vendredi 25 juin 2010

Entre les deux… (5)

A première vue, le cerveau semble plus large du côté gauche. On s’est aperçu que le centre de la parole se trouvait dans le lobe frontal correspondant, puis celui du langage plus en arrière. Une observation plus minutieuse montre que le cerveau marque un pivotement autour de son axe vertical, ce qui se traduit par un hémisphère droit qui prend plus de place qu’on aurait pu le croire – or c’est notamment de ce côté-là que se s’élaborent les images en trois dimensions.

Malgré leurs lobes frontaux peu développés, les animaux manifestent déjà des différences entre les parties gauche et droite de leur cerveau. Les oiseaux, par exemple, doivent pouvoir, simultanément, focaliser leur attention afin de repérer et saisir des grains à picorer, et surveiller les alentours en raison de la menace des prédateurs. Idem pour d’autres animaux quand il s’agit d’attraper un fruit ou leur proie (le chat utilise en priorité l’une de ses pattes dans ce but)… ou pour se positionner parmi les congénères avec lesquels ils cheminent.
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C’est dans ces conditions que l’on observe que le côté gauche du cerveau se consacre aux tâches qui permettent à l’animal d’agir sur le monde à son propre bénéfice, tandis que le côté droit prend en charge des fonctions plus sociales – vis-à-vis des ennemis tout aussi bien qu’en relation avec les amis. C’est à partir de ce côté que s’expriment les émotions, alors que celui d’en face aurait tendance à les inhiber.

Pour les hommes, comme pour les animaux, le côté droit est le siège d’une attention flexible et portant sur un large spectre : il perçoit des globalités et situe les choses dans un contexte ; il est en outre l’endroit de l’émotionnel et de l’empathie. Du côté gauche, en revanche, c’est une attention focalisée qui prévaut : on y voit le monde en pièces détachées, quitte à le reconstruire ensuite – ce qui est bien différent de la notion globalisante que l’on rencontre en face.

L’attention : attention !
Évitons d’aborder la notion d’attention comme s’il s’agissait d’une faculté cognitive comme d’autres. C’est une fonction autrement plus essentielle : du type d’attention que nous portons au monde, il résulte que nous en changeons la nature même. Chacun sait que selon que je suis votre employeur, votre amant, un suspect… vous me percevrez bien différemment – et que vous vous percevrez vous-même, selon le cas, bien différemment aussi. Et cela ne vaut pas seulement vis-à-vis des êtres humains : alors qu’il s’agit objectivement toujours de la même montagne, celle-ci ne représente pas la même chose pour un peintre, un prospecteur de minerai ou un alpiniste.

Ainsi, toute objective, détachée et potentiellement utile qu’elle puisse être, la science qui se targue de dévoiler la vérité de chaque chose, n’est qu’une façon parmi d’autres de les voir et, de ce fait, porteuse de valeurs qui lui sont propres et dont d’autres valeurs peuvent différer.

On découvre notamment, en neurobiologie et en neuropsychologie, que le fait d’assister à ce que fait quelqu’un d’autre (et même de penser à ce qu’il fait… ou tout simplement de penser à cette personne) nous induit à lui ressembler davantage (par ex. : boire, penser, sentir…).
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A la différence de fonctions dites cognitives, neutres en termes de valeurs, les formes de l’attention nous rendent ainsi partenaires de la création du monde et de nous-mêmes… et elles sont chargées de valeurs. C’est alors que nous sommes dans le comment ? et non plus dans le qu’est-ce que c’est ? (whatness / howness).

Comprendre le cerveau
Or, si la nature de l’attention portée à quelque chose modifie ce que l’on va en découvrir, comment échapper au fait qu’une attitude détachée est illusoire ? Cela voudrait-il dire que la vérité resterait inaccessible ? Nous verrons par la suite que la situation n’est pas aussi désespérée. Mais il va falloir en passer par quelques allers-et-retours pour traiter de notre compréhension du cerveau – ce cerveau qui, lui-même, contribue à notre compréhension du monde en s’appuyant sur ses deux hémisphères… l’un et l’autre s’y prenant chacun à sa manière. Or ce ne sont pas deux manières de penser le monde mais deux manières d’être au monde. Nous verrons que cette différence n’a rien de symétrique : elle est fondamentalement asymétrique.
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The Master and his Emissary - The divided brain and the making of the Western world - Iain McGilchrist - Yale University Press - 2009 - 597 pages.
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Le présent billet fait suite à celui du 18 juin. Il fait partie d’une séquence sur le Cerveau commencée le 4 juin 2010 (voir la liste des thèmes dans la marge de droite). Il n'est pas exclu qu'au cours de la traduction et en cherchant à condenser, il y ait eu des erreurs ou une mauvaise compréhension : se référer directement à l'ouvrage mentionné ci-dessus.
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