mercredi 28 juillet 2010

Courrier International – marée pastel


Désenchantement
Till s’était peut-être fait une image idéale de cet hebdomadaire dont il pensait qu’il apporterait à des lecteurs francophones une ouverture sur ce qui s’écrit dans la presse des différents pays. Il avait eu à quelques reprises l’occasion d’exprimer son désenchantement et ce bloc-notes s’en était fait plus ou moins l’écho. A la terrasse du café où nous devisons en cette fin juillet à Paris, il tire de sa serviette toujours bourrée de diverses publications, le dernier numéro – cause de son désarroi – l’ouvre à la page 40 et met le doigt sur la caricature qui s’y trouve.

Caricature
C’est celle d’un poisson dont on distingue bien la tête et la queue, entre lesquelles un code barre (0183215… le 018 de tête signifiant que c’est un produit étasunien) figure les arêtes. Le dessin est signé Falco (vraisemblablement Alex Falcó, de La Havane). Comme à la douteuse habitude chez Courrier International (CI), il illustre un article publié à des milliers de lieues de là, par le quotidien de centre gauche danois Politiken, sur les petits pêcheurs du coin. Habitude douteuse en ce que, numéro après numéro et article après article, elle permet à la rédaction d’agrémenter, comme innocemment de son grain de sel, le reflet qu’elle prétend donner du meilleur de la presse internationale – sélectionner les articles, les extraits et souvent improviser le sous-titrage ne suffisant pas.

Effet dialectique ? Pour Till cette fois, ce poisson à arêtes condense sur lui trois grands thèmes mis en valeur dans la présente livraison :
- La marée noire du golfe du Mexique (où se trouve Cuba), qui a les honneurs de l’éditorial et d’un dossier de six pages.
- Le petit journal de la crise, autre dossier désormais récurrent, d’où est tiré l’article de Politiken.
- Et, c’est là où il voulait en venir – les amateurs de Gombrowicz et de son Iwona, princesse de Bourgogne le comprendront aussitôt – le chanteur Prince… car c’est cette initiative qui est carrément restée en travers de la gorge de Till.

Émerveillement
C’est le troisième dossier de CI : il reprend un article du quotidien Het Nieuwsblad (pendant populaire moins politique, plus généraliste et plus sportif [que son grand frère De Standaard] qui s’adresse au petit employé conservateur et catholique de Flandre). Ça commence dès le sous-titre : Un journaliste flamand a eu la chance d’être invité à Minneapolis pour rencontrer l’artiste qui va enflammer notre été. Suivent, sur cinq pages, le compte rendu émerveillé par le dénomme Hans-Maarten Post, qui s’achève comme suit : Dans la chambre d’hôtel, allongé sur le lit, j’ai la tête qui tourne. J’avais encore tant de questions à lui poser. Ne se sentait-il pas trop seul ? J’ai eu ma réponse, non ? Je ne sais pas. Je n’avais jamais vu une superstar d’aussi près : ai-je rencontré l’artiste ou assisté à une magnifique pièce de théâtre ? Pas de photos, pas d’enregistrement de sa voix, seulement une tête pleine de souvenirs… et une bouteille d’eau. Personne ne voudra me croire.

Retour sur terre
Dans un encadré consacré aux évolutions de la démarche commerciale des musiciens de ce genre, on apprend que Prince, pour sa part, s’est tourné vers la presse, en montant dès 2007 un partenariat avec le quotidien britannique Daily Mail, qui a distribué son album Planet Earth. Estimant que ‘le Net est dépassé’, il réitère l’expérience en 2010 avec plusieurs publications européennes, dont Courrier International, et multiplie les concerts pour appuyer cette démarche.

On comprend alors mieux les deux pages et quelques de pub dans CI pour s’arracher les dernières placres au concert programmé à Nice pour le dimanche suivant, ou en mendier de gratuites sur le site de l’hebdomadaire :


Mieux encore, souligne Till, nous avons en main l’exemplaire que j’ai reçu par abonnement, dont la couverture – illustrée par un volatile mazouté – est consacrée à la marée noire… Mais en kiosque… c’est tout autre chose : sa couverture est une marée pastel, c’est notre Prince charmant !

Apothéose
Sur le site Internet de l’Express, il est précisé le 22 juillet que : Quelque 130 000 exemplaires du dernier CD de 10 titres de Prince sont offerts en exclusivité avec l'hebdomadaire vendu à son prix habituel de 3,50 euros, chez tous les marchands de journaux en France. Cette offre ne s'adresse pas aux abonnés du journal, qui bénéficient seulement d'un titre en écoute gratuite sur le site de l'hebdomadaire… pour ajouter : L'hebdomadaire Courrier International ne s'est jamais vendu aussi rapidement. Il faut dire que son supplément, 20ten, le nouvel album de Prince, fait fureur. Le dernier numéro de l'hebdomadaire s'arrachait dès sa mise en vente ce matin. En milieu de matinée, un millier de kiosques étaient déjà en rupture de stock. ‘Nous sommes ravis, c'est du jamais vu pour nous ! A dix heures, plus de mille kiosques avaient déjà tout vendu, c'est assez incroyable’, a déclaré à l'AFP le responsable de la communication de Courrier International.
(http://www.lexpress.fr/culture/musique/prince-en-rupture-de-stock_907903.html)

La vague pastel est même venue mourir aux pieds du Centre de recherche de la gendarmerie nationale : Le centre de recherche vous propose près de 700 mémoires de recherche et 15 500 ouvrages et périodiques – Auteur : Hans-Maarten POST – Documents disponibles écrits par cet auteur : Cinq heures avec le Prince de Paisley Park / Hans-Maarten POST in Courrier International, CI 2010 N°1029 (Du 22 au 28 juillet 2010).
(http://www-org.gendarmerie.interieur.gouv.fr/pmb/opac_css/index.php?lvl=author_see&id=4909)

Conflit d'intérêt ?

Chez CI, le responsable de la Com s’extasie. Surplombant son éditorial sur la marée noire de pétrole, le directeur de la rédaction garde son éternel sourire de Joconde. Conflit d’intérêt ? Pensez donc ! La main gauche ignore ce que fait la main droite. Un peu de prose pour ce pauvre Monsieur Jourdain qui s’imagine s’ouvrir au meilleur de la presse internationale… et de poésie de notre temps pour le petit employé conservateur et catholique de tous les pays. Le président et directeur de la publication (c’est le même) saura faire la synthèse.

Entre artistes
Au moment de nous séparer, Till arrache une page du The Economist qu’il a reçu le matin même et me la fourre entre les mains. L’article que j’ai présentement sous les yeux est sous-titré : Scientists at the Louvre have discovered the secret to the Mona Lisa’s face. On y lit notamment : […] For a long time, scientists and curators have wondered how da Vinci created shadows on her face with seemingly no brushstrokes or contours. Art experts call this technique sfumato – like the Italian word for smoke, fumo. […] Louvre scientists […] found that the artist would first paint in the basic flesh tones. Then da Vinci applied up to 30 incredibly thin strokes of glaze above the flesh tone – many just a few micrometers thick.

In cauda… l’article signale en fin de parcours : The French Ministry of Culture wants to relocate this laboratory […] in Cergy-Pontoise. To judge from the blog started by the centre’s disgruntled staff, their mood is decidedly sfumato.
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Sur un mode allusif, Till semble, en rapprochant les extraits des deux hebdomadaires, faire comprendre que l’opération CI l’a rendu fumasse.


L'illustration s'inspire de loin mais ne doit pas être confondue avec la caricature parue dans CI.

vendredi 23 juillet 2010

Avignon 2010 (VII)

Ce qui suit clôt une série de plusieurs billets sur le festival d'Avignon de juillet 2010.

Mécénat
De tout temps, les princes, les grands mécènes ou les États ont soutenu les artistes… qui en retour les soutenaient. J’ai déjà cité cette phrase, picorée dans l’un des journaux gratuits distribués au cours du festival. Je me représentais l’artiste des temps jadis tournant autour de tel prince ou mécène : pour peu qu’un déclic se fasse, il se voyait passer des commandes. Pour reprendre ce qui a été exprimé lors d’un débat dans la cour Saint-Louis, au-delà des emballements et snobismes du moment, la postérité fait ensuite peu à peu le tri.

Notre époque est un peu plus compliquée. D’un côté, le mot État recouvre de fait une grande diversité de pouvoirs publics détenteurs d’une manne qui ne chemine vers ses potentiels bénéficiaires qu’à travers un impressionnant labyrinthe bureaucratique. Mais aussi, dans le monde du spectacle notamment, des pans parfois importants de l’activité se débrouillent plus ou moins directement (billetterie, publicité) avec le désormais consommateur final - c’est ce à quoi, jusqu’à un certain point et pendant un certain temps, sont parvenus le cinéma et la TV.

Derrière les logos, les planches
Revenons aux subventions publiques. Accéder à ladite manne demande du savoir-faire et se joue souvent sur le long terme. Dans mon imaginaire non-professionnel et brouillardeux, j’avais décalqué la relation au prince sur la relation du saltimbanque au fonctionnaire : une fois empochée, le spectacle sera produit… et peu importe si l’absence de public et le bavardage des médias – lui qui vaut spectacle en soi. Mais y parvenir n’est pas forcément la tasse de thé d’artistes au fond de l’âme, que leurs pulsions entraînent vers d’autres cieux. D’où la constitution d’un millefeuille de strates intermédiaires qui y prélève sa propre TVA(bsorbée).

On en a un aperçu en parcourant la séquence des noms et des logos du IN. Outre que Dexia (financement des équipements publics et mécène du club de foot de Bruges) est imprimé partout, la liste des subventionneurs, participants, concourants, souteneurs, aidants, partenaires ou remerciés qui ouvrent le Guide du spectateur, ne contient pas moins de 60 organismes… et on a le bonheur d’apprendre qu’à compter de cette année, les personnes individuelles peuvent également devenir mécènes du festival.

Masochisme ou naïveté récidiviste, j’ai effectué un survol en rase-mottes au-dessus des 300 et quelques commentaires insipides qui ont suivi le billet malicieusement provoquant de la RDL sur le duo Marthaler-Pascaud : parmi les 3 ou 4 qui tentaient de surnager, j’ai lu (rédigé par dramatique !, le 18-07 à 18h44) : Podalydès semble faire un effort conséquent, combien de partenaires pour son Richard II ? Production Festival d’Avignon – coproduction France Télévisions, Les Gémeaux-Sceaux Scène nationale, Centre national de Création et de Diffusion culturelles de Châteauvallon dans le cadre d’une résidence de création, compagnie Aï, Théâtre de Nîmes, Le Phénix Scène nationale Valenciennes, Théâtre de la Place (Liège), Ircam-Centre Pompidou – avec la participation artistique du Jeune Théâtre national, de l’École nationale supérieure d’Art dramatique de Montpellier Languedoc-Roussillon, du Centre des Arts scéniques de la Communauté française de Belgique – avec le soutien de la Région Ile-France, du Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines Scène nationale, du 104 Établissement artistique de la Ville de Paris – avec l’aide de MMA et de SCOR – Le Festival d’Avignon reçoit le soutien de l’Adami pour la production. – La traduction de Frédéric Boyer est éditée aux éditions P.O.L.
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On estime à 10 millions d'euros le budget du IN - dont 60% d'origine publique (soit moins d'un millième des dépenses des collectivités trerritoiales et de l'État pour la culture), le reste semblant se partager moitié-moitié entre mécénat autre, et billets vendus.

Se reconvertir comme go-between
Cette fonction d’intermédiation bureaucratico-mécénatique, je l’ai mieux perçue alors que je sirotais un café, place de l’Horloge, en attendant le moment d’un débat à la Maison Jean Vilar toute proche. Dans mon dos, discussion logiquement imparable au sein d’un bon groupe de jeunes retraités, semble-t-il, dont le savoir faire était de prendre langue avec les subventionneurs locaux, embaucher des CDI pour faire tourner le bidule, présenter des projets, produire des rapports d’avancement rassurants… et ensuite contacter et faire affaire avec des compagnies qui n’auraient ainsi pas à s’encombrer de l’intendance. Les chiffres s’empilaient : 2500 euros de celui-ci, 7000 de celui-là, encore 600 d’un autre. Quand il m’a fallu partir, je crois qu’on n’était pas loin de 80 000 euros au total… en bonne partie reconductibles d’une année sur l’autre. Mais ne s’agissait-il pas du OFF plutôt que du IN ?

Car le OFF n’a apparemment pas les mêmes soutiens que son vis-à-vis mais néanmoins ami : son catalogue n’affiche qu’une douzaine de logos – collectivités locales proches et collecteurs de droits (SACD pour les auteurs, Sacem pour la musique, Spedidam pour les interprètes…), un peu de radio & TV, JCDecaux-city provider, et le TGV. Et à parcourir ce même et volumineux catalogue (plus de 1000 spectacles quotidiens par près de 900 compagnies dans une centaine de salles), on voit que bon nombre de spectacles (voire certaines salles) sont soutenus par des collectivités territoriales.

Les tiroirs-caisses du OFF
Après avoir fait le tour de quelques directeurs de salles, L’Express avait d’ailleurs conclu début juillet que pour émerger dans la jungle du OFF, il n’était pas seulement intéressant de s’appuyer sur un comédien célèbre et d’avoir une revue de presse favorable au préalable, mais qu’être poussé par une région n’était pas mal non plus. Certes, il fallait sortir du lot (un sélectionné sur 6 ou 7 candidats) mais on y gagnait notamment une bonne subvention, un lieu attirant, une communication efficace et la quasi-garantie que des programmateurs retiendraient le spectacle pour sa diffusion ultérieure. Autres tuyaux pour infléchir la décision des would-be spectateurs : jouer dans un bon théâtre, monter un classique, venir une année et revenir la ou les suivante(s).

Un spectacle OFF à Avignon est un investissement – et financier et corps et âme. Il paraît qu’une salle se loue entre 1000 et 1500 euros : à raison de 7 spectacles par jour, le directeur empocherait donc près de 10 000 euros pour le festival. Une compagnie, un peu nombreuse il est vrai, nous a dit qu’ils s’étaient cotisés et qu’ils verraient bien s’ils rentreraient dans leurs fonds à la fin du mois. Il y a aussi les tracts et les affiches (meilleur prix, 150 euros les mille sur Internet… Les mille ? c’est un peu beaucoup ! Oui mais il y a des gens qui nous en achètent…). Mais il faut aussi rester là près de 4 semaines, et ne serait-ce que manger et dormir – sans oublier les frais de transport : encore 1000 à 1500 euros par tête.

En face, il y a les recettes liées aux entrées – pas facile à estimer : déjà que les chiffres annoncés valsent allègrement entre 350 000 et un million de spectateurs, dont on ne dit pas s’ils sont uniques ou cumulés… Mettons 600 000… mais avec des invitations, des réductions, des une place achetée, une place promotionnelle gratuite au jugé, c’est du 8 plutôt que 14 euros la place – dans les 5 millions au total, ce qui, en moyenne, veut dire dans les 800 euros pour chacun des 6000 acteurs et techniciens qui sont embarqués dans le OFF.

Socio-économie
On pourrait continuer en se posant la question de ce que dépensent les spectateurs-touristes. Un tiers vient de la région ou des voisines ; un autre tiers de la région parisienne ou de l’étranger européen francophone ; et le reste d’ailleurs en France. Des statistiques un peu vieillottes et à confirmer disent qu’on commence vers 30 ans, qu’on est assez fidèle et que la moyenne d’âge est de 45 ans… et que les cadres (mais ni ceux des entreprises ni de la fonction publique ni les professions libérales) et les professions intellectuelles supérieures, en composent près de la moitié, alors qu’ils ne font pas 5% de la population en général. Trois femmes pour deux hommes.

Il semblerait aussi que les retombées économiques pour Avignon et ses alentours sont de l’ordre du triple du budget cumulé du IN et du OFF. Au moment de l’annulation en 2003, suite au mouvement des intermittents, certains restaurateurs et hôteliers ont demandé à être indemnisés. Le vent de panique qui a alors soufflé reste dans bien des mémoires et les conditions du devenir du festival sont – de ce point de vue – sous haute surveillance.

jeudi 22 juillet 2010

Avignon 2010 (VI)

Ce qui suit fait partie d'une série de plusieurs billets sur le festival d'Avignon de juillet 2010.

Scénographies de la Cour d’honneur

Cette rencontre se tient dans la cour de la Maison Jean Vilar. Elle est animée par Joël Huthwohl qui dirige le département des Arts du spectacle de la BNF, après avoir été responsable de la bibliothèque de la Comédie-Française. Il rappelle en introduction qu’en 1947 Jean Vilar avait aménagé la cour d’honneur comme une sorte de ring – un plateau et des chaises – puis qu’il y avait transposé, en 1951, le plateau de Chaillot. En 1967, le dispositif a pris la forme d’un amphithéâtre grec.

En 1982, une étude a été demandée au scénographe Guy-Claude François (qui participe à la présente rencontre), dont la 1ère version n’a pas été acceptée : elle conduisait à resserrer un ensemble plus adapté à la danse qu’au théâtre, vers une configuration plus élisabéthaine, en passant de 3000 à 2000 spectateurs, en dégageant par un balcon et en s’ouvrant vers le ciel ce qu’il y avait de trop enfoncé, et en harmonisant les matériaux utilisés. On a abouti à une 2ème version, sans le balcon – ce que le scénographe qui l’avait conçu continue clairement de regretter.

Alexandre Manzanarès avoue à quel point ceux de l’équipe en charge des lumières de la Cour (responsabilité qu’il assume depuis 6 ans) sont pris par un lieu aussi impressionnant, et de plus, sous l’œil permanent des nombreux spectateurs qui s’intéressent à cet aspect comme ils le font par ailleurs au jeu des acteurs : certains techniciens abandonnent parce que c’est trop, pour les autres il reste impossible de faire autre chose. La seule façon de s’en évader, c’est de regarder le ciel. Plus anecdotique : il a remarqué qu’à 90%, les artistes prononcent le nom de Jean Vilar en arrivant sur le plateau.

Jacques Lassalle fréquente Avignon depuis 1953. Il y a fait 14 créations dont trois dans la Cour (Don Juan en 1993, Andromaque en 1994, Médée en 1999). Il distingue trois périodes :
De 1950 à 1965, la Cour génère un répertoire, un style de jeu, une esthétique – il faut en être digne.
De 1965 à 2003, le festival d’Avignon perd son centre de gravité et son sens symbolique… mais comme on garde la Cour, on se demande comment y insérer des scénographies qui ne font pas appel au texte : danse, cirque, musique…
Depuis 2003, la question est : Comment s’en débarrasser – par l’effacement, la dérision, l’outrage. On ne peut écarter la métaphore à la Godard d’un paquebot de croisière (le Titanic ?) où se condense une société qui, par hérédité sociale ou économique, a trop de pouvoir et d’argent.
Vous voyez – dit Lassalle qui préside la Maison Jean Vilar – que j’essaie de garder les colères de celui-ci sur la fonction du théâtre. Car – mieux que certaines MJC – la Cour est très conviviale, familière, merveilleusement adaptée aux corps et à la voix humaine. Elle ne pose problème que depuis que ceux qui en ont la charge n’en sont plus les producteurs. Lassalle reprend le thème (voir le billet sur l’archivage Internet) du syndrome de la révolution permanente – enfer où, si on a eu du succès à Avignon, après ce ne sera plus comme à Avignon… et si c’est un échec, cet échec ne saurait être que permanent.

Professeur à l’Institut d’études théâtrales de la Sorbonne nouvelle, Georges Banu est un habitué d’Avignon. Il y coordonne souvent des rencontres et des débats. Dans ce qu’il aborde cette fois-ci, il met notamment l’accent sur la verticalité du mur de la Cour d’honneur. Il rappelle que pour Lucrèce Borgia en 1985, l’acteur Jean-Pierre Jorris, un ancien du TNP, avait tourné le dos pour saluer le mur… et que cela n’avait pas plu à Antoine Vitez, le metteur en scène, qui avait trouvé que cela faisait trop Vilar. Ce mur est en fait plus moral (dignité) que poétique : à son égard, les attitudes de Vilar et Vitez auront été opposées. Il y a un appel de la verticale mais celle-ci peut se venger : Frédéric Fisbach, artiste associé en 2007, l’a appris a ses dépens ; Krzysztof Warlikowski a mieux réussi son Apollonia à Chaillot qu’à Avignon. Il y a des metteurs en scène qui ont refusé la cour – par ex. en lui tournant le dos, ou en installant une tour circulaire au milieu.

En sociologue, Jean-Louis Fabiani, directeur d’études à l’EHESS, s’intéresse au fait que le Palais des papes a été un lieu de défense et de pouvoir religieux et politique. Après la révolution et en attendant sa restauration, il a abrité une caserne et une prison. On circule ainsi entre des espaces de signification – approfondissement du rêve postrévolutionnaire, création de rituels dans un espace républicain, lieu de malentendus. D’où : Qu’est-ce qu’un espace civique inégalitaire ? Qu’est-ce que la culture théâtrale peut nous dire sur le pouvoir ? Et, partant d’une intention laïcisante (Vilar), l’irruption de la spontanéité ramène à une dimension religieuse… mais peut-on encore, dans un espace désormais commercialisé, et blasphémer et dire qu’on est un mécréant ?

mercredi 21 juillet 2010

Avignon 2010 (V)


Ce qui suit fait partie d'une série de plusieurs billets sur le festival d'Avignon de juillet 2010.

Outre qu’il dispose d’un hôtel, le Cloître Saint-Louis et le lieu d’accueil du IN (participants, presse…), il y a, dans sa cour intérieure, d’immenses arbres, superbes, pour vous abriter. Mais c’est un lieu doublement dangereux. Pour le porte-monnaie d’abord, dans la mesure où le petit noir qu’on vous y sert dans des gobelets en carton est 65% plus cher qu’à n’importe laquelle des confortables terrasses qui s’alignent place de l’Horloge – véritable tasse et verre d’eau compris. Physiquement aussi car les bancs disposés en demi-cercle autour de l’estrade où se passent les rencontres sont, en dépit de leur jolie couleur orange, animés de pulsions meurtrières.

Nous étions en avance, ce samedi 10, pour le débat qui y était programmé. Après nous être fait rackettés à la buvette, nous allons nous installer à proximité de l’estrade. C’est bientôt l’heure : Sélénia qui était au milieu du banc le quitte pour avancer d’un ou deux rangs… et, mon poids qui pèse à l’extrémité fait promptement basculer le dispositif et me projette brutalement sur le sol. Plus d’une semaine après, je le ressens encore. Des habitués du lieu nous assurent que cela arrive assez souvent, et ce depuis des années… mais je n’ai pas alors eu le courage d’aller consulter les statistiques auprès des services d’urgence voisins.

Internet, mémoire du spectacle vivant ?
Guidé par ses soucis de spectateur, le premier intervenant (Jacques Brunerie – site lesarchivesduspectacle.net) avait commencé en organisant des archives personnelles sur Internet, à base de noms de personnes et de spectacles, et à quel endroit. Il l’a ensuite rendu plus interactif, afin de s’orienter plus facilement dans cette masse de données – et l’a ouvert à d’autres utilisateurs. Il estime qu’Internet est ce qu’il y a de plus économique et de plus simple tant qu’il s’agit d’usages propres aux spectateurs – car il est plus focalisé que Google. Mais cela peut néanmoins intéresser des professionnels pour reconstituer un CV ou rassembler des archives sur un théâtre, par exemple.

Le suivant (Gildas Le Roux) représente la Compagnie des Indes – c’est de la production d’environ 3 programmes par mois pour la TV, à partir de documents sur le théâtre. Depuis maintenant 13 ans, sa société est en charge de la mémoire filmée du festival IN. On avait en effet constaté qu’il ne restait pas de mémoire du festival de 1997… d’où la décision de s’en occuper par la suite. On distingue des archivages riches (avec plusieurs caméras) pour ce qui ne sera plus joué après le festival, et d’autres qui le sont moins. On fait aussi des extraits de 3 minutes (validés par le Festival et par la compagnie) à vocation promotionnelle, ainsi que des éditions en DVD qui sont déposés à la Maison Jean Vilar et à la BNF.

Jean Knauf est un chercheur sur la mémoire du théâtre, telle que l’on peut (plus ou moins) la reconstituer depuis des décennies… car on constate de longues périodes de vide à ce sujet. Depuis 50 ans on a des enregistrements audio : il faut avouer qu’ils paraissent maintenant relativement vieillots, alors qu’avec la vidéo c’est autre chose. Il n’en reste pas moins que subsiste une certaine contradiction du théâtre vivant, entre l’archive morte et l’émotion, le côté troublant du spectacle en direct.

Jacques Lassalle (Président de la Maison Jean Vilar à Avignon – dont la fonction de mémoire est primordiale) reconnaît que sa génération ne voyait pas grand intérêt à fixer la mémoire en matière de théâtre. De plus, il a passé 18 ans à Vitry/Seine et 9 ans au Théâtre national de Strasbourg – or, malgré les enregistrements effectivement faits, il n’en reste plus rien : chaque directeur qui arrive vide les tiroirs et fait table rase du passé. A la Comédie-Française, il a eu le souci que tous les spectacles soient enregistrés (par des étudiants de la FEMIS, sur le thème : Qu’est-ce que c’est que filmer du théâtre ?).

Depuis 10 ans, il travaille plus encore à l’étranger qu’en France… au point de se sentir de plus en plus étranger dans son pays. Là-bas (à Varsovie notamment où il s’apprête à mettre en scène Lorenzaccio), dès le soir de la Première, il peut emporter avec lui un document de 5 minutes très bien fait (basé sur la dramaturgie). Aujourd’hui, il se sent pris d’une frénésie de retrouver des traces. En tant que consommateur de DVD, il estime que ce genre de mémoire porte plus sur ce qu’il appelle des bonus (par ex. à propos de l’auteur, sur ce que disent les metteurs en scène…) que sur les spectacles eux-mêmes. Pour le créateur de la cinémathèque – Jean Langlois – il fallait tout garder : à la postérité de voir. Laisser, en effet, le temps faire son œuvre, se méfier d’une mémoire trop sélective, à la mode, voire snob.

Avant, c’était tout pour le texte. Aujourd’hui, c’est autant l’image, sinon plus, que le texte. Mais, au théâtre, c’est le texte qui génère l’image, les belles images. Lors de la rencontre entre l’équipe artistique de Papperlapapp et le public, il a été dit qu’il y avait eu, pour des générations récentes, un déficit considérable de transmission des pères vers les fils – résultat : les fils, des pères, ils s’en f… Au mois de juillet (comme par hasard), Avignon est devenu le syndrome français de la révolution permanente.

Juliette Caron, qui s’occupe de la documentation à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, indique que les archives remontent à 1983 et qu’un site Internet – considéré comme un centre de ressources – existe depuis 1998. Alors qu’on trouve ailleurs des musées du spectacle qui remontent à plus d’un siècle, elle a constaté qu’il y avait eu peu d’archivage en France (ainsi qu’en Allemagne). Il semble que la profession s’y était opposée au prétexte que le théâtre était un art éphémère. Ce que l’on conservait était les programmes, les affiches, des photos et les articles de presse. Mais cela ne répondait pas à la question : comment garder l’émotion du spectacle ?

Ce qui, de plus, change avec Internet, c’est que le public souhaite disposer d’informations sur pratiquement tout. C’est déjà de la mémoire brute… mais ensuite ? A l’aide de bases de données accessibles par Internet, on débouche plus ou moins de nouvelles sur de nouveaux usages du théâtre relevant du virtuel et, vers d’autres publics qui ne vont pas assidûment au théâtre, on prolonge la vie des spectacles. Mais, spectacle vivant pour spectacle vivant, se pose-t-on la question de la même manière pour un concert de rock ? Mais attention aussi : en matière de mémoire, Internet n’est pas la panacée : des milliers de pages en disparaissent sans crier gare.

François Berreur a fondé en 1998 un site : theatrecontemporain.net, pour la promotion des auteurs et de l’écriture vers le multimédia, en particulier le nouveau théâtre et le festival d’Avignon. L’internaute s’empare de cela en fonction de son désir – on dénombre chaque mois autour de 100 000 entrées uniques sur le théâtre contemporain. Par ailleurs, il n’est pas rare que les professionnels n’aillent plus voir directement les spectacles : il leur suffit de visionner 5 à 10 minutes sur le site.

Un participant, d’origine allemande, dans le public, indique que depuis 8 ans il fait des pages sur Internet et qu’il est bien utile d’avoir des liens de sites pour donner aux Allemands qui veulent approfondir ce qu’il présente, une idée de ce qui se passe en matière de théâtre, en France par exemple, grâce aux données de presse de l’Odéon.

mardi 20 juillet 2010

Avignon 2010 (IV)



Ce qui suit fait partie d'une série de plusieurs billets sur le festival d'Avignon de juillet 2010.

Si – à en croire la sociologue de l’art, Nathalie Heinich – la vocation de l’artiste a pris la relève de ce qu’était la naissance pour l’aristocrate (voir le billet sur la culture en danger), la foi garde de beaux jours devant elle chez ceux qui ont largué la religion pour la culture – je pense à Télérama qui se distribuait à la sortie des églises et faisait la pluie et le beau temps avec sa cote morale des films au cours de sa première jeunesse (il vient de fêter ses 60 ans) et dont seule sa rédactrice en chef reconnaît aujourd’hui qu’elle va à la messe le dimanche. Référence quasi obligée pour ses actuels lecteurs, Télérama (diffusé à 650 000 ex.) est, avec Le Monde (320 000), Libération (120 000) et les Inrockuptibles (36 000), un des rares organes où on trouve un suivi sérieux du festival officiel dans les présentoirs de la salle de presse. Noblesse, Clergé… reste le Tiers-État mais – malgré les apparences – ce ne sera pas pour cette fois-ci puisque nous allons rester sur la Rive-IN.

S’il est de bon ton de valoriser le hautement symbolique, le IN c’est la Cour d’honneur. Or ses 2000 places ont, pour l’essentiel cette année, été occupées pour deux évènements : Papperlapapp de Marthaler pendant la 1ère moitié (du 7 au 17) et Richard II de Shakespeare pendant la seconde (du 20 au 27). Présent vers le début, j’ai pu assister à la rencontre entre le public et l’équipe artistique de Papperlapapp. La pièce est jouée exclusivement à ce festival d’Avignon, et plus du tout après – le titre veut dire Blablabla ou Et puis quoi encore ? Voici un extrait de mes notes, complété par trois brefs éclairages latéraux.

Rencontre avec le public
La cour de l’École d’Art était abondamment remplie, les derniers arrivants ayant du mal à trouver une place où éviter un coup de soleil. Non loin de moi, une dame confiait en attendant à sa voisine que si, à la représentation de la veille, elle s’était rendu compte qu’il suffisait à beaucoup de gens de voir des acteurs s’agiter sur scène, ce n’était pas son cas, et qu’elle était partie rapidement – même si, pour elle, avoir perdu 31 euros (le prix de son billet) ce n’était pas rien. La première question venant du public n’a d’ailleurs fait que confirmer : Quel effet cela vous a-t-il fait de voir tous ces gens partir ? De l’autre côté du filet, ça cherche à amortir la balle : Deux mille places, c’est un très grand public… Ça fait constamment du bruit… Outre les quelques-uns venus exprès pour protester, il y a des gens qui renoncent : ce n’est pas leur théâtre. C’est vrai que cela pose aux acteurs des problèmes de concentration… mais nous avons fait notre travail et été capables de nous abstraire de ce problème – cela fait partie du spectacle. Une Avignonnaise vient à la rescousse : C’est devenu une habitude à ce festival : il y a des gens malpolis… Ceux qui restent, ce sont les meilleurs.

Désarrois
Mais une de ses concitoyennes adopte un autre angle de tir : J’ai été prise entre colère et désarroi : la papauté d’Avignon a été tournée en dérision, avec des lieux communs éculés et des gags. Qu’y avait-il à voir ? Réponse : Ce qui nous a intéressé en cet endroit, c’est que les papes étaient surtout des politiciens – y régnaient la folie et le mensonge. Ce que vous considérez comme des gags peuvent aussi symboliser (tel est le détour théâtral) des tragédies personnelles.

Autre thème : Des petits bouts de choses magnifiques mais pas de fil directeur. Réponse en miroir : En France, les gens sont souvent énervés quand il n’y a pas de fil conducteur. Ça angoisse les gens, mais moi ça m’étonne qu’on ne puisse pas laisser quelque chose d’ouvert qui permette que cela se passe dans la tête du spectateur, qu’il ait à choisir lui-même. Je sens moi-même des choses sans savoir quoi, le spectacle est une création ensemble, avec les acteurs, sans que cela vienne uniquement du metteur en scène… et, de son côté, le public sent aussi des choses. Je connais des spectacles où, moi et d'autres, nous n’avons rien compris… et pourtant, à plusieurs reprises, des années après, on en parle et en reparle sans savoir exactement de quoi. Remarque proche dans le public : En France, nous sommes très "sur le texte". Ce qui m’intéresse, ici, c’est cette élaboration en train de se faire.

En douceur

A la question liée au fait que les comédiens sont de langues différentes : C’est vrai que ce n’est pas toujours facile… Mais ce n’est pas la langue qui est ce qu’il y a de plus difficile. Il faut du temps. Cela se fait de manière très gentille. On donne du respect au temps, avec la possibilité de s’ennuyer – ce qui n’est pas négatif et permet d’entrer en soi.

Trois éléments en contrepoint

Dans un des précédents billets – celui des entretiens avec Weber, Podalydès et Lassalle – ceux-ci répondaient aussi à un Questionnaire à la Proust. Je rapproche l’évocation faite ici plus haut du maniement en douceur de la dimension temps, de la devise préférée choisie par Jacques Lassalle, venue de Nicolas de Staël, peintre français d’origine russe : Rien de plus violent que la douceur.

Dans le dossier des programmes du festival, Papperlapapp est ainsi présenté : le Palais des papes et sa Cour d’honneur témoignent d’un conflit politico-religieux d’il y a 700 ans entre le roi de France et la Papauté, avec ce que cela suppose d’utilisation par les différents pouvoirs, de la vérité et du mensonge. Ce spectacle est alors une invitation au voyage entre un ailleurs et autrefois et un ici et aujourd’hui, entre rêve et réalité.

Revenons à Télérama : interrogé par Fabienne Pascaud, sa directrice de la rédaction, Christoph Marthaler laisse échapper cette phrase – joyeusement reprise après coup dans le blog de la République des livres de Pierre Assouline : Je ne vais jamais au théâtre, je n’aime pas ça, je n’y comprends d’habitude rien. Je préfère lire le texte de la pièce à la maison, tranquille, sans que les interprétations des acteurs viennent le brouiller.

lundi 19 juillet 2010

Avignon 2010 (III)

Ce qui suit fait partie d'une série de plusieurs billets sur le festival d'Avignon de juillet 2010.

L’option prise depuis quelques années de faire appel à des artistes associés, en vue de préparer et structurer les éditions suivantes du IN, a été saluée comme une ouverture par certains et a donné des boutons à d’autres. Il est vrai que – quel que soit le jugement émis à ce sujet – ces invités laissent souvent leur empreinte et que celle-ci transparaît dans la programmation. C’est précisément dans le fascicule d’une centaine de pages qui y est consacré que je me suis laissé aller à traîner mon regard.

Sa rédaction a été confiée (exactitude de ces informations, sous réserve) à : Antoine de Baecque (1962), normalien (Saint-Cloud), historien de la littérature et critique (cinéma et théâtre) – Jean-François Perrier, comédien, expert auprès de la DRAC- Île de France – Christilla Vasserot, maître de conférences à Paris III, spécialiste du théâtre latino-américain et notamment cubain.

Les signes du lien
Je me suis ainsi arrêté sur les termes qui laissaient entendre la mise en relation entre des intervenants à ce festival, en partant prioritairement des deux artistes retenus pour la présente édition 2010 – Olivier Cadiot et Christoph Marthaler.

Voici les termes recensés, par fréquence d’apparition. Derrière COLLABORER, il y a potentiellement toute la conjugaison du verbe, mais aussi COLLABORATION, par exemple. Et derrière COMPAGNONNAGE, on peut aussi trouver COMPAGNE, COMPAGNON, ACCOMPAGNER… mais pas COMPAGNIE. Après quelques tentatives, j’ai fait l’impasse sur (S’) ASSOCIER / ASSOCIATION. Ce qui m’a le plus intrigué a été l’emploi aussi répété de COMPLICE / COMPLICITÉ. Mais je n’ai pas cédé au mauvais esprit d’intituler le billet : Complices et collaboration.

COLLABORER (12) – COMPLICITÉ (9) – RENCONTRER (9) – COMPAGNONNAGE (6) – DUO (5) – FIDÉLITÉ (4) – REJOINDRE (3) – DIALOGUE (2) – TRIO (2) – AMITIÉFÉTICHETANDEM

Et voici, parfois notés de façon un peu télégraphique, les bouts de phrases rencontrés au fil des pages.
p.4 – Lors de ces deux années, nous avons vu grandir la complicité de l’écrivain Olivier Cadiot et du metteur en scène Cristoph Marthaler. p.5 – 1991 est l’année où Cristoph Marthaler rencontre la scénographe Anna Viebrock et la dramaturge Stephanie Carp, avec lesquelles débute une étroite collaboration. Avec elles, il rejoint Frank Bambauer à Hambourg. p.8 – Anna Viebrock rencontre Christoph Marthaler… commence alors une collaboration très étroite avec Christoph Marthaler qui trouvera en Anna Viebrock une artiste indispensable à sa création… avant de rejoindre la Volksbühne de Berlin. Murx den Europaër ! sera à l’origine de la reconnaissance européenne de ce duo. p.10 – Curieux de tout, les collaborations d’Olivier Cadiot sont aussi hétérogènes que multiples. L’obstination du metteur en scène Ludovic Lagarde permettra – avec l’acteur complice Laurent Poitrenaux – le faufilement du duo qu’il fait avec Olivier Cadiot vers la scène… Le tandem s’illustre par quatre spectacles… Sa rencontre avec Christoph Marthaler le poussera à de nouvelles complicités. p.12 – En 1993, Ludovic Lagarde rencontre Olivier Cadiot. Un trio se forme à la fin des années 90 : l’écrivain Olivier Cadiot, le metteur en scène Ludovic Lagarde et le comédien Laurent Poitrenaux. Le mécanisme de la collaboration entre Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde se met en place en 1998. Ludovic Lagarde… pour offrir à son acteur fétiche, Laurent Poitrenaux. Le trio Cadiot – Lagarde – Poitrenaux retourne vers la forme, solitaire mais peuplée, du monologue. p.14 – Valérie Dashwood et Laurent Poitrenaux, fidèles comédiens de Ludovic Lagarde. Depuis 15 ans, Rodolphe Burger ne cesse de multiplier des collaborations avec ses alter ego… ou ses complices de tournée… En 2004, dans la Cour d’honneur, son concert s’ouvrait par des textes lus par un complice de longue date : Olivier Cadiot. p.15 – Pierre Alféri, romancier, s’est adressé à son ami Rodolphe Burger pour mettre les mots en musique. De ce compagnonnage sont nés Cinépoèmes live, où le musicien Rodolphe Berger improvise sur l’écriture dite par Pierre Alferi. Rodolphe Burger, accompagné de ses fidèles collaborateurs. Forts d’une complicité de plus de 25 ans, les dessinateurs Charles Berberian et Philippe Dupuy investissent la Cour d’honneur pour donner traits à la musique de Rodolphe Burger. p.17 – Le compositeur musical Pascal Dusapin aime les références littéraires ou des collaborations avec des auteurs contemporains, comme son complice Olivier Cadiot. p.18 – Après une première collaboration, le plasticien Sarkis accompagne le metteur en scène Jean-Baptiste Sastre dans sa création de Richard II. p.24 – Le compagnonnage d’Andreas Kriegenburg avec Dea Loher lui a permis de présenter une dizaine de pièces de celle-ci avec un très grand succès. p.26 – La rencontre de François Orsoni avec les comédiens… Clotide Hesme qui deviendront très vite ses compagnons de route. p.27 – C’est à Clotide Hesme, une compagne fidèle de ses aventures théâtrales, que François Orsoni a confié le rôle de Baal. p.30 – Pour chacun de ses projets, Jean Lambert-wild compose une équipe faite de fidélités – Jean-Luc Therminarias est de tous les spectacles. p.34 – Depuis ses débuts, Julie Andrée T. a collaboré avec… p.38 – De ce trouble commun, est né le désir de l’auteur Falk Richter et du metteur en scène Stanislas Nordey d’une collaboration étroite et urgente… donneront voix à une fable contemporaine, habitée par la vérité de cette rencontre fraternelle, et rare, entre deux artistes. p.39 – La chorégraphe Anouk van Dijk vient présenter le second opus de sa collaboration avec Falk Richter. p.40 – De la collaboration entre l’auteur Dennis Cooper et de la chorégraphe et metteur en scène Gisèle Vienne sont déjà nés des spectacles tels que… La démarche de Dennis Cooper rejoint celle de Gisèle Vienne. Complice d’autres passionnés, le compositeur Peter Rehberg est un habitué des collaborations en tous genres. Depuis une décennie il travaille régulièrement avec Gisèle Vienne. p.50 – Après un passage remarqué au Centre national des Arts du cirque, Martin Zimmermann s’installe à Zurich où il croise Dimitri de Perrot, un DJ qui s’est mis à la composition musicale : entre les deux jeunes gens, la complicité est immédiate. Né du dialogue permanent que Martin Zimmermann et Dimitri de Perrot entretiennent pour…. p.51 – Les acrobates de Tanger, dirigés par le duo Zimmermann & de Perrot. p.56 – Josef Nadj, donnant Paso doble, inoubliable duo d’argile avec Miquel Barceló. Avide de collaborations diverses et variées, Akosh Szelevényi travaille avec le metteur en scène Francis Cervantes. Il rencontre Josef Nadj en 2003. p.57 – Tout est né de la rencontre fortuite avec un corbeau japonais, alors que Josef Nadj répète un solo sur le toit d’un théâtre à Kyoto. p.58 – Plus qu’une nouvelle base de réflexion, cela a été pour moi une rencontre ébranlante. En 2005, Romeo Castellucci sollicite la danseuse et chorégraphe Cindy van Acker pour l’accompagner dans sa création d’Inferno dans la Cour d’honneur, à Avignon. p.67 – Le duo Ariane Ascaride et Marie Desplechin fait aujourd’hui appel à… p.75 – Entre rock et musique contemporaine, un dialogue entre Rodolphe Burger et Pascal Dusapin… p. 95 – Les billets ne sont ni repris, ni échangés.

Illustration graphique
Un croquis valant parfois mieux qu’un long discours, de que l’on trouve au début de cet article est un graphique qui cherche à l’illustrer. Les personnes y sont désignées par des initiales. Les liens apparaissent sous trois couleurs :
- En vert, les prises de contact (rejoindre, rencontrer).
- En bleu, le travail en commun (collaborer, dialogue).
- En rouge un lien plus fort (complicité, compagnonnage, duo, fidélité, trio, amitié, fétiche, tandem).
Il va de soi que le résultat n’a pas de prétention que de refléter un texte – ce qui ne doit pas être confondu avec une situation objective. Et pour ne pas surcharger, on n’a pas inclus les constellations satellites gravitant autour de la galaxie Cadiot – Marthaler (celles de Vienne, de Richter, de Zimmermann-Perrot…)

Avignon 2010 (II)

Ce qui suit fait partie d'une série de plusieurs billets sur le festival d'Avignon de juillet 2010.

Dans les rues d’Avignon, il vous est notamment distribué deux journaux gratuits. De l’un j’ai extrait des passages de trois entretiens sur le IN / OFF. L’autre s’est adressé à une vingtaine de personnalités sur le thème de la Culture en danger.

L’Effeuille du OFF
C’est le n°1 d’un journal gratuit de 12 pages. Un journal ? Si les articles sont signés, il n’y a, en revanche, pas d’ours pour donner les coordonnées de la publication et le nom de son responsable. On m’en a tendu un exemplaire le tout premier jour. Et lorsque j’ai croisé, près d’une semaine plus tard un jeune distributeur qui n’y pouvait évidemment mais, il a sans façon admis qu’il y avait eu des réclamations à ce sujet. Outre un hommage – auquel j’ai été sensible – à André Degaine, et des commentaires à propos d’une demi-douzaine de spectacles, le plus intéressant se trouve dans trois pages consacrées à autant d’entretiens : avec Jacques Weber, Denis Podalydès et Jacques Lassalle.

Jacques Weber (1949) – acteur, réalisateur et scénariste. Pendant une vingtaine d’années au total, il a dirigé le Centre national dramatique de Lyon puis celui de Nice-Côte d’Azur.
Il rappelle d’entrée de jeu que – ni IN ni OFF (dérision des mots) – il n’a participé au festival d’Avignon. Il s’agit ici d’un billet d’humeur. Pour lui, on raconte sur ce festival une histoire paradoxale et ambiguë. Aux origines, Jean Vilar tombe amoureux du lieu. L’essai est transformé : le succès enfante un lieu touristique. L’intimité propre au théâtre cède à l’évènement. Point d’aboutissement : une feria qui mélange tout (longue liste dont : Aristophane, le coca zéro, Shakespeare et la crème solaire…), une sorte de Salon de l’auto où les professionnels viennent faire leur marché, avec des bureaucrates en toile de fond. Le IN, pourtant, préserve sa liberté de programmation, tandis que l’anarchie intrépide du OFF rencontre une sorte de reconnaissance officielle. Mais le bruit de la culture de l’évènement, de ce qu’il faut avoir vu couvre les voix du silence, celles du dedans des choses.

Denis Podalydès (1963) – acteur, metteur en scène, scénariste, sociétaire de la Comédie-Française depuis une dizaine d’années. Cette édition du festival est pour lui un cumul de premières fois : jouer du Shakespeare (Richard II), jouer au festival d’Avignon… et dans la Cour d’honneur.
Constat : le Festival est maintenant fait de cette partition entre le IN et le OFF – ce dernier se caractérisant par l’absence de programmation et de subventions, d’équipe qui réfléchit d’en haut, détermine une ligne, coproduit les spectacles. Pas de comparaison possible donc – ni économique ni artistique. La légitimité du OFF est une légitimité de fait ; le public est venu et en a fait un succès, puis des programmateurs pour choisir des spectacles produits par des compagnies qui se font ainsi connaître. Question : la baisse probable de ressources vers le théâtre subventionné va-t-il provoquer un nouvel afflux vers le OFF ?

Jacques Lassalle (1936) – acteur, metteur en scène, écrivain. A été à la tête du Théâtre national de Strasbourg puis de la Comédie-Française. A réalisé plusieurs mises en scène au festival d’Avignon.
La légitimité du OFF vient de ce qu’il donne leurs chances à des répertoires, des pratiques, des compagnies, des artistes que les circuits institutionnalisés ne gratifient pas et laissent en marge. Et de ce qu’il lui arrive de compenser ce que le IN peut avoir d’arrogant dans ses choix et de provocant dans sa conception de la modernité en art. Cela étant, il semble que le trafic des locations de salles ne soit pas beaucoup moins scandaleux que les réseaux de marchands de sommeil.

La Terrasse
Ce journal gratuit a pignon sur rue dans le monde du théâtre. Il annonce une diffusion moyenne (OJD) proche de 75 000 exemplaires.et un tirage de 100 000 pour le présent Hors-série sur le festival d’Avignon. Tout au long de ses 128 pages (dont moitié de la surface sous forme de publicité), on trouve présenté un guide, une sélection de spectacles – presque tous ceux du IN et 20% de ceux du OFF.

La Culture en danger ?
Une vingtaine de personnes ont été sollicitées pour s’exprimer sur ce thème. Leurs interventions occupent plus de 10% de la surface réactionnelle. Ce qui suit n’est qu’un survol. Pour plus de précision, se référer à l’édition électronique sous format PDF : http://www.journal-laterrasse.fr/pdf/la_terrasse_avignon_2010.pdf

Il va de soi que cela vient de gens relativement installés et souvent politiquement marqués. Mais mes dadas me portent aussi ailleurs et c’est pourquoi j’ai cherché à retrouver les dates de naissance. Sur les 20, il y en a 4 qui ont dépassé le futur âge de la retraite à 62 ans. Le gros du bataillon est fait de quadra- et de quinquagénaires… dont plus du tiers encore de baby-boomers, vague démographique déferlante que la vie a habitués à voir les montagnes s’écrouler devant eux – quitte à pousser leurs aînés à la retraite anticipée et leurs cadets au chômage. En ce sens, la tonalité générale de ce qu’on lit dans ce dossier me paraît assez datée, voire myope, si on se donne un horizon à 10 ans.

Un brin d’air frais
La culture appartient à la nature humaine et lui donne sens. De tout temps, les princes, les grands mécènes ou les États ont soutenu les artistes… qui en retour les soutenaient. Quant à éduquer / cultiver les peuples… j’en frémis, rien que d’y penser. Certes, l’éducation rend moins ignare… mais que certains savants peuvent être incultes ! Si l’art n’a réponse à rien, du moins permet-il de modifier le point de vue : tout redevient question – les artistes déplacent / déstabilisent la culture. La frontière entre culture et divertissement est poreuse ? Oui, et c’est dans cet entre-deux que tout se passe. Il est vrai qu’il faut des moyens pour la culture mais, dans ces conditions, elle se transmet toute seule. Utopie ? (Jacques Coursil)

Survol des autres interventions
(entre parenthèses, les initiales des signataires dont la liste est donnée par la suite)
- Les collectivités territoriales financent à 70% une culture créative et diversifiée. Le projet de loi visant à les réformer re-centralise. La suppression de la taxe professionnelle en assèchera les ressources (CB).
- Culture : façon que les gens ont de faire attention à eux-mêmes, aux autres et au monde. Organisée pour capter l’attention de consommateurs, l’économie contemporaine et les industries culturelles les en détournent. Résister ? Ce serait accepter le fait accompli : reconstituer plutôt l’attention au monde. Les nouvelles techniques relationnelles accessibles à chacun devraient permettre de « doubler » le monde consumériste (BS).
- Culture en danger ? Bonne gestion n’est pas en contradiction avec culture. Cela étant, l’art ne doit pas être un bien exclusivement marchand mais il a besoin de prendre des risques pour innover. Le mécénat privé affecte l’indépendance des artistes : mieux vaut un financement public… dont celui par les collectivités territoriales (LS).
- Les dangers ? La refonte du ministère de la Culture ; le projet de réforme des collectivités territoriales : une numérisation, où les majors des loisirs et de la communication veulent imposer leur loi. Ce ne sont pas les élus et les fonctionnaires qui sortiront la solution de leur chapeau. Ce sont des praticiens qui ont marqué les changements dans le passé (Dasté, Vilar, Planchon, Vitez, Mnouchkine…). Ceux qui sont lassés des logiques productivistes et consuméristes s’associeront à une telle recherche de sens (EW).
- La question des subventions est une fausse question : la profession est en désarroi, les rapports avec la tutelle sont faussés (ni réflexion, ni discussion, favoritisme, destruction des acquis). Même le PS n’est pas opposé sur le fond aux dérives actuelles. Impliquer le public. Imaginer un contre-gouvernement de la culture (RA).
- On n’avancera pas, à réclamer tout pour le peuple et rien par le peuple. Les acteurs culturels n’arrivent à se mobiliser que les moyens… et la majorité de nos concitoyens a d’autres soucis. Seuls ceux qui fréquentent une offre culturelle non strictement marchande reconnaissent qu’il y a crise. La baisse des budgets n’est que le symptôme d’une absence de prise en considération des enjeux culturels (JML).
- Modèle spécifiquement français hérité de l’Ancien régime, la culture est affaire d’État et « service public » dû aux citoyens. Les crises ont un avantage : éviter que les politiques et les artistes en viennent à ronronner. On confond actuellement populaire et audimat. Les artistes sont perçus comme des privilégiés coupés du peuple réel. La France est en retard sur les autres démocraties occidentales quand au rôle de l’école pour l’accès à la culture (ADB).
- Depuis l’Antiquité, la dramaturgie s’est construite en articulant émotion et réflexion. Malraux a amorcé et Lang renforcé le clivage entre créateurs (soutenus par le dispositif public qui tend à se replier sur l’élite cultivée) et animateurs sociaux (liés à l’action dite culturelle, quitte à y accueillir les adeptes du hip-hop). Alors que le nazisme cherchait à séduire les foules, Brecht avait entrepris de relier intellect et sentiment (GN).
- Question budgétaire ? C’est plus profond. Le projet pour l’Homme est à l’abandon. Ce devrait être aux artistes d’inspirer l’État – alors qu’ils n’ont même plus de respect entre eux : compétition plutôt qu’émulation, colloques plutôt que débat, séduction plutôt que concours (CS).
- Les menaces : la réforme des collectivités locales ; la recentralisation ; la suppression de la taxe professionnelle ; les déprogrammations et licenciements ; le démantèlement du service public ; la surdité aux contre-propositions (FLP).
- La création s’inscrit dans la durée. Importance du brassage des âges parmi le public à l’occasion de pièces qui apportent une réflexion sur l’Histoire et où chacun peut trouver une existence autre que la seule réalité économique. C’est ainsi qu’en leur temps, celui de l’ouverture des frontières, le Théâtre des nations, le Festival de Nancy, celui d’Automne et celui d’Avignon, l’Odéon-théâtre de l’Europe… ont permis de re-questionner le monde (EDM).
- L’accès à la culture – qui devrait donner des repères nécessaires à leur émancipation – est devenu plus difficile aux étudiants (7 € par mois dans leur budget). Ouverture grâce aux technologies numériques ? C’est l’ère du soupçon (HADOPI). La culture a tendance à devenir le fait du prince (national ou local). Les politiques sont devenus encore plus absents du festival d’Avignon (ET).
- La culture est vraiment en danger… mais c’est une question de cycle historique et elle en réchappera. Les deux erreurs de nos politiques : parler de la culture comme d’un superflu (divertissement, tourisme, commerce, marché de l’art) ; considérer la politique comme une gestion de crise, plutôt qu’une action tournée vers l’avenir (OP).
- Le statut d’artisan remonte au Moyen-âge. Celui d’artiste s’en est détaché au cours des 18e et 19e s. pour en faire un être d’exception mû par une nécessité interne (leur vocation remplace la naissance des aristocrates) : il reçoit des subventions, peut transgresser les règles morales. Afflux de candidats, marginalisation, paupérisation. Plus récemment : artistes + exception + techniciens + droits + égalité = intermittents. Et pendant ce temps-là, ce sont les élites diplômées qui fréquentent majoritairement le théâtre subventionné de service public tandis que le public populaire va dans les théâtres privés (NH).
- 10 milliards € de fonds publics pour la culture = 3 (État) + 4 (communes) + 1,3 (départements) + 1 (régions). D’abord centrés sur l’enseignement artistique et l’aménagement, les collectivités territoriales ont promu des festivals et des évènements. Les inquiétudes liées à la suppression de la taxe professionnelle et à la clause de compétence semblent avoir été entendues… à suivre néanmoins (KGM).
- Les remous en cours ont mis en évidence l’inadaptation des structures de réflexion et de travail. De par leur positionnement, leur sensibilité et leur savoir-faire, les directeurs des affaires culturelles se voient promus chefs d’orchestre dans la mise en place des outils de la politique publique. On assiste aussi à un déplacement du primat des disciplines (ex. : spectacle vivant) vers l’éducation artistique et la compréhension du monde (CL).
- Alors que les politiques se désintéressent de la culture (voir les campagnes électorales), la pluralité des partenaires (État, régions…) devient une garantie de démocratie. Le théâtre a toujours reflété les interrogations de la cité mais, avec le déclin de la civilisation judéo-chrétienne, ce lien est en train de se dissoudre. Le théâtre doit s’ouvrir à un avenir différent (JD).


Les intervenants
Claude BARTOLONE (1951) – Député PS, CG-93. Bernard STIEGLER (1952) – Philosophe, R&I Pompidou. Louis SCHWEITZER (1942) – CA du Festival. Emmanuel WALLON – Professeur, sociologie politique & activités culturelles. Robert ABIRACHED (1930) – Écrivain et critique, ex-Théâtre & Spectacles à la Culture. Jean-Michel LUCAS – Ex- cabinet Jack LANG et DRAC. Antoine de BAECQUE (1962) – Historien, ouvrages sur la culture. Gérard NOIRIEL (1950) – Historien, EHESS. Christian SCHIARETTI (1955) – TNP de Villeurbanne. Emmanuel DEMARCY-MOTA (1970) – Théâtre de la Ville. Emmanuel ÉTHIS (1967) – Université d’Avignon, sociologue. Olivier PY (1965) – Théâtre national de l’Odéon. Jacques COURSIL (1938) – Trompettiste, linguiste, enseignant - fils de Martiniquais, né à Paris. Nathalie HEINICH (1955) – Sociologue de l’art. Karine GLOANEC-MAURIN (1958) – Fédération des Collectivités territoriales. Claude LECHAT – ASDAC-IDF. Joël DRAGUTIN – Théâtre 95. Farid PAYA (1949) – Compagnie du Lierre. Bernardo MONTET (1957) – Centre chorégraphique de Tours. Bernard LUBAT (1945) – Musicien de jazz.

L’illustration de ce billet se compose du logo du festival 2010 et d’une sculpture géante de Miquel Barceló exposée pendant l’été sur la place du Palais des papes.

dimanche 18 juillet 2010

Avignon 2010 (I)

Ce qui suit fait partie d'une série de plusieurs billets sur le festival d'Avignon de juillet 2010.
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Le festival : rappels
En septembre 1947, à la demande du poète René Char, Jean Vilar (1912) donne quelques représentations dans la Cour d’honneur du Palais des papes, aménagée à cet effet, à l’occasion d’une Semaine d’art dramatique à Avignon – dont Richard II de Shakespeare. Rebelote l’année d’après, puis les suivantes, en juillet. Vilar s’est attaché une troupe de jeunes talents – Gérard Philipe (1922) les rejoindra en 1951. Public de plus en plus nombreux et fidèle, dans la mouvance de l’éducation populaire, avec lectures et débats : c’est un succès. Importante ouverture à partir de 1966 : d’une part le Festival, qui commence à sortir de la Cour d’honneur, accueille des troupes théâtrales autres que le TNP parisien ainsi que de la danse avec Maurice Béjart (1927) ; d’autre part des initiatives externes – ce qui deviendra le OFF – voient le jour.

A la mort de Vilar, en 1971, c’est Paul Puaux (1920), alors administrateur permanent, qui prend la relève à la tête du Festival. Il met fin à cette aventure en 1979. Le Festival devient une association 1901 composé des collectivités publiques qui subventionnent et de personnalités qualifiées. C’est désormais Bernard Faivre d’Arcier (1944) qui va le diriger, jusqu’en 2003 – avec un passage de relais à Alain Crombecque (1939) entre 1985 et 1992. Le Festival s’est entre temps étiré sur un mois, considérablement diversifié au-delà de sa vocation initialement théâtrale, a perdu de sa force emblématique mais reste un rendez-vous incontournable pour la profession. D’autant que le OFF s’est lui-même institutionnalisé à partir de 1982 et qu’il est devenu un marché de la production théâtrale.

En 2003, le Festival est annulé : c’est le résultat du mouvement des intermittents du spectacle. C’est au tour de deux adjoints de Faivre d’Arcier – Hortense Archambault (1970) et Vincent Baudriller (1968) – de prendre la direction d’un Festival relativement affaibli. Ils cherchent à en rajeunir l’esprit et inaugurent la présence à chaque édition d’un ou deux artistes associés… ce qui ne va pas sans polémiques quant aux choix qui en découlent. Ils devraient céder leur place en 2011.

Ambiance – rencontres - découvertes
Grâce à une connaissance qui pouvait nous héberger dans le centre d’Avignon, Selénia m’y avait déjà embarqué, il y a 5 ans et il y a 3 ans. Je sais des personnes qui ont l’intention de ne jamais y mettre les pieds et d’autres qui sont des inconditionnelles du IN (c’est ainsi que l’on appelle souvent le Festival officiel, par opposition au OFF). Sans enthousiasme excessif, y venir de temps à autre m’y plaît pour des raisons différentes : l’ambiance, la stimulation qui émane de certaines rencontres avec le public, et quelques découvertes théâtrales – essentiellement dans le OFF.

Où trouverait-on ailleurs une telle ambiance ?
L’évènement se concentre essentiellement au sein de la partie intra-muros de la ville qui fait un peu plus d’un km². Y résident habituellement une grosse dizaine de milliers d’habitants mais, en ne comptant que les artistes et techniciens du IN et du OFF plus ou moins à demeure en juillet, on approche du doublement… Mais surtout y défilent au cours mois de juillet un bon demi-million de visiteurs-spectateurs. Pour rabattre ceux-ci dans leurs filets (on estime qu’il y a un million d’entrées) les 850 compagnies du OFF ne manquent pas de pratiquer les règles élémentaires du marketing : (1) attirer l’attention ; (2) induire une préférence ; (3) faire une proposition ; (4) verrouiller le contrat… (voir illustration en tête de ce billet).

Des (dizaines de ?) milliers d’affiches, collées sur des cartons d’emballage et attachées avec de la ficelle, s’accrochent partout où c’est possible : aux murs aux lanternes, panneaux de signalisation, descentes de gouttières… Des personnages les plus bariolés vous distribuent en permanence des prospectus au format de cartes postales… ou des sacs en plastique vous invitant à aller voir les Caprices de Marianne au prétexte de vous désencombrer les mains. Devant les terrasses et restaurants en plein air, vous avez droit à de petites récitations, concerts de rue ou sortes de jingles pour vous faire entrer dans le crâne : quoi, où et à quelle heure. Marketing, mais créatif et bon enfant sous le soleil qui tape pourtant – donc ambiance. Où trouveriez-vous cela ailleurs ? Par comparaison, les flots de vacanciers le long des plages atlantiques ou parisiennes prennent des allures de convoi funèbre.

Rencontres avec le public.
S’il n’y a pas trop de bluff dans les chiffres qui circulent, le IN (aux places en moyenne deux fois plus cher) drainerait 6 ou 7 fois moins de spectateurs que le OFF. Il offre 25 fois moins de spectacles et 80 fois moins de représentations, mais le nombre de places y est nettement plus conséquent (ainsi, 2000 places dans la Cour d’honneur). Mais ce qui me plaît le mieux dans le IN, ce sont les rencontres organisées avec le public – soit face à l’équipe artistique d’un des spectacles donnés, soit sur un thème particulier. Il y a aussi des émissions radio en public (genre Le masque et la plume) et des rencontres avec la presse – mais on est alors coincé dans une logique de diffusion top-down. On trouvera dans d’autres billets de ce bloc-notes mon compte rendu de quelques unes de ces manifestations.

Comment s’orienter et choisir un spectacle ?
Tout est permis. Se laisser séduire par une affiche ou par une troupe qui a agrémenté votre café en terrasse par son jingle (parfois admirablement exécuté… mais si ça chante faux, ce n’est pas un bon point pour la qualité artistique de ce qui est proposé). Compulser les 400 pages du catalogue exhaustif. S’en remettre à un guide – certaine édition spéciale d’un journal gratuit vous recommande objectivement environ 250 spectacles). J’ai eu la chance, avec Selénia, d’être en compagnie de qui connaissait la profession et qui, le bouche à oreille aidant, s’est arrangée pour sélectionner à chaque fois quelque chose d’intéressant et de bon niveau. Aucun ne figurait dans les guides consultés (cliquer : ICI)

dimanche 4 juillet 2010

A mi-2010 - Cinéma


Il ne m’a pas été facile d’opérer un choix parmi les films analysés par Annie Coppermann, qui avait été responsable de la chronique Arts & Culture des Échos et que ce journal accueille désormais pour un blog hebdomadaire de ses Coups de cœur et coups de griffe, consacré au cinéma. Pour le 1er semestre 2010, j’en ai retenu à peu près 1 sur 10 et effectué à chaque fois un condensé – dans un ordre des sorties en salles qui remonte le temps. Ce qui apparaît en conclusion de chaque film, avec une police et une couleur différente, est un extrait de l’avis que nous en livre Annie Coppermann. Pour remonter à la source, utiliser l’adresse de site suivante :
(
http://blogs.lesechos.fr/rubrique.php?id_rubrique=78).

PuzzleCe premier film de la réalisatrice argentine Natalia Smirnoff a pour héroïne une mère de famille toute entière dévouée à son foyer. A son cinquantième anniversaire, elle reçoit un grand puzzle : offrande inattendue, mais qui s’avère libératrice. Elle se passionne pour l’assemblage des minuscules petites pièces, progresse à une vitesse inespérée, en oublie presque les tâches ménagères et accepte d’être la partenaire d’un habitué des tournois – homme séduisant et raffiné. Elle prend de l’assurance, s’épanouit, s’aperçoit qu’elle a jusqu’ici vécu dans une sorte de servitude. Ira-t-elle jusqu’au bout de son émancipation ?

Beau portrait de femme, tout en nuances, magnifiquement incarnée par Maria Onetto et joli film sur le machisme ordinaire, la famille, et la difficulté pour une femme de trouver le chemin de la liberté sans mettre à mal… le puzzle que compose son entourage, quand elle sait en être le ciment.
BébésTourné par Thomas Balmès, et dont Alain Chabat a eu l’idée toute simple : aller filmer les dix-huit premiers mois de quatre nouveau-nés dans quatre familles aimantes de la planète. Comme pour un documentaire animalier mais sans commentaires. Depuis leur naissance (pas toujours dans des conditions d’hygiène optimale) jusqu’à leurs premiers pas et à l’apprentissage de la découverte du monde d’à côté, parfois derrière le dos des mamans alors affolées… On suit donc le petit Namibien, qui se vautre dans la terre ocre où est assise sa mère, et lèche goulument les cailloux qui lui servent de hochet ; le petit Mongol, relié à son lit par une ficelle, et qui prend son bain sans se laisser intimider par la curiosité un peu pressante du yack tout proche ; la petite Japonaise qui se chamaille avec son chat et se fâche quand ses jouets ne lui obéissent pas. Et la petite Californienne, qui ne prise qu’à moitié les séances de communion hippie à la gloire de la Terre où l’emmènent ses parents bobos, et amorce sa première fugue…

En fait, rien que d’archi connu. Et pourtant, on ne s’ennuie pas une seconde, on rit, on s’étonne, on applaudit… Et l’on s’émerveille de voir à quel point, au-delà de différences de conditions évidentes, tous ces bouts d’chou se ressemblent dans leur façon de grandir et de commencer à tester leur début d’autonomie...
Copie conforme
Pour la première fois, Kiarostami tourne en dehors d’Iran, avec William Shimmel et Juliette Binoche. Il est Britannique et séduisant, invité en Italie à parler de son dernier essai, sur l’art et sa reproduction. Elle, Française qui tient une galerie de statues anciennes, se glisse dans la salle de conférences. Partie de l’art et ses copies, leur discussion se prolonge au fil d’une après-midi passée dans un ravissant village et tourne… à la scène de ménage. Réelle, ou en trompe-l’œil ? Celle d’un vieux couple ? Après quinze ans de mariage ? Elle, ardente, n’est que reproches, lui toujours aussi froid, que leçon de sagesse. Tout, ici, est jeu de miroirs, jeu d’acteurs et surtout, d’actrice : mutine, autoritaire, souriante, mélancolique, agressive, furieuse, séductrice, brisée, sensuelle, abandonnée, Juliette Binoche est éblouissante. La fin reste ouverte. Et laisse le spectateur à la fois très ému, et perplexe.

Moins abstrait que parfois, toujours un peu énigmatique, d’une subtilité que ne fige pas la beauté des images, ce film tout en jeux de miroirs interroge, et séduit. Juliette Binoche, elle, nous tourne la tête !
Les Arrivants
C’est à Paris qu’on les découvre. Débarqués de leur bout du monde natal, perdus, éreintés, ruinés, ils espèrent trouver, chez nous, des conditions de vie plus acceptables que chez eux d’où, souvent, ils ont fui pour sauver leur peau. Claudine Bories et Patrice Chagnard, coréalisateurs de ce bouleversant documentaire, les ont cueillis au tout début de leur séjour, puis régulièrement retrouvés aux nombreuses étapes de leur chemin de croix administratif.

Il y a le couple éthiopien dont la femme est enceinte – son mari ne supporte pas l’humiliation de ces harassantes démarches et se met souvent en colère. Puis une superbe Erythréenne de vingt ans, très enceinte, très digne, dont on devine qu’elle a connu le pire, et préfère le taire. Un couple, ensuite, venu de Mongolie extérieure, se disant pourchassé pour raisons politiques mais pas l’air très crédibles parce qu’ils ne racontent jamais tout à fait la même chose. Il y a aussi ceux qui ont fui les persécutions au Sri Lanka. En face, il y a les accueillants, ceux qui écoutent, débrouillent, aident à remplir les papiers, qui savent d’emblée que les élus seront peu nombreux, et peuvent aussi craquer.

Instants ordinaires de destins extraordinaires…. Sans effets de manches. Concrètement. Les statistiques deviennent des hommes, des femmes, des enfants, en bout de route et d’énergie, mais pas encore d’espoir. A la fin, un carton nous raconte ce qu’ils sont devenus. On y repensera souvent. Bouleversant.
The Ghost-Writer (l’écrivain fantôme)Un formidable thriller politique. Hanté par les thèmes obsessionnels de Polanski : l’enfermement, le mal, l’absurde, aussi. Les manipulations du pouvoir. Et la mort… Désargenté et disponible, un journaliste rejoint, dans sa résidence secondaire américaine, un ex premier ministre britannique dont il doit pimenter les mémoires. Le nègre qui a rédigé le premier jet vient de mourir. Un accident, sans doute. Le nouveau nègre s’y sent mal à l’aise. Il trouve ensuite, dans les tiroirs de son prédécesseur quelques papiers mystérieux qui pourraient bien le mettre sur la piste de révélations scandaleuses… Le film s’inspire du roman d’un ex journaliste de l’Observer et du Sunday Times, qui ne nie pas avoir pensé à Tony Blair… Un film nerveux, tendu, haletant, hitchcockien. Une distribution magnifique.

Machiavélique, caustique, un rien désespéré, et formidablement mené, ce film fait écho à la situation actuelle du réalisateur mais était pourtant quasiment terminé quand Polanski a été arrêté à Zurich. Sombre, palpitant, avec des sous-entendus politiques ravageurs. Il a reçu l’Ours d’argent du meilleur réalisateur à Berlin.

La Tisseuse
L’actrice chinoise Yu Nan est remarquable de retenue, dans le film de Wang Quan An. Elle incarne une ouvrière, employée d’une vétuste filature dans la banlieue de la capitale de la province du Shaanxi. Mariée à un homme qui a perdu son travail, mère d’un petit garçon qu’elle tente d’élever du mieux possible, elle tombe malade et comprend qu’elle est atteinte de leucémie : elle n’a plus que quelques mois à vivre. Elle décide d’aller rejoindre à Pékin son grand amour de jeunesse – également marié et père de famille. Ils vont passer une journée au bord de la mer. Puis se séparent … Quel mélo, serez-vous peut-être tentés de dire ! Erreur. D’une finesse déchirante, ce film bouleversant ne tombe jamais ni dans le misérabilisme, ni dans la facilité du cliché. La première partie, d’une précision presque sèche, nous montre l’univers kafkaïen de l’usine… et certains petits arrangements avec la morale. La partie des retrouvailles à Pékin est proprement bouleversante. Elle réunit, en toute chasteté, deux êtres conscients d’avoir gâché leur vie et de ne plus pouvoir rien y faire. Les grandes douleurs sont muettes, dit le proverbe. Ce film magnifique l’illustre magnifiquement…

Primé à Montréal, un petit bijou chinois, concentré d’émotion pudique, silencieuse, magnifiée par une actrice bouleversante. Très beau.
Fantastic Mr. FoxC’est un vrai petit bijou. L’humour décalé du réalisateur, Wes Anderson, complète celui du conte drolatique qu’il avait adoré quand il était petit. Mr Fox est un renard. Elégant, bon époux et bon père, il a longtemps vécu de rapines dans les poulaillers mais a décidé de se ranger, pour complaire à sa femme et assurer à son fils une bonne éducation. Il acquiert un confortable terrier avec vue imprenable… sur les trois fermiers voisins. Ses vieux instincts se réveillent et il conçoit des expéditions aussi sophistiquées qu’hilarantes – déclenchant la colère des trois horribles éleveurs de volailles visés, abominables exploiteurs capitalistes… Ce n’est pas le moindre paradoxe de ce film à l’ancienne que d’unir, dans un même plaisir, les petits et les grands. Exaltation joyeuse d’une liberté un rien anar opposée à la pesanteur égoïste de gros propriétaires repus. Regard lucide mais tendre sur les difficultés de la vie en famille et de la relation père-fils. Le tout sur une musique qui fait la part belle aux Rolling Stones, aux Beach Boys, à Cole Porter et à … Mozart. Un sans-faute !

Pour lutter contre la morosité, rien de tel que les aventures de cet élégant gentleman-cambrioleur à fourrure, père de famille peu enclin à renier ses passions de jeunesse. Une fable à l’amoralité malicieuse qui devrait séduire tous les publics, de 7 à …87 ans et plus.