samedi 23 janvier 2010

Pour quelques degrés de réchauffement


On sait à quel point la question du réchauffement climatique est une belle foire d’empoigne et ce pour de multiples raisons qui interfèrent entre elles : il y a des scientifiques qui se querellent à ce sujet ; malgré les apparences ce sont des politiques de tout poil qui ont fait main basse sur l’écologie plutôt que le contraire ; qu’il s’agisse de nucléaire, d’éoliennes ou de panneaux solaires… les enjeux économiques sont parfois considérables et les décisions publiques pour subventionner les énergies de renouvellement donnent des résultats qui laissent parfois rêveur.

Au niveau mondial, un des lieux les plus en vue pour ce type d’échanges est le GIEC, organisation créée au sein de l’ONU, essentiellement composée de diplomates et d’une minorité de climatologues. GIEC veut dire Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (retenez l’équivalent anglais – IPCC – ça aide pour quand on utilise un moteur de recherche).

Le dernier rapport du GIEC date de 2007. On s’y est largement référé lors du sommet de Copenhague et il continue, ces temps-ci de faire quelques vagues : il y est par exemple affirmé, au détour de l’une de ses nombreuses pages, que les glaciers de l’Himalaya auront fondu d’ici 25 ans – ce qui bouleverse en moins d’une génération les conditions de vie d’un pays aussi peuplé que l’Inde, sans compter ses voisins. Or ce n’est qu’une boulette… On aurait recopié une interview publiée dans un magazine indien en 1999 ; personne ne l’aurait vraiment vérifié… à moins qu’on ait confondu 2035 et 2350.

C’est justement le rapport du GIEC qui est à l’origine d’un autre scénario sélectionné par Courrier International. Sobrement : une carte (c’est là l’essentiel) et le texte d’un article du New Scientist de février 2009, réduit à la Jivaro dans un rapport de 6 à 1, dont on ne cite pas l’auteur. En cherchant bien, vous retrouverez la carte en partant de la même adresse Internet (http://www.scribd etc.) que celle donnée à la fin du précédent billet. Mais elle est abondamment renseignée et, en même temps, difficilement lisible. C’est pourquoi j’ai pris ma palette et mes pinceaux pour vous en donner un aperçu au début, juste après le titre. Ceux qui veulent aller plus loin se rendront à la carte qui illustre l’article original en anglais (voir les références à la fin). Il vous suffira alors de cliquer sur une quinzaine d’emplacements pour tout savoir des horreurs qui attendent les survivants dans les différentes régions indiquées.

J’ai trouvé qui avait écrit l’article lui-même. C’est une journaliste que les sciences, l’environnement et les aspects sociaux intéressent. Elle s’est mise à son compte et parcourt le monde après avoir travaillé pour New Scientist et Nature. Sous le titre How to survive the coming century, Gaia Vince (ce semble être son nom de plume) nous raconte ce que serait un monde dont la température aurait globalement grimpé de 4°C. En quelques mots : des alligators qui se dorent au soleil des côtes britanniques, le Brésil transformé en désert, bon nombre de villes réputées, mettons Venise, qui auraient disparu – même sort pour 90% de la population mondiale. Ce n’est pas rien.

Car si la survie de l’humanité n’est pas en jeu, celle des 7 milliards que nous sommes et bientôt plus, l’est sérieusement, puisque le rapport 2007 du GIEC prévoit, au cours du 21ème siècle, une élévation de la température quelque part entre 2 et 6,4°C – ce qui veut dire que 4°C dès 2050 est très envisageable.

Or un exemple de cette amplitude, nous en avons un, même s’il remonte à 55 millions d’années. Ce qui permet de se faire une idée des conséquences. Première d’entre elles : en grande partie, les endroits où les gens vivent et produisent leur nourriture actuellement ne conviendront plus – extension rapide des déserts ou, pour d’autres raisons, ils deviendront invivables. Régions refuges : le Canada, la Scandinavie et le nord de la Russie. C’est ce qui fait dire au célèbre James Lovelock (le père de la théorie Gaïa que notre journaliste a eu par ailleurs l’occasion d’interviewer) que la sélection générée sur la planète entière par cette mutation si brutale et soudaine, sera si intense qu’il ne restera pas plus d’un milliard d’individus à l’arrivée.

Les conflits sur des enjeux à dimension planétaire pour disposer des ressources vitales vont prendre une grande ampleur – mais les gouvernants, élus sur une base strictement locale, seront démunis face à cette situation. Bien sûr, sur le papier il y a des solutions : avec 20 m² par personne (à Paris, il en tient deux fois plus), on peut faire tenir 9 milliards de gens dans moins de 500 km sur 500 km – or le seul Canada en dispose de près de 50 fois plus. En raison des contraintes (dont les délais courts pour se retourner), il s’agirait de villes verticales.

Par ailleurs l’avenir irait dans le sens des végétariens : océans acides, plus de plancton ; plus de plancton, plus de poisson ; manque de place pour le nourrir, plus de bétail – au mieux quelques chèvres et surtout de la volaille ; ressources en eau limitées, le riz cèdera la place aux pommes de terre ; on s’orientera vers des récoltes flottantes, dont celles à base d’algues.

Énergie : d’abord, des dizaines de milliers de km² de panneaux solaires sur le sud des États-Unis, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient pour fournir une électricité transportée à haute tension et stockée dans des piles à hydrogène (dans une des estimations, la consommation actuelle de l’Europe nécessiterait dans les 30 mille km² de ces panneaux). Viendraient ensuite le nucléaire, l’éolien, l’hydroélectrique et le géothermique.
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De toute façon, on peut faire une croix sur l’époque bienheureuse que nous vivons actuellement.
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Références : d’abord l’adresse Internet pour accéder à l’article de Gaia Vince dans le n° de fin février 2009 de New Scientist, puis celle de la carte interactive qui l’illustre :http://www.newscientist.com/article/mg20126971.700-how-to-survive-the-coming-century.html
http://www.newscientist.com/embedded/mg20126971700-surviving-in-a-warmer-world
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Et pour clore cette série de scénarios, un rapide aperçu d’un article-fiction paru dans le Guardian : nous sommes en 2039. Les sombres prévisions énoncées ci-dessus ne se sont pas réalisées, on utilise la téléportation et on a affaire à des robots pensants. Ceux qui s’en souviennent se moquent gentiment des premières années du millénaire – mais on en cultive une certaine nostalgie. N’est-ce pas le sort de ces décennies sombres qui ne prennent consistance qu’après coup, un peu comme ce qui s’était passé pour les seventies, précisément au début des années 2000 ?

vendredi 22 janvier 2010

De l’artificiel pour l’homme


A mi-2008, époque à laquelle les articles ci-après ont été publiés dans US News & World Report, celui-ci était un hebdomadaire, le n° 3 par sa diffusion aux États-Unis après Time et Newsweek. Un an plus tard il était devenu un mensuel. Mais Courrier International, qui le présente à relativement juste titre comme reflétant la société de l’Amérique profonde, ne s’en est pas encore aperçu. Les scénarios ici sélectionnés sont signés par Nancy Shute. Cela a dû être une petite récréation pour elle puisque, article après article (elle en a rédigé depuis deux ou trois centaines dans ce même magazine), elle passe son temps à conseiller les parents sur leurs rejetons – santé d’abord ou premiers émois de leur puberté. Les adresses Internet pour accéder au texte en anglais se trouvent à la fin de ce billet.

Le premier des deux articles s’intéresse à des prothèses. Le titre choisi par Courrier International (A la rencontre de l’humanité 3.0) donne un coup d’accélérateur et compacte l’original (Will 'Upgrades' enhance our bodies? Engineers are building strong suits and brainy prosthetics; meet humanity 2.0). On y donne trois exemples :

Un exosquelette. On comprend que c’est quelque chose qui est capable d’imiter les mouvements de l’utilisateur humain avec dix fois plus de force, comme la direction assistée d’une voiture. Mais cet exo est-il piloté à distance ? Le titre de l’article en anglais (strong suits) et une illustration apportent la réponse : il s’agit d’une combinaison, bien musclée, que l’on porte. Avec sa curieuse manie de panacher traductions et dessins de provenances différentes (à scénarios américains, dessins espagnols ; à scénario chinois, dessin russe), Courrier International en arrive à confondre créativité et égarement. Ici, le 3.0, c’est plutôt la Ford model T – pas très 21ème siècle. Revenons à notre exosquelette-combinaison : pour le moment, il consomme une énergie telle qu’il lui faut un cordon ombilical d’alimentation plutôt costaud. L’arme au pied, les militaires qui financent attendent une version plus viable.

… Même source de financement – mais à l’étape suivante, pour les anciens combattants qui ont perdu un bras (ou même les deux). Net progrès sur les prothèses héritées du passé, ce qu’on nous prépare y gagnera en légèreté, restituera la sensation du toucher, se rapprochera de la vitesse et de la flexibilité d’un bras normal et, connecté aux nerfs moteurs des bras, permettra notamment d’aller à la pêche ou de se maquiller.

… Allons maintenant au MIT : on y a testé sur des souris de minuscules interrupteurs (comme ceux pour des diodes électroluminescentes) pour allumer ou éteindre des neurones du cerveau en un millième de seconde (Courrier International est prudent : il traduit par un centième). Applications entrevues : Parkinson, cécité, cerveau plus performant, créativité (voir plus haut).


Le sujet du second article est l’alimentation de demain. Dans la version française c’est : Saignant, votre steak in vitro ? Pour US News & World Report c’était : What will we eat in a hungrier world? Making meat without killing animals could fix a lot of problems.

En amont de la partie carnivore de notre alimentation, il y a l’élevage des animaux que l’on va consommer. Or celui-ci présente pour le moins deux défauts : il est écologiquement du mauvais côté de la barrière... et d’un rendement déplorable (de 4 à 20 protéines végétales ingérées pour une protéine animale produite. Mais ne pourrait-on pas produire de la viande sans animaux ?

Après avoir rappelé que l’on cultivait de la peau humaine en laboratoire pour soigner les brûlés, l’auteur de l’article nous livre une formule joliment ramassée : Créer des organes à des fins de greffe est une forme d’art. En revanche, produire suffisamment de viande pour satisfaire la demande mondiale nécessiterait une efficacité et des économies d’échelle façon Wal-Mart. Pour l’instant on reste dans le domaine du minuscule et seule la NASA semble faire des efforts dans l’optique d’une conquête de la Lune ou de Mars.

Nos Médicis d’aujourd’hui (voir le précédent billet – on cite ici la Fondation Gates) s’intéressent plutôt aux végétaux et encore s’agit-il d’amélioration de cultures existantes… Mais il n’y a que 3% d’Américains végétariens et, même en Inde, ceux d’obédience stricte ne dépassent pas le tiers. Or la viande de laboratoire reste horriblement chère et on se demande même si, au cours de la croissance artificielle, il ne faut pas simuler les mouvements de contraction et d’étirement des fibres musculaires quand l’animal bouge…

Last but not least, le peu qui a été produit s’est avéré d’une consistance et d’un goût tels que les téméraires qui s’y sont risqués n’y sont jamais revenus.


Adresse Internet pour l’article "3.0" :
En anglais :
http://www.usnews.com/science/articles/2008/07/24/will-upgrades-enhance-our-bodies.html
En français avec l’illustration Model T :
http://www.scribd.com/doc/24907741/Courrier-International-n%C2%B01000-du-1er-Janvier-2010 (faire défiler jusqu’à la page 27 au sein de cet écran)

Pour l’article "In vitro" (en anglais) :
http://www.usnews.com/science/articles/2008/07/24/what-will-we-eat-in-a-hungrier-world.html

jeudi 21 janvier 2010

Un 21ème siècle européen ?

La famille de l’auteur du scénario américain (voir le billet précédent) avait survécu à la Shoah puis fui la Hongrie pour les États-Unis au moment de la mainmise soviétique. Celui du modèle européen – Parag Khanna – est également américain mais d’une autre génération (il a 32 ans) et né au nord de l’Inde, dans l’Uttar Pradesh. Analyste en vue en matière de relations internationales, il a publié The Second World en 2008. Ce terme recouvre un ensemble de pays, entre le Tiers-monde et le trio des grandes puissances (États-Unis, Union européenne et Chine) qui cherchent à les entrainer dans leurs zones d’influence respectives. On annonce la sortie d’un autre de ses ouvrages chez Random : How to run the World.

Le modèle européen s’impose partout – l’article sur lequel s’appuie Courrier International est paru l’été dernier dans la revue berlinoise Internationale Politik (qui est éditée en allemand, en anglais, en russe et en chinois). La version en anglais s’intitule Europe 2030 : A Postmodern Middle Ages.
http://www.ip-global.org/archiv/volumes/2009/summer2009/download/1de670decc00026670d11de99db33f8315071d171d1/original_209_khanna.pdf

Grèce, Empire romain, Moyen-âge, Renaissance, États-nations… Étape après étape, l’Europe a imprimé sa marque dans le monde. Son économie sociale de marché – lieu d’équilibre entre le capitalisme à l’américaine et étatisme excessivement dirigé – pourrait fournir la bonne réponse sur le chemin qui reste à parcourir vers une gouvernance mondiale. Empires en expansion, croisades, déploiement des communications et du commerce, tissu des universités : avec sa longue période d’incertitudes, un nouveau Moyen-âge s’amorce.

Comme les cités-États d’alors, les villes planétaires actuelles dont la liste s’allonge, deviennent des centres d’activité quasiment coupés de leur ancrage géographique. Elles financeront leur propre défense. C’est à des chevaliers, mercenaires et condottieres du 21ème siècle que sera confiée la sécurité mondiale. Autre liste qui s’allonge : celle des milliardaires parmi lesquels on commence à distinguer de nouveaux Médicis pour demain.

Et l’Union européenne ? L’acquis communautaire a déjà commencé à refondre de l’intérieur les États qui en sont déjà membres. Il pourrait se propager vers la Turquie (pont vers l’Asie centrale et le Proche-Orient) et vers l’Ukraine (et plus loin ?) tout en élargissant son influence dans le Maghreb. De façon plus générale un donnant-donnant entre énergie et développement économique. Sur le plan militaire, en fusionnant ses armées, l’Union européenne sera en mesure de maîtriser son propre espace – et de disposer d’une force d’interventions ponctuelles, sans suivre le chemin (actuellement constaté) des occupations de longue durée.

Ce modèle de gouvernance régionale inspirera les Amériques, l’Asie de l’Est et, jusqu’à un certain point, l’Afrique. Les États-Unis pourraient s’en inspirer également et l’étendre à leur politique étrangère : libéralisation et modernisation de sa périphérie ; attitude moins doctrinaire vis-à-vis d’une Chine qui aura alors achevé de rétablir son statut d’empire du Milieu.

Épidémies, flux migratoires – voire hordes fuyant certaines zones menacées, très lente instauration d’une gouvernance mondiale : nous sommes embarqués pour un long Moyen-âge dans l’attente d’une hypothétique Renaissance.


Plus ramassé (il s’agit d’extraits), un autre scénario proposé par Courrier International (L’islam à la conquête du Vieux Continent ?) jouxte celui qui vient d’être présenté. Il n’a pas été publié à Berlin mais à Vienne, dans Profil, sorte de Spiegel à l’autrichienne.

On prévoit une croissance démographique des musulmans en Europe – mais il faudrait éviter d’en déduire qu’il en résultera une théocratie islamique. Deux des rédacteurs de l’hebdomadaire attirent l’attention sur les points suivants :
Accroissement oui, majorité non. Point de départ actuel : 3,5% de la population de l’Union européenne. Il faudra y rajouter l’immigration et le différentiel de fécondité (qui s’amenuise).
Pas de radicalisation religieuse annoncée : à peine 10% des musulmans nés en Europe sont membres d’une association liée à une mosquée.
Ni anti-démocratie ni pro-théocratie : comme pour le reste de la population autrichienne, les musulmans originaires de Turquie se disent attachés aux valeurs de démocratie et de liberté d’opinion ; les 2/3 prônent une séparation de l’Église et de l’État.
Les musulmans qui ont migré et grandi en Europe ne forment pas un groupe homogène (ni origines, ni traditions, ni priorités qui leurs sont communes).
Une minorité place la religion au-dessus des lois de l’État : si, en Autriche, 45% sont adeptes d’un tel islam politique, ils ne sont plus que 21% à vouloir en intégrer les principes dans la législation nationale.

N.B. – Dans une introduction en forme de scénario-fiction, l’article évoque une république islamique au cœur de l’Europe, qui se serait constituée autour de Vénissieux, près de Lyon. Dans le courrier des lecteurs, une ou deux semaines plus tard, le maire de Vénissieux a réagi en s’exprimant énergiquement.

mardi 19 janvier 2010

Un 21ème siècle américain


Cette année, le politologue américain George Friedman a publié chez Doubleday The next 100 years, a forecast for the 21st century. Ce sont des extraits de l’avant-propos de cet ouvrage que la revue mexicaine Nexos a publiés sous son dossier : México 2080, una profecía geopolítica. Courrier International l'a traduit parmi les scénarios de son numéro 1000 sous le titre : Quand Ankara et Varsovie feront la loi.

Le 21ème siècle sera celui de l’ère américaine… mais pour maintenir leur prédominance, les États-Unis s’emploieront à défaire des coalitions. Déjà, ils ont envahi un monde islamique où certains cherchaient à recréer un grand empire, un califat, et à les frapper.

Contrairement à ce que l’on pense, la Chine ne posera pas grand problème : elle est géographiquement bordée, sa puissance maritime est insuffisante et sera lente à se reconstituer, et elle a systématiquement été en prise à des instabilités internes chaque fois qu’elle a tenté de s’ouvrir.

Nouvelle guerre froide avec la Russie
Viendra alors le temps d’une nouvelle guerre froide avec la Russie qui aura cherché à recréer son ancienne sphère d’influence… mais qui s’effondrera de nouveau en raison de sa faiblesse démographique et celle de ses infrastructures, plus ses problèmes intérieurs.

Quelques puissances intermédiaires et une guerre mondiale
C’est sur cette toile de fond qu’au milieu du siècle on peut s’attendre à voir ré-émerger quelques puissances intermédiaires. Sans doute le Japon – mais ses faiblesses démographiques et sa répugnance envers l’immigration seront des handicaps. Ensuite la Turquie, déjà économiquement et militairement forte, plate-forme de stabilité au sein d’un environnement qui l’est moins, et dont le passé (Empire ottoman) témoigne de sa capacité à dominer le monde islamique. Mais aussi la Pologne dont la puissance fut réelle – de la Baltique à la Mer Noire – jusqu’au 16ème siècle. Voisine d’une Allemagne peu encline à se colleter avec la Russie et au dynamisme économiquement effrité (démographie toujours), la Pologne sera initialement soutenue par les États-Unis face à cette même Russie et fédèrera autour d’elle les pays qui y résisteront.

L’auteur s’attend à ce qu’entre les États-Unis et ces trois puissances renaissantes une nouvelle guerre mondiale se déclenche.
[N’ayant pas lu le livre, je n’ai pas d’idée précise sur l’issue de cet épisode. Mais le commentateur des Izvestia (voir la référence à la fin de ce billet) n’a pas manqué de remarquer que, une fois la Chine mise hors jeu, les trois puissances désignées ont pour particularité d’encadrer la Russie. L’ironie de la situation viendrait de ce que, une fois la Russie supposée s’être à nouveau effondrée, c’est aux puissances qui l’entourent et qui y ont sans doute contribué, que les États-Unis sont conduits à s’attaquer.]

Démographie, énergie, technologie
A la recherche des facteurs les plus déterminants, il prédit que les décennies à venir vont être marquées en profondeur par la fin de l’explosion démographique amorcée il y a plus de deux siècles. La population mondiale aura fini par se stabiliser. Au même moment, les pays industrialisés avancés vont se dépeupler significativement – d’où une grande pénurie de main d’œuvre et une concurrence entre eux en matière d’immigration.
[Voici les estimations que j’ai recueillies : le premier milliard d’habitants a été franchi vers 1800, le 2nd vers 1930 (+130 ans), le 3ème vers 1960 (+30), le 4ème vers 1975 (+15), le 5ème vers 1987 (+12), le 6ème en 2000 (+13) ; on prévoit le 7ème en 2013 (+13), le 8ème vers 2026 (+13) et le 9ème vers 2047 (+21).]

Cela ne suffira pas pour assurer la viabilité du système de production qui devra faire appel à encore plus de technologie. Or celle-ci aura reçu de nouvelles impulsions pour des raisons militaires, à l’occasion des bras-de-fer planétaires évoqués plus haut et des retombées civiles ne manqueront pas. Autre souci, autre recours à la technologie ainsi qu’à des interventions étatiques : prendre le relais des hydrocarbures en matière de ressources énergétiques.

Sans oublier le Mexique
Ce recentrant enfin sur continent nord-américain, George Friedman pronostique que vers la fin du siècle le Mexique entrera en conflit avec son puissant voisin pour récupérer les territoires qu’il avait été obligé de lui céder en 1848 et qui – immigration aidant – seront alors majoritairement peuplés de Mexicains.

[La traduction de Courrier International est accessible contre paiement sur son site. Un texte plus complet, en espagnol, l’est librement sur celui du magazine mexicain Nexos. Certains organismes ou journaux français ont rendu compte de l’ouvrage ou d’articles s’y référant. Par ailleurs, la revue de presse en français de l’Agence d’État RIA-Novosti commente un récent article des Izvestia sur ce sujet. Quelques sites :
http://www.nexos.com.mx/?P=leerarticulo&Article=552
http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2009/12/30/04016-20091230ARTFIG00495-le-mexique-future-puissance-selon-george-friedman-.php
http://www.strategie.gouv.fr/IMG/pdf/Ozalids_21.pdf (voir à la page 3)



lundi 18 janvier 2010

Rétro-prospective


Till me signale que, coïncidence, Courrier International a sorti son numéro 1000 – pile le 1er janvier. Étrange ? Non, normal : les quatre pionniers qui avaient envie et qui ont à l’époque réussi à faire partager leur intérêt pour ce qui se publie tout autour de la planète, l’ont lancé un an après la chute du mur de Berlin. Plus de 19 ans et 52 semaines par an – le compte est bon. Rachat 4 ans plus tard par le groupe propriétaire de l’Express et du Point (celui des fondateurs qui le dirigeait a été licencié dans l’année qui a suivi). Fin 2001, le titre atterrit dans l’escarcelle du Monde. Concédons un chouïa de professionnalisme en plus… en revanche un supplément d’âme relativement laminé.

On pouvait s’y attendre : le lecteur a le droit à un coup d’œil obligé dans le rétroviseur. Mais, sous prétexte de chiffre rond, le fin fond de l’événementiel c’est de vendre ce même lecteur pour de la pub. Gagné ! 40% de la pagination y est consacrée (contre 25% et 12% respectivement pour les deux numéros ordinaires suivants). Et cette réclame va pour un lecteur fana de tourisme et de destinations lointaines à 35%, de parfums et d’alcools à 25% et d’autos-motos à 12% – belle compagnie.

Dans ce rétroviseur que voit-on ? A priori 50 couvertures chocs et 100 petites phrases – en fait, une surreprésentation du passé proche. Le poids des couvertures ne relève pas du choc : l’évocation mosaïque de ces deux décennies se suffit. Quant aux petites phrases, mieux vaut être indulgent. Plus curieux est que la période des pionniers est sous-représentée et que celle managée par l’actuelle équipe rafle la plus grande partie de la mise : les années 1990-94 comptent chacune pour un quart tandis que chacune de celles de 2002 à maintenant pèsent 8 fois plus pour les petites phrases et 5 fois plus pour les couvertures – la pondération pour les années intermédiaires est entre les deux.

Passons sous silence un supplément – pages centrales (ad usum delphini ?) pour les insiders qui ont dû se repasser le trousseau de clés – tiré à quelques 200 000 exemplaires comme le reste. Mentionnons les 1000 merci (en fait, moins de la moitié) en autant de langues : qui pourra, sans rougir, dire qui dit ici merci à qui ? Je me doutais qu’il y avait environ 1 milliard de locuteurs de 1ère ou 2ème langue à pouvoir respectivement dire merci en mandarin, en anglais et en hindi ou approchant… mais j’y ai appris qu’ils n’étaient guère plus d’une douzaine à pouvoir l’exprimer en itzà (Guatemala), en cahuille (États-Unis), en vod (Russie) ou en livonien (Lettonie).

Restent une dizaine de scénarios pour le futur dont, par leur diversité, quelques uns permettent d’ouvrir la réflexion : si cette initiative est une illustration de la devise l’anticipation au quotidien que semble avoir adoptée le magazine, tant mieux – sans oublier pour autant le quotidien. Je retiendrai ici :

Quand Ankara et Varsovie feront la loi.
Le modèle européen s’impose partout.
L’islam à la conquête du Vieux Continent.
A la rencontre de l’humanité 3.0.
Saignant votre steak in vitro ?
Si la température montait de 4°c…
Les années 2000 dans le rétroviseur.


Qui trop embrasse, mal étreint dit le proverbe. C'est ainsi que chacun de ces scénarios recèle un évident avantage : il explore avec une profondeur certaine un des aspects de nos avenirs potentiels. Focalisation dont je suis reconnaissant aux auteurs. Il nous reste en revanche, en passant de l'un à l'autre, à saisir en quoi les différentes dimensions qui s'y déploient interfèrent entre elles – ce qui nous invite à progresser quelques pas plus avant.
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Si je me propose de donner un aperçu condensé de ces articles dans quelques billets suivants, c’est bien que je les ai appréciés. Mais ce n’est qu’un avant-goût qui, selon les intérêts de une ou de untel, ne remplacera pas une consultation plus directe, voire de remonter aux articles originaux, voire de se plonger dans les ouvrages qui les ont inspirés. Comme à l’habitude je tâcherai d’en fournir les références.
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Site de Courrier International : www.courrierinternational.com

dimanche 3 janvier 2010

2009 – Cinéma


Je rejoins en partie un commentaire qui faisait suite à un billet de la RDL de Pierre Assouline d’il y a six mois : Pendant des années, j’ai lu Les Echos par nécessité professionnelle… ce n’était pas vraiment ma tasse de thé. Mais j’avais une compensation : les articles de sa rubrique culturelle, souvent sous la plume, si je ne me trompe, d’Annie Coppermann. Cette dernière ne semble pas, depuis, avoir cessé de fréquenter les salles obscures. C’est naturellement le site lesechos.fr qui l’accueille : depuis avril dernier, elle nous livre chaque semaine ses coups de cœur et ses coups de griffes sur les films qui sortent en salle. Il s’agit de textes sobres, s’appuyant sur une bonne connaissance du domaine, qui n’excluent pas la sensibilité, informatifs pour le lecteur et faisant le partage entre une critique si possible objective et le point de vue personnel.

Comme pour les revues précédentes, ce sont ici des condensés, souvent à base d’extraits rattachés les uns aux autres. Pour en avoir un cœur plus net, aller sur :
http://blogs.lesechos.fr/article.php?id_article=78
Je ne les ai pas comptés mais cela doit faire une bonne centaine de films analysés, sans compter à chaque fois le rappel en fin de billet de ceux sortis depuis déjà plusieurs semaines (ou d’autres plus anciens qui refont surface) et qu’il serait préférable de ne pas manquer.

24 avril 2009 (premier billet à la création du blog)
Les films à voir ou à éviter cette semaine…On ne voit qu’elle, partout. Avec ses grands yeux noirs et sa cigarette vissée au coin de sa jolie bouche, sauf dans les couloirs du métro, où fumer est interdit aussi sur les murs : Jacques Tati doit en rire silencieusement dans sa tombe… Elle ? Audrey Tautou, devenue vraie comédienne au fil d’une carrière qui aurait pu plus mal tourner. Mais est-elle la vraie Coco avant Chanel, comme veut nous le faire croire le titre et dont la sortie égale presque en matraquage celle, la semaine dernière, d’OSS 117 ? Certes, le scénario a été puisé dans le livre d’Edmonde Charles-Roux. Certes, Karl Lagerfeld a ouvert ses locaux de la rue Cambon… Mais si ce film sage, gentiment romantique et très académique, nous en donne pour notre argent, on ne parvient pas à s’y passionner.

Evidemment, si l’on compare avec l’autre film français de la semaine … Coco avant Coco est un pur chef-d’œuvre. Mais faut-il comparer ? Mieux vaut, oubliant votre chauvinisme, préférer le magnifique Still walking, du japonais Kore-Eda Hirokazu. Dans des images limpides, des cadrages que l’on devine très travaillés – on pense souvent à Ozu, mais un Ozu contemporain - menus incidents, regards, silences en disent bien plus que les rares dialogues … Tout est là, le poids de la vieillesse, les regrets, le temps qui passe et n’efface rien, les barrières qui, derrière les sourires, séparent les générations. Avec un mélange fluide de tendresse et de cruauté feutrée, non exempt d’éclairs d’humour, Kore-Eda nous retourne le cœur. Un très beau film.


3 juillet 2009 – Woodyssime !
L’été du cinéma démarre en beauté. Trois films à voir cette semaine (sur six nouveaux, un ratio que l’on aimerait retrouver tout au long de l’année !). Voilà qui peut consoler tous ceux qui sont encore dans la fournaise des villes…

Celui qu’il ne faut pas manquer, c’est Whatever works. Tourné vite fait bien fait sur un scénario vieux de trente ans, il campe un vieux misanthrope juif, hypocondriaque (c’est Larry David) qui abreuve ses amis de Greenwich Village et ses auditeurs (nous, il nous parle d’ailleurs les yeux dans les yeux !) de jugements à l’emporte-pièce sur la vie qui n’est que misère et les humains qui ne sont que des veaux… Ex génie de la physique, ex suicidé sauvé par le hasard, il bute sur une SDF mineure et ravissante (Evan Rachel Wood, la nouvelle Scarlett Johansson ?) qui s’accroche à ses basques et à son appartement de célibataire. Elle s’appelle Melody, elle vient du Sud, elle est assez sotte et totalement ignare. Que croyez-vous qu’il arrive alors ?

Vous avez trouvé ? Tout peut arriver, et tout arrive. Whatever works, en somme, c’est la nouvelle philosophie du vieux bougon : tout ce qui marche est bon à prendre, au diable la morale et la raison. Séduisant, non, comme devise pour nos vacances !
Avis d'Annie Coppermann : A 73 ans, Woody Allen nous donne une leçon de jeunesse. Et, mais oui, d’optimisme. Drôle, tendre, lucide, savoureux, malgré quelques chutes de tension bien pardonnables, Whatever works, son 41ème film, sauf erreur, est une délicieuse… comédie pour une nuit d’été.
Le deuxième film est à voir en famille. Toujours en animation, mais cette fois en relief (avec des lunettes spéciales, à rendre à la sortie), L’Âge de glace 3 est à vrai dire, on s’y attendait, le moins réussi de la série. C’est une histoire de… désir d’enfant. Le début est drôle, la suite un peu longuette. Heureusement, le combat de l’écureuil avec son gland géant vient, à point nommé, relancer le rythme.
Avis d'Annie Coppermann : Les enfants (de tous âges, ici les petits ne risquent pas d’avoir peur) devraient aimer, et les parents ne pas trouver le temps trop long.
Le troisième, Le Hérisson, n’est autre que l’adaptation d’un véritable phénomène de l’édition qui a tenu la tête des ventes pendant près de deux ans (1,2 millions d’exemplaires) et traduit dans 40 langues. Ses atouts : d’abord une vraie fidélité à l’esprit du livre, la rencontre d’une gamine de 12 ans surdouée et suicidaire et de la concierge, solitaire et revêche qui cache en fait, dans le fond de sa loge, une pièce secrète : une immense bibliothèque où tous les soirs, ses poubelles sorties, elle va se réfugier. Ensuite, l’habile transposition d’une construction a priori trop littéraire pour être adaptée : le journal de bord de la gamine dans le livre devient ici film vidéo. Et surtout, deux formidables interprètes, Garance Le Guillermic, sidérante en petite binoclarde au QI vertigineux, et Josiane Balasko, étonnante en épouvantail, toutes griffes dehors, qui peu à peu s’humanise (sans compter l’élégant Togo Igawa, Anne Brochet, ou encore Ariane Ascaride).
Avis d'Annie Coppermann : A la fois modeste et sensible, sincère et habile, ce Hérisson a l’élégance… du cœur. Un coup d’essai attachant.

23 octobre 2009 – Les racines du mal ?
Si vous n’aviez pas vu venir les vacances de la Toussaint, les affiches de cinéma vous remettront vite à l’heure. Pas moins de trois films d’animation, et l’arrivée, en live, du lonesome cow-boy Lucky Luke, qui tire sûrement plus vite que son ombre : l’heure est aux sorties familiales.

Mais rassurez-vous, vous n’êtes pas oubliés pour autant : c’est aussi cette semaine que sort, très attendu, le film qui a obtenu la palme d’or du dernier Festival de Cannes : Le Ruban blanc, de Michael Haneke. Dixième film de l’Autrichien connu pour sa fascination horrifiée de la violence et l’hermétisme déstabilisant de ses scénarios, ce Ruban blanc est, incontestablement, un film hors normes. Très beau, très noir, très dérangeant. Aussi difficile à aimer qu’à oublier. Bref : à voir !

Nous sommes en 1913 à la veille de la Grande Guerre, dans un petit village allemand bien loin des bruits du monde. C’est en son cœur que le feu couve. Tout commence par la mauvaise chute du médecin. Peu après, l’ouvrière de la scierie voit le plancher s’effondrer sous ses pieds et meurt sur le coup, prélude à l’étrange saccage d’un champ de choux. Une grange brûle, le fils du baron est méchamment battu, celui de la sage femme sauvagement torturé… A chaque fois, des enfants apparaissent, toujours blonds, lisses, énigmatiques… La violence régit aussi les relations entre ces enfants, beaux et graves, et leurs parents. Le pasteur, après avoir administré derrière une porte fermée quelques sévères coups de bâton à ses aînés tentés par la désobéissance, accroche à leur bras ce ruban blanc qui doit leur rappeler leur devoir de pureté et d’innocence…

Où donc Haneke veut-il en venir ? Recherche-t-il, dans l’intégrisme religieux, l’éducation répressive, les prémisses d’un fascisme qui se déchaînera vingt ans plus tard ? Ses enfants blonds sont-ils les futurs nazis ? Il ne le dément pas, tout en affirmant qu’il ne faut pas voir, ici, une parabole de la seule Allemagne. Pour lui, il s’agit plutôt de décortiquer les racines de n’importe quel terrorisme, politique, ou religieux. Dont acte. Même si l’on sort plus déconcerté que convaincu…
Avis d'Annie Coppermann : Magnifique dans la forme, déroutant sur le fond, intrigant, oppressant : un film rude mais éblouissant, qui rappelle que le grand cinéma n’est pas forcément confortable, et mérite amplement sa palme d’or.
Encore peu mobile (à cette époque, la rédactrice du blog se remet d’une opération – relativement immobilisée et loin de Paris, elle se cantonne à visionner des DVD), je n’ai pas vu Sin nombre, premier film de Cary Fukunaga, un jeune Américain d’origine suédo-nippone… Primé à Sundance et à Deauville (*), ce train movie alliant violence et amour a, dans l’ensemble, suscité les louanges de mes confrères… C’est tout ce que je peux vous en dire… J’ai, en revanche, pu visionner sur DVD deux petits films marginaux, certes, mais qui, chacun, ont un réel intérêt.
(*) Le festival de Sundance (dans l'Utah) en janvier, et le festival du film américain de Deauville en septembre, ont progresssivement focalisé l'attention sur des films indépendants des circuits hollywoodiens.
Le premier, Rachel, est dû à la franco-israélienne Simone Bitton. Elle a enquêté sur la mort, au sud de la bande de Gaza, d’une jeune pacifiste américaine, venue en Palestine pour tenter d’aider la population palestinienne. Elle vivait chez l’habitant et tentait, quand s’approchaient chars et bulldozers israéliens, de dissuader les soldats qui les conduisaient d’aller plus loin. Elle a été, ce jour-là, heurtée, poussée, renversée, engloutie, on ne saura jamais, par un bulldozer devant lequel elle s’était couchée pour l’empêcher d’aller détruire la maison de son hôte… L’enquête est minutieuse, la reconstitution émouvante, parfois insoutenable, les conclusions… aussi. Tout comme ce que l’on découvre, en même temps, sur le quotidien des habitants de cette terre dévastée aux frontières de l’Egypte.
Avis d'Annie Coppermann : Sur la mort, en 2003, d’une jeune pacifiste américaine à Gaza, une enquête minutieuse et troublante. Un nouveau pavé dans la mare désespérément sans fond du conflit palestino-israélien.
L’autre petit film, Winnipeg mon amour, se présente, lui aussi, comme un documentaire, mais ne l’est qu’à moitié. Signé Guy Maddin, il y est question de Winnipeg, la ville natale du cinéaste. Une ville qu’il aime et déteste à la fois et dont il raconte l’histoire à travers l’évocation d’évènements bien réels mais aussi le souvenir, sans doute fantasmé, de séances de spiritisme de notables, et de cadavres de chevaux, tués dans l’incendie de l’hippodrome, que l’on allait voir émerger de la neige…

Avis d'Annie Coppermann : Entre documentaire et rêverie surréaliste, une promenade nostalgique, un peu hypnotique, entre absurde et poésie, et non sans charme. A réserver aux curieux… et aux cinéphiles soucieux d’actualité : l’œuvre de Guy Maddin fait actuellement l’objet d’une rétrospective au Centre Pompidou (jusqu’au 7 novembre) dans le cadre du Festival d’automne.

C’est pourtant une autre rétrospective que je vous recommande de ne manquer en aucun cas : celle que la Cinémathèque consacre à Federico Fellini. Elle offre, jusqu’au 26 décembre, la possibilité de revoir la totalité de l’œuvre irremplaçable du Maestro, disparu en 1993, Cependant que La dolce vita, qui aura cinquante ans bientôt et réunit Marcello Mastroianni, Anita Ekberg et Anouk Aimée, ressort dans les salles. Incontournable !

S’il vous reste un peu de temps, vous pourrez retrouver Sergio Leone, avec la re-sortie, en version anglaise intégrale restaurée, de Il était une fois la révolution.

Ce n’est pas tout. Impossible de ne pas vous signaler, enfin, la re-sortie en salle d’un de mes films cultes, l’un de ceux qui m’ont fait tourner, jadis, la tête : Le Diable au corps, de Claude Autant-Lara, d’après le roman de Raymond Radiguet. Vous l’aurez deviné : j’étais amoureuse de Gérard Philipe. Vous ne connaissez pas ? Courez-y !



6 novembre 2009 – Le cinéma a le sourire

Ce sont les fantasmes qui mènent la danse dans le film le plus incontournable du jour : Les Herbes folles, d’Alain Resnais. Le plus jeune de nos cinéastes, 87 ans, y cède avec une gourmandise débridée. Brisant toutes les conventions, comme les herbes folles du titre, brisent l’asphalte de nos rues pour pousser, inconvenantes, en pleine ville…

Tout commence par un vol à l’arraché du sac d’une acheteuse de chaussures. Et, pendant un long moment, pas grand-chose de la dame. Un homme accapare en effet l’image : il rentre chez lui, en banlieue, quand il trouve, dans le parking où il avait garé sa voiture, le portefeuille de celle-ci… Bon, je ne vais pas continuer à ce rythme. Resnais le fait, bien mieux que moi, sautant du coq à l’âne, multipliant les bizarreries. Sachez juste qu’ils se rencontreront enfin à la sortie d’un cinéma. Et qu’ils finiront par… Irracontable, sans queue ni tête, préservant un mystère jamais écorné.

A Cannes, le jury a rendu les armes. En donnant au réalisateur un prix exceptionnel pour ce film qui, d’une certaine façon, renvoie à toute son œuvre tout en témoignant d’une jeunesse rafraîchissante.

Avis d'Annie Coppermann : Inclassable, potache, surréaliste, somptueusement interprété, un film qui tranche avec le reste de la production. Alain Resnais le maître joue les trublions adolescents avec une malice que l’on ne peut qu’applaudir. Mais attention : si vous n’avez jamais été tenté de manger les croquettes de votre chat (allez-y, vous comprendrez !) il se peut que la magie, sur vous, n’opère pas tout à fait. Je l’avoue, ce fut mon cas… Ce qui ne m’a pas empêché de sortir avec le sourire !
Le sourire, il ne m’a pas souvent quittée en regardant Away we go, le nouveau film, lui aussi inattendu, de Sam Mendès. Interprété par des inconnus pas particulièrement glamorous et d’autant plus sympathiques et crédibles, L’arrivée d’un bébé va changer leur vie de grands enfants irresponsables. Lancés sur les routes à la recherche d’amis sûrs et d’exemples d’équilibre familial, ils iront de déconvenues en déconvenues. Mais le spectateur, lui, se régalera.

Avis d'Annie Coppermann : Un film américain totalement en marge des normes, sans vedettes, sans vraie histoire, tout en malice gentiment vacharde, et le portrait d’un couple formidablement attachant auquel on s’identifie volontiers : un petit bonheur !

Jamais deux sans trois : avec Le Concert, on sourit, on rit même et, à la fin, on pleure, de pure émotion. D’accord, Radu Mihaileanu, réalisateur d’origine roumaine dont j’avais autant aimé, naguère, Vas, vis et deviens que Train de vie, ne fait pas, ici, dans la dentelle. Mais, sur une histoire, encore, d’imposture, sur le thème, encore, de l’antisémitisme et de l’intolérance, il ne peut, malgré quelques scories, laisser insensible le spectateur de bonne foi.

L’histoire est inspirée d’un fait réel : un grand chef d’orchestre soviétique, naguère célèbre dans le monde entier, ne se console pas d’avoir été, brutalement, mis au placard, il y a trente ans, pour avoir voulu protéger ses musiciens juifs. Devenu homme de ménage au Bolchoï, il rêve toujours de ce concerto sublime de Tchaïkovski où il avait, semble-t-il, atteint la quasi perfection avec ses musiciens et qu’un sbire du régime d’alors avait interrompu en pleine représentation, et pour toujours. Alors, quand une nuit il voit arriver sur le fax du Bolchoï une invitation pour le Châtelet, à Paris, il a une idée : interceptant l’invitation, il va l’honorer lui-même, en reconstituant son équipe pourtant éparpillée aux quatre coins de Moscou, et qui a le plus souvent totalement rompu avec la musique. Un pari insensé qui, pourtant, sera gagné…

Bien sûr, la première partie, satire farcesque du régime communiste, joue sans complexes la caricature. Lourde, mais, confessons-le, parfois très drôle. Bien sûr, l’arrivée, si improbable, de toute la bande, comparses tziganes en prime, est totalement invraisemblable. Bien sûr, l’intrigue sentimentale est un peu tortueuse (mais a le mérite de nous laisser nous fourvoyer jusqu’à la fin). Mais n’écoutez pas les pisse-vinaigres qui font la fine bouche : la dernière demi-heure rachète tout !

Avis d'Annie Coppermann : Tourné, en partie, sur la place Rouge et dans la salle du Châtelet, réunissant une brochette de comédiens russes remarquables et, auprès de Miou-Miou, l’exceptionnelle, décidément, Mélanie Laurent, ce film à la fois populaire, dénonciateur et romantique dans le meilleur sens du terme fait chaud au cœur. Et, en prime, du bien aux oreilles, grâce au sublime concerto de Tchaïkovski dont l’exécution filmée au plus près du visage de la soliste soulève, au dernier tiers du film, une émotion dont on n’a jamais honte. Ne vous en privez pas.

vendredi 1 janvier 2010

2009 – Années 1900


Une de nos connaissances qui aime et sait écrire et peindre, et à qui théâtre et cinéma sont loin d’être étrangers, a entre autres passions de rassembler ce que l’on peut savoir sur telle ou telle personne remarquable qu’elle s‘est choisie. Il peut en sortir un ouvrage ou une pièce. C’est Coco Chanel qui requiert pour le moment une grande part de cette énergie. Elle a un jour laissé filtrer : "Je suis raide dingue de Clemenceau."

C’est à la même époque que mon œil a été attiré par la présentation qui ouvre le blog
Il y a un siècle. Son principe, en effet, est que nous sommes il y a 100 ans et qu’un fonctionnaire, proche de Georges Clemenceau et bien placé du ministère de l'Intérieur raconte son quotidien personnel et professionnel – il fait ainsi revivre au lecteur la Belle Époque… comme si on y était. Et ceci, pratiquement jour pour jour. La lecture m’en a plu et me semblait fournir par ailleurs quelques pistes pour notre détective et amie.

Le blog ayant débuté voici plus de deux ans, ce sont 500 épisodes ou plus que l’on peut ainsi parcourir. Clemenceau ? Les affaires gouvernementales ? Celles du ministère de l’Intérieur ?... Finalement pas tant que ça – mais plutôt un merveilleux prétexte pour s’imprégner de la vie de l’époque.

Quelques aperçus - reconstruits à partir d’extraits – se référer au blog pour disposer de l’intégralité :
http://ilyaunsiecle.blog.lemonde.fr/

9 juillet 1908 : La conscience de Clemenceau

En fin de journée, Georges Clemenceau me fait venir dans son bureau. "Vous pouvez vous libérer ce soir ? Je dîne avec une rude femme et je ne veux pas que nous soyons vus, seuls, elle et moi. J’apprécierais donc que vous soyez présent…" Je retrouve mon patron vers 8 heures au Bouillon Chartier du boulevard du Montparnasse. Ce restaurant a été récemment rénové dans le style Art nouveau. Nous attendons l’inconnue dont il ne m’a pas dévoilé le nom.

Je vois une femme d’une cinquantaine d’années, avec beaucoup d’allure, qui se dirige d’un pas décidé vers nous. C’est Séverine, l’écrivain journaliste. Elle a couvert des évènements marquants de ces derniers temps. Je me rappelle ses articles sur l’Affaire Dreyfus ou ceux décrivant les conséquences de plusieurs catastrophes minières. Clemenceau l’interroge sur ses occupations actuelles. Elle lui répond avec un peu d’insolence et beaucoup d’ironie : "Mais, Monsieur le Président, vos rapports de police ne vous disent pas tout ? Je continue à fréquenter les anarchistes que je défends à chaque procès ; je m’engage pour le vote des femmes ; les militants pour la paix m’ont demandé de les rejoindre… Comme vous le voyez, je n’ai pas le temps de m’ennuyer. Mais, pourquoi avez-vous souhaité me rencontrer ?"
- "Vous êtes pour moi comme une …conscience. Mes fonctions m’obligent à être le premier flic de France. J’ai la nostalgie de ces moments où nous étions dans le même camp pour défendre Dreyfus, où nous étions au bord de la légalité pour défendre un innocent."
- "C’est vrai que vous semblez avoir tout oublié de l’homme de gauche intransigeant que vous étiez. Je suis scandalisée par la façon dont votre gouvernement se comporte dans la grève des carriers. Envoyer la troupe ! Que vous ne fassiez pas aboutir des textes plus protecteurs pour les mineurs. Que les radicaux s’opposent au vote des femmes. Tout cela me pousse progressivement dans les bras de vos opposants les plus durs, Monsieur le Président du Conseil."

Georges Clemenceau écoute silencieusement. La dureté des reproches l’atteint. Ce soir, c’est un homme tout simple qui accepte délibérément d’écouter le jugement que l’on porte sur ses actes. Séverine arrêt d’un coup sa vindicte. Sa voix s’adoucit : "Je ne voulais pas vous peiner. C’est courageux d’accepter d’entendre une vieille dure à cuire comme moi !" La conversation devient alors plus légère. Je regarde, ébahi, ce tableau improbable. Deux caractères entiers, deux blocs d’idéaux. Les deux convives sont fascinés l’un par l’autre. Ma présence semble leur peser. Avant le dessert, je trouve un prétexte pour m’éclipser. Je ne sais pas comment a fini le repas…

29 juin 1909 – Picasso apprend le dessin à ma fille

"Laisse ton crayon courir sur la feuille. Garde la main souple. Repense bien à ce que tu veux dessiner et représente-le vu du dessus, du dessous et d’à côté." C’était il y a deux mois : ma fille Pauline était ravie d’écouter Pablo Picasso lui montrer comment faire un beau dessin. L’artiste, croisé plusieurs fois chez les marchands de tableaux Kahnweiler ou Vollard, est devenu un ami de la famille. Nous le rejoignons parfois jusqu’à son atelier ; plus fréquemment, il vient prendre un verre à la maison.

"Il revient quand Tonton Picasso ?" Je rappelle à ma petite que celui-ci est rentré pour plusieurs mois dans son Espagne natale. "Tu vois, là-bas, il va nous faire des tableaux de montagnes avec du marron, du jaune et beaucoup de soleil." Ma fille prend une feuille : "Je veux faire comme Tonton Picasso. Des carrés, quelques ronds et beaucoup de couleurs." Pauline se concentre. Un quart d’heure après, le dessin s’achève. En me demandant de poster son chef-d’œuvre pour notre ami en Espagne, elle me signale qu’elle se met maintenant à faire des découpages. "Il devrait faire comme moi, Tonton Picasso : des découpages… ça va encore plus vite que de faire un dessin et c’est rigolo."

Avec attendrissement, je regarde ma cadette et repense à cette phrase de notre ami peintre : "Dans chaque enfant, il y a un artiste. Le problème est de savoir comment rester un artiste en grandissant."

22 octobre 1909 – T comme Triple Entente

La France a mis fin à son isolement, solidement, durablement. Elle avait été mise à genoux pour la puissante Prusse lors de la guerre en 1871 et était sortie de ce conflit diminuée d’un point de vue territorial et coupée du reste de l’Europe

Triple Entente. Mot magique qui protège la France contre tout mauvais sort ? Le 17 août 1892, notre pays signe un premier accord militaire secret avec la Russie du tsar qui aboutit à une alliance plus complète en fin d’année suivante. Le 8 avril 1904, notre ennemi héréditaire anglais devient notre ami et nous l’embrassons pendant les longues fêtes liées à l’Entente cordiale. Parallèlement, la Russie et le Royaume-Uni signent un traité le 31 août 1907 aboutissant à délimiter leur influence respective en Perse et en Afghanistan.

Par ce dernier document naît donc une Triple Entente qui ne demande qu’à se renforcer. Deux pays avec une armée puissante et une démographie dynamique épaulent dorénavant notre République et nous aident à faire face à la puissante Allemagne, elle-même engagée dans une triple Alliance avec l’Autriche et l’Italie.

Avantage : les petites humiliations presque quotidiennes que devaient subir la France de la part de l’Allemagne de Bismarck dans les années 1880, ont disparu. Notre pays, nos frontières et nos marges de manœuvre diplomatiques sont maintenant respectées par un Kaiser qui se méfie, de surcroît, d’une Entente qui l’oblige à séparer ses forces entre l’est russe et l’ouest français.

Inconvénient : la course aux armements prend de l’ampleur. Les dépenses en faveur de la marine et de l’équipement des troupes terrestres n’ont jamais été aussi importantes dans les grands pays d’Europe. On astique canons et fusils, on augmente le nombre de régiments mobilisables en préparant des plans d’invasion ou de défense.

5 novembre 1909 – Proust joue une musique qui n’existe pas

Les notes s’enchaînent comme dans un rêve. L’imagination suit les mains du pianiste et chaque phrase musicale donne naissance à une nouvelle sensation. Ah, cette sonate de Saint-Saëns ! Après l’avoir découverte dans les cahiers que Marcel Proust me demande de relire, j’ai tenté de la retrouver dans toute la discographie disponible, j’ai épluché les programmes des concerts récents, interrogé des amis. Recherche infructueuse, résultats frustrants. Je retrouve Proust pour une partie de dominos dans un bouillon parisien : "Cette fameuse sonate que vous citez, cette petite phrase musicale qui symbolise l’amour entre Swann et Odette, où puis-je la retrouver ? Vous parlez de Saint-Saëns ?"

Marcel réfléchit un instant et me glisse : "Cela pourrait être aussi des quatuors de Beethoven, une Ballade de Fauré… Dans le trouble de votre esprit, vous ne savez ce qui provient de la remontée de souvenirs, d’un travail de mémoire car vous constatez que la musique elle-même vient ajouter des sensations jusque-là inconnues, nouvelles et émouvantes. Je n’aurais pas dû citer dans mon texte le nom de Saint-Saëns. J’écris en fait sur une musique qui n’existe que dans mon roman, des notes que seuls mes lecteurs peuvent entendre s’ils se laissent emporter par mon texte. On rêve tous d’une musique merveilleuse et jamais entendue, d’un choc musical et esthétique qui fait presque basculer notre vie dans un avant et un après. C’est cette émotion que je souhaite faire partager, que je voulais décrire tout en préservant son côté insaisissable."

Avouons-le – je me suis volontiers laissé entrainé à parcourir ces « notes » prises au jour par celui que l’on surnommait Olivier le Tigre (dont on découvre même le CV qui explique la multiplicité de ses contacts et de ses intérêts : né en 1868, fils d’instituteurs, lycée Condorcet, Normale Sup, Science Po, Conseil d’État, et la suite… marié et père de 3 enfants). Beaucoup était beaucoup mais pas encore trop – avec, peut-être une envie de croire au Père Noël. Jusqu’au moment où le responsable du blog nous apprit que la suite (l’année 1910) faisait l’objet d’un livre qu’il avait entièrement rédigé et qu’il serait astucieux de mettre dans la hotte du susdit.

Par la même occasion, se dévoilait son nom
: Olivier Maniette, la quarantaine, assurant des responsabilités dans une grande administration publique… Au vrai, il ne s’en était pas tellement caché puisqu’il avait répondu à ce sujet au début de 2008 sur Blogonautes. Commentaire beaucoup plus récent, sur le site d’Amazon, par quelqu’un qui semble assez bien le connaître :
"Olivier Maniette n'est pas plus écrivain qu'il n'est historien. C'est un passionné d'Histoire, qui a accumulé une somme de savoir sur la troisième république. Il dresse ainsi un panorama extrêmement documenté sur notre histoire récente, et porte un regard amusé sur les mœurs politiques."
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Illustration : Portrait d'Adèle Bloch-Bauer par Gustav Klimt (1907)
Sur Coco Chanel : voir le blog http://ancavisdei.blogspot.com/
Sur Séverine : voir le blog http://seine-vistule.blogspot.com/ (juillet 2009)