mercredi 13 juillet 2011

A mi-2011 - Livres


Avec un léger décalage, j’entame mes rétrospectives semestrielles par une relecture de ce qui a été publié dans La république des livres (RDL) de Pierre Assouline depuis le début de l’année. Je rappelle qu’il s’agit d’un des blogs francophones les plus suivis – en particulier dans le domaine du journalisme littéraire.

Ceux qui prétendent y réagir, souvent des habitués, en ont fait un forum où bavarder entre eux, san trop se soucier du sujet du jour. Ce que l’auteur du blog dit déplorer. On trouvera, plus bas, un article du 15 juin sur la modération des commentaires. Je m’étais exprimé sur ce phénomène à mi-janvier, à l’occasion d’un billet de Pierre Assouline sur Indignez-vous ! de Stéphane Hessel, qui avait franchi la barre des 700 soi-disant commentaires – belle performance réalisée par cinq articles de la RDL en 2010.

Hessel compris, 2011 semble plus prolifique : dès le premier semestre, les cinq plus de 700 ont été atteints, avec Proust toujours ! La télévision rattrape le temps perdu, en février, et Tanizaki nous fait encore de l’ombre, en mai, ainsi que deux autres que l’on va découvrir dans les lignes qui suivent, et qui sont marqués d’un astérisque.

La sélection que j’ai opérée ivi pourra paraître arbitraire et le compactage – pour rester dans un volume acceptable – en donne parfois une vision déformée : revenir si besoin aux textes originaux :
http://passouline.blog.lemonde.fr/
La Comédie-Française réussit à rendre le Tramway indésirable (11 février)
Tennessee Williams est non seulement le premier américain mais le premier dramaturge non-européen à être inscrit au répertoire de la Comédie-Française. L’entrée se fait en majesté par le biais d’Un tramway nommé désir. Histoire que presque tout le monde l’a vue, grâce au film intense d’Elia Kazan (1951), véritable leçon de direction d’acteurs, et surtout à l’interprétation de Marlon Brando.

Pour rendre cette situation toute de violence et de tension, la Comédie-Française a fait un choix new yorkais en confiant la mise en scène à Lee Breuer, avec le risque de transformer la scène en barnum. Il en a fait une sorte de comédie musicale. C’est regrettable Comme il se doit dans tout musical, les protagonistes étaient sonorisés : un micro habilement dissimulé sur chacun d’eux. C’est le détail qui tue ; et comme il y en a pour trois heures, on souffre… dans ces murs où des générations ont lancé leurs mots jusqu’aux cintres sans l’aide d’aucune béquille technologique.

Ces mauvaises manières faites à Tennessee Williams sont d’autant plus affligeantes que les comédiens sont impeccables, que le texte français est magnifique, que le choix jazzistique surprend en bien, et que le texte de la pièce nous parle toujours tant son écriture est admirable de précision, d’acuité, et tant la solitude qui a hanté l’auteur toute sa vie éclate sous chaque phrase.

Daniel Mendelssohn en critique exemplaire (27 mars)
Heureux les lecteurs américains qui disposent d’un genre inconnu dans nos pays : l’essai critique. La chose se présente sous la forme d’un article très long, substantiel, fourni, argumenté, comparatif ; les informations y sont puisées aux meilleures sources ; l’esprit en est transdisciplinaire; la plume y est libre d’épouser les contours de son choix ; l'érudition généreusement sollicitée dans le seul souci de contextualiser le moindre clin d'œil … et l’auteur est suffisamment bien payé pour s’accorder le temps nécessaire à la rédaction de son texte.

En un temps où l'on se demande à quoi bon des critiques traditionnels, le métier dont il fait preuve s'impose comme un rappel indispensable, avec tout le travail que cela suppose quand bien même serait-il invisible. Daniel Mendelssohn, connu en France et dans le monde pour son récit sur les traces de sa famille prise dans la nasse de la guerre (Les Disparus), consacre l’essentiel de son temps à cette activité critique. Le lecteur français a toutes les raisons de se réjouir de la publication de Si beau, si fragile, recueil de quelques uns de ses essais critiques les plus remarqués.

La littérature et le cinéma, rarement séparés, sont au cœur de ces articles. Il ne cesse jamais de payer sa dette à l’éthique des classiques, non par révérence au patrimoine, mais en pleine conscience que les humanités gréco-latines et les Lumières demeurent à ses yeux le mètre-étalon de ce qui peut éclairer la pensée créatrice. S’il est un fil d’Ariane qui relie tous ces textes, c’est bien la crise culturelle qui tend à faire table rase de ce critère absolu du jugement.

Fortune du réflexe de Pavloff * (12 mai)
Devant la caisse, chez le libraire ! L’endroit est stratégique. Certains petits livres, recueils de maximes, citations et autres pensées plus ou moins profondes, ont dû leur succès à cette situation enviée.

Ce qui est nouveau, en revanche, c’est ce que l’on pourrait appeler le réflexe de Pavloff (à ne pas confondre avec le réflexe de Pavlov), baptisé ainsi en hommage à Frank Pavloff, auteur de Matin brun, nouvelle antifasciste de douze pages que la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour des élections de 2002 propulsa au delà du million d’exemplaires. Matin brun vient de faire son retour dans la liste des meilleures ventes, phénomène concomitant à la percée de Marine Le Pen dans les sondages.

Nous parlons ici de plaquettes plutôt que de livres, longs d’une vingtaine de pages, vendus entre 1,5 euros et 5 euros. Les lecteurs en achètent par poignée. Pour les donner en se donnant l’illusion d’offrir un livre. Ou même en croyant avoir l’acte de lecture citoyen. Ces livres brochés sont si peu épais qu’ils n’ont pas de dos ; ils sont donc inidentifiables en rayon [d’où une éventuelle proximité de la caisse ? voir plus haut].

L’éphémère est leur nature. A y bien regarder ce ne sont jamais que des articles allongés. Leur ton polémique les raccorde aux libelles d’autrefois. Ce qui pourrait susciter des vocations chez des journalistes : libérés des contraintes d’espace, ils le seraient également tant dans l’esprit que dans la lettre vis-à-vis de leur rédaction.

Ces librairies où les vendeurs sont des écrivains * (23 mai)
Marqué d’un astérisque, comme le précédent, ce billet a généré plus de 700 commentaires…. Beaucoup plus, même : près de 1200 – pas très loin de celui sur Churchill et de Gaulle, un an plus tôt.

Les écrivains ont fait tous les métiers sinon ils ne seraient pas écrivains. Du moins en Amérique. Chez nous aussi, sauf que ce sont le plus souvent des métiers qui tournent autour de l’écriture : professeur, journaliste, éditeur, correcteur, traducteur, bibliothécaire. Mais de libraires, point. Comme si la pratique littéraire décourageait de la vendre. Alors qu’aux États-Unis, c’est courant.

L’écrivain français est trop fier, trop individualiste et trop orgueilleux pour se mettre au service des autres. Il serait le premier à rappeler qu’un employé de librairie est d’abord un employé, quand en Amérique, ces écrivains sont d’abord vus comme des lecteurs très qualifiés. Dommage. Au moins, cela aurait enrichi le vieux débat jusque là confiné au rôle des critiques.

Un exemple : la librairie BookCourt, à Brooklyn (NY) où les trois quarts des employés sont des écrivains. Depuis une trentaine d’années qu’elle existe, cette librairie familiale fidélise la clientèle en organisant six rencontres/lectures par semaine, et augmente régulièrement son chiffre d’affaires à mesure qu’Amazon étend son empire.

Elle a toujours eu des vendeurs qui étaient écrivains par ailleurs. A mi-temps, ce qui leur permet d’assurer l’essentiel. On n’encourage pas l’écriture pendant les heures de travail : les notes, pourquoi pas, mais pas l’écriture (on se souvient qu’un vendeur a été viré parce qu’il ne pouvait s’empêcher de noircir ses cahiers au lieu de s’intéresser à la clientèle).

Mais elle vend peu d’auteurs étrangers car il y en a peu de traduits aux États-Unis : 3%. Une misère. Le site Three Percent, lancé dans le cadre de l'université de Rochester afin de pallier cette carence, le martèle en permanence. Des classiques bien sûr (Proust, Dostoïevski) mais presque pas de contemporains hormis quelques chéris des campus.

De quoi la modération est-elle le nom ? (15 juin)
Un séminaire était organisé qui réunissait des blogueurs hébergés par Le Monde.fr. Une grande partie de la rencontre fut consacrée à la délicate question de la modération des commentaires. Des représentants de la dite modération se trouvaient là en chair et en os – jusqu’alors, des anonymes traitaient des anonymes. Il s’agit d’une société qui ne fait uniquement que de la modération sur plusieurs millions de contenus chaque mois (en moyenne 50 000 sur les blogs du Monde.fr).

Ce sont bien des personnes qui modèrent 24h sur 24 (120 modérateurs pour l’ensemble de ses clients). Une grande partie (80%) est délocalisée en Afrique du Nord, en Afrique Noire, en Asie, à l’île Maurice… Ils sont bilingues, diplômés, bien plus motivés que les modérateurs français, et ils ont davantage de recul sur les sujets.

La société possède une charte de modération mais qui doit rester secrète pour des raisons de sécurité. Elle a pour but d’organiser la subjectivité du travail des modérateurs. Il faut qu’un commentaire ait le même verdict quelle que soit l’heure et le modérateur. La diffamation, l’injure et l’incitation à la haine raciale sont irrémédiablement bannis. La violence sur internet est un phénomène mondial, et non franco-français. L’acharnement contre un autre commentateur est un critère de taille. Depuis quatre ans que la société travaille pour Le Monde.fr, 5 à 10% des commentaires sont balancés chaque mois.

On aurait aimé en savoir davantage sur la vie privée qui ne semble pas avoir fait l’objet d’une analyse approfondie dans la charte ; elle paraît se limiter à la divulgation des noms, adresses postales et IP, numéro de téléphone… Or s’il y a bien une problématique qui agite l’ensemble de la presse, c’est bien le respect de la vie privée.

Ramsès II en route vers l’éternité (30 juin)
La singularité de l’histoire telle que Robert Solé nous la déroule tient à l’enchevêtrement de deux récits :

- Celui de l’auteur voué aux heurts et malheurs du pharaon – du pillage de sa tombe à son voyage à Paris en 1977 pour s’y faire soigner, en passant par sa découverte dans la montagne thébaine en 1881.

- Et celui de Ramsès II lui-même qui livre ses impressions sur tout ce charivari survenu en son éternité chamboulée. Car il se trouve dans une situation ambiguë, vivant et mort à la fois. Solé, d’origine égyptienne, s’est si bien identifié à lui qu’il lui prête une voix, des accents, des réflexes qui sonnent juste. A titre d’exemple : il s’énerve d’être passé à la postérité comme le pharaon de l’Exode, alors qu’il assure n’avoir jamais rencontré ce Moïse et qu’à ses yeux toute cette histoire de Mer Rouge s’ouvrant avant de se refermer relève de la fable.

Du best-seller au long-seller (11 juillet)
C’est la liste des meilleures ventes de livres qui fait le best-seller, l’effet d’emballement suit. Les libraires, les éditeurs et les journalistes, savent de quoi il en retourne exactement. Il faut figurer parmi les cinq premiers : après le cinquième, on assiste à un décrochage vertigineux, digne d’un trou d’air en haute altitude. A la différence de ce qui se passait avant, il n’y a plus de ventes moyennes.
.
La partie supérieure de l'illustration de cet article représente une bibliothèque bénédictine en Allemagne.

Aucun commentaire: