des activités cérébrales : ceux qui ont bien étudié la question ont conclu qu’il y avait quelque chose de bien plus profond et qu’il valait la peine de chercher à l’expliquer. Mais s’en tenir à la seule neurologie et à la psychologie serait un peu court : mieux vaut élargir les investigations à la philosophie, à la littérature, aux arts et – pourquoi pas – à l’archéologie et à l’anthropologie.
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Pour l’auteur, la façon dont les deux hémisphères du cerveau diffèrent a une signification. Mais il faut aller au-delà du simple schéma descriptif : cette différence intéresse également ce qui se passe dans notre vie et permet même d’expliquer la trajectoire qui a été suivie pour ceux qui se sont inscrits dans l’évolution du Monde occidental.

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Sa thèse est que, en tant qu’êtres humains, nous avons affaire à deux réalités opposées, à deux modes d’expérience, chacun ayant une importance fondamentale pour aborder ce monde qui est à la portée de la connaissance humaine. Cette différence s’enracine dans la structure à deux hémisphères de notre cerveau. Que ne coopèrent-il pas ? Ce serait idéal. L’auteur croit pourtant assister à une sorte de lutte : lequel va prendre de l’ascendant sur l’autre ? Ce qui donnerait une clé pour comprendre sous bien des aspects ce qui prévaut dans la culture du Monde occidental contemporain.

The Master and his Emissary - The divided brain and the making of the Western world - Iain McGilchrist - Yale University Press - 2009 - 597 pages.

Le présent billet inaugure une séquence qui sera regroupée sous le thème "Cerveau" (voir la liste des thèmes dans la marge de droite). Il n'est pas exclu qu'au cours de la traduction et en cherchant à condenser, il y ait eu des erreurs ou une mauvaise compréhension : se référer directement à l'ouvrage mentionné ci-dessus.

6 commentaires:

Api a dit…

Bonjour,
Jadis, je cherchais à activer de manière plus équilibrée les deux hémisphères …
Comme je savais que chaque partie du corps était reliée directement à l’hémisphère symétrique, je me suis amusé à essayer de prendre plus conscience de la relation existant entre l’œil et la narine gauche et l’hémisphère droit (et inversement).
Chaque jour, je pratique le yoga en synchronisant yeux et respiration…
Plus tard, j’ai appris que cette technique, du point de vue respiratoire, était officiellement conseillée pendant les séances de yoga.
Dernièrement, M. David Servan-Schreiber a présenté la méthode EMDR anti dépressive où on déplace successivement les yeux d’un côté et de l’autre. (Au départ il ne donnait aucune explication, je présume par prudence scientifique …)
En toute subjectivité, j’imagine qu’entraîner les yeux à activer les deux hémisphères tend à contrecarrer la permanence des idées fixes.
Personnellement, quand je suis tranquille, j’aime respirer alternativement.
Je pratique le jogging de cette manière. C’est possible puisque le rythme est lent. Il suffit de se mettre dans l’ambiance …
*** Il me semble que les homo sapiens auraient tout intérêt à élargir leurs champs de vision ! A apprendre à titiller plus leurs deux hémisphères …
Peut-être ou probablement, auriez ou avez-vous des propositions encourageantes allant dans ce sens ? !

Raoul N a dit…

N'étant spécialiste ni du cerveau ni du yoga, je vous remercie de nous faire part de façon aussi claire de votre expérience.

Après un survol assez rapide, je ne fais que commencer de lire attentivement cet ouvrage sur les deux hémisphères du cerveau et sur les implications qui en résultent : mon intention est de rédiger de nouveaux articles dans le bloc-notes, au fur et à mesure de mes découvertes.

Pour ce qui est de l'EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing), dont M. David Servan-Schreiber a fait état dans son livre "Guérir", il s'agit bien, notamment, de prendre en compte le jeu entre les parties droite et gauche - et pas seulement sur le plan visuel puisque l'on peut avoir recours à une méthode auditive de susbstitution, si besoin. En 2005, les éditions du Seuil ont fait paraître "Des yeux pour guérir" où la fondatrice de la méthode (Francine Shapiro, à Palo Alto) raconte sa découverte, décrit des cas exemplaires, et fait surtout comprendre ce qui est en jeu.

Bonne poursuite, sur un rythme de jogging ou autre, sur votre chemin de curiosité au monde.

RN

Api a dit…

Un complément qui élargit le problème, qui permet d’éclairer plus la personne qui manque d’informations.
MacLean, vers l’année s1970, a proposé l’hypothèse du cerveau triunique. Koestler l’a évoqué. Laborit a explicité ce mode de fonctionnement. (Je suis resté à cette schématisation qui me sert constamment !)

N. B. Il m'a été impossible d'enregistrer directement ce second mail. J'en ai profité pour revenir au pseudo habituel Monkeyman. (La fois précédente, le pseudo chasg était apparu ... et je l'avais laissé pour ne pas risquer un blocage éventuel inutile ...

Il me semble que si chaque personne connaissait les rôles -du cerveau reptilien (activant l’instinct de survie), -du cerveau des émotions enregistrant et mémorisant les divers événements (avec l’attribution d’une sorte de coefficient positif ou négatif selon son côté agréable ou désagréable) avant de se charger de la quête du plaisir (par analogie), -du néocortex imaginatif, créatif, analytique ; ses comportements seraient totalement différents,
c. à d. moins pulsionnels, plus maîtrisés !

***Mais le ressort de la Société de consommation n’est-il pas l’exploitation « toujours plus » (t.p.) tous azimuts des manques du « cerveau des émotions » (stress et déséquilibres passagers) par la proposition de t. p. de plaisirs momentanés s’estompant dès qu’atteints ou consommés et incitant au renouvellement de la démarche … jusqu’à parfois l’entrée en dépendance (quand on devient « accro » !)

J’aimerais trouver plus de renseignements sur les résultats de l’imbrication ou de la conjugaison des deux hémisphères et des trois parties !

Api a dit…

Un dernier point à ne pas oublier
Depuis 2005, on sait qu’une évaluation comparative de notre génome et de celui du chimpanzé a décelé une différence inférieure à 2 % !

Ce résultat a provoqué un silence étourdissant !
-Les croyants n’ont pas pu admettre que leur soi-disant Dieu (Etant écrit que « L’Homme a été créé à l’image de Dieu ») puisse être dégradé !
-Les rationalistes (qui en réalité ont prolongé la religion chrétienne à une symétrie près : la parabole énoncée précédemment a été inversée en « L’Homme est un dieu en devenir » (avec un d minuscule) ont rencontré exactement le même problème existentiel et tout le monde a opté pour la « politique de l’autruche » !

Cela étant, ce refoulement général a prouvé que l’espèce des homo sapiens était non évolutive, incapable de progresser mentalement dans la continuité !
N’était-ce pas la dernière occasion de nous découvrir tels que nous étions réellement, de mettre enfin les pendules à l’heure, de repartir d’un bon pied ? !

A noter que, si vous refusez de vous considérer comme un « bonobo boosté », l’observation des publicités dites efficaces accompagnent souvent l’article promu d’un profil féminin très attirant ; que dans les conversations, quel que soit leur niveau, des images subliminales sexuelles émaillent (avec plus ou moins de raffinement) les propos !
C. Q. F.D. ? ! Oui/Non ? !

Le dépassement ne pourrait-il pas s’effectuer prochainement par une « régulation naturelle » ? !
N. B. Vers les années 1650, une régulation naturelle, telle celles observées par Darwin, s’est déclenchée alors qu’une espèce était en danger d’extinction !
L’épidémie de la myxomatose remit en cause la vie des lièvres et lapins. Mais après un élagage massif ou décimation d’environ 90 %, les survivants prospérèrent de nouveau et immunisés !

Api a dit…

Bonjour,
Je crains de trop envahir votre blog
En bref ou condensé, une info qui pourrait vous intéresser « Les arbres de l’évolution » de
L. Nottale, J. Chaline, P. Grou (éd. Hachette 2000) basée sur une enquête statistique …
Une hypothèse (de l’an 2000) si nous suivions le même chemin ….
Depuis, un début de confirmation de l’application de la « théorie des fractales » (Voir le texte précédent de 2005) !
A vous de jouer !

Raoul N a dit…

Je découvre, avec ces trois nouveaux commentaires (sous "pseudo habituel") une diversité de pistes qui laisse bien augurer des richesses du thème à peine abordé - dont : cerveaux reptilien / émotionnel (potentiel accro du t.p.) / néocortex... % entre génomes, susceptible de renvoyer dos à dos croyants et rationalistes, dans l'attente d'une régulation à la Darwin... puis un "arbre de l'évolution" qui embraye sur les théories de Mandelbrot.

Loin de considérer ces pistes comme un envahissement potentiel, je me permets néanmoins de suspendre mon jugement à leur égard et de poursuivre mon bonhomme de chemin en compagnie de l'auteur du "Maître et de son émissaire" afin de mieux m'assurer de ce qu'il a voulu exprimer. Ce qui risque de prendre un certain temps, vu l'épaisseur de l'ouvrage.

Il n'est pas impossible que d'autres visiteurs du bloc-notes soient à leur tour intéressés par vos remarques et que certains, même, viennent apporter leur propre contribution - ou des commentaires de commentaires.

RN