mercredi 15 février 2012

Entre les deux… (18)




La linguistique à distance du corps et du monde
La linguistique, telle qu’elle s’est développée au 20ème siècle avec Saussure, insiste sur la valeur arbitraire du signe, puis sur le fait que la langue a été une libération par rapport aux entraves du corps ainsi que du monde physique qu’elle décrit. Il y a pourtant une très forte relation entre les gestes du corps et la syntaxe verbale – non seulement pour nommer les choses mais aussi pour les éléments logiques et formels qui prennent leur origine dans le corps et l’émotion (ceci sera repris dans un chapitre ultérieur).
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La dénégation qui sous-tend cela ne se limite pas à l’apport de Saussure et de ses adeptes, mais dérive d’un courant qui s’est amplifié au cours des derniers siècles, qui a répudié l’enracinement corporel en faveur d’une vision mécaniste de nous-même, abstraite et cérébralisée, puis s’est inscrit dans la pensée courante. Ce désenchantement corporel du langage peut s’interpréter comme une rébellion à l’instigation de l’hémisphère gauche, contre la perception du monde qu’apporte l’hémisphère droit.
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On pourrait – quand même et pour le moins – mettre en question la théorie de Chomsky sur l’existence d’une grammaire universelle, dans la mesure où elle conduit à prôner que les structures du langage analytique seraient câblées dans le cerveau, au point de faire de celui-ci une machine cognitive à base de règles programmées qui structureraient le monde.
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N’a-t-on pas plutôt affaire à un organisme vivant et lié au corps, qui développe des savoir-faire implicites et performants au cours d’un processus empathique, faisant appel à une imitation intelligente ? Pour le moins, la théorie d’une grammaire universelle ne colle pas avec la manière dont les enfants font l’acquisition du langage dans le monde réel. S’ils font, certes, preuve d’une remarquable capacité pour saisir spontanément des formes conceptuelles et psycholinguistiques de la parole, c’est néanmoins de façon beaucoup plus globale qu’analytique. Imitateurs à un point étonnant, ils sont justement des imitateurs et non des machines à recopier.
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Imiter n’est pas copier
Car s’il existe un niveau tel que celui de l’apprentissage par cœur, où l’on reproduit mécaniquement ce qui a été préalablement découpé selon une séquence donnée, il y a aussi cette attirance pour saisir un tout et pour essayer de le sentir de l’intérieur, comme si on habitait de l’intérieur d’une autre personne : lorsqu’on imite sa voix, sa façon de parler, celle de marcher… avant même que d’émettre un quelconque jugement (admirer ou se moquer de cette personne). C’est une imitation empathique, qui suppose une identification et qui, au-delà de l’acquisition des savoir-faire, joue son rôle dans le développement humain.
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A ce titre, on ne peut pas dire que le langage se soit abstrait de la vie. L’enfant n’accède pas au langage en apprenant des règles mais par une imitation identificatoire empathique, vécue de l’intérieur. C’est à ce stade – et plus tard aussi dans la vie – que nous attrapons sans nous en apercevoir des habitudes ou des tics de langage de nos vis-à-vis. Ceci vaut aussi pour les gestes et la musique.
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Le langage enraciné dans le corps
Ce processus relève d’une partie du cerveau proche de la motricité gestuelle ainsi que de ces neurones-miroirs qui s’activent aussi bien quand nous agissons nous-même que quand nous regardons les autres agir – processus que des anthropologues considèrent dériver de la musique : sorte de langage corporel qui s’étend émotionnellement à l’ensemble des individus d’un groupe ; relation qui englobe bien plus que la somme de ses parties.
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Si le langage a pris source dans la musique, il s’est agi d’empathie et de vie en commun et non de quelque chose qui divise et qui met en compétition. Comme la musique, le langage est une activité partagée qui débute en transmettant une émotion et en suscitant la cohésion. Le chant humain est unique, en ce sens qu’aucune autre espèce ne synchronise les rythmes, ne mélange les timbres (le chant des oiseaux est individualiste et de nature compétitive… et il a sa base dans l’hémisphère gauche, contrairement à ce qui se passe chez l’homme).
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La propension à s’exprimer et à communiquer ne se situe pas dans l’aire de Broca qui joue en quelque sorte un rôle de moteur de la parole, mais elle prend son origine dans une partie plus profonde du cerveau, liée aux motivations de socialisation. Il est à craindre que certains en soient arrivés à confondre ces deux fonctions. A noter aussi que cette aire plus profondes est particulièrement développée chez les dauphins dont on sait l’intelligence et la faculté à communiquer… en musique.
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Sélection naturelle : le groupe ? l’individu ?
Si on raisonne en termes de sélection naturelle, les anthropologues vous diront que celle-ci s’opère au niveau des groupes et non tant à celui des individus. S’il est clair que des différences individuelles se manifestent au sein d’un groupe, c’est néanmoins celui-ci tout entier qui en bénéficie dans sa cohérence.
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On est ici loin de la théorie de la sélection naturelle qui met l’accent sur la compétition entre des individus, chacun ayant un objectif formulé en termes d’utilité. Si on en reste à ce type de formulation, la musique, la danse, le rire… deviennent futiles. Le langage référentiel qui s’est massivement développé autour de l’hémisphère gauche, a réalisé un hold-up : il s’est détaché de la relation originelle avec le corps et avec l’expérience ; il est devenu un monde en soi, qui n’est plus une présence au monde mais une représentation de celui-ci.
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The Master and his Emissary – The divided brain and the making of the Western world – Iain McGilchrist – Yale University Press – 2009 – 597 pages...
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Le présent billet fait suite à celui du 15 janvier. Il fait partie d’une séquence sur le Cerveau commencée le 4 juin 2010 (voir la liste des thèmes dans la marge de droite). Il n'est pas exclu qu'au cours de la traduction et en cherchant à condenser, il y ait eu des erreurs ou une mauvaise compréhension : se référer directement à l'ouvrage mentionné ci-dessus.

vendredi 3 février 2012

Année 2012 consacrée à l'autisme


C'est au cours de la première quinzaine de février qu'est lancée à Matignon l'Année 2012 de l'Autisme considéré comme "grande cause nationale".

Ce bloc-notes a consacré plus d'une quinzaine d'articles à Émile (pseudonyme) qui a évolué - et continue d'évoluer - très positivement grace à une méthode dite "3i" parce qu'elle est :

Intensive – pour rétablir les connexions neuronales tout en sortant l’enfant de son monde intérieur. Parents et bénévoles s’impliquent une quarantaine d’heures par semaine, vacances comprises.

Individuelle – car l’autiste qui souffre de participer à des séances collectives s’en évade et se replie dans ses stéréotypes. Une ambiance détendue, seul à seul et affectivement favorable, vaut mille fois mieux. Pendant les 2 premières années la scolarité en établissement est mise entre parenthèses.

Interactive – en entrant dans son monde, en captant son regard, en dialoguant, en favorisant la détente: comme avec un tout jeune enfant, c’est le jeu qui a la priorité et non l’apprentissage.

Vous pouvez regrouper ces articles pour les lire plus aisément, en cliquant sur "Autisme" dans la marge de droite de cet écran...

Et si cela vous semble souhaitable, pourquoi ne pas faire parvenir un message aux responsables du "nerf de la guerre" et allant, avant le 9 février sur le lien :