mardi 15 mars 2011

Respirer en altitude



Ce billet s’appuie sur des notes prises lors de la réunion des bénévoles des premiers jours de février : il reflète ainsi le point où en étaient Émile et son entourage au début de l’année 2011.

Au-delà du constat devenu classique des progrès réalisés, j’ai noté cette fois quelques points particuliers : une meilleure perception de la vision en relief ; la relation au temps ; la transition d’un univers du chaos vers un autre plus organisé ; la relation avec la règle ; le recours à un langage inégalement maîtrisé comme stratégie d’évitement.

Ceci grâce aux commentaires de personnes de cette association qui épaule la famille et les bénévoles dans leur démarche : un psychologue (qui suit directement le parcours d’autres enfants) présent à cette réunion, et la présidente de l’association à partir du faisceau d’expériences qui converge vers elle.

Commençons par la base de la pyramide, par la perception sensorielle notamment. Une dent est sur le point de tomber : Émile la sent beaucoup plus nettement que les fois précédentes. Et les pieds ? A le voir sur des skis – en particulier au moment du chasse-neige – on se dit qu’il y a un bien meilleur ressenti de ce côté-là.

Gestuelle. Pause ou progrès ? Émile lit désormais à haute voix – c’est vivant, le ton et le geste y sont, mais… très systématiquement, sa main droite à l’index déployé semble accompagner l’histoire : où se trouve-t-on entre l’intégration entre visuel, verbal et gestuel, et reliquat de stéréotypes ?

Émile continue de conquérir son autonomie. Il veut tout faire tout seul et – point notoire – se lave seul. Il est content de rendre service ou donner un coup de main quand on lui demande. Au magasin, il commence à se charger de peser les fruits et de mettre sur le sac l’étiquette autocollante qui sort de la machine.

Il aime et demande à être regardé lorsqu’il se donne en spectacle (Tu m’écoutes, tu me regardes, il en est fier). Ou encore, par miroir interposé quand il se place devant, la personne bénévole à côté de lui, et vérifie les expressions qu’il cherche à mimer : Tu me regardes, moi. Double regard – le sien et celui de la personne qui est là – mais, ce faisant, Émile cherche à apprendre par lui-même… Conquête d’une autonomie qui ne va pas sans nuances, car une peur peut subsister face au regard de l’autre – exemple : il incite une bénévole à faire un découpage à sa place… mais s’y essaie tout seul dès que celle-ci s’absente un moment.

Revers de la médaille ? Ou, plutôt, autonomie à la sauce négative quand il dit non – de façon catégorique : ce qui ne l’empêche pas de transiger par la suite. Le comble de la ruse : lui proposer de choisir entre deux activités (On va chercher du pain, ou bien on va se promener ?) Cela étant, Émile ne se sent toujours pas à l’aise lorsque qu’il y a des enjeux (perdre ou gagner) et il lui reste un bout de chemin à faire pour gérer un stress éventuel.

Plus autonome certes mais aussi, tourné vers les autres. Ce qui nous amène à nous intéresser au relationnel et à la communication.

Remarque préalable : Émile tisse de plus en plus de liens, ce qui donne plus de fluidité à son univers. Ses parents s’en sont aperçus en le voyant passer d’un atlas à l’autre – l’un donnant une carte du monde et l’autre constituant une sorte de catalogue des pays – puis chercher à situer chacun d’entre eux sur la première carte. Autre constat : les jeux dont il prend l’initiative deviennent plus spontanés – il ne reprend plus autant une même activité d’une séance à l’autre ou d’un bénévole à l’autre.

Il y bien des passerelles (peut-on dire des synergies ?) entre tisser des liens dans son propre univers et développer des relations avec son entourage et communiquer avec lui – mais ce n’est pas entièrement du pareil au même. Degré zéro de sa relation avec les autres : on le sent désormais présent, même lorsque qu’il semble absorbé par une activité pour lui passionnante. Il commence aussi à s’intéresser à la vie de personnes proches en posant des questions à leur sujet, à aider concrètement à la maison (ex. : mettre le couvert) ou à participer aux courses (ex. : acheter du pain)… ce qui renforce l’estime qu’il a de lui-même, sensible qu’il est à la confiance qu’on lui témoigne à cette occasion.

Cette attention aux autres se traduit par une observation soutenue et une interrogation sur la façon dont les bénévoles réagissent. Mention doit être faite à ce stade sur l’utilisation du langage. Ce point a suscité des remarques la part du psychologue présent à la réunion, et d’un commentaire de la présidente de l’association quand elle a pris connaissance du compte-rendu.

Pour les enfants dont il s’occupe par ailleurs, le psychologue avait remarqué que – notamment en phase d’opposition, dite du non – le langage peut être une stratégie pour éviter se faire quelque chose ensemble, dans l’action ou par des gestes, avec son vis-à-vis. Émile en arrive à utiliser des mots dont il ne connaît pas le sens, ne serait-ce que pour voir les réactions qu’ils suscitent chez son interlocuteur. La présidente estime quant à elle que si Émile est apparemment très habile pour utiliser les bénévoles afin d’enrichir son monde et d’empiler des connaissances, ce n’est pas la source de vrais échanges.

L’un et l'autre soulignent que tout n’est pas terminé dans son développement et quant à l’image qu’Émile a de lui-même. En observant davantage ses capacités gestuelles ou motrices, ainsi que d’attention conjointe, nous aurons une meilleure idée du sens des mots qu’Émile emploie par moments. Leur conseil : redonner une nouvelle importance au regard (pour exprimer ses sentiments, pour demander de l’aide…), aux jeux interactifs et physiques, et l’amener aussi à s’intéresser à vous (lui parler de soi, lui montrer des photos…)

Cette relation aux autres a, de plus, permis de soulever un point intéressant. Cela se passe dans la rue : Émile s’adresse à un monsieur pour lui dire que ce n’est pas bien de traverser alors que le bonhomme lumineux est au rouge. La focalisation sur le respect de la règle l’emporte sur la prise en considération des dangers de la circulation – si le feu rouge était en panne, que deviendrait la règle ? Dans la pratique et notamment sur ce point précis, une amorce d’évolution et de prise en compte du contexte est en cours.

Avant de clore sur l’imaginaire et sur le scolaire, trois points particuliers : la vision en relief, la relation au temps, et l’ordonnancement des activités.

Cette réunion a été l’occasion d’apprendre que son ophtalmo venait de constater qu’Émile commence à voir les reliefs. Rétrospectivement – et encore maintenant puisqu’il ne fait que commencer – une telle information permet de prendre conscience que, en partie, certaines de ses maladresses venaient de là.

Gestion du court terme, réassurance à long terme. Il y a des séances très fluides où l’on ne voit pas le temps passer. La plupart des bénévoles, pourtant, le surprennent à regarder souvent l’horloge – il annonce parfois l’heure qu’il est effectivement, mais ce peut aussi être pour dire (ce qui est alors inexact) que la séance est finie. Émile s’ennuierait-il ? Veut-il s’assurer qu’il lui reste assez de temps pour mener à bout une activité en cours ? Attend-il ce qui doit venir par la suite ?

Voilà pour l’immédiat. A d’autres occasions, la perspective temporelle se dilate vers un futur moins défini et peut être associée à l’expression d’un sentiment : Tu resteras toujours auprès de moi.

Avec sa nounou avec qui il est particulièrement en confiance, Émile rentre spontanément dans des jeux de construction et vient l’aider. Mais que va-t-il se passer à la fin ? On connaît depuis longtemps son besoin de ranger… mais tout aussi bien celui de détruire à la va-vite. Dans le cas présent, il participe au démontage (et il le dit : Je démonte) pour revenir au stade initial des pièces détachées.

Venons-en à l’imaginaire. On se souvient que c’est à l’occasion de jeux qu’Émile avait déjà réussi à faire ce à quoi il se refusait a priori. Cela devient maintenant le cas – sur le mode de défis à relever – pour écrire, découper, mimer, jouer à cache-cache… Pourquoi ne pas essayer pour gérer le stress ? Car perdre / gagner peut encore prendre des allures de catastrophe… Et cette rigidité est d’autant plus importante qu’il y a un enjeu pour lui. Elle dépend aussi du contexte et on arrive à la diluer dans une situation plus ludique.

Par ailleurs, Émile utilise des figurines humaines qui se parlent et qui s’introduisent dans des jeux déjà connus (faire les courses et jouer au marchand, chasse au trésor…)

CP – CE1 – CE2 – CM1 – CM2… Qu’en est-il de l’aptitude à l’école ? Bénévole parmi les bénévoles, voici ce dont je suis témoin : la séance suivante est assuré par une de ses maîtresses ; il me quitte plein d’entrain au seuil de la salle de jeu, pour interpeler celle-ci, s’écrier : Au travail ! et poursuivre sur un ton tout joyeux : Je suis obligé. Autre commentaire – au sujet d’un livre sur l’école : Moi, je commence l’école à la maison.

Dans toute leur gentillesse, les maîtresses ont des repères, ce que les bénévoles ne peuvent pas exprimer avec autant de précision. Ainsi, pour les maths (opérations décomposition des nombres, tableaux à double entrée…), c’est du niveau CP. Pour le langage, les verbes, la compréhension dans la lecture, c’est du début de CE2. Le graphisme et écrire pour écrire, c’est moins facile.

Et puisque nous parlons d’évaluations… L’association à laquelle il est fait appel a élaboré quelque chose qui permet de bien se repérer, à partir de questions très concrètes sur ce qu’Émile sait ou ne sait pas faire. Voici ce que cela donne graphiquement  sur deux ans, à l’occasion d’une récente mise à jour. C’est ici très synthétique, mais la description peut aller à un plus grand niveau de détail. Au premier regard, on sent que tout va dans le bon sens. Dans un domaine, on le voit, on est arrivé au but (au plafond du graphique). Il y en a un autre, à l’opposé, où l’on mesure qu’il reste du chemin à parcourir.