lundi 29 juin 2009

Chanson - Cinéma - Web - Etc.


En chantant
[…] «Ne croyez pas que les gendarmes / Soient toujours des gens sérieux... / Mais non, mais non, mais non Mesdames / Mais non, mais non, mais non Messieurs» […] Ces quelques paroles sont extraites d’une chanson de 1933, interprétée par Mireille.

C’est trois ans plus tard qu’est sortie : «Quand un gendarme rit dans la Gendarmerie / Tous les gendarmes rient…» […] qui fut, elle, notamment interprétée par Édith Piaf. Sans aller aux couplets, ce qui a assuré la forte mémorisation de cette dernière phrase, c’est – me semble-t-il – la conjonction de deux éléments : (1) le jeu sur les mots, basé sur une sonorité répétitive ; (2) le constat qu’une connivence s’installe souvent au sein d’un groupe plus ou moins homogène… Les gendarmes se racontent des histoires de gendarmes. Les analysants lacaniens ont un bœuf sur la langue au moindre lapsus ordinaire et se volatilisent lorsqu’ils laissent échapper un lapsus calami, etc.

De la scène à l'écran
Bref, c’est une attitude des plus courantes. Pour trouver un sujet – voire une mise en abyme – les écrivains, gens de théâtres et autres hollywoodiens n’hésitent pas. A commencer par William Shakespeare «All the World is a stage» (dans «Comme il vous plaira»), en continuant par Vincente Minnelli avec le merveilleux pas de deux de Cyd Charisse et Fred Astaire dans «Tous en scène» (The Band Wagon - voir l'illustration de ce billet).

Et de l'écran à la toile
Même nous – les bloggeuses et bloggeurs invétérés – n’hésitons pas à nous repasser le ballon entre nous par citations directes ou commentaires interposés. J’ai même ouï-dire que l’intrusion de Burger King qui prétendait vouloir débaucher des membres de Facebook en leur faisant rayer 10 de leurs relations en échange d’un Whopper Sacrifice gratuit, en avait démoralisé plus d’un(e) qui refusaient de passer au statut d’intermittent du spectacle global et virtuel.

Sur l'arène internationale
Et dans le même numéro de «Courrier International» où j’ai déniché l’«insolite» sur le nombre π pour en faire le précédent billet, je suis tombé en arrêt sur l’«article invité» qui jouxte l’éditorial. Il s’intitule «Le toro va tuer la corrida» et il est signé par Antonio Lorca, critique taurin de «El Pais» à Séville : les aficionados ont été remplacés par un public festif ; devenu un art (on torée), le combat n’est plus un combat contre un toro bravo ; à cette fin, les éleveurs en arrivent à sélectionner des merles blancs : puissants, endurants, nobles et bons… Ne parlons pas des politiques, mal à l’aise entre une opinion européenne qui n’est plus en faveur de la corrida… et, pourtant, une activité aux retombées économiques et touristiques appréciables.

Ce qui m’a titillé, c’est la mise en valeur de cet article dans un magazine où il me semble que l’on se contente de plus en plus de rire et de pleurer dans la gendarmerie. Piloté dans les années ’90 par des non-professionnels, mais qui avaient une curiosité communicative pour sortir de l’hexagone en allant fureter dans la presse internationale, «Courrier International» est, à mon sens et malgré quelques brèves bouffées d’air frais, devenu tristounet à vouloir (informations) alimenter professionnellement le sérail de façon bien léchée, tout en se permettant (opinion) de doser selon ses propres penchants : sous-titrage, illustrations et caricatures, commentaires… Sans oublier des clins d’œil en direction d’autres titres du groupe de presse qui les coiffe. Je ne suis pas à même de pouvoir dire quoi que ce soit de la pertinence de la sélection des articles ou des extraits.

Le temps d’écarquiller mes yeux, les deux mots «toro bravo» étaient revenus à l'endroit où j'avais cru lire «presse internationale». Mise en abyme subliminale ?
NB : Au cas où « mise en abyme » vous turlupinerait – et qu’une édition pas assez récente du Petit Robert ou du Petit Larousse vous laisserait sur votre faim, faites un tour du côté de Wikipedia… ou encore : méditez sur les vaches dessinées sur les boucles d’oreilles de la «Vache qui rit».

samedi 27 juin 2009

Mémoire photographique


Insolite
Se sont-ils plantés ? Ou quelque chose m’a-t-il échappé ? Toujours est-il que, récemment dans sa rubrique «Insolites», l’hebdomadaire «Courrier International» fait état d’un neurochirurgien né en Ukraine voici près de 40 ans, qui serait capable de retenir 30 millions de décimales du nombre π (3,14159…). Et non seulement il les aurait mémorisés mais il serait capable de restituer cette séquence en 10 minutes.

Sous réserve
C’est ce dernier point que je conteste car physiquement impossible. Essayez, par exemple, de répéter deux chiffres courts comme «un» et «six», le plus rapidement possible. Pour ma part, j’ai du mal à égrener ainsi plus de 200 à 300 chiffres en une minute – 3000 en 10 minutes. Or Andreï Slioussartchouk / Andriy Slyusarchuk / Андрій Слюсарчук (c’est son nom) irait 10 mille fois plus vite ? Et si c'était par écrit ? Je pense que non car c’est plus lent que verbalement.

Balisage
On peut en revanche s’intéresser de savoir s’il est capable de mémoriser ces 30 millions de chiffres en 10 minutes. Si oui c’est qu’il a rapidement fait des progrès :

- En février 2006, il annonce pouvoir se souvenir d'un million de décimales de π. Mais le protocole dressé par un aréopage de scientifiques de Lvov, et figurant dans le «Livre ukrainien des records» (КНИГА РЕКОРДІВ УКРАЇНИ) semble s’en tenir à quelques 5000 chiffres en moins de 2 minutes.
- En 2008, il parle de 2 millions.
- Et, voici quelques semaines, début juin 2009, il en était à 30 millions – a-t-il dit. Mais, au-delà de l’affirmation qu’il y est parvenu, je n’ai pas trouvé quoique ce soit de concret qu’une telle performance ait été enregistrée.

On apprend au passage qu’en 2006, un Japonais serait arrivé à 100 mille décimales et qu’il aurait mis 16 heures pour les réciter. C’est un rythme assez «pépère» d’une centaine de chiffres à la minute : cela permet de les dire et de les entendre distinctement. En lui laissant 8 heures pour manger, boire et dormir, il faudra dix mois à notre Ukrainien pour faire la preuve de ce qu’il avance.

De quoi s’agit-il ?
A ce sujet, on parle de «mémoire eidétique» (είδος : la forme) ou de «mémoire photographique». Une personne que j’ai connue, qui venait d’ailleurs de la région de Lvov mais qui n’est plus aujourd’hui, avait entrepris des études d’infirmière après la 2ème Guerre mondiale. Bien que plus âgée que la plupart de celles qui suivait le même cursus, elle m’avait dit s’en être bien tirée grâce à une excellente mémoire photographique des documents écrits qui étaient distribués.

Mais qui ?
Comme on l’a vu dans un billet récent, certains autistes (dits Asperger) auraient cette faculté : c’est le cas de Daniel Tammet qui a retenu plus de 20 mille décimales de π. Mais d’autres personnes n’ayant rien à voir avec l’autisme ont aussi eu ce type de mémoire : des scientifiques (Ampère, Euler, von Neumann…), des joueurs d’échec (Fischer, Kasparov…), des peintres (Monet…), des musiciens (Mozart, Rachmaninov….)…
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Ceux qui ont été intéressés par cet article auront peut-être envie d'explorer des thèmes voisins en cliquant sur celui de l'Autisme ou sur celui du Cerveau, dans la marge de droite.

vendredi 26 juin 2009

Aparté - Magritte


Le «Musée Magritte» a ouvert ses portes, place Royale à Bruxelles, au début de ce mois de juin.

Anca Visdei – Une femme qui écrit. Et dessine. – sait tenir les lecteurs de son blog en haleine en l'émaillant si besoin de quelques devinettes… Et ces jours-ci, Magritte était de la partie. On le voit notamment à l’œuvre, au moment où il peint ce qui se révèle être «La tentative de l’impossible».

Je suis parti à la recherche dudit tableau. Et ma tentative a été de proposer ce que j'avais découvert en laissant un commentaire (voir l’article de Anca Visdei, ce vendredi 26 juin, intitulé nouvel indice … alors qui ?). Mais il ne semble pas possible d'agrémenter un commentaire par une photo ou une image – seul du texte est permis .

D’où l’illustration qui figure en tête du présent billet… Or le feuilleton des devinettes se prolonge par un nouveau point d’interrogation : car j’ai trouvé deux tableaux légèrement différents et non un seul.

Lequel est le bon, à votre avis ?
Adresse du BLOG DE ANCA VISDEI : http://ancavisdei.blogspot.com/

jeudi 25 juin 2009

UE : quelles langues ?

Abréviations (celles des plaques minéralogiques) :
A = Autriche – B = Belgique – BG = Bulgarie – CY = Chypre – CZ = Tchéquie
D = Allemagne – DK = Danemark – E = Espagne – EST = Estonie
F = France – FIN = Finlande – GB = Grande-Bretagne – GR = Grèce
H = Hongrie – I = Italie – IRL = Irlande – ISL = Islande
L = Luxembourg – LT = Lituanie – LV = Lettonie – M = Malte
N = Norvège – NL = Pays-Bas – P = Portugal – PL = Pologne
RO = Roumanie – S = Suède – SK = Slovaquie – SLO = Slovénie – TR = Turquie
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A plusieurs reprises, nous nous sommes intéressés aux langues. Nous y avions touché à nos débuts («Quelques ailleurs» : billet du 11 octobre 2008). Nous en avons parlé ces derniers temps, à propos de Daniel Tammet qui les apprend si vite et en si grand nombre (le 15 juin). Et avec Carmen Caffarel qui dirige l’Institut Cervantès (billet du 19 juin), nous avons pris conscience de l’importance que prenaient les langues d’origine hispanique, autour de la planète.

Un document de la Commission
Or une analyse faite par la Commission sur l’enseignement des langues (comme langues étrangères) au sein de l’Union européenne (UE) me fait découvrir un l’éclairage différent. Cela s’appelle «Chiffres clés de l'enseignement des langues à l'école en Europe – Édition 2008». On peut télécharger ce document en français au format PDF – ainsi qu’en anglais et en allemand.
Version en français :

Il fait 136 pages, avec beaucoup d’explications qui reviennent à dire qu’il faut prendre les résultats avec précaution… et avec un esprit critique car – dans toutes les éditions – on déniche de sérieuses erreurs typographiques : ainsi, le tableau numéroté C10 laisse croire que les 2/3 des élèves estoniens s’adonnent au français, alors que sur le graphique correspondant, c’est au ras des pâquerettes – vraisemblablement une inversion avec l’Irlande. Outre les pays faisant partie de l’UE, on trouve parfois des indications complémentaires – pour la Turquie, par exemple. Rien sur la Suisse.

J’ai principalement focalisé mon attention sur la proportion d’élèves apprenant les différentes langues dans le secondaire (de la 6ème à la terminale : collège et lycée). Le fait massif est l’omniprésence de l’anglais et qui va grandissant. Viennent ensuite le français et l’allemand – plus ou moins bien placés selon les pays.

Contraste à propos de l’espagnol dont on avait cherché à estimer la diffusion à travers le monde : dans l’UE, il n’est pas tellement enseigné. Car si, en France, il est choisi une fois sur deux, dans les autres pays (à l’exception des Scandinaves, des Allemands et des Autrichiens) la proportion descend rapidement au dessous de 10%.

L’enseignement de l’anglais
On se doutait de la prédominance de l’anglais. Les chiffres sont là : je prends les derniers disponibles, de l’année scolaire 2005-2006. Dans la majorité des pays, c’est plus que 90% – l’éventail va de 64 à 100%.

Ce qui est également frappant, c’est sa progression, car on a aussi la situation en 2001-2002. En 4 ans, sur l’ensemble de l’UE (ici, statistiques sur 27 pays – UE-27), on est passé de 74 à 86%. Cela est principalement dû à une évolution dans d’anciens pays du bloc de l’Est (BG : 65 > 75% – CZ : 67 > 81% – H : 51 > 64% – SK : 62 > 74%...) ainsi qu’à l’Italie (84 > 96%) et au Portugal (53 > 80%).

Le français et l’allemand
Sur l’ensemble de l’Union (chiffres pour UE-27), la proportion des élèves qui étudient l’une ou l’autre de ces langues est restée à peu près stable : autour de 24% pour le français et de 15% pour l’allemand. Les chiffres les plus importants signifient souvent que la langue en question est considérée comme obligatoire.

S’agissant de l’allemand, sa position est forte dans les pays appartenant à la bande centrale qui va, depuis le nord, presque jusqu’au sud de l’Europe. Sans parler des Pays-Bas ou du Danemark – autour de 85% – la Slovénie, la Hongrie, la Pologne et la Slovaquie se situent dans la zone des 40-50%. S’ils restent à des bons niveaux, une partie des Pays scandinaves et baltes, ainsi que la Tchéquie, ont régressé sur entre 2002 et 2006.

Le français obtient ses meilleurs scores dans les pays dans la mouvance linguistique latine : 87% en Roumanie, 63% au Portugal, 46% en Italie, 36% en Espagne. A noter que ce peut être une langue obligatoire dans certaines classes (c’est ainsi le cas au Portugal mais pas en Roumanie). Autre remarque : ce pourcentage est de 37% en Grèce et à Malte, et de 67% à Chypre – mais en baisse dans ce dernier cas, depuis qu’il a cessé d’être langue obligatoire en 2004.

Qu’en est-il du couple franco-allemand ? Les choix des élèves semblent s’aligner sur la moyenne des autres pays : en légère progression pour les Allemands qui passent de 23 à 25% (la moyenne est de 24) et en régression pour les Français : de 20 à 17 %, face à une moyenne de 15%.

Espagnol, italien et russe
Nous avons évoqué plus haut la situation de l’enseignement de l’espagnol comme langue étrangère en Europe. Le document de l’UE distingue se qui se passe au collège (8% pour EU-27) et au lycée (15%). Tenons-nous en à la proportion au lycée : la France arrive en tête (62%), puis les pays scandinaves (S = 41% – DK =28% – N = 13% – FIN = 10%). Il n’y a sinon que l’Allemagne (15%) et l’Autriche (12%). Electrocardiogramme pratiquement plat - au mieux 2% - pour le Portugal, l’Italie ou la Roumanie.

Évoquons aussi l’italien (chiffres pour l’ensemble collège & lycée) : Malte est l’exception (58%) suivie de Chypre (14%) ; une mention pour l’Autriche, la France et la Slovénie (5% chacune), à la rigueur la Hongrie (2%) – le reste est insignifiant.

Et mentionnons enfin le russe dont on se souvient qu’il était obligatoire tout au long du cursus, du temps du Bloc de l’Est, et dont les racines sont parfois proches de celles des langues qui y sont pratiquées. Au premier rang (ensemble collège & lycée) les États baltes (entre 48 et 60%), puis la Bulgarie (28%) et la Pologne (7%) – l’Allemagne et la Roumanie ferment le cortège avec 2%.

Cas particuliers
Curieusement, la Grande-Bretagne dont la langue pratiquée est omniprésente, n’apparaît pas dans les tableaux d’ensemble. Il faut aller à pêche à la ligne dans le document pour conclure approximativement qu’un tiers des élèves choisissent le français, 13% l’allemand et 8% l’espagnol.

Constat similaire pour les Pays-Bas où, à en croire certaines sources, 45% étudient l’anglais, 39% l’allemand et 32% le français – mais d’autres sources multiplient ces chiffres par 2 !

Venons-en enfin à la Turquie où les 2/3 s’adonneraient à l’anglais, 7% à l’allemand et un petit % au français.

Réciprocités ?
Ce qui suit n’est pas présenté dans le document de l’UE. Voici le tableau auquel je suis parvenu :

.....................Langues choisies (%)
.....................Anglais .......Français .......Allemand ..........Espagnol .........Italien
Pays
GB ...............- .................35% ............13% ................8%
F ..................98% ...........- ..................17% ................44% ..............5%
D .................96% ............25% ............- .....................5%
A ..................99% ............13% ............- .....................2% ................6%
E ..................98% ............36% ...........2% ..................- ....................0.1%
I ...................96% ............46% ...........7% ..................7% .................-

Si nous mettons le cas de l’anglais de côté, une analyse par couples suggère ce qui suit :
- Couple franco-allemand : les Allemands se consacrent plus volontiers au français (25%) que les Français à l’allemand (17%). Mais c’est l’inverse de la part des Autrichiens (13%).
- Couple franco-espagnol : plus forte préférence des Français pour l’espagnol (44%) que l’inverse (36%).
- Couple franco-italien : manifestement dans le sens des Italiens vers le français (46% contre 5%).
- Couple germano-hispanique : plus ou moins équilibré – 2% des Espagnols se consacrent à l’allemand alors que 5% des Allemands et 2% des autrichiens étudient l’espagnol.
- Couple hispano-italien : les Espagnols semblent se désintéresser de l’italien alors que 7% des Italiens apprennent l’espagnol.

mardi 23 juin 2009

Amour et science


Avec Till, nous faisons le tri parmi d’anciens articles de journaux qui avaient, en leur temps, paru intéressants, qui s’empilent et que personne ne relira jamais. Nous avons déjà vidé plusieurs corbeilles et, dans la pièce qui leur est consacrée, on commence à respirer. Voici pourtant un article qui nous fait hésiter. Il s’intitule «I get a kick out of you».

«Mais je l’ai traduit !» se souvient-il. Nous retrouvons le texte en français. Scientifique mais sorti exprès pour la Saint-Valentin, il y a 5 ans, ledit texte a gardé une certaine fraîcheur et a permis de transformer le titre en «Je prends un malin plaisir avec vous».
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Idée : «Cela ferait un bon billet pour le blog…» Sauf qu’il approche les 25 000 caractères – beaucoup trop. A moins de le condenser. Passage à l’acte. Voici le résultat.

Campagnols des prairies et des montagnes
Après avoir laissé artistes, poètes et autres contribuer à faire progresser l’humanité dans sa compréhension de ce qu’est l’amour, voici que les scientifiques s’y mettent à leur tour. Ils avaient déjà fourré leur nez dans la régulation neurochimique des liens de sociabilité. Ils viennent de faire un pas de plus en s’intéressant aux campagnols des prairies qui sont monogames (le couple formé reste stable pour la vie) et ceux des montagnes qui se désintéressent de leur partenaire, une fois la nuit passée ensemble.

Ils sont pourtant génétiquement semblables à plus de 99% mais, lors de leur rencontre, les campagnols des prairies libèrent deux hormones (l’ocytocine et la vasopressine) qui vont stimuler une région du cerveau en charge de la récompense et du renforcement : c’est un 3ème élément chimique (la dopamine) qui est libéré à son tour et qui encourage de recommencer car on se sent bien. Si on bloque la libération de l’ocytocine et de la vasopressine, les campagnols des prairies se contentent d’une relation éphémère. Si on la provoque artificiellement chez les campagnols des montagnes, ça ne leur fait rien car ils n’ont pas les récepteurs adéquats.

Chez les humains
Chez ces animaux, ce qui précède permet de reconnaître leur partenaire par l’odorat et de revenir vers lui. Le mécanisme n’a pas encore été bien analysé pour les humains mais, parmi les primates qui leur sont proches, on observe un niveau de vasopressine associée aux centres de récompense, plus élevé chez les ouistitis monogames (comme c’est le cas d’environ 3% des mammifères) que chez les rhésus macaques qui ne le sont pas.

L’échographie pratiquée avec des étudiants qui se déclaraient follement amoureux a montré qu’une toute petite partie de leur cerveau en était activée – non pas celle associée à des émotions fortes (peur, colère…) mais à ce qui est en jeu quand on s’adonne à la drogue. On a aussi montré qu’il pouvait exister une forte variabilité d’un individu à l’autre – chez les animaux et en particulier chez les humains quand au gène relatif au récepteur de la vasopressine.

Amour à trois dimensions
Étape suivante – le terme d’amour peut recouvrir trois phénomènes séparés dont chacun dispose d’un système d’émotions qui lui est propre :

- Le désir charnel qui conduit à l’accouplement et dont les séquelles sont similaires quand on a pris des opiacés – avec accroissement des niveaux de sérotonine, ocytocine, vasopressine et d’équivalents de l’héroïne produits dans le corps.

- Le fait d’être amoureux (amour romantique) permet de se focaliser sur un partenaire précis avec la tentative éventuelle de susciter une réaction de réciprocité. Certains chercheurs estiment que cela peut avoir quelque chose de proche des TOC (troubles obsessionnels compulsifs), pulsion particulièrement forte (éventuellement davantage que la faim) et difficile à «traiter» une fois qu’elle est mise sur les rails.

- L’étape finale, qui convient mieux dès lors qu’il s’agit d’élever des enfants, est celle du lien à long terme, qui se caractérise généralement par plus de calme, de sérénité, d’être bien en société et d’union émotionnelle.

Savoir naviguer et choisir son cap ?
Mais ces trois systèmes sont indépendants les uns des autres, en arrivent donc à fonctionner chacun dans son coin – ce qui peut avoir de dangereuses conséquences, sans compter d’avoir des enfants en extra. Ce qui fait dire à certains que nous n’avons pas été fabriqués pour être heureux mais pour nous reproduire. Avec, de surcroît, quelques différences entre l’homme (plus facilement éveillé par des stimulations visuelles et attiré par la jeunesse et la beauté) et la femme (pour qui la culture et la situation matérielle et sociale du partenaire compte).

Ne pas oublier qu’au-delà de toutes ces histoires génétiques, les facteurs culturels et sociaux ainsi que les mécanismes d’apprentissage jouent un rôle considérable, que les expériences qu’elles ont eues… et le hasard, font que, au fil du temps, certaines personnes se sont dressé des «cartes de l’amour» qui leur servent à évaluer un partenaire potentiel et fréquenter de préférence ceux qui sont du même «type».

Illustration : Diane chasseresse, bronze par Houdon (Musée du Louvre - Paris)
Article paru dans The Economist du 14-02-2004

vendredi 19 juin 2009

Espagnol - Instituto Cervantes


Restons avec Till, qui aime bien fouiner dans la presse internationale, mais changeons de sujet. Il me signale une «tribune» de Carmen Caffarel dans «El País» du 7 avril.

L’Institut Cervantès a 18 ansNée à Barcelone, ayant brillamment défendu une thèse de doctorat en philologie espagnole à l’université de Madrid, puis s‘étant orientée vers ls domaines de la communication, Carmen Caffarel Serra a été quelques années Directrice générale à la RTVE (la télévision espagnole) avant de prendre, il y a deux ans, la tête de l’Institut Cervantès. Celui-ci ayant été créé en 1991, le titre de son article est – sans surprise «Dieciocho años después» (18 ans plus tard).

Elle commence par rappeler que, dans ses mémoires qu’il a confiées à la journaliste Christine Ochkrent en 1986, Alexandre de Marenches se lamentait que le français n’avait pas réussi à occuper dans le monde une place similaire à celle de l’espagnol – ce n’est pas une remarque pour rien.

InstrumentalisationEn ces temps de guerre froide, il avait été pendant 11 ans (1970-81) le patron des services secrets français (le SDECE d’alors). Avec notamment l’avènement du fascisme et du stalinisme, la conception avait sérieusement pris forme, dès l’entre-deux-guerres, que les relations culturelles internationales devaient être considérées comme un instrument au service de la confrontation entre les puissances étatiques. C’est d’ailleurs de cette époque que date la création de divers instituts culturels en Europe.

Une digressionC’est le cas du British Council dont la création date de 1938. L’histoire de l’Alliance française (initialement dite «de Paris») est assez particulière. Elle fut créée en 1883 – sorte de sursaut après avoir plus ou moins mal digéré la défaite de 1870 – pour «la propagation de la langue française dans les colonies et à l’étranger» puis s’implanta progressivement à travers le monde sans dépasser quelques centaines d’étudiants. C’est au lendemain de la 1ère Guerre mondiale que son École pratique de la Langue française s’est ouverte boulevard Raspail à Paris : 10 ans plus tard, elle comptait près de 5 000 étudiants.

L’exemple de l’Institut GoetheAprès la 2nde Guerre mondiale, l’Allemagne montre le chemin dans une autre direction, en fondant le Goethe-Institut en 1951. L’espoir sous-jacent est de modifier l’image extérieure passablement détériorée de ce pays – et non d’en attendre des retombées politiques dans l’immédiat. Conçue comme une institution plurielle et ouverte, ce devint un lieu de rencontre avec d’autres langues et d’autres cultures. Ce fut une réussite, qui s’amplifia après la chute du Mur.

L’Instituto Cervantes s’inscrit dans cette ligne… et – ajoute Carmen Caffarel – il n’est pas impossible que le ministre français des Affaires étrangères emprunte une voie similaire (autre clin d’œil pas si innocent par-delà les Pyrénées : à peine deux semaines plus tôt, Bernard Kouchner a parlé de la réforme qu’il entreprenait en matière d’action culturelle et indiqué la perspective de l’organiser autour d’un «Institut français»).

Spécificité hispaniqueRevenons en Espagne et à ce qui s’est mis en place une quinzaine d’années après la disparition du franquisme. La culture y est alors considérée comme un point d’appui pour la créativité et donner une image de sérieux à ce qui se réfère au pays correspondant – elle devient une des principales composantes d’une diplomatie nouvelle.

Dans le contexte qui est le sien, l’Institut Cervantès s’est voulu, vis-à-vis de l’extérieur, comme étant la maison commune de la culture espagnole et de la culture hispano-américaine (une vingtaine de pays). On y enseigne les différentes variétés de la langue – peu importe la nationalité des créateurs. A ce titre, l’argentin Jorge-Luis Borges, le chilien Pablo Neruda, le Mexicain Octavio Paz… y ont autant leur place que l’Espagnol Federico Garcia Lorca. Tout ceci est accepté sans réticence et se traduit par une autonomie de fonctionnement.

Ce qui est d’autant plus notoire que, du point de vue linguistique au niveau mondial, le 21ème siècle est celui de la prédominance de l’anglais, du chinois et des langues hispaniques (que parlent dès à présent 450 millions de personnes).

mardi 16 juin 2009

Savants vs neurotypiques

La fois précédente, nous sommes partis d’un article de «Der Spiegel» pour évoquer un autiste léger particulièrement doué pour les chiffres et pour les langues. Till attire cette fois mon attention sur un article de «The Economist» à mi-avril, qui, sous le titre «Genius locus – Autism and extraordinary ability», a épluché les actes d’une conférence tenue à l’automne dernier, sous les auspices de la Royal Society et de la British Academy.

Autistes savants vs neurotypiques
Question : «Le cerveau des génies serait-il différent de celui des autres gens ?» Il y avait déjà eu lieu débat dans le passé à propos d’un lien possible entre génie artistique et schizophrénie ainsi que syndrome maniaco-dépressif. S’agissant de ce qu’en anglais on appelle des «savants» (ceux qui ont une connaissance approfondie dans un domaine spécifique – alors qu’en français, il s’agit d’une connaissance plus générale), on se souvient que ce thème a été abordé dans le film «Rain Man» (1969), l’autiste savant étant personnifié par Dustin Hoffman.

RRBI et conséquences
Lorsque l’on cherche ce qui distingue les autistes des «gens normaux» (appelés ici «neurotypiques»), on retient (1) une relative incapacité à se mettre à la place de l’autre puis (2) de se demander ce que l’autre peut penser… mais aussi, (3) des comportements et des intérêts limités et répétitifs (restrictive and repetitive behaviours and interests – abrégé ici en RRBI).

Face à cela, on soulignait jusqu’alors que pour faire un bon «savant», ce pouvait être déterminant que de redéployer des ressources mentales habituellement tournées vers l’interaction et la communication, et les mettre au service d’une «expertise» dans un domaine particulier. Ce à quoi on assiste actuellement est une plus grande prise en considération du point n°3 des autistes – ce qui revient à faire gravir au RRBI les échelons du podium.

Glané au cours d’une conférence
Dans ce qui a été présenté, on trouve notamment :

- Près de 30% des autistes auraient des capacités en matière de calcul et de musique – et, comme chez les autistes, on note chez nombre de tempéraments créatifs (en science, ingénierie, musique, dessin, peinture…), une communication appauvrie et une obsession du détail.

- Les talents musicaux et artistiques qui se manifestent chez les jeunes enfants (autistes ou non) sont souvent associés à du RRBI. Ce à quoi parviennent les savants pourrait alors découler de la capacité qu’ils auraient à détecter des différences, là où les neurotypiques ne voient que simple répétition de la même chose.

- Certains estiment qu’à hyper-systématisation et hyper-attention au détail, il faut encore ajouter hyper-sensibilité.

- Une intervenante – professeur d’université et ancienne autiste – rapporte qu’elle avait la possibilité de «penser par images». Il y a des autistes, dit-elle, qui n’ont pas ces facultés visuelles, mais pensent plutôt par schémas (pattern thinkers) et excellent en maths ou en musique ; d’autres sont spécialisés sur le verbal et se distinguent dans la parole et l’écriture.

- D’avoir eu à disséquer quantité de cerveaux, un autre intervenant attire l’attention sur la forme que prennent les colonnes de cellules nerveuses dans le cortex cérébral. Chez les autistes, elles sont plus étroites que chez les neurotypiques et elles sont davantage interconnectées avec les colonnes qui leur sont proches – et moins interconnectées avec les colonnes plus éloignées.

- Autre démarche visant à permettre à des neurotypiques d’accéder à des capacités qui semblaient réservées aux savants : inhiber certains de leurs processus neurologiques, grâce à une stimulation magnétique appliquée à la partie antérieure du lobe temporal gauche. Les tests qu’on leur fait passer dans ces conditions montreraient que ça leur permet – comme chez les savants – de se souvenir littéralement des choses plutôt que de se raconter des histoires reconstruites à partir de «fausses remémorations».

La médaille a son revers
L’article se boucle comme une fable de La Fontaine – par une morale.

Intéressons-nous d’abord aux chauffeurs de taxi londoniens (les «cabbies») : ils en arrivent à acquérir une prodigieuse connaissance géographique de la capitale britannique… et même la forme de cette partie du cerveau associée à l’apprentissage à long terme (l’hippocampe) se modifie. En revanche, pour d’autres tests de mémoire, y compris la mémoire spatiale, ils sont en dessous de la moyenne.

Bribes de morale : on n’a rien pour rien – ne nous forçons pas à singer ceux qui sont doués dans tel ou tel domaine… et acceptons les comme ils sont.


Ceux qui ont été intéressés par cet article auront peut-être envie d'explorer des thèmes voisins en cliquant sur celui de l'Autisme ou sur celui du Cerveau, dans la marge de droite.

lundi 15 juin 2009

Un autiste prodige ?


Je vous ai entretenu par moment de l’action à laquelle je participe, auprès d’Émile, un jeune garçon qui présente quelques symptômes d’autisme – et je continuerai de le faire. C’est une expérience qui rend sensible à ce qui se dit et s’écrit dans ce domaine. Sans avoir de lien direct avec ce qui se fait avec Émile, le présent billet est inspiré par une lecture récente. D’autres suivront sur des thèmes voisins, avec l’aide de Till qui me fait souvent part de ses trouvailles dans la presse internationale.

Daniel Tammet
Il y a quelques semaines, dans le magazine «Der Spiegel», un article signé par Philip Bethge («Picknick in Genitiv – Elf ist freundlich und Fünf ist laut») sur Daniel Tammet. On commence par y dire qu’il aime bien la langue allemande qui, pour lui, est «comme une pièce propre et bien rangée, avec des coins parfaitement à l’équerre…» On apprend aussi qu’il est britannique, qu’il approche la trentaine, que c’est un « autiste léger » (syndrome d’Asperger) et qu’il lui a fallu un sérieux entraînement avant de réussir à exprimer ses émotions. En revanche, il jongle avec les chiffres et assimile les mots étrangers sans difficulté. Il leur associe des formes et des couleurs, alors que pour la plupart des gens ce ne sont que les choses grises et sèches.

La synesthésie
Petit détour avant de revenir à l’article de «Der Spiegel» :
Cela relève de la «synesthésie» qui est un phénomène neurologique involontaire et automatique, par lequel deux ou plusieurs sens sont associés – phénomène indépendant de tout signe de maladie et dont on considère qu’un très faible pourcentage de personnes le manifestent.

Mais la synesthésie désigne aussi un procédé poétique ou artistique qui permet de mettre en relief une image en faisant appel à d'autres modalités sensorielles. Les poètes symbolistes français y ont fait appel et, dans un autre domaine, Wagner. Les mentions qui viennent le plus spontanément concernent Charles Baudelaire (1821-1867) dans «Correspondances» (Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants, / Doux comme des hautbois, verts comme des prairies, / - Et d'autres corrompus, riches et triomphants,...) ou Arthur Rimbaud (1854-1891) dans «Voyelles» (A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, / Je dirai quelque jour vos naissances latentes…).

Jongler avec les chiffres
Revenons à Daniel Tammet : il peut vous réciter plus de 20 000 décimales du nombre π (celui qui commence par 3,1415926…), ou vous dire tout de go que le 10 janvier 2017 sera un mardi. Et c’est parce qu’il est né un mercredi et qu’il associe la couleur bleue à ce jour précis de la semaine que son premier ouvrage, relativement autobiographique, s’intitule : «Je suis né un jour bleu» (paru en français aux Éditions Les Arènes).

Maîtriser des langues étrangères
Il a appris très rapidement et il maîtrise une dizaine de langues, dont l’islandais, le roumain, le gaëlique… Au moment où s’écrivait l’article, il se trouvait à Hambourg pour s’attaquer à l’allemand. Il commence habituellement à lire des heures durant des livres pour enfants et à se répéter silencieusement les mots à lui-même. Puis, en compagnie de la personne qui l’assiste, il se promène dans la ville, s’entretient avec elle de l’histoire de celle-ci, visite des musées…

Les nouveaux mots s’accrochent à ceux qu’il connaît – dans cette langue ou une autre – et par l’impression qu’ils font intuitivement. Ainsi pour lui, en allemand, les «petites choses rondes» commencent souvent par «Kn» (Knoblauch, Knopf, Knospe…), celles qui sont «longues et minces» par «Str» (Strand, Strasse, Strahlen…), etc.

Il cherche à donner un sens à chaque langue – aidé en cela par le fait que, dans son cerveau, s’interconnectent certaines notions de façon beaucoup plus spontanées que chez «les gens normaux» qui pensent par catégories distinctes.

Il est venu s’installer en France, à Avignon, et a sorti au début de cette année un second ouvrage : «Embracing the Wide Sky».
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Ceux qui ont été intéressés par cet article auront peut-être envie d'explorer des thèmes voisins en cliquant sur celui de l'Autisme ou sur celui du Cerveau, dans la marge de droite.