vendredi 15 juillet 2011

A mi-2011 - Finance



Ce billet résulte d’une relecture de ce qui a été publié depuis début 2011 dans le blog Démystifier la finance : Éthique et marchés de Georges Ugeux. C’est le quatrième récapitulatif semestriel sur ce thème. La sélection pourra paraître arbitraire et le compactage – pour rester dans un volume acceptable – en donne parfois une vision déformée : revenir si besoin aux textes originaux :

L’Asie au chevet de l’Euro : un répit bienvenu
(12 janvier)
La Chine et le Japon ont pris des initiatives publiques qui indiquent que le sort de l'Euro ne les indiffère pas. Ce n'est pas là un acte purement altruiste, même s’il y a un vrai sens de la solidarité entre les nations dans ces temps de crise. La déclaration de la Banque du Japon de son intention de souscrire à 20% des obligations irlandaises mises sur le marché a eu pour effet d'arrêter une baisse de l'Euro, et a évité ce qui aurait pu être une journée noire. Gros investisseur en obligations d'État, la Chine représente une vraie capacité de soutien. Il y a déjà quelques mois, elle avait annoncé son intention de souscrire à des obligations grecques pour environ 3 milliards d'euros. Elle a, à plusieurs reprises, réaffirmé son soutien à l'Euro.

D'un point de vue asiatique, l'affaiblissement de l'Euro est une mauvaise nouvelle. L'arrivée de la devise européenne avait constitué une alternative au dollar comme monnaie de réserve. Toutes les banques centrales asiatiques détiennent non seulement des bons du Trésor américains, mais des obligations d'État des pays européens. De surcroît, l'Asie porte la reprise de la croissance économique du reste du monde. Si l'Europe s'affaiblit, cette charge s'accroît : en effet, les Européens risquent de ne plus être acheteurs de produits asiatiques et cela menacerait leurs propres industries d'exportation.

Vers une cession d’actifs par les gouvernements européens ?
(24 janvier)
Les tensions sur les marchés des obligations souveraines européennes continuent de plus belle. Les racheter à travers le Fonds Européen de Stabilité est l'exemple même de décisions qui ont l'air intelligentes à court terme, et détériorent la situation à moyen terme.

Pourquoi pas une cession d'actifs par les Gouvernements européens ? Pour chaque euro d'actifs cédés, la dette diminue d’autant, et les intérêts à proportion du taux de cette dette.

Il y a d'abord les actifs que les gouvernements ont acquis dans le cadre des opérations de sauvetage de la crise financière. * Les États-Unis ont entamé ce processus de cession il y a deux ans, l’Europe non. Ces interventions n'ont plus de raison d'être maintenues, et les marchés se sont substantiellement améliorés depuis.
* Dans le cas français : participations dans BNP Paribas et Dexia, ainsi que divers prêts à des banques.

Par ailleurs, l'Europe est pleine de participations qui ne se justifient même pas par le service public. Maintenant exsangues, les États n'ont plus les moyens d'accompagner les entreprises et deviennent des obstacles à leur croissance et a leur compétitivité. Il est important d'effectuer ces cessions à froid : en cas de crise des finances publiques, de telles cessions s'effectueraient en urgence à des valeurs dépréciées.

Dette européenne : droit dans le mur ?
(24 mars)
Les mesures et les atermoiements européens ne permettront pas d'arrêter la crise de la dette de certains pays de l'Eurozone. Hier, c'était le Portugal : son Premier Ministre ouvre une crise politique en démissionnant parce que son Parlement ne veut pas d'austérité. Aujourd'hui, ce sont les obligations irlandaises qui voient leur taux augmenter de manière dramatique par crainte d'un défaut de paiement. Effet de boule de neige pour les pays obligés d'emprunter : leur situation financière s’aggrave, la crante des investisseurs s’amplifie, etc.

Pourquoi une telle inertie ? En raison des conséquences pour les banques. Pour les stress tests les concernant, les banques ont conseillé de ne pas prendre en compte le portefeuille bancaire dans lequel se trouve la plus grosse partie des obligations d’État. Ce scénario aurait démontré qu’elles ont des actifs qui ne valent plus le montant nominal comptabilisé, et ce pour des milliards d'euros. La politique de l'autruche.

Les Chefs d'Etat et de Gouvernement se réunissent une fois de plus pour décider de changements au fonds d'intervention : L'accord va permettre de commencer des négociations avec le Parlement européen, dans le but d'atteindre un accord général en juin. En juin, le marché des obligations européennes sera un bain de sang pour les pays et pour les banques.

La première décision pour éviter ce bain de sang serait un processus de restructuration ordonné de la dette de la Grèce – sur le modèle du FMI, qui est partenaire dans le fonds européen de stabilité. Cette restructuration en annoncerait d'autres. A ce stade, Dieu seul pourra protéger l'Europe contre une catastrophe dont ses dirigeants ne semblent même pas mesurer l'ampleur.

Wall Street a-t-elle perdu la tête ?
(26 avril)
Les marchés ont toujours raison. Depuis quelques années, nous avons vu que Wall Street était capable de lourdement se tromper. Depuis le début de 2011 : le Dow Jones frôle les 9% – soit autour de 30% sur une base annuelle.

Or, sur la même période, nous avons eu une révolution populaire à travers le Moyen-Orient, un tsunami suivi d’une crise nucléaire au Japon, une hausse de 25% du taux des obligations du Trésor américain à 10 ans, un doublement des taux des obligations des pays européens en difficulté, une perspective négative sur la notation des États-Unis, des résultats des entreprises considérés comme médiocres pour le premier trimestre, une hausse des prix des denrées alimentaires de prés de 20%, idem pour l’essence… et le dollar clairement en perte de vitesse.

L’inflation est à nos portes, l’Europe et les États-Unis sont devenus vulnérables, les taux d’intérêt sont à la hausse. Chacun de ces facteurs aurait dû influencer le climat a Wall Street à la baisse. Devant ce déni collectif, qui rappelle celui de 2007, les marchés boursiers semblent avoir perdu la raison. Le moment est venu de protéger son capital. Cette euphorie de Wall Street est une belle occasion de vendre.

Grèce : l’aveu d’impuissance de la Banque Centrale Européenne
(11 mai)
Il y a quelque chose de pathétique dans la position de la BCE Elle s'oppose à la restructuration de la dette grecque. Celle-ci a augmenté de 50 milliards de dollars en un peu plus d'un an.

Son argumentation semble imparable : nous ne pouvons pas restructurer pour ne pas provoquer des pertes dans les banques. A contrario, cela signifie que les banques détiennent des actifs considérables en obligations d'État européennes et que si l'on devait leur donner une valeur de marché, elle serait substantiellement inférieure à leur valeur comptable. Une telle restructuration pourrait créer une crise plus importante que la chute de Lehman Brothers. Oui, une restructuration fait mal. Oui, les créanciers – principalement institutionnels – vont souffrir.

C'est un aveu d'impuissance que la BCE vient d'émettre. Mieux vaut ne pas restructurer maintenant en espérant que la situation se sera améliorée demain. La réalité est l'aggravation de la situation chaque jour. Le statu quo n'est pas une option. C'est ce que l'on appelle la politique de l'autruche.

Le tsunami de la contagion de l’Eurozone se rapproche
(24 juin)
Dans les dernières 24 heures, une trentaine de banques ou institutions financières italiennes ainsi que ENEL (électricité) et ENI (pétrole) et, surtout, la dette souveraine italienne ont été placées en perspective négative par Moody’s ou S&P. On constate par ailleurs des aggravations dans l’appréciation des marchés vis-à-vis des dettes ou placements d’obligations italiennes, espagnoles, belges et même françaises.

En faut-il plus pour admettre que le tsunami de la contagion européenne se rapproche ? Il ne s’agit plus d’éviter la contagion, mais de la gérer... Faute d’indiquer la durée, le montant et le taux d’intérêt de la consolidation des obligations grecques venant à échéance jusqu’en 2014, aucune chance d’arrêter l’hémorragie grecque et la contagion. Il s’agit bien d’arrêter l’hémorragie. Il ne s’agit pas de résoudre le problème.

Les chefs d’entreprises françaises et allemandes ** l’ont dit tout haut cette semaine, en signant une déclaration commune sans ambiguïté : […] nous voulons souligner les immenses avantages que l'espace monétaire commun a apportés. […] L'union monétaire a durablement besoin de finances publiques solides, de règles de responsabilité claires, de structures transparentes et de conditions de concurrence équitables. […] Un échec de l'euro serait un revers fatal pour l'Europe.

** Dont les entreprises suivantes : Valeo, BASF, Deutsche Bank, REWE, Rhodia, Thyssen Krupp, Vallourec, Saint-Gobain, Total, CDC, Allianz, Bosch, Veolia, Groupe Rothschild, Cap Gemini, Lazard, Alsthom, Schneider, Lafarge, Areva, Publicis, Vivendi, Siemens, GDF Suez, Deutsche Telekom, Société Générale, Air Liquide, BMW, France Telecom, Michelin, Legrand, Air-France KLM, E.ON, Alcatel-Lucent, Sanofi, Daimler…

Agences de notation : la grande hypocrisie des Gouvernements
(11 juillet)
La légitimité des agences de notation présente trois grandes faiblesses :
- Leur gouvernance est entre les mains de leurs actionnaires. On ne peut pas jouer avec le crédit d’Etats souverains de manière aussi légère qu’elles le font en ce moment. Au-dessus des structures actionnariales et de management, il faut les doter d’un board of trustee composé de personnalités reconnues, la représentation des actionnaires y étant minoritaire. L’établissement et les procédures de notation devraient avoir leur approbation.
- La transparence est très insuffisante : absence d’information analytique sérieuse publiée pour étayer les jugements sous-jacents aux décisions d’avertissement ou de diminution de notations pour les États-Unis et en Europe. Faire son métier de manière professionnelle ne suffit pas. Trop subjectives, leurs affirmations semblent coller au marché, plutôt que de constituer un jugement de qualité. Ne pas oublier qu’elles ont, elles-mêmes, à surmonter une crise de confiance, suite à la manière irresponsable dont elles ont noté les obligations liées aux subprimes à l’origine de la récente crise financière.
- Le timing des annonces faites à l’improviste est inacceptable. Les dernières ont même créé une suspicion de manipulation des marchés. La vertu des notations devrait être dans leur régularité (trimestrielle, comme pour les entreprises, voire mensuelle en cas de crise), sur base de faits nouveaux.

A noter par ailleurs que la menace d’un défaut de paiement est peut être techniquement correcte, mais irresponsable. Et c’est oublier que ce sont les agences de notation elles-mêmes qui ont construit un système très rémunérateur qui a des conséquences exponentielles en cas de défaut.

Le baromètre a donc de réelles faiblesses. Mais attaquer les agences, comme le font des dirigeants européens, est faire preuve d’une immense hypocrisie (on voit des ministres des finances s'attribuer le mérite des notations positives et blâmer les agences quand elles sont négatives).

Ils ont fait pression sur la Banque Centrale Européenne pour que, contrairement à ses statuts, elle accepte de financer les banques et les obligations des États. Il en résulte que la BCE a maintenant un mauvais bilan et ne peut pas ne pas tenir compte du risque qu’elle a assumé. Pourtant, ces dirigeants accusent la BCE au lieu de résoudre leurs problèmes.

De même, ne pas associer les banques et assurances européennes à la restructuration de la dette des États en difficulté n’a aucun sens, ni moral ni financier. Il n’y a pas de solution qui arrête l’hémorragie sans une telle contribution.

La crise actuelle était prévisible depuis fin 2009. La pente qui mené à la crise est notamment le résultat d’accords passés entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. La confiance dans les dirigeants politiques européens n’existe plus.

mercredi 13 juillet 2011

A mi-2011 - Livres


Avec un léger décalage, j’entame mes rétrospectives semestrielles par une relecture de ce qui a été publié dans La république des livres (RDL) de Pierre Assouline depuis le début de l’année. Je rappelle qu’il s’agit d’un des blogs francophones les plus suivis – en particulier dans le domaine du journalisme littéraire.

Ceux qui prétendent y réagir, souvent des habitués, en ont fait un forum où bavarder entre eux, san trop se soucier du sujet du jour. Ce que l’auteur du blog dit déplorer. On trouvera, plus bas, un article du 15 juin sur la modération des commentaires. Je m’étais exprimé sur ce phénomène à mi-janvier, à l’occasion d’un billet de Pierre Assouline sur Indignez-vous ! de Stéphane Hessel, qui avait franchi la barre des 700 soi-disant commentaires – belle performance réalisée par cinq articles de la RDL en 2010.

Hessel compris, 2011 semble plus prolifique : dès le premier semestre, les cinq plus de 700 ont été atteints, avec Proust toujours ! La télévision rattrape le temps perdu, en février, et Tanizaki nous fait encore de l’ombre, en mai, ainsi que deux autres que l’on va découvrir dans les lignes qui suivent, et qui sont marqués d’un astérisque.

La sélection que j’ai opérée ivi pourra paraître arbitraire et le compactage – pour rester dans un volume acceptable – en donne parfois une vision déformée : revenir si besoin aux textes originaux :
http://passouline.blog.lemonde.fr/
La Comédie-Française réussit à rendre le Tramway indésirable (11 février)
Tennessee Williams est non seulement le premier américain mais le premier dramaturge non-européen à être inscrit au répertoire de la Comédie-Française. L’entrée se fait en majesté par le biais d’Un tramway nommé désir. Histoire que presque tout le monde l’a vue, grâce au film intense d’Elia Kazan (1951), véritable leçon de direction d’acteurs, et surtout à l’interprétation de Marlon Brando.

Pour rendre cette situation toute de violence et de tension, la Comédie-Française a fait un choix new yorkais en confiant la mise en scène à Lee Breuer, avec le risque de transformer la scène en barnum. Il en a fait une sorte de comédie musicale. C’est regrettable Comme il se doit dans tout musical, les protagonistes étaient sonorisés : un micro habilement dissimulé sur chacun d’eux. C’est le détail qui tue ; et comme il y en a pour trois heures, on souffre… dans ces murs où des générations ont lancé leurs mots jusqu’aux cintres sans l’aide d’aucune béquille technologique.

Ces mauvaises manières faites à Tennessee Williams sont d’autant plus affligeantes que les comédiens sont impeccables, que le texte français est magnifique, que le choix jazzistique surprend en bien, et que le texte de la pièce nous parle toujours tant son écriture est admirable de précision, d’acuité, et tant la solitude qui a hanté l’auteur toute sa vie éclate sous chaque phrase.

Daniel Mendelssohn en critique exemplaire (27 mars)
Heureux les lecteurs américains qui disposent d’un genre inconnu dans nos pays : l’essai critique. La chose se présente sous la forme d’un article très long, substantiel, fourni, argumenté, comparatif ; les informations y sont puisées aux meilleures sources ; l’esprit en est transdisciplinaire; la plume y est libre d’épouser les contours de son choix ; l'érudition généreusement sollicitée dans le seul souci de contextualiser le moindre clin d'œil … et l’auteur est suffisamment bien payé pour s’accorder le temps nécessaire à la rédaction de son texte.

En un temps où l'on se demande à quoi bon des critiques traditionnels, le métier dont il fait preuve s'impose comme un rappel indispensable, avec tout le travail que cela suppose quand bien même serait-il invisible. Daniel Mendelssohn, connu en France et dans le monde pour son récit sur les traces de sa famille prise dans la nasse de la guerre (Les Disparus), consacre l’essentiel de son temps à cette activité critique. Le lecteur français a toutes les raisons de se réjouir de la publication de Si beau, si fragile, recueil de quelques uns de ses essais critiques les plus remarqués.

La littérature et le cinéma, rarement séparés, sont au cœur de ces articles. Il ne cesse jamais de payer sa dette à l’éthique des classiques, non par révérence au patrimoine, mais en pleine conscience que les humanités gréco-latines et les Lumières demeurent à ses yeux le mètre-étalon de ce qui peut éclairer la pensée créatrice. S’il est un fil d’Ariane qui relie tous ces textes, c’est bien la crise culturelle qui tend à faire table rase de ce critère absolu du jugement.

Fortune du réflexe de Pavloff * (12 mai)
Devant la caisse, chez le libraire ! L’endroit est stratégique. Certains petits livres, recueils de maximes, citations et autres pensées plus ou moins profondes, ont dû leur succès à cette situation enviée.

Ce qui est nouveau, en revanche, c’est ce que l’on pourrait appeler le réflexe de Pavloff (à ne pas confondre avec le réflexe de Pavlov), baptisé ainsi en hommage à Frank Pavloff, auteur de Matin brun, nouvelle antifasciste de douze pages que la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour des élections de 2002 propulsa au delà du million d’exemplaires. Matin brun vient de faire son retour dans la liste des meilleures ventes, phénomène concomitant à la percée de Marine Le Pen dans les sondages.

Nous parlons ici de plaquettes plutôt que de livres, longs d’une vingtaine de pages, vendus entre 1,5 euros et 5 euros. Les lecteurs en achètent par poignée. Pour les donner en se donnant l’illusion d’offrir un livre. Ou même en croyant avoir l’acte de lecture citoyen. Ces livres brochés sont si peu épais qu’ils n’ont pas de dos ; ils sont donc inidentifiables en rayon [d’où une éventuelle proximité de la caisse ? voir plus haut].

L’éphémère est leur nature. A y bien regarder ce ne sont jamais que des articles allongés. Leur ton polémique les raccorde aux libelles d’autrefois. Ce qui pourrait susciter des vocations chez des journalistes : libérés des contraintes d’espace, ils le seraient également tant dans l’esprit que dans la lettre vis-à-vis de leur rédaction.

Ces librairies où les vendeurs sont des écrivains * (23 mai)
Marqué d’un astérisque, comme le précédent, ce billet a généré plus de 700 commentaires…. Beaucoup plus, même : près de 1200 – pas très loin de celui sur Churchill et de Gaulle, un an plus tôt.

Les écrivains ont fait tous les métiers sinon ils ne seraient pas écrivains. Du moins en Amérique. Chez nous aussi, sauf que ce sont le plus souvent des métiers qui tournent autour de l’écriture : professeur, journaliste, éditeur, correcteur, traducteur, bibliothécaire. Mais de libraires, point. Comme si la pratique littéraire décourageait de la vendre. Alors qu’aux États-Unis, c’est courant.

L’écrivain français est trop fier, trop individualiste et trop orgueilleux pour se mettre au service des autres. Il serait le premier à rappeler qu’un employé de librairie est d’abord un employé, quand en Amérique, ces écrivains sont d’abord vus comme des lecteurs très qualifiés. Dommage. Au moins, cela aurait enrichi le vieux débat jusque là confiné au rôle des critiques.

Un exemple : la librairie BookCourt, à Brooklyn (NY) où les trois quarts des employés sont des écrivains. Depuis une trentaine d’années qu’elle existe, cette librairie familiale fidélise la clientèle en organisant six rencontres/lectures par semaine, et augmente régulièrement son chiffre d’affaires à mesure qu’Amazon étend son empire.

Elle a toujours eu des vendeurs qui étaient écrivains par ailleurs. A mi-temps, ce qui leur permet d’assurer l’essentiel. On n’encourage pas l’écriture pendant les heures de travail : les notes, pourquoi pas, mais pas l’écriture (on se souvient qu’un vendeur a été viré parce qu’il ne pouvait s’empêcher de noircir ses cahiers au lieu de s’intéresser à la clientèle).

Mais elle vend peu d’auteurs étrangers car il y en a peu de traduits aux États-Unis : 3%. Une misère. Le site Three Percent, lancé dans le cadre de l'université de Rochester afin de pallier cette carence, le martèle en permanence. Des classiques bien sûr (Proust, Dostoïevski) mais presque pas de contemporains hormis quelques chéris des campus.

De quoi la modération est-elle le nom ? (15 juin)
Un séminaire était organisé qui réunissait des blogueurs hébergés par Le Monde.fr. Une grande partie de la rencontre fut consacrée à la délicate question de la modération des commentaires. Des représentants de la dite modération se trouvaient là en chair et en os – jusqu’alors, des anonymes traitaient des anonymes. Il s’agit d’une société qui ne fait uniquement que de la modération sur plusieurs millions de contenus chaque mois (en moyenne 50 000 sur les blogs du Monde.fr).

Ce sont bien des personnes qui modèrent 24h sur 24 (120 modérateurs pour l’ensemble de ses clients). Une grande partie (80%) est délocalisée en Afrique du Nord, en Afrique Noire, en Asie, à l’île Maurice… Ils sont bilingues, diplômés, bien plus motivés que les modérateurs français, et ils ont davantage de recul sur les sujets.

La société possède une charte de modération mais qui doit rester secrète pour des raisons de sécurité. Elle a pour but d’organiser la subjectivité du travail des modérateurs. Il faut qu’un commentaire ait le même verdict quelle que soit l’heure et le modérateur. La diffamation, l’injure et l’incitation à la haine raciale sont irrémédiablement bannis. La violence sur internet est un phénomène mondial, et non franco-français. L’acharnement contre un autre commentateur est un critère de taille. Depuis quatre ans que la société travaille pour Le Monde.fr, 5 à 10% des commentaires sont balancés chaque mois.

On aurait aimé en savoir davantage sur la vie privée qui ne semble pas avoir fait l’objet d’une analyse approfondie dans la charte ; elle paraît se limiter à la divulgation des noms, adresses postales et IP, numéro de téléphone… Or s’il y a bien une problématique qui agite l’ensemble de la presse, c’est bien le respect de la vie privée.

Ramsès II en route vers l’éternité (30 juin)
La singularité de l’histoire telle que Robert Solé nous la déroule tient à l’enchevêtrement de deux récits :

- Celui de l’auteur voué aux heurts et malheurs du pharaon – du pillage de sa tombe à son voyage à Paris en 1977 pour s’y faire soigner, en passant par sa découverte dans la montagne thébaine en 1881.

- Et celui de Ramsès II lui-même qui livre ses impressions sur tout ce charivari survenu en son éternité chamboulée. Car il se trouve dans une situation ambiguë, vivant et mort à la fois. Solé, d’origine égyptienne, s’est si bien identifié à lui qu’il lui prête une voix, des accents, des réflexes qui sonnent juste. A titre d’exemple : il s’énerve d’être passé à la postérité comme le pharaon de l’Exode, alors qu’il assure n’avoir jamais rencontré ce Moïse et qu’à ses yeux toute cette histoire de Mer Rouge s’ouvrant avant de se refermer relève de la fable.

Du best-seller au long-seller (11 juillet)
C’est la liste des meilleures ventes de livres qui fait le best-seller, l’effet d’emballement suit. Les libraires, les éditeurs et les journalistes, savent de quoi il en retourne exactement. Il faut figurer parmi les cinq premiers : après le cinquième, on assiste à un décrochage vertigineux, digne d’un trou d’air en haute altitude. A la différence de ce qui se passait avant, il n’y a plus de ventes moyennes.
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La partie supérieure de l'illustration de cet article représente une bibliothèque bénédictine en Allemagne.

jeudi 7 juillet 2011

Obésité pourrielle 11-T2


Pour ce nouveau point sur les spams, nous avons décidé, Ivona et moi, de ne pas trop nous attarder sur leur ventilation en détail mais d’en regarder l’évolution d’ensemble.

Cela fait bientôt deux ans que nous avons mis en place et plus ou moins amélioré notre observatoire trimestriel. Les habitués de ce bloc-notes en connaissent les limites : il s’appuie sur 5 adresses e-mail fournies par un seul et même fournisseur d’accès Internet (FAI). Le schéma ci-dessus illustre le mécanisme d’arrivée et de filtrage des spams. Les graphiques donnent une idée de l’évolution

La baignoire, en haut, figure le FAI. Les spams destinés à ces 5 adresses se déversent dans la baignoire : il y en a quelques milliers par trimestre (le graphique va de zéro à 6000 et commence au 3ème trimestre 2009, marqué 2009-III). Une grosse partie est arrêtée par le FAI (sur la gauche) et le reste continue en direction de l’ordinateur (PC) : on en voit l’évolution sur le graphique en haut à droite qui, lui, va de zéro à 600).

Mais le PC est encore protégé par son logiciel anti-spams, symbolisé par un parapluie. Le flux de spams se sépare ici encore en deux : ceux qui s’écoulent vers la gauche et ceux qui, à droite, parviennent jusqu’à la boite de réception de la messagerie, dans le PC. Ce sont les deux graphiques du bas : ils vont chacun de zéro à 300.

Voyons les choses d’un peu plus près en repartant depuis le début. La courbe des spams qui arrivent dans la baignoire / FAI est un peu chahutée : elle démarre autour de 2000 puis grimpe pour approcher 5000 au cours du 1er semestre 2010 : coup d’arrêt au cours du 2nd semestre pour passer au-dessous de 1000… et amorce de remontée vers la fin.

Le FAI semble s’adapter à la situation puisque la courbe des spams qu’il bloque (courbe à gauche, au-dessous de la précédente) a pratiquement la même forme : elle a débuté autour de 1300, a franchi la barre des 4000, a chuté aux alentours de 500… et pointe maintenant du nez à plus de 800. On constate, en revanche, que le flux des spams qui poursuivent leur chemin vers le PC, ne présente pas de telles bosses ni de tels creux : elle serpente dans un tunnel entre 200 et 400.

Ivona, qui suit spécialement ce dossier depuis le début, me fait remarquer qu’au fil du temps, le comportement au niveau du FAI s’explique par deux ou trois phénomènes.

D’abord, la forte montée des spams au début de 2010 a déclenché une double réaction de la part des opérateurs Internet : au niveau mondial, notamment à l’encontre de la vague parapharmaceutique (ex. : viagra), ainsi qu’en France où de nouveaux responsables de cette lutte ont fait savoir qu’on allait voir ce qu’on allait voir. Le fait que l’on n’ait presque plus vu de spams en anglais depuis témoigne de l’efficacité réelle (les sources ont été fermées) ou apparente (l’information sur ce qui en parvient n’est plus disponible) de ces mesures… on note cependant que, alors que l'ensemble des spams anglo-saxons s'est évaporé,  l’église de scientologie (messages en anglais) n’a pas baissé les bras.

D’autre part, le barrage amont du FAI tient aussi compte de ce que les utilisateurs lui demandent individuellement. Supposons que vous avez fait un achat en ligne et que – bien que vous ne l’ayez pas demandé, et même parfois coché certaines cases de refus – vous soyez soumis à une avalanche de propositions de la part de cette société. Votre demande directe est parfois ignorée ou souvent contournée sous forme de propositions venant d’ailleurs. Le plus efficace est de le signaler au FAI qui vous met un barrage perso pour vous protéger de cette source indésirable. Depuis que les spams anglo-saxons se sont raréfiés, la plus grosse partie de ce qui arrive désormais pour être bloqué à ce stade, correspond à des gens que nous avons nous-mêmes signalés.

Venons-en au filtrage par logiciel anti-spams à l’intérieur de notre PC (le parapluie). Parmi les quelques 200 à 400 que le FAI avait laissé passer, une bonne moitié (proche de 200) est mise de côté dans une sorte de corbeille anti-spams, tandis qu’une petite autre moitié (qui passe au dessous des 100 par trimestre) continue de débarquer directement dans la boite de réception.

Ici aussi, le filtrage dépend, d’une part du fournisseur du logiciel de protection qui effectue une analyse permanente concernant les spams qui se promènent sur Internet, d’autre part de ce que nous lui signalons. Habituellement nous le lui signalons à la 3ème fois qu’un expéditeur indésirable nous envoie quelque chose. En revanche, nous attendons une dizaine de fois pour faire un signalement au FAI.

Pour terminer, quelques indications qui n’apparaissent pas directement dans l’illustration de cet article. A quel rythme les émetteurs de spams apparaissent-ils puis disparaissent-ils ? On a vu plus haut qu’ils y en a de particulièrement tenaces : des années après qu’on les ait jetés dans les oubliettes de l’indésirable (barrage amont mis en place à notre demande chez le FAI), on se rend compte qu’ils continuent à proposer encore leurs salades.

Mais parlons plutôt des autres – ceux que l’on n’avait jamais encore vus puis qui disparaissent de l’horizon par eux-mêmes. Il s’agit des émetteurs responsables des 200 à 400 spams qui se déversent de la baignoire / FAI sur le parapluie du logiciel de protection interne au PC. Alors qu’il y avait plus de 150 émetteurs de spams (parfois plus de 200) auparavant, leur nombre est descendu à la centaine en 2011.

Occupons nous d’abord de ceux qui abandonnent au cours d’un trimestre : grosso modo les deux tiers de ceux qui étaient là au début du trimestre – ce pourcentage est relativement constant. Et les nouveaux venus ? Il ne semble pas que, pour la période la plus récente, leur nombre dépende à ce point du stock existant : en pourcentage, fin 2010 et début 2011, un nouveau venu pour deux émetteurs existant ; en ce 2nd trimestre 2011, les deux tiers ; en nombre aussi, bien que le stock initial ait pourtant baissé : 5 nouveaux par semaine au lieu de 4.

Remarque de précaution qui reprend ce qui avait été mentionné dans des billets précédents : une même marque peut utiliser des émetteurs différents et donc réapparaître sous une autre casquette – pratique relativement limitée cette année ; de même certains émetteurs promeuvent plusieurs marques différentes – c’est plus fréquent. Petite floraison, enfin, pour vendre des chemises.