dimanche 29 mai 2011

Jeune Pologne au quotidien


Ce billet fait partie d’une série. Un album a été édité pour l’exposition consacrée à Gabriela Zapolska, en ce printemps 2011 à Varsovie. L’intention est d’en donner une idée. Il s’agit de synthèses des articles qu’on y trouve – essentiellement à partir de la version en français. On pourra déceler quelques maladresses ou des oublis : je ne saurais trop engager le lecteur à se référer aux textes originaux.

Préambule très schématique à mon billet sur l’article de Henryk Izydor Rogacki : afin de mieux situer le contexte à propos de cette Jeune Pologne qui figure dans le titre et qui mérite un détour. C’est une période que l’on fait habituellement courir depuis 1890 et qui se prolonge jusqu’à la fin de la 1ère Guerre mondiale, donc jusqu’à l’indépendance recouvrée de la Pologne. Sur l’ensemble de l’Europe, on entre dans la modernité et on s’éloigne d’un optimisme lié à la science et au progrès – le monde se désenchante.

Dans la Pologne du partage, c’est le début de la production industrielle. Au cours d’une première phase (qui coïncide d’ailleurs avec le séjour parisien de Zapolska puis à son retour au pays), c’est le pessimisme qui prévaut. Les Positivistes sont encore très présents, et il ne se passe pas grand-chose. Ce n’est qu’à partir de 1905 – les romans de Zapolska analysés par l’auteur de l’article datent précisément de 1904 et de 1907 – qu’un regain se produit. Si l’influence européenne s’y fait sentir, la sève polonaise y est très présente.

Alors que la pression prussienne ou russe reste très forte dans leurs zones d’occupation respectives, il en va tout autrement à Cracovie dont les artistes, cultivés et cosmopolites, sont en permanence en contact avec Paris, Vienne, Munich, Berlin… Une des figures majeures est Stanisław Wyspiański, à la fois peintre et dramaturge (ses Noces – d’ailleurs évoquées en 1904 dans le roman ici cité de Zapolska – datent de 1901). Mais il mourra en 1907, avant même avoir atteint la quarantaine. Bien qu'il ait séjourné à Paris entre 1891 et 1894, donc alors que Gabriela Zapolska s’y trouvait, il n’a pas été mentionné dans la correspondance ni dans les chroniques journalistiques parisiennes de cette dernière. Il allait pourtant voir des pièces de théâtre (plutôt classiques) et avait fréquenté Gauguin au point de visiter avec lui des musées de la capitale.

Outre son activité au Musée théâtral de Varsovie, Henryk Izydor Rogacki enseigne à l’Académie de Théâtre (ex-PWST). Son choix a porté sur L’Amour d’une Saison, roman écrit par Zapolska, et sur La Fille de Touchka qui en est la suite. Dans un cas à Cracovie, dans l’autre à Varsovie, il s’agit de personnages qui – même s’ils sont relativement en marge, reflètent le style, le modèle culturel et la vie familiale de la société polonaise de l’époque – ils se considèrent par ailleurs comme appartenant à l’intelligentsia.

Place de l’homme
Mû par le désir ou par l’obligation même, non pas de vivre mais simplement de survivre et de faire passer la vie, l’homme est l’instigateur et le moteur initial de la famille. Il bûche dur dans sa jeunesse afin de faire partie des gens honnêtes. Cédant à la tentation de se stabiliser, il se marie et se trouve ainsi attelé à vie à une brouette : il ne doit désormais jamais cesser de faire des efforts pour que son épouse ait tout ce à quoi elle est habituée … il doit gagner pour les enfants, les gendres, les petits enfants … il s’emmure vivant dans son travail – et atteint les sommet du ridicule quand sa propre femme et l’amant de celle-ci disent de lui : notre homme.

Voilà pour le béotien. Et l’artiste ? Plus que par les femmes, il est modelé par sa propre vanité. Il évite le mariage, séduit les épouses d’autrui, ou des femmes libérées.

Place de la femme
Elle a été éduquée et intensément dressée pour briller un jour en tant que ménagère, femme du monde et esprit indépendant. Obligation pour une femme du monde, le mariage reste son but suprême et si, en tout elle s’adapte à son mari, elle peut déclarer que c’est bien son idée du féminisme.

Et les comédiennes ? Elles se satisfont de l’amour d’une saison.

Il n’y a pas de juge plus sévère pour une femme qu’une autre femme – juger est une activité instinctive et inconditionnelle. De la vanité découle un penchant féminin pour le faire semblant – prétention qui conduit très souvent la femme du monde, qui a attendu un nombre incalculable d’années de connaître une gloire et une admiration publique dont elle était pourtant si follement assoiffée, au théâtre amateur et à de multiples formes de l’imitation du vrai.

Quant à la comédienne, elle sort si épuisée du jeu qu’elle a tenu sur scène qu’elle retourne chez elle pour se reposer.

Le foyer, la famille, le couple
Sur le mode du paraître, l’appartement situé dans un immeuble imite le manoir ou la demeure seigneuriale – avec porte barricadée en façade, tandis que celle de service reste largement ouverte à l’arrière. A l’intérieur, pas de véritable coin à soi. Au cœur, un salon toujours vide, avec un meuble vitré, et peuplé de babioles. La chambre conjugale… Passons.

Économie. Hygiène et sens moral pour devise. Sans oublier les convenances – même les tout jeunes sont comme de petits vieux. La tendresse, rationnée. Des scènes qui éclatent, alors que le soleil brille. L’attractivité sexuelle s’estompe après la conception du petit dernier – elle aura duré une décennie environ. Vient alors le temps du dénigrement et du laisser-aller. Les ruses menant à l’infidélité sont réservées aux hommes, dans la mesure où, bien plus que la vertu individuelle ou la religion, la perspective d’une rupture est, pour la femme, l’écroulement de l’édifice économique et financier familial sur lequel elle se repose.

On repère néanmoins des exceptions : une dimension éthique du couple dans certaines bonnes familles, ou une aisance matérielle qui permet des solutions évitant la dépravation.

Le second roman, qui se passe à Varsovie, insiste – plus que sur l’occupation, l’esclavage ou la confrontation – sur la coexistence entre Polonais et Russes. L’un et l’autre ouvrages sont certes truffés de pointes d’humour – ce qui n’empêche la Mort de s’inviter à la fin : une jeune fille, une balle perdue, le tragique, le trivial du quotidien.


L’album est richement illustré (on y relève près de 90 portraits et tableaux, photos de personnes ou d’objets, affiches ou dessins…). En pleine page, certaines illustrations ont, en légende, un court extrait, de la plume de Gabriela Zapolska. Voici ce que l’on trouve, inséré dans le présent article :

Je n’aspire pas à être considérée comme un écrivain européen, mais comme un écrivain polonais. Cela me suffit car je sais qu’une telle reconnaissance a des bases plus solides. (Autobiographie)

Le talent doit accompagner l’évolution et le progrès, refléter comme dans un miroir tout ce qui préoccupe l’esprit humain universel, dispersé à travers des milliers de particules. (Les Nouvelles Tendances dans l’Art 1894)

samedi 28 mai 2011

Lettres parisiennes sur l’art


Ce billet fait partie d’une série. Un album a été édité pour l’exposition consacrée à Gabriela Zapolska, en ce printemps 2011 à Varsovie. L’intention est d’en donner une idée. Il s’agit de synthèses des articles qu’on y trouve – essentiellement à partir de la version en français. On pourra déceler quelques maladresses ou des oublis : je ne saurais trop engager le lecteur à se référer aux textes originaux.

C’est à la fin de ce mois de mai qu’Iwona Danielewicz fait un exposé sur la Collection des tableaux que Gabriela Zapolska a ramenés en Pologne après son séjour parisien. Et ce n’est pas d’hier que cette conservatrice du Musée National de Varsovie s’y intéresse : il y a une bonne douzaine d’années, elle avait notamment signé une étude sur ce sujet, qu’elle avait présentée lors d’une conférence faite devant l’Association des Historiens d’Art, à Varsovie.

L’article qu’elle fait paraître dans l’album de l’actuelle exposition au Musée de la Littérature, est à la fois proche et légèrement différent, puisqu’il s’appuie sur les chroniques que Zapolska faisait parvenir à Varsovie depuis Paris, ainsi que sur sa correspondance. Sur la peinture, bien sûr.

Rappel préalable du rôle de foyer culturel pour l’Europe, joué par Paris dès le 18e siècle. Et des Salons dont chacun, avec les prix qu’on y distribuait et l’abondance des commentaires et critiques de la part des plus grandes plumes, était considéré comme un évènement artistique et social prestigieux. En réaction aux deux Salons qui coexistaient depuis 1880, était né en 1884 un Salon des Indépendants.

Pas très portée dans cette direction lors de ses débuts parisiens, Zapolska y fut incitée par Maria Szeliga-Loevy, forma progressivement son goût au cours de la relation qu’elle entretint avec Stefan Laurysiewicz et le développa surtout, à l’occasion de la vie qu’elle partagea avec le peintre nabi, en même temps que théoricien de l’art, Paul Sérusier.

On la voit ainsi initialement très réticente vis-à-vis de la peinture académique (elle ne se départira pas de cette opinion), de Puvis de Chavannes (elle revient ensuite sur son jugement pour en faire un précurseur), mais aussi de la peinture moderne. Au début, Zapolska trouve par exemple monstrueux les tableaux pointillistes de Seurat ou de Van de Velde – mais adopte une attitude plus favorable dès l’année suivante.

L’intérêt qu’Antoine, le directeur du Théâtre Libre où elle joue, porte à ce domaine, la conduit à davantage fréquenter des peintres. L’obligation que son métier de journaliste lui fait d’être en permanence en contact, et de près, avec la vie sociale et mondaine parisienne, aiguise son sens de l’observation. Mais c’est, lors d'un séjour en Bretagne, sa rencontre avec Paul Sérusier qui sera – on l’a évoqué – décisive.

Au cours de cette relation, Zapolska en est arrivée à constituer une magnifique collection d’œuvres d’art, recueillies ou rachetées auprès d’impressionnistes ou de nabis – collection qu’elle emmena avec elle en Pologne. Deux expositions furent organisées de son vivant, pour les montrer au public : à Lvov en 1906 et à Cracovie en 1910. Elle vendit quelques tableaux (un Gauguin, un Van Gogh et un Seurat notamment). Après sa mort (en 1921), ce fut sa sœur qui en hérita. La collection fut ensuite dispersée. Plusieurs peintures de Sérusier se trouvent désormais au Musée National de Varsovie : la plupart d’entre elles illustrent l’article que nous analysons dans cet album.

Parmi les textes de Zapolska sur la peinture, il faut tout spécialement mentionner Les Nouvelles Tendances dans l’Art *, paru en 1894 et qui s’adresse à un public pour qui les œuvres de Gauguin ou de Van Gogh, par exemple – qui n’étaient d’ailleurs pas encore si populaires que ça en France – sont alors complètement inconnues en Pologne. Expositions de peintres polonais rentrés de France, articles sur le sujet et, bien sûr, celui de Zapolska : autant d’objets de débats ou polémiques.

* Le lecteur de ce bloc-notes retrouvera dans le précédent billet (La Carrière d’actrice) comment prendre directement connaissance d’extraits du texte même de Zapolska, en migrant vers le blog voisin (Seine & Vistule) – soit en polonais (Paryskie wędrówki Zapolskiej, dans le billet du 15 février), soit dans une traduction en français (Promenades parisiennes, dans celui du 25 mars).

Iwona Danielewicz va à la recherche de sources où ces tendances sont annoncées ou évoquées. Elle en trouve datant d’avant l’arrivée de Zapolska en France (Moréas, Zola, Kahn en 1886), puis plus récentes (Laurysiewicz, Stanisław Witkiewicz, de Gourmont…). Elle rappelle que Zapolska avait revendiqué auprès du rédacteur de la revue Przegląd Tygodniowy, l’entière responsabilité de ses affirmations. Avec quelques remaniements, elle a repris ce même article douze ans plus tard, à l’occasion de l’exposition de sa collection de tableaux à Lvov.

Dans celui de 1894, Zapolska souligne ce que les idées novatrices sur l’art et l’esthétisme doivent à Manet, fait notamment une leçon sur le pointillisme et reste très pédagogique pour décortiquer l’enchainement des mouvements alors à l’œuvre. Elle ne manque surtout pas de s’attarder sur Gauguin, Van Gogh – et Sérusier.

N.B. : Parmi les illustrations qui accompagnent le texte publié dans l’album, on trouve une affiche (celle conservée à la Bibliothèque Jagellonne) que Toulouse-Lautrec a réalisée pour une pièce jouée au Théâtre Libre, L’Argent. A cette époque, il s’agissait d’un format proche de celui d’un programme : les spectateurs l’achetaient et souvent le pliaient et le mettaient dans leur poche. On lit nettement le nom de Zapolska dans la distribution. Deux personnages y sont représentés de dos : un homme et une femme, celle-ci au premier plan.

Or, pour l’auteure de l’article, ce serait Zapolska. On peut légitimement s’interroger car la pièce tourne autour de M. Reynard (joué par Alexandre-Charles Arquillière) et Mme Reynard (Henriette Henriot). On pourrait ainsi s’attendre à ce que ce soit Henriette Henriot, et non Zapolska, qui soit ici représentée. C’est l’affirmation qui ressort de l’information fournie à l’occasion de la mise en vente d’autres exemplaires de ce programme, notamment par la Poster Auctions International de New York, et par la William Weston Gallery de Londres.
http://www.artfact.com/catalog/searchLots.cfm»scp=m&catalogRef=&shw=50&ord=2&ad=DESC&img=0&alF=1&houseRef=&houseLetter=A&artistRef=L2OWOGBUF0&areaID=&countryID=&regionID=&stateID=&fdt=0&tdt=0&fr=0&to=0&wa=&wp=&wo=&nw=&upcoming=0&rp=&hi=&rem=FALSE&cs=0&row=101
http://www.williamweston.co.uk/pages/catalogues/single/1283/55/1.html

Les deux femmes sont nées la même année, en 1857 : elles ont donc alors 38 ans (Henriette Henriot a vécu une bonne vingtaine d’année que Zapolska. Encore toute jeune, à 17-20 ans, à l’époque où Zapolska se mariait, elle avait servi de modèle à Pierre-Auguste Renoir (dont le tableau La Parisienne, 1874, toute de bleu vêtue). Jeanne Samary, dont il est par ailleurs question dans la correspondance de Zapolska, avait pris la relève comme modèle de Renoir, peu après. Henriette Henriot ne doit pas être confondue avec Jane Henriot, tragiquement décédée à 22 ans dans un incendie à la Comédie-Française en 1900.


L’album est richement illustré (on y relève près de 90 portraits et tableaux, photos de personnes ou d’objets, affiches ou dessins…). En pleine page, certaines illustrations ont, en légende, un court extrait, de la plume de Gabriela Zapolska. Voici ce que l’on trouve, inséré dans le présent article :

Mon appartement se transforme en musée. J’ai des Van Gogh, Gauguin, Denis, Vuillard, Anquetin, des sculptures de Lacombe, Riotto et d’autres. (Lettre à Stefan Laurysiewicz – 1894)

Les peintres synthétistes bretons créent lentement et en toute indépendance. Leurs tableaux coulent comme un chant, se tissent simplement comme un conte. Ces peintres ne sont qu’une poignée, mais représentent une grande force dans la peinture française. Leurs noms : Gauguin, Sérusier, Vuillard, Ranson, Denis, Bonnard, Anquetin et d’autres. (Dans les bruyères roses et dans les brumes opalines)


jeudi 26 mai 2011

Carrière d’actrice


Ce billet fait partie d’une série. Un album a été édité pour l’exposition consacrée à Gabriela Zapolska, en ce printemps 2011 à Varsovie. L’intention est d’en donner une idée. Il s’agit de synthèses des articles qu’on y trouve – essentiellement à partir de la version en français. On pourra déceler quelques maladresses ou des oublis : je ne saurais trop engager le lecteur à se référer aux textes originaux.

On l’a évoquée, en incidente, à l’occasion du précédent article : Elżbieta Koślacz-Virol est à la fois actrice de formation (PWST) et parisienne de longue date. Nous avons par ailleurs des relations de voisinage – ne seraient-elles que virtuelles, puisque l’adresse de son bloc-notes (blog Seine & Vistule) figure sur cet écran, dans la marge de droite, vers le bas… et que la réciproque est tout autant vraie.

Gabriela Zapolska, elle la fréquente depuis bien des années et a même défendu à la Sorbonne une thèse de doctorat sur sa carrière d’actrice. Et elle adore en parler, écrire à son sujet – sans oublier des lectures-spectacles qui attirent des parisiens amoureux de l’histoire de capitale.

C’est d’ailleurs ce dont elle a gratifié – en polonais cette fois – un public de choix au Musée de la Littérature qui abrite l’exposition Gabriela Zapolska – Zbuntowany talent, et dont la porte donne sur le Rynek de Varsovie, le 20 avril dernier sous le titre : Paryskimi śladami Zapolskiej.

La matière ne manque pas : les chroniques parisiennes de Zapolska ont été rassemblées dans l’ouvrage Publicystyka par Jadwiga Czachowska et Ewa Korzeniewska, et sa correspondance – tout aussi vivante – par Stefania Linowska dans Listy : on totalise un millier de pages pour les seules années de son séjour parisien (de 1889 à 1895). En compagnie d’Arturo Nevill, Elżbieta/Lisbeth en a traduit une bonne partie en français.

J’aurais pu résumer l’article qu’elle a rédigé sur la Carrière d’actrice de Zapolska, pour l’album de l’exposition – et que l’on peut aussi trouver en commentaire de la traduction (publiée tout récemment et pour la première fois en français, sous une présentation bilingue, par les presses de l’Université de Varsovie) de Moralność pani Dulskiej, sous la direction de Danuta Knysz-Tomaszewska.

Je préfère vous inviter à vous déplacer vers le bloc-notes Seine & Vistule et à le parcourir à votre propre rythme. Selon ce qui vous convient le mieux, vous y trouverez des billets en polonais, aussi bien qu’en français. Afin de vous en faire une idée, vous pouvez consulter ci-dessous la liste de ceux qui se rapportent à Gabriela Zapolska, avec le date du billet, son titre, et des extraits – petits mais souvent significatifs.

Seine & Vistule

09.02.2011 – Paryskie wędrówki Zapolskiej (1) : Przyjechałam z Warszawy do Paryża … Właśnie otwarto do użytku publicznego Wieżę Eiffla … W ogóle jedzą tu dużo i ciągle … Szyk? Ależ to słowo nieznane … Chodzę na lekcje dykcji i dramatu do Konserwatorium.
10.02.2011 – Paryskie wędrówki Zapolskiej (2) : Jak bardzo się męczę nad wymową! … Dzisiejszy dzień spędziłam u… Antoine’ a! … Pracuję spokojnie w Teatrze Wolnym … W marcu mam grac Księżne Danesco, Rumunkę w sztuce Simone Louisa de GramontProstota, prostota, oto hasło panujące w teatrze.
11.02.2011 – Paryskie wędrówki Zapolskiej (3) : Chcesz Pani poznać Aristida Bruanta? … Gdy drzwi się przede mną otwarły, stojący na progu niski, krępy mężczyzna w czerwonej koszuli i długich butach … Zdziwiło mnie, że skończywszy, robił rodzaj żebraniny przez swego kelnera, który chodził z miseczka i zbierał susy od gości … Wracam z teatru! Jestem pod wrażeniem tak silnym, ze ci opisać nie umiem. Odniosłam triumf nadspodziewany.
13.02.2011 – Paryskie wędrówki Zapolskiej (4) : Jestem bajaderka z ulicy Kairu – śpiewa sympatyczna Valti … na ulice Kairu, widziałam te słynne tańce pod egipskim namiotem … ale wieczorem wróciłam do La Scali … Oto wybiło już wpół do ósmej i siedzieliśmy ciągle kolo tego nieszczęsnego stolcu jedząc i jedząc bez końca. Powinniśmy już być na tej wystawie od dawna … naprzeciw kościoła Świętego Sulpicjusza, w Sali Merostwa, odbywał się Międzynarodowy Kongres Kobiet … Na Sali ze 3 000 osób wrzeszczy, śmieje się, ryczy.
15.02.2011 – Paryskie wędrówki Zapolskiej (5) : W Bretanii poznałam Paul’a Sérusier’a i grupę malarzy – symbolistów. Ubrani są w bluzy wieśniaków, noszą chodaki z drzewa, palą fajki i bez przerwy dyskutują o tonach i kolorach … Gauguin zaczął, jako impresjonista, lecz doszedł do czegoś doskonalszego i bardziej konkretnego … Van Gogh – to był artysta obdarzony szaloną fantazją … Rwał się do światła, do oślepiających blasków i nagle zapadł w ciemnie – oszalał! Czym jest szaleństwo – czy my wiemy? … Mieszkam teraz niedaleko cmentarza Montmartru. Z placu Clichy, idąc w stronę do ulicy Caulaincourt, jest mała uliczka, Tourlaque. To tu mieszkam pod numerem 4, na 3-cim piętrze … Oh! Śnieg! Pierwszy śnieg w Paryżu tej zimy … Ja odżyłam. Zaraz włożę kamasze i pójdę dryp, dryp do muzeum Opery.

21.02.2011 – Artykuł o Zapolskiej – Wywiad : Zapolska włóczyła się trochę jak Czajka z Czechowa w teatrach objazdowych po różnych zaborach … przyjechała do Paryża mając 32 lata … dostała kartę korespondenta i pisała artykuły do dwóch pism polskich. Jej felietony to kopalnia pereł … Zapisała się do Konserwatorium Teatralnego, jako obcokrajowiec … dostała się do teatru André Antoine’a … związana była z nabistą Paul’em Sérusier, mieli ze sobą fantastyczny kontakt … Pod koniec swego pobytu w Paryżu napisała, że stała się człowiekiem … Przyjechała do kraju ukształtowana przez Antoine’a w teatrze naturalistycznym (Théâtre Libre), Tadeusz Pawlikowski przyjął ją do teatru w Krakowie, bo wiedział, że we Francji, pojawiają się nowe kierunki w sztuce … grać dopiero w 1900 roku, ale kontynuowała karierę dramatopisarki … ale dopiero w roku 1906 powstała Moralność Pani Dulskiej i inne znane sztuki jak Skiz czy Panna Maliczewska. Właśnie, dlatego w naszej świadomości istnieje bardziej, jako autorka niż aktorka.
22.02.2011 - Article sur Zapolska – Entretien : Zapolska avait erré un peu comme la Mouette de Tchékhov, avec des troupes itinérantes, entre les différentes régions de la Pologne … elle est arrivée à Paris à l'âge de 32 ans … elle a obtenu une carte de correspondante pour deux revues polonaises … Ses chroniques recèlent de nombreux trésors … Elle s'est inscrite au Conservatoire de Théâtre en tant qu'étrangère … elle parvient à se faire engager au théâtre d'André Antoine … elle a eu une relation avec le Nabi Paul Sérusier, leur complicité était fantastique … Vers la fin de son séjour à Paris elle a écrit qu'elle était devenue un être humain … Elle est arrivée en Pologne formée par Antoine au Théâtre Libre, Tadeusz Pawlikowski l'a acceptée dans un théâtre de Cracovie, car il savait qu'en France de nouvelles tendances artistiques faisaient leur apparition … Elle a cessé de jouer en 1900, mais elle a continué sa carrière de dramaturge … ce n'est qu'en 1906 qu’ont vu le jour La Moralité de Mme Dulska et d'autres pièces connues comme Skiz ou Mlle Maliczewska ; c'est pourquoi elle existe dans notre conscience collective en tant que dramaturge plutôt qu'en tant que comédienne.


24.03.2011 – Promenades parisiennes (1) : Zapolska arrive à Paris – L’Exposition universelle de 1889 et la tour Eiffel – Croquis : les visiteurs à l’Exposition.
24.03.2011 – Promenades parisiennes (2) : Formation théâtrale en français - Antoine et le Théâtre Libre – Répétition pour Simone.
25.03.2011 – Promenades parisiennes (3) : Paris vu de la Butte MontmartreAristide Bruant dans son cabaret.
25.03.2011 – Promenades parisiennes (4) : Simone : un succès pour Zapolska – Les bayadères de la rue du Caire… et la charmante Valti – Clôture de l’Exposition : un repas interminable… Quelle équipée pour s’y rendre – De toutes les couleurs.
25.03.2011 – Promenades parisiennes (5) : Congrès international des Femmes en 1892 – Zapolska et les peintres de l’époque – Paul SérusierPaul GauguinVincent Van Gogh.
26.03.2011 – Promenades parisiennes (6) : L’appartement du 4 de la rue Tourlaque – Nostalgie – De la neige à Paris – Fin du séjour parisien.


L’album est richement illustré (on y relève près de 90 portraits et tableaux, photos de personnes ou d’objets, affiches ou dessins…). En pleine page, certaines illustrations ont, en légende, un court extrait, de la plume de Gabriela Zapolska. Voici ce que l’on trouve, inséré dans le présent article :

La scène ne me dit plus rien. Mon ambition est maintenant : écrire ! écrire ! écrire ! Je me suis bien rendu compte que ceux qui ont écrit vivent des siècles dans la société. Et que reste-t-il des acteurs ? Une poignée de cendres dont on évoque parfois le souvenir… (Lettre à Stefan Laurysiewicz – 1892)

Mon credo trace alors une double direction : l’harmonie et la poésie au pays de la fantaisie ; la vérité et la simplicité dans celui du réalisme. (Le credo scénique – 1895)

Le théâtre est une bougie qui éclaire les ténèbres de la nuit ; les femmes, ce sont des papillons de nuit qui tournenten rond, attirés par la flamme… séduits par la chaleur… Un craquement… brûlé, le papillon de nuit ! (Krowienta / Veaux de scène)

Dans le jardin des arts

Muzeum Literatury – Plaquette de l’exposition sur Gabriela Zapolska

Ce billet fait partie d’une série. Un album a été édité pour l’exposition consacrée à Gabriela Zapolska, en ce printemps 2011 à Varsovie. L’intention est d’en donner une idée. Il s’agit de synthèses des articles qu’on y trouve – essentiellement à partir de la version en français. On pourra déceler quelques maladresses ou des oublis : je ne saurais trop engager le lecteur à se référer aux textes originaux.

La Sauvage
Le titre de l’article de Grażyna Borkowska suscite une interrogation autour du qualificatif de sauvage dont elle baptise Zapolska. Sa conclusion explicite cette interrogation et la referme – ne serait-ce que pour nous ouvrir d’autres portes.

L’auteure est professeur à l’Institut de recherche en littérature de l’Académie polonaise des sciences (IBL / PAN), historienne de la littérature, principalement à par de la seconde moitié du 19e siècle, et s’est particulièrement intéressée à la critique féministe.

Dans son entier, le titre se lit La Sauvage : Zapolska dans le jardin des arts / Dzika, czyli Zapolska w ogrodzie stuk. L’emploi de czyli en polonais nous porterait à préciser que, dans le jardin des arts, Zapolska se comporterait comme une sauvage.

Comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, gênée aux entournures ? Ce n’est pas trop le style de Zapolska. Risquant d’y faire de la casse ? Là, ce n’est pas exclu, d’autant que – même s’il ne faut pas faire de confusion entre le qualificatif (dziki/a : sauvage) et le substantif (dzik : sanglier) – une proximité existe : le premier peut à la limite, désigner quelqu’un d’asocial et le second, celui qui est mal civilisé.

A cet égard, la conclusion de l’article nous sert de guide. Zapolska est une sauvage parce ce qu’elle ne s’attache pas – ni aux lieux * ni aux personnes. Combien de fois a-t-elle déménagé ! Combien épais aurait pu être son carnet d’adresses ! Se sentant étrangère, elle n’était pourtant pas tant autre que ça.

* Ceux qui auront la curiosité de retrouver la lettre citée, de 1898 à Ludwik Szczepański, dans laquelle elle décrit Cracovie, où elle se trouve, comme une prison ou comme une tombe, constateront qu’elle débute par cette même chanson d’Aristide BruantA Saint Lazare – qui lui a servi de leitmotiv dans la chronique parisienne consacrée à ce personnage, en février 1892 : C’est de la prison que je t’écris… Oh ! mon cher Hippolyte !

Grażyna Borkowska écrit aussi que Zapolska est une barbare et souligne qu’elle a surtout montré l’étroitesse des limites où chacun s’enfermait alors : La tradition nobiliaire ? Basée sur une notion de l’honneur parfois comprise à l’envers. L’esprit bourgeois ? Dominé par l’argent et par une vertu au sens le plus primaire du terme. L’attitude féminine ? S’interdisant de réclamer de l’amour et de la réciprocité, ou d’exprimer ses émotions.

Avec les talents dont Zapolska a fait preuve, je suis porté à croire qu’elle est arrivée trop tard pour se fondre parmi les positivistes – qui ne l’ont d’ailleurs pas épargnée. Mais aussi trop tôt. C’est dans cet esprit que j’ai apprécié cette opinion de Grażyna Borkowska : Elle a nettoyé la place avant l’arrivée des avant-gardes du 20e siècle.

Le jardin des arts
Sauvage, soit. Mais qu’en est-il du jardin des arts ? Entre titre et conclusion, la trame de l’article permet de suivre le parcours de Zapolska. La couleur avait été annoncée dès les premières lignes : … j’ai toujours l’impression irrépressible qu'on n'a pas encore trouvé la bonne clé pour entrer dans le labyrinthe "Zapolska". Moi-même je n’en n’ai pas. Zapolska fait figure d’artiste qui n’a pas été apprivoisée et qui résiste avec une égale efficacité à une admiration sans bornes qu’à un rejet catégorique.

Son itinéraire existentiel suscite l’admiration : un tel acharnement au travail, une curiosité pour explorer des voies inconnues, un courage frôlant la bravoure …

Sont évoqués son mariage malheureux, ses premiers pas sur les planches, son procès à propos de Une jupe pour drapeau. Puis son séjour de six ans à Paris **, la formation théâtrale qu’elle y suivit et le fait qu’elle y ait joué en français ; les connaissances qu’elle y fit dans le monde littéraire et surtout parmi les peintres ; sa décision de revenir en Pologne. Si le style adopté dans les romans qu’elle avait continué d’écrire en polonais font qu’il semble difficile de la classer (épigone des romantiques ou à l’école de Zola ?), elle traite de sujets qui ne sont jamais abordés dans la bonne société.

** L’auteure de l’article mentionne les sources dont elle s’est servie. Elles sont naturellement en polonais. Elle cite notamment Zbigniew Raszewski dont tout le monde reconnaît son savoir, son savoir-faire et son savoir exprimer considérables, et qui a passé quelques semaines à Paris en 1951 pour investiguer sur le parcours de Zapolska en matière théâtrale. Elle illustre par ailleurs l’attitude de Zapolska pendant la période qu’elle a passée en France (1889-95), grâce à une lettre de 1891. Formée au Conservatoire national de Théâtre de Varsovie (PWST), Elżbieta Koślacz-Virol (qui signe l’article suivant dans l’album de la présente exposition), a rédigé en français et soutenu à la Sorbonne en 2002 une thèse sur : Gabriela Zapolska – actrice polonaise de la fin du 19e siècle. Parisienne de longue date, elle a pu éplucher de multiples sources relatives au séjour de Zapolska en France (anecdote : un intéressant microfilm concernant Zapolska, s’était égaré entre Zambèze et Zoulou). On sait aussi que l’accès aux chroniques parisiennes de Zapolska pour des journaux varsoviens, et que sa correspondance, sont devenus des outils désormais maniables à partir de 1960 et 1970, lorsqu’elles ont été publiées – et que la période parisienne y totalise un millier de pages. Une lecture relativement extensive de ces différentes sources laisse découvrir que les préoccupations et l’attitude de Zapolska vis-à-vis de son environnement parisien ont significativement évolué au cours de son séjour.

Sont alors relatées ses dernières années sur scène – à Cracovie puis à Lvov : relayées par du journalisme, par la fondation d’une école dramatique puis d’une troupe théâtrale – sans oublier de sérieux ennuis récurrents de santé. Et les deux premières décennies du 20e siècle, celles qui lui restent à vivre : celle glorieuse, qui a vu publier et connaître un succès, comme dramaturge, qui ne s’est, depuis, pas démenti : La Morale de Mme Dulska, Skiz, Mlle Maliszewska, et Eux quatre ; celle misérable, pendant la guerre mondiale, qui se prolonge dans la région de Lvov, après même l’indépendance retrouvée de la Pologne.

Bilan
De nombreuses œuvres théâtrales, littéraires et journalistiques. Beaucoup de rôles interprétés sur scène et une réussite partielle à Paris. Le fait de porter les nouveautés artistiques parisienne à la connaissance du public polonais – mais en amateur si on en croit l’auteure de l’article *** – ainsi que l’impressionnante collection de tableaux et sculptures qu’elle ramenée de France en Pologne. Avec cela, un réel brio pour commenter l’actualité et pour le reportage, un rythme de travail exceptionnel lorsqu’il s’agissait d’écrire, en dépit d’un contexte matériel difficile, des ennuis de santé souvent graves et persistants, des épisodes sentimentaux éventuellement éprouvants.

*** Vu que les sources consultées datent d’une époque où l’aventure du Théâtre Libre était regardée avec quelque suspicion, d’autant que ceux qui y jouaient étaient surtout des amateurs, on peut se demander si cette opinion n’a pas quelque peu déteint sur cette partie de l’article, où il vient justement d’être question du travail de Zapolska sous la direction d’Antoine et de la façon dont elle sensibilise ses lecteurs varsoviens aux novations scéniques et artistiques qu’elle découvre.

Trois phrases qui résument l’appréciation portée : Son opiniâtreté sans gêne pour atteindre ses buts. Son courage provocant de dire ce qu’elle voulait et comme elle le voulait, sans attacher de l’importance aux opinions des autres. Sa résistance à la critique, même quand elle était injuste, excessive ou brutale.

Bémol
Ni admiration sans borne, ni rejet catégorique : l’auteure de l’article estime que quand Zapolska défend une misérable journalière contre une riche bourgeoise, c’est plus par un esprit de contradiction que par un élan du cœur. C’est un trait distinctif de son art : une égale distante des bourreaux et des victimes. Croyant surtout à la primauté de l’existence sur les idées, elle n’en a jamais servi aucune, considérant que toutes les idées sont des tentatives très douteuses de rationaliser nos manques et désirs inavoués.

L’album est richement illustré (on y relève près de 90 portraits et tableaux, photos de personnes ou d’objets, affiches ou dessins…). En pleine page, certaines illustrations ont, en légende, un court extrait, de la plume de Gabriela Zapolska. Voici ce que l’on trouve, inséré dans le présent article :

Ô, instruments criminels ! Tortures et hontes de notre siècle ! Grand Dieu, dames émancipées ! Luttez pour libérer la femme des corsets et des baleines ! Libéreez-la au plus vite ! (Au royaume des costumes).

Nous avons une perdrix apprivoisée. Elle court dans les chambres, tire sur les robes et dort aussi avec mon bouledogue sur la même paillasse. Ce sont nos petites choses campagnardes dont nous faisons notre vie, souvent plus agréable et meilleure que le vacarme et l’agitation de la grande ville. (Lettre à Bronisława Rychter-Janowska)

Arrange-toi pour être ici le 1er mai. Dès que tu te seras reposé, nous partirons, immédiatement à Nice et à Monte-Carlo. Je m’en réjouis follement et cela m’adoucit le déplaisir du séjour actuel. Je ne cache pas que le Lido me répugne maintenant et que j‘en ai été particulièrement importunée. (Lettre à Stanisław Janowski)


mardi 24 mai 2011

Femme de lettres insoumise

Muzeum Literatury – Plaquette de l’exposition sur Gabriela Zapolska

Ce billet fait partie d’une série. Un album a été édité pour l’exposition consacrée à Gabriela Zapolska, en ce printemps 2011 à Varsovie. L’intention est d’en donner une idée. Il s’agit de synthèses des articles qu’on y trouve – essentiellement à partir de la version en français. On pourra déceler quelques maladresses ou des oublis : je ne saurais trop engager le lecteur à se référer aux textes originaux.

Le premier article de fond s’intitule : Gabriela Zapolska, pisarka zbuntowana, et se prolonge par : Biografia niepokorna. En français : Gabriela Zapolska, la femme de lettres insoumise – une biographie en révolte. De quoi stimuler un esprit quelque peu curieux, à partit du moment où on le rapproche de celui de l’exposition : Gabriela Zapolska – Zbuntowany talent dont on se souvient qu’il a été rendu par : Un talent en révolte.

Professeur à l’Université de Varsovie, Danuta Knysz-Tomaszewska a dirigé pendant plusieurs années le Centre de Civilisation polonaise de la Sorbonne, et elle est à l’origine de la parution toute fraîche d’un ouvrage de 400 pages en français sur Zapolska où l’on trouve, en présentation bilingue, la première publication d’une traduction en français de Moralność pani Dulskiej, suivie d’une sélection de ses chroniques parisiennes, et complétée par des développements critiques sur les sujets ainsi abordés.

Après avoir souligné les traits marquants du parcours de vie de Gabriela Zapolska, l’article nous livre quelques approfondissements sur les thèmes suivants : en défense des exclus, du côté d’Émile Zola et du naturalisme, les transpositions littéraires des fascinations artistiques, vers le théâtre naturaliste.

La biographie de Zapolska qui y est esquissée la décrit effectivement en révolte par rapport à son milieu d’origine, toujours prête au combat devant l’hypocrisie régnant dans la petite bourgeoisie, ou face à tous les défis rencontrés sur son chemin. Cherchant un accomplissement dans le travail de comédienne, ainsi que dans l’écriture en dépit des attaques de la critique, dans l’amour aussi, on la découvre individualiste, voire égocentrique. Et particulièrement héroïque. De santé souvent déficiente et ayant elle-même connu la misère, elle est en même temps sensible à la misère humaine, notamment au malheur des femmes, et ne se prive pas de l’exprimer.

La défense des exclus qu’elle prend avec passion, concerne principalement la condition féminine sous ses multiples aspects. Dans ses romans surtout, elle aborde des sujets qui gardent toujours leur actualité, un bon siècle plus tard – éducation sexuelle et préparation au mariage, authenticité dans les relations entre époux ou entre parents et enfants. Et tout autant des sujets tabous – dans des romans alors considérés comme menaçant l’ordre social : prostitution, maladies vénériennes…

A cette occasion, la vie de ses héroïnes peut passer par des phases successives, ce qui entrouvre une perspective sur quelques maladies du siècle (amour libre, décadence, attrait de la parapsychologie, dépression…), comme sur des courants idéologiques (ex. : socialisme) ou artistiques (ex. : peinture) qui avaient alors cours.

On a fait dès ses débuts à Zapolska une réputation de Zola polonais et de flirter (de façon éhontée) avec le naturalisme. A prendre du recul, le jugement s’avère beaucoup plus nuancé. D’une part, il est difficile de l’enfermer dans un –isme quelconque, dans le naturalisme en particulier. D’autre part, son œuvre déborde rapidement au-delà de l’objectivité scientiste de l’observateur, telle que la postulait Émile Zola. Elle y fait preuve de beaucoup plus d’empathie et de capacité de partager la souffrance d’autrui. L’auteure de l’article a cette formule : … elle n’avait pas le don de Zola de montrer des foules et de brosser de grandes visions d’une civilisation industrielle. Sa caméra à elle se concentrait sur des plans rapprochés, sur quelques personnages saisis dans leurs destins sociaux et biologiques …

En France, sa fréquentation des peintres impressionnistes et nabis l’a – à la différence d’un Zola qui prenait ses distances – rapprochée d’un art plus idéaliste. Enfin, son tempérament et sa participation active dans la vie de tous les jours l’empêchèrent de se concentrer dans une seule direction.

Sa période parisienne et bretonne (1889-95) a justement été celle où se diversifie la palette de ses intérêts et de ses talents. Car si elle est venue pour monter sur scène, Zapolska ne cesse pas pour autant d’écrire des romans et, l’éloignement aidant, des lettres et des chroniques journalistiques. Période aussi, d’une découverte de la peinture et des peintres, qui n’est pas sans influence sur son écriture même. D’où ce passage convaincant consacré dans l’album aux transpositions littéraires des fascinations artistiques de Zapolska.

En témoignent ses romans de cette époque, ainsi que ce qu’elle a rédigé en Bretagne pour des journaux varsoviens, où sa plume rend, tour à tour, les ambiances et les couleurs d’un pinceau impressionniste, postimpressionniste ou idéiste. Plus tard aussi, l’art japonais auquel elle était devenue sensible lors de son séjour parisien, deviendra une de ses sources d’inspiration.

Quelques années après son retour au pays, vient une décennie où ont été écrites ses meilleures pièces. Peut-on les considérer comme illustrant une transition vers le théâtre naturaliste ? Sans doute, mais en nuançant le commentaire. On a pu dire que Zapolska avait créé une variante polonaise du drame naturaliste, notamment dérivée d’Ibsen et se déroulant autour de la lampe de la maison.

Une lecture contemporaine ne s’en tient plus aux qualificatifs initiaux de comédies amères se résumant à une attaque intransigeante contre l’hypocrisie bourgeoise. Ainsi, Żabusia ou Moralność, dont l’action se déroule dans un cercle familial refermé sur lui-même, suintant l’un le mensonge, l’autre la crise qui le ronge, renvoient à des problèmes encore aujourd’hui actuels, autour, par exemple, de la condition et de la place de la femme, de l’instrumentalisation de l’homme par l’homme ; ou de l’aliénation au sein de la famille.

L’album est richement illustré (on y relève près de 90 portraits et tableaux, photos de personnes ou d’objets, affiches ou dessins…). En pleine page, certaines illustrations ont, en légende, un court extrait, de la plume de Gabriela Zapolska. Voici ce que l’on trouve, inséré dans le présent article :

… c’est ici que j’ai appris à sentir, à pense, à regarder le monde, l’art et l’évolution sociale, à comprendre le but et le sens de l’existence – en un mot, je suis devenue un être humain ! (Lettre à Stefan Laurysiewicz, Paris 1894).

Ma vie s’est brisée en mille morceaux, s’est brisée terriblement et je dois vous avouer, les larmes aux yeux… que je suis plus que malheureuse ! Je n’ai rien, un peu de crème, de beauté, et ce que vous appelez le talent… (Lettre à Adam Wiślicki, Paris 1890).

… je tente de puiser dans m vie tout ce que j’écris. Chaque auteur a son « genre », pourquoi l n’en serait pas de même avec moi. Je n’imite personne, je ne copie personne. Je suis moi. (Entretien avec Ignacy Nikorowicz)

dimanche 22 mai 2011

Bienheureux placebo ?


Dans la rubrique Science & Technology de sa livraison du 19 mai, le magazine The Economist nous invite à réfléchir sur l’effet placebo : Alternative medicine - Think yourself better.

Médecines parallèles
On y trouve des ordres de grandeur : ainsi, en Grande-Bretagne, un adulte sur cinq ferait appel aux médecines parallèles (dont : acupuncture, cristaux qui soulagent, herbes médicinales, homéopathie, réflexologie, Reiki japonais…) et cela représenterait un marché de 210 millions de livres. Quant au marché mondial, il tournerait autour de 60 milliards de dollars. (N.B. : un douteux calcul de coin de table me conduit à 60 euros par adulte britannique consentant, et à 1% des dépenses mondiales de santé, dans la mesure où on les estime à 10% du PIB mondial ? Pas énorme...)

Commentaire au passage : alors que les médicaments officiels doivent avoir été testés afin d’être admis à la vente, il en va rarement de même pour les produits à vocation thérapeutique utilisés dans le cas des médecines alternatives.

Plus qualitativement, l’article cite les conclusions auxquelles est parvenu le Dr Edzard Ernst qui a consacré près de deux décennies à des recherches sur le sujet. Ce n’est pas rien : il n’y a que dans 5% des cas que l’on peut déceler un effet qui puisse être meilleur que le célèbre effet placebo. Et encore… ce n'est pas une certitude mais souvent l'indication qu’il s’est passé quelque chose d’intéressant, ce qui mériterait des études complémentaires.

L’effet placebo
On sait maintenant assez bien en quoi consiste l’effet placebo : au lieu d’administrer le traitement médical normal au patient, on lui donne, une pilule qui n’est que du sucre, on lui fait une injection inoffensive, ou encore une opération chirurgicale bidon. Le patient n’est pas averti de cette substitution. Et si l’on constate une amélioration pour ce dont il souffre, on l’appelle effet thérapeutique placebo (Remarque : le patient en arrive aussi parfois à subir les mêmes effets secondaires négatifs associés au médicament normal).

Les pseudo-traitements ou pseudo-médicaments ont notamment été utilisés comme base de comparaison, dans les laboratoires de recherche où l’on teste les futurs médicaments. Mais ce fameux effet placebo nécessite d’être prudent quant aux conclusions : puisqu’il existe, c'est qu'on n’est pas en train de faire, comme on le croyait initialement, une comparaison avec un produit neutre !

Sortons maintenant des laboratoires pour nous intéresser à l’effet placebo dans la vie courante. Il semble bien que les effets soient les plus marquant pour les troubles où c’est le mental et le subjectif qui prédominent (l’exemple donné dans l’article laisse entendre que les antidépresseurs de la dernière génération ne font guère mieux que des pilules placebo).

Domaine proche, celui de la douleur : ce qui est ici souligné est que l’importance de l’effet dépend de ce à quoi le patient s’attend : il sera nettement plus soulagé de sa douleur si on lui dit que la pilule (qui n’est en fait que du sucre) contient de la morphine plutôt que de l’aspirine. L’imagerie médicale montre que le cerveau se met alors à produire par lui-même des éléments chimiques qui contrent la sensation de douleur. On a aussi observé que des traitements placebo pouvaient en fin de compte influer sur le rythme cardiaque, la pression sanguine, la digestion…

La dramatisation y joue son rôle : une injection se révèlera plus efficace qu’une pilule, et la pseudo-chirurgie encore mieux. A cet égard, il y a les praticiens des médecines alternatives dignes de tous les éloges : ils prennent leur temps et créent une atmosphère détendue au moment de la consultation, ils croient dur comme fer dans le traitement qu’ils prescrivent, et ils n’oublient pas d’entourer l’énonciation de leur prescription de tout l’apparat nécessaire.

Guérisons inexpliquées
Il se trouve qu’à peine une semaine avant, le quotidien suisse Le Temps faisait paraître un article d’Anna Lietti sous le titre : C’est un miracle ! :

Le thème est celui des guérisons inexpliquées et la motivation sous-jacente est qu’une guérison de ce genre a été un élément déterminant lorsqu’il s’est agi pour le Vatican de se prononcer sur la béatification de Jean-Paul II.

Telle n’est pas ma préoccupation ici, même si, à la lecture de l’article, j’ai été frappé par l’importance considérable que donne l’Église catholique à des évènements qu’elle authentifie comme miraculeux. Pierre Delooz, un sociologue belge, aurait épluché le dossier de toutes les béatifications et canonisations depuis quatre siècles, et recensé 1200 évènements de ce type, dont un millier de guérisons. Ma réflexion, sans beaucoup de recul il est vrai, est que cette insistance sur les miracles porte le risque de faire passer à un second plan ce que la vie du personnage qui va être déclaré saint ou bienheureux, a pu témoigner du message évangélique.

Attitude du corps médical
Ce qui m’a ici davantage intéressé est que – qu’il s’agisse du placebo ou du miracle – la conviction, voire la croyance ou la foi, sont mises en regard d’une démarche qui se veut plus scientifique. Et que dans les deux cas, lié plus ou moins à ce qui vient d’être dit, les représentants de la médecine officielle n’abordent le sujet qu’avec des pincettes : ce serait une perte de temps, ce sont des fariboles, prêcher le faux en vue d’obtenir un effet réel reviendrait à mentir au patient.

Dans le cas de la religieuse dont la guérison a contribué à fonder la décision de béatifier Jean-Paul II, c’est la maladie de Parkinson qui avait été diagnostiquée et le fait d’écrire le nom du pape l’avait remise sur pied du jour au lendemain. Or si le corps médical reconnaît qu’il n’y actuellement pas de traitement pour guérir cette maladie, la question du diagnostic est moins évidente.

Interrogations sur le diagnostic
Il est vrai que la qualité de certains diagnostics antérieurs à une guérison surprenante n’est pas systématiquement vérifiable. Mais, d’une part, le processus de vérification mis en place par le Vatican est considéré comme recherchant de très fortes garanties de rigueur scientifique. Et, d’autre part dans d’autres cas avec les progrès de la médecine moderne, on dispose de bases autrement plus solides que par le passé (imagerie médicale, résultats de biopsies ou d’analyses, etc.). Les cas de guérisons spontanées à la suite de cancers, notamment, sont souvent bien documentés.

Sans donc exclure des erreurs de diagnostic et sans se limiter en quoi que ce soit à la sphère religieuse, on a ainsi pu constater des guérisons particulièrement remarquables : l’état actuel de la science ne permettant pas de les expliquer (Le cancéreux chasse sa tumeur, l’asthmatique retrouve son souffle, le brûlé sa peau de bébé…).

Des pistes utilisables ?
Comme le remarque le sociologue cité plus haut, miracle ou non : Quelque chose se passe dans la tête de la personne, et son système immunitaire se met en branle au-delà de ses fonctionnements habituels. A son sens d’ailleurs, la qualité des dossiers des miracles agréés du Vatican et le sérieux de la documentation qu’ils recèlent, gagneraient à être pris au sérieux par le corps médical et ouvriraient vraisemblablement des pistes.

Autre type de considération : des analyses extensives sur plusieurs dizaines d’années conduisent à estimer qu’il y a une guérison spontanée pour 100 000 cas.

Le taux de guérisons à Lourdes serait du même ordre, ce qui tendrait à en estomper le côté miraculeux. Cette dernière remarque ne met pas automatiquement hors jeu la dimension spirituelle (rôle de la prière ou de la contemplation d’images pieuses dans un cas… ou d’un être aimé dans un autre cas).

Fréquence et rareté
Qu’il s’agisse de l’effet placebo, des médecines parallèles ou des guérisons inexpliquées, on aborde un domaine où l’on commence à déborder au-delà des actuelles explications raisonnablement admises (représentées par la connaissance médicale et par les médicaments ayant été rigoureusement testés et ayant pratiquement fait leurs preuves).

Dans le cas du placebo, on a vu que son efficacité se manifestait de préférence lorsque le trouble relevait du mental et du subjectif, ainsi que, jusqu’à un certain point, pour combattre la douleur. Aucune estimation n’a été fournie dans les articles analysés, mais d’autres sources mentionnent jusqu’à un quart ou un tiers d’effets perceptibles pour ces genres d’affections. Ce qui a été indiqué pour les médecines parallèles est que, dans 5% des cas, on pouvait envisager un effet au moins équivalent à celui d’un placebo – ou parfois à confirmer.

Et pour les guérisons inexpliquées, on est renvoyé vers une couche atmosphérique raréfiée : le millième de %. Faisons une digression sur ce dernier point : en supposant que sur notre planète de 7 milliards d’individus, un sur dix soit atteint d’une maladie éligible en vue d’une guérison inexpliquée, 7 000 d’entre eux bénéficieraient ainsi de cet heureux dénouement – soit, puisque l’augmentation de la durée de vie va dans le sens d’un renouvellement complet de l’humanité tous les 70 ans, autour de 2 par semaine.

Ancrage des convictions
Au détour de l’un des articles, l’auteur attire l’attention sur un constat pour lui étonnant : il arrive fréquemment qu’un patient dont l’amélioration est due à la prise d’un placebo, voit cette amélioration se poursuivre, même si on lui avoue la vraie nature du placebo. C’est ce que j’ai voulu exprimer en utilisant le terme d’ancrage de la conviction.

Cela se rapproche d’ailleurs de cette expérience classique : on soumet des sujets à test logique où une lumière verte ou rouge s’allume selon que la réponse est bonne ou mauvaise. Au fur et à mesure des questions, la lumière verte s’allume de plus en plus fréquemment. Le sujet pense naturellement que cela vient de ce qu’il a compris la logique des questions. Or il n’y a aucune relation entre ses réponses et la lumière qui s’allume – la lampe verte est programmée pour s’allumer au hasard de plus en plus souvent. Ce qui est sublime est que, pour environ deux tiers des participants, ils refusent de le croire une fois qu’on le leur dit après coup : ils se sont trop investis pour s’avouer avoir été bernés.

Façonnage personnel
Autre perspective : prendre du champ par rapport au contexte habituel du placebo, des médecines parallèles ou de la guérison inexpliquée. Dans tous ces cas, l’amélioration résulte de l’intervention d’un produit, d’une personne ou d’un force extérieure, voire surnaturelle. Ce qui n’exclut pas – on l’a vu, notamment au niveau du cerveau – que l’intéressé y mette du sien.

Il y a aussi des démarches où c’est ce dernier qui devient entièrement le chef d’orchestre de l’opération. On peut citer la méthode Coué par laquelle il parvient à se convaincre lui-même au fil du temps que les choses vont s’améliorer. On a aussi de multiples exemples – mais ce n’est pas donné à tout le monde – de personnes qui se sont façonnées sur la base d’un projet de vie qu’elles s’étaient établi pour elles-mêmes.

mardi 17 mai 2011

Hors info en boucle

Nul besoin de ressasser pour les lecteurs de ce bloc-notes, ce que les médias ont produit entre les 15 et 17 mai. Voici, en revanche, quelques échantillons à l’écart de ce qui s’obstinait à rester en surface.

Dans le blog Démystifier la finance, éthique et marchés, un billet de Georges Ugeux, portant sur l’impact européen et mondial :

La mise en examen de Dominique Strauss Kahn est un drame à beaucoup de niveaux.

Je ne m’étendrai pas sur les faits sur lesquels tout a été dit. DSK a souvent mis en épingle et condamné la violence faite aux femmes dans les pays en voie de développement. La femme de chambre qui travaillait au Sofitel était d’origine africaine.

Pour ma part, je vois plusieurs niveaux de conséquences :
1. Pour le Fonds Monétaire International […]
2. Pour les pays en voie de développement […]
3. Pour l’Europe […]
4. La France […]
[…]
Enfin, permettez-moi une réflexion personnelle. C’est toujours avec une immense tristesse que je vois tomber un homme que j’ai connu et souvent admiré pour ses actions courageuses dans le monde de la finance internationale où peu de leaders avaient sa stature et son autorité. […]



Sous le titre Chronique d’une chute annoncée, PressEurop reproduit des extraits d’un article de François Bonnet dans Mediapart, qui s’intitulait Les deux erreurs du PS.

La sidération qui semble avoir saisi le pays face aux images d'un Dominique Strauss-Kahn comparaissant devant le tribunal de New York, entre petits délinquants et trafiquants de drogue, doit aussi fonctionner comme un brutal rappel au réel. […] C'est une bonne nouvelle, même si notre pays s'est habitué, de guerre lasse, à considérer – parfois à tort – que l'impunité était un privilège dû aux puissants.

1.- La première erreur provient de l'entourage le plus proche de Dominique Strauss-Kahn. Elle consiste en une défense aveugle et sans distance de l'inculpé, au risque de faire grossir le malaise. […] depuis des années, de nombreux journalistes ont décrit par de prudentes ellipses la vie de Dominique Strauss-Kahn : ont-ils failli dans ce qui est une de leurs missions, le devoir d'alerter ? […]

2.- La deuxième erreur est celle-là directement politique et vient de la direction du parti socialiste. "Le parti n'est ni affaibli, ni décapité" […]


Directement pris dans Mediapart, cette fois, la réaction venue la veille de Michel Broué, mathématicien dans le civil : Et la présomption de victime ?

"Indignez-vous" ? Je le suis, indigné, par les réactions politico-médiatiques manifestant "la stupeur", "l'incrédulité", affirmant que "tout cela ne ressemble en rien à DSK", voire évoquant un "complot" … alors que dans le même temps on n'entend rien, aucune marque de respect, aucune solidarité avec la "femme de chambre", comme ils disent – hormis quelques questions soupçonneuses à son égard.
[…]
On a ri jaune, ou on s'est indigné, quand Stéphane Guillon conseillait aux femmes de se mettre aux abris lors de la venue de DSK à France Inter, alors que tout le monde savait bien pourquoi Guillon disait cela. […]


Dominique Seux, éditorialiste aux Échos, s’est d’entrée de jeu intéressé aux lourds effets à l’international de cette affaire. Celui qui, dans les commentaires, lui apporte systématiquement la réplique, sous le pseudonyme de Blackstream, a ainsi réagi :

[…] je me contenterai donc de poser quelques questions et de faire quelques remarques que je n’ai pas entendues dans le flot de blabla des radios que j’ai écoutées d’une oreille distraite … je n’ai même pas allumé la télé.
[…]
Allez, j’y vais, comme tout le monde, de mon hypothèse, la mienne étant empruntée à la psychanalyse : il s’agit d’un acte manqué. Harcelé pour se présenter aux présidentielles par son ambitieuse femme et quelques disciples en mal de retour sous les ors de la République, mais n’ayant pas envie de revoir pendant cinq ou dix ans les bobines des socialistes, ni de revivre leurs querelles, il s’est mis inconsciemment en état d’y échapper, soit en perdant les pédales, soit en se faisant couillonner. Ce genre de comportement est bien connu des psychiatres, et malheureusement trop souvent cause de suicides … heureusement, D$K est sans doute trop narcissique pour en arriver à cette extrémité. […]


Le lendemain, l’éditorialiste livrait un billet, porté à la réflexion : l’éditorialiste face à l’impensable

Retour sur l’état de "sidération" dans laquelle nous a plongés l’affaire DSK depuis 48 heures. Avec une réflexion sur notre métier de commentateur. Au-delà de l’affaire Strauss-Kahn, on ne peut en effet qu’être frappé, ces derniers mois, par la multiplication d’événements, de chocs, dont la force symbolique est énorme, qui nous "sidèrent" et dont il est difficile d’évaluer à chaud les conséquences. Pour ne prendre que ceux qui ont aussi des implications économiques (on ne parle donc pas de la mort de Ben Laden), il y a eu ce printemps arabe inattendu ; le séisme au Japon et l’accident de Fukushima ; la crise au Portugal et en Grèce ; la guerre en Libye ; et ce bouleversement à la tête du FMI qui provoque un tsunami politique en France. Ces événements n’ont rien à voir, certains sont réjouissants, d’autres pas, d’autres glauques. Mais ils invitent les commentateurs à prendre garde à trois pièges : la précipitation, l’exagération et l’inattention. [L’article développe alors ces trois points].


Andreï Fediachine est un chroniqueur régulier pour l’agence de presse internationale russe RIA Novosti. Il a signé sur le sujet qui nous intéresse un article : DSK ou les ambitions présidentielles envolées dans la rubrique Débats – ce qui permet à l’agence de souligner que l’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

[…] Cela paraît irréel et hollywoodien. […] n’avait-il pas d’autres possibilités d’étancher sa fringale érotique […]

Tout le monde invite maintenant à respecter le principe de la présomption d’innocence […] Et c’est normal. Dommage, bien entendu, que dans le feu de l’action on oublie complètement la victime présumée : c’est comme si son rôle dans cette affaire était terminé. […]

[…] Tenter de trouver un seul président français n'ayant jamais commis ce péché véniel relèverait de la gageure. Toutefois, les Français savent très bien faire la distinction entre les amours "coupables" et le viol. […]

Le plus extraordinaire dans tout cela est que c’est Nicolas Sarkozy qui a maintenant de bonnes chances de redevenir locataire du palais de l’Elysée en 2012. […]

Certains experts commencent à y déceler les prémisses de la répétition de la Grande catastrophe survenue lors de l’élection présidentielle de 2002 à laquelle trop de candidats représentant la gauche avaient participé et lors de laquelle le Front national, avec son leader de l’époque, Jean-Marie Le Pen, s’était subitement retrouvé en deuxième position. […]