vendredi 15 juillet 2011

A mi-2011 - Finance



Ce billet résulte d’une relecture de ce qui a été publié depuis début 2011 dans le blog Démystifier la finance : Éthique et marchés de Georges Ugeux. C’est le quatrième récapitulatif semestriel sur ce thème. La sélection pourra paraître arbitraire et le compactage – pour rester dans un volume acceptable – en donne parfois une vision déformée : revenir si besoin aux textes originaux :

L’Asie au chevet de l’Euro : un répit bienvenu
(12 janvier)
La Chine et le Japon ont pris des initiatives publiques qui indiquent que le sort de l'Euro ne les indiffère pas. Ce n'est pas là un acte purement altruiste, même s’il y a un vrai sens de la solidarité entre les nations dans ces temps de crise. La déclaration de la Banque du Japon de son intention de souscrire à 20% des obligations irlandaises mises sur le marché a eu pour effet d'arrêter une baisse de l'Euro, et a évité ce qui aurait pu être une journée noire. Gros investisseur en obligations d'État, la Chine représente une vraie capacité de soutien. Il y a déjà quelques mois, elle avait annoncé son intention de souscrire à des obligations grecques pour environ 3 milliards d'euros. Elle a, à plusieurs reprises, réaffirmé son soutien à l'Euro.

D'un point de vue asiatique, l'affaiblissement de l'Euro est une mauvaise nouvelle. L'arrivée de la devise européenne avait constitué une alternative au dollar comme monnaie de réserve. Toutes les banques centrales asiatiques détiennent non seulement des bons du Trésor américains, mais des obligations d'État des pays européens. De surcroît, l'Asie porte la reprise de la croissance économique du reste du monde. Si l'Europe s'affaiblit, cette charge s'accroît : en effet, les Européens risquent de ne plus être acheteurs de produits asiatiques et cela menacerait leurs propres industries d'exportation.

Vers une cession d’actifs par les gouvernements européens ?
(24 janvier)
Les tensions sur les marchés des obligations souveraines européennes continuent de plus belle. Les racheter à travers le Fonds Européen de Stabilité est l'exemple même de décisions qui ont l'air intelligentes à court terme, et détériorent la situation à moyen terme.

Pourquoi pas une cession d'actifs par les Gouvernements européens ? Pour chaque euro d'actifs cédés, la dette diminue d’autant, et les intérêts à proportion du taux de cette dette.

Il y a d'abord les actifs que les gouvernements ont acquis dans le cadre des opérations de sauvetage de la crise financière. * Les États-Unis ont entamé ce processus de cession il y a deux ans, l’Europe non. Ces interventions n'ont plus de raison d'être maintenues, et les marchés se sont substantiellement améliorés depuis.
* Dans le cas français : participations dans BNP Paribas et Dexia, ainsi que divers prêts à des banques.

Par ailleurs, l'Europe est pleine de participations qui ne se justifient même pas par le service public. Maintenant exsangues, les États n'ont plus les moyens d'accompagner les entreprises et deviennent des obstacles à leur croissance et a leur compétitivité. Il est important d'effectuer ces cessions à froid : en cas de crise des finances publiques, de telles cessions s'effectueraient en urgence à des valeurs dépréciées.

Dette européenne : droit dans le mur ?
(24 mars)
Les mesures et les atermoiements européens ne permettront pas d'arrêter la crise de la dette de certains pays de l'Eurozone. Hier, c'était le Portugal : son Premier Ministre ouvre une crise politique en démissionnant parce que son Parlement ne veut pas d'austérité. Aujourd'hui, ce sont les obligations irlandaises qui voient leur taux augmenter de manière dramatique par crainte d'un défaut de paiement. Effet de boule de neige pour les pays obligés d'emprunter : leur situation financière s’aggrave, la crante des investisseurs s’amplifie, etc.

Pourquoi une telle inertie ? En raison des conséquences pour les banques. Pour les stress tests les concernant, les banques ont conseillé de ne pas prendre en compte le portefeuille bancaire dans lequel se trouve la plus grosse partie des obligations d’État. Ce scénario aurait démontré qu’elles ont des actifs qui ne valent plus le montant nominal comptabilisé, et ce pour des milliards d'euros. La politique de l'autruche.

Les Chefs d'Etat et de Gouvernement se réunissent une fois de plus pour décider de changements au fonds d'intervention : L'accord va permettre de commencer des négociations avec le Parlement européen, dans le but d'atteindre un accord général en juin. En juin, le marché des obligations européennes sera un bain de sang pour les pays et pour les banques.

La première décision pour éviter ce bain de sang serait un processus de restructuration ordonné de la dette de la Grèce – sur le modèle du FMI, qui est partenaire dans le fonds européen de stabilité. Cette restructuration en annoncerait d'autres. A ce stade, Dieu seul pourra protéger l'Europe contre une catastrophe dont ses dirigeants ne semblent même pas mesurer l'ampleur.

Wall Street a-t-elle perdu la tête ?
(26 avril)
Les marchés ont toujours raison. Depuis quelques années, nous avons vu que Wall Street était capable de lourdement se tromper. Depuis le début de 2011 : le Dow Jones frôle les 9% – soit autour de 30% sur une base annuelle.

Or, sur la même période, nous avons eu une révolution populaire à travers le Moyen-Orient, un tsunami suivi d’une crise nucléaire au Japon, une hausse de 25% du taux des obligations du Trésor américain à 10 ans, un doublement des taux des obligations des pays européens en difficulté, une perspective négative sur la notation des États-Unis, des résultats des entreprises considérés comme médiocres pour le premier trimestre, une hausse des prix des denrées alimentaires de prés de 20%, idem pour l’essence… et le dollar clairement en perte de vitesse.

L’inflation est à nos portes, l’Europe et les États-Unis sont devenus vulnérables, les taux d’intérêt sont à la hausse. Chacun de ces facteurs aurait dû influencer le climat a Wall Street à la baisse. Devant ce déni collectif, qui rappelle celui de 2007, les marchés boursiers semblent avoir perdu la raison. Le moment est venu de protéger son capital. Cette euphorie de Wall Street est une belle occasion de vendre.

Grèce : l’aveu d’impuissance de la Banque Centrale Européenne
(11 mai)
Il y a quelque chose de pathétique dans la position de la BCE Elle s'oppose à la restructuration de la dette grecque. Celle-ci a augmenté de 50 milliards de dollars en un peu plus d'un an.

Son argumentation semble imparable : nous ne pouvons pas restructurer pour ne pas provoquer des pertes dans les banques. A contrario, cela signifie que les banques détiennent des actifs considérables en obligations d'État européennes et que si l'on devait leur donner une valeur de marché, elle serait substantiellement inférieure à leur valeur comptable. Une telle restructuration pourrait créer une crise plus importante que la chute de Lehman Brothers. Oui, une restructuration fait mal. Oui, les créanciers – principalement institutionnels – vont souffrir.

C'est un aveu d'impuissance que la BCE vient d'émettre. Mieux vaut ne pas restructurer maintenant en espérant que la situation se sera améliorée demain. La réalité est l'aggravation de la situation chaque jour. Le statu quo n'est pas une option. C'est ce que l'on appelle la politique de l'autruche.

Le tsunami de la contagion de l’Eurozone se rapproche
(24 juin)
Dans les dernières 24 heures, une trentaine de banques ou institutions financières italiennes ainsi que ENEL (électricité) et ENI (pétrole) et, surtout, la dette souveraine italienne ont été placées en perspective négative par Moody’s ou S&P. On constate par ailleurs des aggravations dans l’appréciation des marchés vis-à-vis des dettes ou placements d’obligations italiennes, espagnoles, belges et même françaises.

En faut-il plus pour admettre que le tsunami de la contagion européenne se rapproche ? Il ne s’agit plus d’éviter la contagion, mais de la gérer... Faute d’indiquer la durée, le montant et le taux d’intérêt de la consolidation des obligations grecques venant à échéance jusqu’en 2014, aucune chance d’arrêter l’hémorragie grecque et la contagion. Il s’agit bien d’arrêter l’hémorragie. Il ne s’agit pas de résoudre le problème.

Les chefs d’entreprises françaises et allemandes ** l’ont dit tout haut cette semaine, en signant une déclaration commune sans ambiguïté : […] nous voulons souligner les immenses avantages que l'espace monétaire commun a apportés. […] L'union monétaire a durablement besoin de finances publiques solides, de règles de responsabilité claires, de structures transparentes et de conditions de concurrence équitables. […] Un échec de l'euro serait un revers fatal pour l'Europe.

** Dont les entreprises suivantes : Valeo, BASF, Deutsche Bank, REWE, Rhodia, Thyssen Krupp, Vallourec, Saint-Gobain, Total, CDC, Allianz, Bosch, Veolia, Groupe Rothschild, Cap Gemini, Lazard, Alsthom, Schneider, Lafarge, Areva, Publicis, Vivendi, Siemens, GDF Suez, Deutsche Telekom, Société Générale, Air Liquide, BMW, France Telecom, Michelin, Legrand, Air-France KLM, E.ON, Alcatel-Lucent, Sanofi, Daimler…

Agences de notation : la grande hypocrisie des Gouvernements
(11 juillet)
La légitimité des agences de notation présente trois grandes faiblesses :
- Leur gouvernance est entre les mains de leurs actionnaires. On ne peut pas jouer avec le crédit d’Etats souverains de manière aussi légère qu’elles le font en ce moment. Au-dessus des structures actionnariales et de management, il faut les doter d’un board of trustee composé de personnalités reconnues, la représentation des actionnaires y étant minoritaire. L’établissement et les procédures de notation devraient avoir leur approbation.
- La transparence est très insuffisante : absence d’information analytique sérieuse publiée pour étayer les jugements sous-jacents aux décisions d’avertissement ou de diminution de notations pour les États-Unis et en Europe. Faire son métier de manière professionnelle ne suffit pas. Trop subjectives, leurs affirmations semblent coller au marché, plutôt que de constituer un jugement de qualité. Ne pas oublier qu’elles ont, elles-mêmes, à surmonter une crise de confiance, suite à la manière irresponsable dont elles ont noté les obligations liées aux subprimes à l’origine de la récente crise financière.
- Le timing des annonces faites à l’improviste est inacceptable. Les dernières ont même créé une suspicion de manipulation des marchés. La vertu des notations devrait être dans leur régularité (trimestrielle, comme pour les entreprises, voire mensuelle en cas de crise), sur base de faits nouveaux.

A noter par ailleurs que la menace d’un défaut de paiement est peut être techniquement correcte, mais irresponsable. Et c’est oublier que ce sont les agences de notation elles-mêmes qui ont construit un système très rémunérateur qui a des conséquences exponentielles en cas de défaut.

Le baromètre a donc de réelles faiblesses. Mais attaquer les agences, comme le font des dirigeants européens, est faire preuve d’une immense hypocrisie (on voit des ministres des finances s'attribuer le mérite des notations positives et blâmer les agences quand elles sont négatives).

Ils ont fait pression sur la Banque Centrale Européenne pour que, contrairement à ses statuts, elle accepte de financer les banques et les obligations des États. Il en résulte que la BCE a maintenant un mauvais bilan et ne peut pas ne pas tenir compte du risque qu’elle a assumé. Pourtant, ces dirigeants accusent la BCE au lieu de résoudre leurs problèmes.

De même, ne pas associer les banques et assurances européennes à la restructuration de la dette des États en difficulté n’a aucun sens, ni moral ni financier. Il n’y a pas de solution qui arrête l’hémorragie sans une telle contribution.

La crise actuelle était prévisible depuis fin 2009. La pente qui mené à la crise est notamment le résultat d’accords passés entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. La confiance dans les dirigeants politiques européens n’existe plus.

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