dimanche 27 juin 2010

A mi-2010 – Articles du Temps


Ce qui suit regroupe quelques condensés d’articles de fond récents, parus dans le quotidien suisse de langue française, Le Temps. On peut en prendre connaissance sur le site Internet du journal : http://www.letemps.ch/ ce qui permettra d’aller plus en profondeur que l’assemblage d’extraits qui est ici fourni.
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Voici la généalogie du Temps : Créé en 1798, Le Peuple vaudois devient la Gazette de Lausanne en 1803. En 1991, celle-ci est absorbée par Le Journal de Genève (qui était publié depuis 1826) et perd son nom en 1998, lorsque ce dernier fusionne avec Lé Nouveau Quotidien (journal beaucoup plus récent : il paraissait à Lausanne depuis 1991) pour devenir Le Temps.
Les quatre autres principaux quotidiens de Suisse romande sont :
- La Tribune de Genève (créé en 1879).
- Le Matin (qui, en 1984, a pris la suite de la Tribune de Lausanne, elle-même ayant succédé en 1895 à L’Estafette, créée en 1862).
- 24 heures, issu en 1972 de la Feuille d’avis de Lausanne, qui remonte à 1762.
- Et l’édition romande du journal gratuit et très récent : 20 minutes.

The EconomistUn article du 4 mai, signé par Xavier Ternisien, s’intéresse à la santé florissante du magazine The Economist. Autour de 60% de son chiffre d’affaires est réalisée par la publicité. Situation étonnante, alors que la presse occidentale traverse une crise profonde, qu’il s’agit d’une maquette austère autour d’une écriture relativement dense, et que l’hebdomadaire (qui, en dépit de son nom, ne traite pas seulement d’économie) ne diffuse qu’une seule et même édition sur les cinq continents, sans concession ni adaptation au lectorat local.

Tous les lundis matin, une conférence de rédaction a lieu pour fixer le thème de la couverture, les cinq grands sujets et les éditoriaux. Elle réunit les journalistes présents à Londres et ceux en poste à l’étranger, qui s’expriment par téléphone ou vidéoconférence. Elle donne lieu à un vrai débat, chacun pouvant s’exprimer librement, Les articles ne sont pas signés et engagent toute la rédaction. Il faut être concis, dense; privilégier les mots les plus courts.

L’idée est que cela s’inscrit dans une tendance de fond – l’ère de l’intelligence de masse : Sous l’effet de l’éducation et de la prospérité économique, le nombre de personnes ayant accès à la culture a augmenté, The Economist a su séduire les Américains, d’ordinaire peu intéressés par ce qui se passe en dehors de leurs frontières : il leur propose une fenêtre sur le monde. Il a pourtant été pris plusieurs fois en défaut : ainsi, il a pris position pour la guerre en Irak (l’épisode a laissé des traces douloureuses) ; plus récemment, la crise financière semble avoir donné tort à ses positions très libérales. The Economist s’en défend : Nous avons alerté sur la folie des marchés et les niveaux de l’immobilier aux États-Unis… et maintenant à propos de la ruée sur la régulation.

Pas plus de deux choses à la foisC’est ce que souligne Lucia Sillig, dans son article du 12 mai : Le cerveau peut répartir deux objectifs entre ses deux hémisphères. Mais il n’arrive pas à en gérer trois simultanément. Notons tout de suite qu’il n’y a aucune différence à cet égard entre les femmes et les hommes.

Lorsque le cerveau est confronté à une seule tâche, ses deux lobes frontaux coopèrent pour représenter le but à atteindre. Quand un deuxième exercice apparaît, un lobe garde la représentation de la tâche précédente, afin de pouvoir y retourner. Plus précisément, lorsqu’il n’y a qu’une chose à faire, on ne constate que 3% d’erreurs. Avec deux tâches, le temps de réaction augmente d’un dixième de seconde et le taux d’erreurs augmente de 2-3%... mais quand une troisième tâche se présente on passe à 25% d’erreurs.

Les êtres humains font des choix optimaux face à des questions binaires Tant qu’il n’y a que deux options, le sujet peut les garder à l’esprit et les analyser, mais ce n’est plus le cas si les alternatives sont multiples. Il semble qu’il procède par élimination, en les comparant deux à deux.

Question : n’est-il pas possible, par exemple, de téléphoner en conduisant ? Réponse : oui, en basculant de l’une à l’autre, mais cela à un coût. Notamment d’un dixième de seconde de temps de réaction en plus – ce qui est comparable à l’effet de 0,8 pour mille d’alcool dans le sang. Tout ce qui demande une prise de décision ou de la planification occupe toute notre attention : les tâches correspondantes requièrent un aller-retour cérébral. En revanche, certaines tâches peuvent être – du moins en partie – accomplies en parallèle, par exemple repasser et regarder la télévision,

Décrypter les expressions du visage et les traduire en émotions
Dans un article daté du 1er juin, Ghislaine Bloch nous relate l’expérience suivante : une webcam ordinaire filme le visage de quelqu’un. Instantanément, une grille verte suit ce visage qui apparaît sur un écran d’ordinateur. Ce dispositif permet de déceler, y compris via Internet, sept émotions de base: la joie, la peur, la tristesse, le dégoût, la haine, la surprise et des sentiments neutres. Dans le cas d’un visage apeuré, par exemple, on assiste à un lever des sourcils, à une tension des lèvres et à l’abaissement de la mâchoire inférieure. Cette technique est aujourd’hui utilisée par la police, par les services de douanes ou de sécurité dans les aéroports.

Elle pourrait également s’appliquer au domaine du marketing. Jusqu’à présent la plupart du temps, avant le lancement d’une campagne publicitaire, un panel de consommateurs volontaires se soumet à un questionnaire sur Internet ou directement auprès de psychologues. Ici on envisage d’aller plus loin, car nos expressions peuvent parfois dire tout autre chose que nos paroles. Ceux qui l’emploient n’auront rien à installer. On pourra aussi s’attaquer à d’autres marchés, tels la téléphonie, les jeux et les réseaux sociaux

Prochaine étape : repérer avec précision sur quelle partie de l’écran se fixent les yeux.

Molière revu et corrigé (?)
Le 5 juin, Alexandre Demidoff est allé interroger l’un des responsables d’une nouvelle édition des œuvres de Molière dans la collection de la Pléiade.

Pourquoi cette nouvelle édition? Non seulement Molière reste populaire mais il a été victime d’un certain nombre de clichés, hérités en partie de la IIIe République et du XIXe siècle. On l’a érigé en auteur de la nation, en héraut du peuple… et insisté sur les persécutions dont il aurait été victime, de la part des dévots. Tout cela est idéologique
N’a-t’il pas connu des revers de fortune ? Pour prendre un langage actuel, son train de vie est celui d’une vedette d’Hollywood. Il n’a jamais été pauvre.
Ne s’est-il pas décrit en persécuté ? C’est une posture, une manière de faire parler de lui Molière est un businessman averti. Notons par ailleurs que l’un des lieux communs de la culture mondaine, celle des salons auxquels il appartient, est qu’éditer ses œuvres ne se faisait alors pas Ce qui décide Molière à imprimer, c’est sans doute le piratage.
Comment expliquer la persistance de son succès ? Au XVIIe, ses pièces s’adressent à une toute petite frange de la population, aisée, du négociant à l’aristocrate. Ce microcosme se défie du mariage, honnit l’ostentation religieuse, la pédanterie. Cette vision des choses, minoritaire alors, est aujourd’hui commune. On se retrouve dans Molière.

Un mouvement orthodoxe juif qui ne reconnait pas l’État d’Israël
Le 21 juin, Serge Dumont rend compte d’un entretien avec un représentant du mouvement Toldot Aaron qui se positionne à la pointe du combat contre l’Etat sioniste : c’est au cœur des plus vieux des quartiers de Jérusalem que se trouvent ses 10 000 membres (on estime à au moins 400 000 le nombre de juifs ultra-ortho­doxes). Il leur est interdit de quitter la ville sacrée et d’entretenir des contacts avec des représentants du monde impie sans autorisation de leur autorité. Les jours précédents, il venait de réunir 100 000 personnes pour fustiger l’ingérence de la Cour suprême israélienne, qui venait d’interdire la ségrégation entre enfants ashkénazes et séfarades dans une école religieuse.

Interview - L’État sioniste est un État imposteur et criminel dont les agents prétendent représenter le peuple juif. Nous ne le reconnaissons pas plus que les lois de sa soi-disant Knesset et les jugements de ses tribunaux. Je n’ai pas de carte d’identité et je ne suis pas inscrit à la sécurité sociale. Toldot Aaron dispose de ses propres tribunaux rabbiniques et de son propre réseau scolaire.

Nous avons des médecins, des dentistes, des épiceries. Bref, nous n’avons besoin de personne. Le cas échéant, les familles demandent au rabbin, qui dispose de fonds envoyés par les communautés sœurs de l’étranger. Les valeurs matérielles n’ont aucune importance pour nous. A contrario, nous accordons la plus grande importance à l’éducation des enfants dans les vraies valeurs juives et à la vie familiale.

Nous sommes antisionistes mais nous ne faisons pas de politique. Israël n’est pas mon pays. C’est une structure imposée à partir de l’étranger par des gens qui se prétendent Juifs : dans cinq ou dans cent ans, leur État finira par disparaître. Nous sommes persuadés que la société moderne va droit dans le mur et tant mieux si l’on nous prend pour des fous.

Méthane dans l’atmosphère et réchauffement climatiqueDans un article du 25 juin, Denis Delbecq donne quelques précisions sur l’éventualité d’une présence accrue de méthane dans l’atmosphère : à volume égal, ce gaz à effet de serre réchauffe vingt fois plus le climat que le gaz carbonique. La conclusion est que ce gaz ne provient pas des fameux hydrates qui piègent des quantités formidables de gaz naturel au fond des océans. Celles-ci présentent des caractéristiques différentes de celles qu’on déniche dans les sols humides ou gelés en permanence (appelés pergélisol ou permafrost).
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Or on vient de déterminer qu’à l’époque de réchauffement climatique qui sert de référence pour les chercheurs dans ce domaine – c’est-à-dire il y a 33 700 et 41 000 ans – ce sont des émissions de méthane provenant des sols humides et de la fonte des pergélisols, et non des hydrates de méthane océaniques, qui ont eu lieu. Si on est rassuré d’un côté, il n’en reste pas moins que le méthane libéré par le dégel des sols observé dans les régions boréales apparaît comme une réelle menace

vendredi 25 juin 2010

Entre les deux… (5)

A première vue, le cerveau semble plus large du côté gauche. On s’est aperçu que le centre de la parole se trouvait dans le lobe frontal correspondant, puis celui du langage plus en arrière. Une observation plus minutieuse montre que le cerveau marque un pivotement autour de son axe vertical, ce qui se traduit par un hémisphère droit qui prend plus de place qu’on aurait pu le croire – or c’est notamment de ce côté-là que se s’élaborent les images en trois dimensions.

Malgré leurs lobes frontaux peu développés, les animaux manifestent déjà des différences entre les parties gauche et droite de leur cerveau. Les oiseaux, par exemple, doivent pouvoir, simultanément, focaliser leur attention afin de repérer et saisir des grains à picorer, et surveiller les alentours en raison de la menace des prédateurs. Idem pour d’autres animaux quand il s’agit d’attraper un fruit ou leur proie (le chat utilise en priorité l’une de ses pattes dans ce but)… ou pour se positionner parmi les congénères avec lesquels ils cheminent.
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C’est dans ces conditions que l’on observe que le côté gauche du cerveau se consacre aux tâches qui permettent à l’animal d’agir sur le monde à son propre bénéfice, tandis que le côté droit prend en charge des fonctions plus sociales – vis-à-vis des ennemis tout aussi bien qu’en relation avec les amis. C’est à partir de ce côté que s’expriment les émotions, alors que celui d’en face aurait tendance à les inhiber.

Pour les hommes, comme pour les animaux, le côté droit est le siège d’une attention flexible et portant sur un large spectre : il perçoit des globalités et situe les choses dans un contexte ; il est en outre l’endroit de l’émotionnel et de l’empathie. Du côté gauche, en revanche, c’est une attention focalisée qui prévaut : on y voit le monde en pièces détachées, quitte à le reconstruire ensuite – ce qui est bien différent de la notion globalisante que l’on rencontre en face.

L’attention : attention !
Évitons d’aborder la notion d’attention comme s’il s’agissait d’une faculté cognitive comme d’autres. C’est une fonction autrement plus essentielle : du type d’attention que nous portons au monde, il résulte que nous en changeons la nature même. Chacun sait que selon que je suis votre employeur, votre amant, un suspect… vous me percevrez bien différemment – et que vous vous percevrez vous-même, selon le cas, bien différemment aussi. Et cela ne vaut pas seulement vis-à-vis des êtres humains : alors qu’il s’agit objectivement toujours de la même montagne, celle-ci ne représente pas la même chose pour un peintre, un prospecteur de minerai ou un alpiniste.

Ainsi, toute objective, détachée et potentiellement utile qu’elle puisse être, la science qui se targue de dévoiler la vérité de chaque chose, n’est qu’une façon parmi d’autres de les voir et, de ce fait, porteuse de valeurs qui lui sont propres et dont d’autres valeurs peuvent différer.

On découvre notamment, en neurobiologie et en neuropsychologie, que le fait d’assister à ce que fait quelqu’un d’autre (et même de penser à ce qu’il fait… ou tout simplement de penser à cette personne) nous induit à lui ressembler davantage (par ex. : boire, penser, sentir…).
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A la différence de fonctions dites cognitives, neutres en termes de valeurs, les formes de l’attention nous rendent ainsi partenaires de la création du monde et de nous-mêmes… et elles sont chargées de valeurs. C’est alors que nous sommes dans le comment ? et non plus dans le qu’est-ce que c’est ? (whatness / howness).

Comprendre le cerveau
Or, si la nature de l’attention portée à quelque chose modifie ce que l’on va en découvrir, comment échapper au fait qu’une attitude détachée est illusoire ? Cela voudrait-il dire que la vérité resterait inaccessible ? Nous verrons par la suite que la situation n’est pas aussi désespérée. Mais il va falloir en passer par quelques allers-et-retours pour traiter de notre compréhension du cerveau – ce cerveau qui, lui-même, contribue à notre compréhension du monde en s’appuyant sur ses deux hémisphères… l’un et l’autre s’y prenant chacun à sa manière. Or ce ne sont pas deux manières de penser le monde mais deux manières d’être au monde. Nous verrons que cette différence n’a rien de symétrique : elle est fondamentalement asymétrique.
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The Master and his Emissary - The divided brain and the making of the Western world - Iain McGilchrist - Yale University Press - 2009 - 597 pages.
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Le présent billet fait suite à celui du 18 juin. Il fait partie d’une séquence sur le Cerveau commencée le 4 juin 2010 (voir la liste des thèmes dans la marge de droite). Il n'est pas exclu qu'au cours de la traduction et en cherchant à condenser, il y ait eu des erreurs ou une mauvaise compréhension : se référer directement à l'ouvrage mentionné ci-dessus.
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mardi 22 juin 2010

A mi-2010 – Info & Coms


Longtemps correspondant de journaux français en Amérique Latine, Francis Pisani s'est installé à San Francisco, a mis à profit son goût pour la technologie et tient depuis quelques années un blog (Transnets) qui couvre des gadgets aux réseaux (http://pisani.blog.lemonde.fr/)
En feuilletant le blog au cours du 1er semestre 2010, j’ai retenu quatre thèmes : les décisions de Google quant à sa présence en Chine ; Internet comme support à des hostilités belliqueuses ; journalisme et information participative ; et les déboires essuyés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans sa communication sur la pandémie.

Google et la ChineFrancis Pisani y a d’abord consacré trois billets : les 16, 18 et 19 janvier. Le 3ème a attiré plus de 70 commentaires, alors que la dose habituelle oscille entre 10 et 20. Deux mois plus tard, on passe de l’intention à l’annonce d’une décision (23 mars).

Google a annoncé le 12 janvier son intention d’arrêter de censurer son moteur de recherche chinois ne saurait s’expliquer par la seule volonté de protéger la liberté d’expression dans ce grand pays. Ses dirigeants sont payés pour faire prospérer l’entreprise – or la baisse (3%) enregistrée à Wall Street le lendemain montre aux qu’ils doivent faire attention s’ils ne veulent pas déclencher la colère de leurs actionnaires. Car bien que, à court terme, la fermeture de Google.cn ne représenterait qu’un coût limité, la société s’exposerait à devoir renoncer au marché potentiellement le plus important du monde.

Au même moment, par ailleurs, Google est attaqué par les médias les plus importants (entraînés par Rupert Murdoch et l’Associated Press), critiquée pour certains aspects de la façon dont elle numérise les livres, et rend inquiets d’autres acteurs en raison de son expansion dans trop de domaines (téléphonie mobile, la fourniture d’électricité…).

A son actif dans le cas présent, le recours à un petit billet de blog pour annoncer l’affrontement avec les autorités chinoises a été bien reçu. Il redore le blason de la compagnie auprès des utilisateurs inquiets pour leurs données personnelles. Aux États-Unis, la décision prend par les sentiments les congressistes américains. Bonne opération de relations publiques donc.

Entreprise commerciale, elle se positionne pour prendre la tête d’un mouvement de fermeté face à la Chine et se pose ainsi comme puissance mondiale inaugurant sans doute, une nouvelle ère. Au lieu de négocier discrètement, Google a publiquement défié un gouvernement puissant et soucieux de ne jamais perdre la face. Du (presque) jamais vu. L’affaire ne saurait être comprise comme un joli coup dans une partie d’échecs (ou de go) mais comme une action qui change la nature du jeu que l’on joue.

Il faut à cet égard noter que la puissance de Google se mesure en nombre de serveurs, à la taille de ses server farms stratégiquement placées dans le monde et à la bande passante qu’elle peut mobiliser. Pour circonvenir les mesures de contrôle prises par des gouvernements autoritaires et technologiquement compétents comme ceux d’Iran ou de Chine, il faut un très grand nombre d’adresses IP facilement renouvelables pour qu’il soit difficile de les bloquer toutes et assez de bande passante pour que le système tourne sans difficulté. Ce qui est impossible ou trop cher pour des militants qui défendent les droits de l’homme dans le monde, ne l’est – techniquement et économiquement – pas pour Google.

Deux mois ont passé…
La décision annoncée hier de rediriger vers le site basé à Hong Kong les recherches faites par des utilisateurs situés en Chine permet d’y voir plus clair dans le jeu et la stratégie des dirigeants de Google.

A un niveau élémentaire, cette décision apparaît comme sympathique (prise de position limpide contre la censure), risquée (couper la plus grande entreprise du web du plus grand marché d’utilisateurs), mesurée (les revenus de Google provenant directement du moteur de recherche chinois sont faibles), astucieuse (elle tente de positionner Google en tête de ceux qui protestent contre certaines pratiques du gouvernement chinois).

Sur le fond, Google vient de se montrer capable d’aller à l’affrontement direct face au géant chinois avec les risques (calculés) que cela implique. Je me demande quelles surprises cela nous réserve…

Cyber-guerre
Trois billets également, ont été consacrés à cet autre sujet (les 3, 11 et 22 février)… plus un autre sur un thème proche deux mois plus tard (7 avril).

Hamadoun Touré (Malien formé à Leningrad et à Moscou, puis ayant fait une partie de sa carrière à INTELSAT), patron de l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) vient de lancer à Davos un appel pour le contrôle des activités criminelles et des menaces de guerre sur l’Internet : une cyber-guerre serait pire qu’un tsunami. Il a invité à la signature d’un accord international qui reviendrait, pour les pays signataires, à s’engager à ne pas cyber-tirer les premiers. Renchérissant sur le même thème, Craig Mundie (responsable de la recherche et de la stratégie pour Microsoft) a déclaré qu’il faudrait une sorte d’Organisation Mondiale de la Santé pour l’Internet. Il en a profité pour demander un permis de cyber-conduire

Ce à quoi certains ont fait remarquer que, du moins en apparence, une cyber-guerre ce n’était pas une affaire de nations. N’allez pas croire pour autant que nous en avons fini avec les nations : les cyber-guerres, elles aiment ça. La première a été lancée contre l’Estonie en 2007. Tout indique que les attaques provenaient de Russie mais il n’a pas été possible de le démontrer. Dans les cyber-conflits les nations tendent à utiliser des groupes de hackers plus ou moins périphériques et s’arrangent pour nier toute intervention. Le manque de traces évidentes et la propagande font le reste. Ce type de cyber-guerre a en commun avec les formes traditionnelles qu’il est manifeste et qu’il peut donc entraîner des contre-attaques.

Un des paradoxes de la cyber-guerre c’est que moins elle détruit, plus elle est dangereuse : la victime survit et les opérations de la compagnie ou du pays visés sont simplement rendues moins effectives ou efficaces, à son insu, par la manipulation de son infrastructure informatique. Le danger est notamment accentué par notre volonté de tout connecter. Le cas a ainsi été étudié de l’U.S. Navy. Une attaque réussie contre les réseaux informatiques de la dite Navy et la flotte n’est plus qu’un tas de ferraille inutile. Il y a plus grave encore : le vol de propriété intellectuelle. Certains estiment que depuis au moins deux ans, si vous vivez dans un des pays du G20, la 3ème guerre mondiale et les cyber-attaques dont l’objet est le vol de propriété intellectuelle à des fins économiques ont déjà commencé.

Information qui arrive deux mois plus tard :
Ce qui me frappe dans la décision d’Obama de limiter l’usage des armes nucléaires de son pays c’est qu’elle s’applique même aux pays qui auraient lancé contre les États-Unis une guerre par des moyens conventionnels, biologiques ou chimiques OU une cyber-attaque d’envergure (à condition, bien sûr, qu’ils respectent les traités de non-prolifération).

Les pays sont donc maintenant invités à se préparer contre ce genre de menace. Il me semble notable qu’elle soit maintenant placée au même niveau que celles qui se mènent sur la base des conquêtes et des destructions. C’est peut-être cela le vrai changement d’ère…

Une éthique de l’information participative ?
On se réfère souvent à une éthique journalistique. Mais, maintenant, nous pouvons tous informer : la question éthique se pose à tout le monde.

Cinq défis me semblent particulièrement importants. Ils impliquent, au moins, un changement d’échelle par rapport à ce qui passait hier.
· La participation massive des non professionnels, comme témoins et comme analystes.
· La couverture en temps réel.
· L’excès d’information et, simultanément, le fait qu’il est presque aussi difficile de trouver une information publique de qualité que de révéler ce qui est vraiment secret et important.
· Les nouvelles formes de manipulation et de contrôle par les puissants qui peuvent, comme tout le monde, avoir recours aux technologies de l'information et de la communication (TIC).
· La possibilité de transparence – grâce aux liens hypertextuels entre autres.
Trois questions :
· Quelle importance accorder à la dimension éthique ?
· Quels sont les défis spécifiques de l’ère digitale ?
· Quelle peut-être la contribution des journalistes ? (22 mars)

L’OMS et pandémie: l’information n’est plus contrôlable
Au moment de faire le bilan d’une année de lutte contre la grippe H1N1, le Dr Fukuda, directeur de l’OMS s’en est pris à l’effet perturbateur de l’Internet. L’accès à l’information a été facilité mais l’OMS a été obligée de faire face à des informations, des rumeurs, beaucoup de spéculations et des critiques sur de nombreux supports. Le Dr Fukuda a également estimé que les campagnes anti-vaccins ont rendu plus difficile le travail des autorités sanitaires dans différents pays. Ce qui me semble difficile à contester.

Au même moment, des chercheurs de la City University de Londres ont déclaré que les messages parlant de grippe sur Twitter (et autres réseaux sociaux) pourraient être un bon indicateur de tendance permettant de prendre des mesures à temps. Google avait déjà montré qu’on peut obtenir de bonnes indications avec les questions concernant la grippe posées sur le moteur de recherche.

La question est d’apprendre à utiliser les TIC et, pour une institution comme l’OMS, de modifier la politique de communication traditionnelle pour l’adapter à un univers dans lequel l’information n’est plus contrôlable. C’est en qualifiant la H1N1 de Pandémie de niveau 6 que l’OMS a excité la machine aux rumeurs mais aussi aux appréciations différentes sur la nature de la menace (16 avril).

lundi 21 juin 2010

A mi-2010 - Culture(s)


Consultant en intelligence économique et en management interculturel, Thierry Savatier publie un blog sous le titre "Les Mauvaises Fréquentations" (sous-entendu : les artistes). Pour raison de place, mon choix parmi les articles de ce 1er semestre de 2010, m’a fait mettre de côté ceux sur BHL (critiques, voire polémiques) et sur Michel Onfray (que l’auteur du blog sait présenter, de façon parfois convaincante, sous un jour favorable). J’ai retenu en revanche deux comptes-rendus d’ouvrage destiné à ceux qui veulent se rendre à l’étranger – appréciés ici en professionnel – un autre sur l’industrie du disque, puis sur Stéphane Guillon et Johnny Halliday, ainsi que sur l’exposition consacrée à Turner. Les condensés ou reconstitutions sous forme d'assemblages d'extraits peuvent générer des biais. Ceux-ci relèvent de ma responsabilité : il est alors recommandé de se reporter à la version originale sur le site : http://savatier.blog.lemonde.fr/.
L’industrie du disque connaît-elle la musique ?Emmanuel Torregano, journaliste, spécialiste de la musique et des nouvelles technologies, publie : Vive la crise du disque ! Dans une série d’entretiens avec les principaux acteurs du domaine, l’auteur tente d’en retracer l’historique et de dresser un état des lieux. Il pose les bonnes questions, sans se laisser leurrer par d’éventuels rideaux de fumée.

En six ans, le marché a perdu la moitié de son chiffre d’affaires. Pour les maisons de disque, un seul responsable : l’internaute qui pirate leurs catalogues. Raisonnement simpliste qui occulte leur propre responsabilité et justifie leur insistance en faveur de la loi répressive HADOPI. La réalité est différente : à partir de la fin des années 1980 le CD (peu coûteux à produire et proposé à un prix élevé) leur avait assuré plus d’une décennie d’insolente opulence. Les responsables ne virent pas arriver la révolution technologique : dématérialisation, format MP3, croissance des parcs informatique et Internet.

Face aux échanges gratuits P2P, ils choisirent une réponse purement défensive (verrous électroniques DRM). Après force consolidations et prises de participation, ils transformèrent les artistes en produits (merchandising qui n’a guère à voir avec la culture) et l’offre proposée aux consommateurs n’a pour l’heure toujours rien d’attractif. D’ailleurs, l’intention ne paraît nullement de vouloir diminuer les prix. Comme le souligne Bernard Miyet de la SACEM : Pour le moment, le 0,99 € par morceau est incontournable, puisqu’il y a concurrence du gratuit. Si demain il n’y a plus d’échanges illicites, les prix pourront augmenter et on serrera dans le même temps le cou aux fournisseurs. Voilà qui met en lumière les véritables motivations de la profession dans son insistance à promouvoir la loi HADOPI. Que la présomption d’innocence soit bafouée, que le renversement de la charge de la preuve mette à mal une conception essentielle du droit… pèsent peu au regard de la perspective de tondre plus efficacement le chaland (04 février).

Un vade-mecum pour les futurs expatriésAssia Rabinowitz vient de publier C’est décidé, je pars ! – un guide des premiers secours pour une expérience à l’étranger. Ses destinataires seront étudiants, professionnels, bénévoles humanitaires, etc. souhaitant séjourner assez longtemps dans un pays tiers. Un livre bien construit et sérieusement documenté, qui a peu d’équivalents actuellement.

On peut toutefois regretter que la problématique interculturelle ne soit que survolée, alors qu’elle constitue souvent une source d’échecs et de frustrations, si l’on n’y est pas soigneusement préparé. Le candidat au départ se sentira sans doute rassuré en lisant : En général, en vous familiarisant avec la langue et la culture de votre pays d’accueil, vous vous ‘réconciliez’ avec lui et la réalité. Vient alors la phase d’adaptation. Vous êtes en confiance, vous redécouvrez les aspects positifs de votre nouvel environnement.

Vision assez angélique qui se heurte à une autre réalité : 60% des actions internationales des entreprises connaissent un échec dû à des malentendus et des incompréhensions interculturels. Et le coût humain l’est davantage encore, chaque individu vivant une telle expérience négative comme un véritable traumatisme, tant professionnel que personnel, de nature à le marquer durablement. Des ouvrages existent, qui permettent de mieux connaître la vision du monde, les systèmes de valeurs, les manières de raisonner et de se comporter de la majorité des habitants du pays dans lequel on souhaite s’installer. Pour les expatriés et leur famille, il sera en outre prudent de demander à l’employeur d’organiser à leur intention une formation interculturelle adaptée (11 mars).

Il est fou, ce Guillon !Faut-il faire taire les humoristes, limiter leur répertoire à d’aimables plaisanteries ? Faut-il leur imposer les règles du politiquement correct ? Pour la troisième fois, Stéphane Guillon vient de provoquer l’ire de l’un des invités sur France Inter. Il y eut d’abord Dominique Strauss-Kahn, qui ne goûta guère le sketch au vitriol qui précéda son arrivée dans le studio. Il y eut Nicolas Hulot, furieux de s’être vu traité d’éco-tartuffe. C’est maintenant au tour d’Éric Besson, auquel la chronique décapante du 22 mars dernier n’avait pas plu, de s’indigner.

Les humoristes auraient-ils aujourd’hui la dent plus dure qu’hier, ou bien les politiques seraient-ils devenus moins tolérants ? Au pays de Rabelais, de Voltaire et de Beaumarchais, la satire reste une tradition bien ancrée. Thierry Le Luron, Coluche, Pierre Desproges savaient se montrer cruels avec leurs cibles favorites. Et si, aujourd’hui, Stéphane Guillon occupe une place de premier plan, c’est parce que ses chroniques corrosives et son sens de la formule qui tue (qu’on peut aimer ou non) réjouissent quasi quotidiennement deux millions d’auditeurs.

Choisir un métier public (spectacle, politique, etc.) implique souvent une exposition, notamment à la critique, au pamphlet et à la caricature. Cela fait partie du jeu : plus une personne s’expose, plus son pouvoir s’accroît, plus elle constitue une cible privilégiée. On objectera que Stéphane Guillon, plus que d’autres, outrepasse les limites de l’acceptable dans le registre satirique. Peut-être, mais ces limites ne sont-elles pas, à leur niveau, outrepassées par les politiques eux-mêmes, lorsqu’ils courtisent les média ?

Les humoristes, comme les artistes ou les écrivains, jouent un rôle particulier, subversif : choquer fait partie de leur métier, afin d’éviter que la société ne se sclérose dans un confortable ordre établi qui n’est jamais de bon augure. Ils sont ces fous ou bouffons qui divertissaient le roi de France mais aussi le raillaient, comme ils mettaient en lumière les travers des puissants. Le fou pouvait se permettre toutes les insolences, à condition qu’il le fît avec esprit. Il bénéficiait de la protection royale

Les politiques attaqués ne manquent d’ailleurs pas d’armes contre les charges dont ils font l’objet. Ils peuvent répondre par un trait d’esprit : Clemenceau se montrait redoutablement efficace dans ce registre. Ils peuvent avoir recours aux tribunaux, même si ce recours est rarement suivi d’une condamnation. Ils peuvent encore choisir de garder le silence. Enfin, pourquoi ne se consoleraient-ils pas simplement en faisant leur ce bon mot de Sacha Guitry : Si ceux qui disent du mal de moi savaient exactement ce que je pense d’eux, ils en diraient bien davantage. (26 mars)

Turner l’éblouissant, au Grand Palais
Avec Turner et ses peintres, le Grand Palais offre au public, jusqu’au 24 mai, l’une des plus passionnantes expositions de la saison. On pense toujours connaître William Turner (1775-1851), mais les œuvres auxquelles on se réfère sont généralement les plus tardives, ces incontournables paysages où celui que l’on considère, à juste titre, comme le plus célèbre des peintres anglais, se joue de la lumière et reproduit un éblouissement dans l’acception aussi bien optique qu’émotionnelle du terme.

C’est oublier que la carrière de l’artiste connut une longévité exceptionnelle pour son temps : soixante années durant lesquelles il puisa dans l’héritage des classiques et se mesura à la tradition pour, finalement, mieux s’en libérer. Il visita les musées, s’invita chez les collectionneurs, étudia les grands maîtres, sans pour autant oublier de porter un regard sur ses contemporains ni de prendre des séries de croquis sur le vif, au fil de ses voyages.

L’exposition nous montre l’évolution de sa peinture. L’accrochage met en évidence ses sources d’inspiration (sans doute quelques toiles pourront décevoir). On retrouvera quand même, avec un plaisir renouvelé, les paysages des années 1840 d’où tout académisme est absent, où l’artiste se libère de la tradition, où il peint moins la nature que les émotions qu’elle lui inspire, où il relève le défi de donner à l’huile la fluidité de l’aquarelle, où enfin, sous son pinceau lyrique, la lumière irradie la surface, synthétise les contours, dissout les formes, saute au visage du spectateur et l’invite à plonger à l’intérieur du tableau (24 avril)

Et pourquoi pas le Panthéon pour Johnny ?Décembre 2009 : sommet de Copenhague ; crise économique ; le chômage avait augmenté ; des attentats meurtriers au Pakistan, en Somalie, en Afghanistan, etc. On aurait pu légitimement imaginer qu’à l’Élysée, les conseillers du Président devaient se trouver fort affairés. Ils l’étaient, certainement. Pourtant, selon les journalistes Catherine Rambert et Renaud Revel, qui viennent de publier Johnny, les 100 jours où tout a basculé, certains membres du cabinet semblaient se préoccuper d'un sujet autrement plus important : l’état de santé de Johnny Halliday qui inspirait les plus vives inquiétudes et occupait une place inhabituelle dans les média. Il fallait donc réfléchir, en cas de décès, à la manière la plus appropriée de lui rendre un dernier hommage. Parmi les pistes retenues – mais non validées par le chef de l’Etat – on évoque un rapatriement du corps dans l’avion présidentiel, des obsèques nationales et même une descente du cercueil le long des Champs-Élysées (comme pour le retour des cendres de Napoléon 1er en décembre 1840 !).

Sous la Ve République, les funérailles nationales relèvent d’un décret du chef de l’État et leur coût est supporté par les finances publiques. Ces honneurs n’ont été rendus qu’à des personnalités militaires (notamment les généraux – qui seront faits maréchaux de France – Leclerc et de Lattre de Tassigny), politiques (Albert Lebrun, Léon Blum, Édouard Herriot, Jacques Chaban-Delmas, l’abbé Pierre) ou hautement symboliques (le dernier poilu de la Première guerre mondiale). Peu d’écrivains ou artistes y eurent droit : Victor Hugo, Paul Valéry, Colette et Aimé Césaire. Aucun chanteur.

Pourquoi, dans le même esprit, n’avoir d’ailleurs pas suggéré une inhumation au Panthéon ? Aux côtés de Voltaire, de Rousseau, de Zola, de Victor Schoelcher, de Jean Moulin ou de Marie Curie… cela aurait donné aux générations futures la mesure des valeurs de notre époque, ce culte du veau d’or médiatique qui s’est substitué à celui de l’héroïsme, du patriotisme et de l’intelligence (10 mai).

L’Amérique dans tous ses états
Voici un livre particulièrement utile pour tous ceux qui rêvent de s’embarquer pour les États-Unis : Ils sont fous ces Américains (Guide de premiers secours pour survivre aux USA) est l’œuvre de Tamarik, qui vient de passer les six dernières années chez l’Oncle Sam.

Dès les premières lignes, une précision capitale : Les Américains ne sont pas des Européens qui ne parlent que l’anglais, et les Européens ne sont pas des Américains qui parlent des langues étrangères. Un gouffre culturel séparant les deux peuples, au risque de redoutables déconvenues. Par ailleurs, cet immense pays, que l’on croit souvent à la pointe du modernisme, souffre d’une vétusté chronique de ses infrastructures (routes, conduites d’eau, couverture du réseau téléphonique portable, lenteur de l’Internet, services publics réduits au minimum…)

La personnalité de l’Américain moyen est assez bien présentée : inaltérable optimisme, paranoïa exacerbée depuis le 11 septembre, conviction messianique de l’absolue supériorité du modèle américain, priorité donnée à l’esprit d’action sur celui d’analyse –.ce qui explique pour partie la méfiance qu’éprouvent les Américains envers le monde intellectuel ou cultivé : la popularité initiale de George W. Bush trouvait là une justification non – la médiocrité de ses discours en faisait foi.

L’individualisme farouche des Américains n’est guère comparable à celui des Français : Nous ‘cultivons notre jardin’ pour notre plaisir propre, ils cultivent leur compte en banque ou tondent leur pelouse pour montrer à leur communauté combien ils ont réussi. Les Américains se trouvent soumis à une pression sociale que l’on ne rencontre que dans les sociétés de culture communautaire où l’individu n’existe qu’en relation avec son groupe de référence. Cette pression les oblige à constamment respecter des règles contraignantes de comportement et des impératifs hygiénistes concernant la pratique d’un sport, d’une religion ou encore – puritanisme oblige – à entretenir un rapport à l’alcool, au tabac et à la sexualité qui relève de la diabolisation.

S’agissant des croyances religieuses, l’Amérique apparaît dans tous ses contrastes. Dans ce pays où les universitaires obtiennent une large part des prix Nobel, une forte proportion de la population manifeste des croyances totalement irrationnelles : 68% pensent qu’anges et démons s’activent quotidiennement sur la planète ; 30% de chrétiens intégristes qui croient que la Bible est à prendre au pied de la lettre, ce qui explique les délires créationnistes et millénaristes qui y fleurissent.

En revanche le puritanisme religieux a débouché sur un désastre : Depuis les années 1980, le gouvernement américain a favorisé l’enseignement de l’abstinence sexuelle. […] les résultats ne démontrent que l’inexorabilité de l’effervescence hormonale adolescente. […] un quart des filles de quatorze à dix-neuf ans ont une MST […] et un Américain sur six a un herpès génital. Le taux des mères adolescentes est le plus élevé des pays industrialisés. En réintroduisant l’éducation sexuelle dans les programmes d’enseignement, Barack Obama passe pour un suppôt de Satan auprès des conservateurs, mais cette mesure était nécessaire pour inverser ces tendances inquiétantes

Ils sont fous ces Américains agacera les inconditionnels des États-Unis qui en ont construit une image idéalisée. Bien sûr, certains aspects de la culture américaine sont tout à fait positifs ; ainsi, il n’y a guère que dans ce pays que réside une facilité d’entreprendre et une liberté d’innover qui font trop souvent défaut sur notre vieux continent (09 juin).
Ce dernier article est illustré par un panneau publicitaire religieux :
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dimanche 20 juin 2010

A mi-2010 - Finance


Ce qui suit a été réalisé à partir d’extraits du blog de Georges Ugeux – qui est financier de profession : Démystifier la finance, Éthique et marchés – au cours du 1er semestre 2010. J’assume le choix des extraits et l’assemblage que j’en ai fait par la suite sur deux thèmes : De la Grèce à l’Euro – Les prochaines décennies. Se reporter au blog lui-même pour éviter d’éventuels biais :
(http://finance.blog.lemonde.fr/).
De la Grèce à l’EuroAvant que 2010 ne débute, les difficultés financières de la Grèce avaient été étalées au grand jour. Georges Ugeux les analyse comme une faiblesse du système européen qui permet des dérives bien connues et contre lesquelles la zone Euro semble impuissante. Il estime que la celle-ci ne peut risquer sa crédibilité, devra inévitablement participer au sauvetage, et ne devra pas s’arrêter au cas grec – plusieurs pays étant menacés (7 janvier). Mais pour cela il faudra du leadership – or une entité avec cinq présidents (Commission, BCE, Europe, Conseil, zone Euro) n’a pas de chef (8 février).

Passé le sommet de Bruxelles, Georges Ugeux conclut : Je ne sais pas si la réaction doit être la résignation, l’effarement ou la rage. Probablement les trois. La résignation : nous savions que ce sommet n’aurait pas de résultats tangibles – des déclarations et pas de plan d’action. L’effarement vient de l’amateurisme : c’était un sommet des 16 pays membres de la zone Euro qu’il fallait convoquer – ceux qui ont choisi de ne pas être dans l’Euro, et ceux qui n’y sont pas encore, ne sont pas concernés de la même manière. La rage vient de la futilité : on crée des attentes, l’Euro monte pendant le sommet et se dégonfle immédiatement après (12 février).

La spéculation contre l’Euro est une fausse mauvaise nouvelle. L’Euro (devise la plus détenue mondialement après le dollar) a connu une croissance due à la faiblesse structurelle du dollar. Il était en première ligne. Les marchés en découvrent certaines faiblesses structurelles, ainsi que du Traite de Maastricht, du Pacte de stabilité financière et de la gestion de la zone Euro. Les exportateurs de cette zone sont en train de massivement couvrir leurs ventes à un taux qui leur permettra de vendre dans de meilleures conditions a l’étranger (20 février).

Fin mars, un accord est trouvé. L’auteur du blog en prend acte : c’est un compromis politique face à une situation devenue intenable. Ne pas reconnaitre l’immense difficulté que les dirigeants européens ont eue à accoucher de cette solution bâtarde ne serait pas sérieux. Ils méritent d’être salués pour leur persistance. La question ouverte est celle des dégâts encourus. Il n’existe qu’un mécanisme politique pour faire face aux dérapages du Pacte de stabilité financière : aucune des sanctions prévues n’a été appliquée. Les ministres des Finances gèrent une forme de souk au sein duquel chacun tient l’autre par la barbichette.
De manière plus efficace, la Banque centrale européenne a décidé de changer ses critères pour les mises en gage d’obligations, ce qui lui permettra de prendre en pension des obligations grecques et de financer les banques détentrices de ces obligations. Mais l’absence d’institutions autres que la Banque centrale pour soutenir la zone Euro crée un vide institutionnel qui s’est avéré dramatique. Aucune intervention n’y est possible pour rétablir des situations compromises.
Le FMI a la capacité d’envoyer des équipes solides qui campent littéralement dans les bureaux des ministères des Finances et des Banques centrales concernées. Rien de tout cela n’a pu être mis en place, parce que rien n’est prévu. Les institutions européennes ont un quintet qui a sidéré par son absence (Herman Van Rompuy, président de l’Europe, Jean-Claude Junker, président de la zone Euro), son incompétence (Jose Barroso, président de la Commission européenne et Jose Luis Zapatero, président en exercice du Conseil des ministres de l’Union) et son impuissance institutionnelle (Jean Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne). Cette gouvernance absurde est apparue au grand jour (25 mars).

Début mai, nouvelle réunion à Bruxelles. Le dos au mur, les chefs de gouvernement nous annoncent que chacun des États de la zone Euro va prendre les mesures qui s’imposent pour réduire d’éventuels déficits budgétaires ou un endettement excessif. L’impression qui ressort de ce communiqué est une forme de fatigue. Ils sont à Bruxelles pour un sommet ou un autre toutes les semaines. Ils ont pourtant des pays à gérer, des problèmes de finances publiques, des problèmes de chômage et des réformes sociales en chantier (8 mai).

L’Europe a frappé fort, et surtout a démontré que les rumeurs folles sur l’éclatement de l’Euro ou la faillite de la Grèce étaient absurdes. Cette fois, la force des intentions semble se traduire en mesures musclées et il faut savoir reconnaitre l’effort colossal qui a été développé pour éviter ce qui aurait probablement été un bain de sang ce matin. Le Fonds annoncé soulève néanmoins des questions :
Qui sera le débiteur ? Emprunter 500 milliards d’euros ne se fait pas aisément, et il est crucial de définir qui pourrait être le(s) débiteur(s). Nous ne le savons pas encore.
Quelle gouvernance ? La Banque européenne d’Investissement dispose d’une gouvernance qui permet d’éviter une politisation des décisions ; elle a une longue expérience d’émission de titres pour compte de divers programmes de financement de la Communauté ; son crédit est reconnu AAA ; ses administrateurs sont les ministres des Finances.
Quelles mesures préventives ? Il est très coûteux de guérir, surtout avec un mécanisme de décision aussi lent que compliqué. La zone Euro doit se doter d’une structure d’analyse et d’une connaissance des marchés et des endettements au-dessus de tout soupçon et disposer de statistiques fiables (10 mai).

Éviter de se tromper d’analyse. Les mouvements de la semaine dernière ont été brutaux et contradictoires : la réalité est cependant plus simple. Depuis le début de l’année les investisseurs se sont montrés plus optimistes. C’est leur nature même d’anticiper, mais ils peuvent se tromper. Les mesures décidées à Bruxelles avaient surpris par leur ampleur et leur détermination. Le fait que les bourses aient ensuite baissé en Europe est le reflet d’une analyse plus sobre. L’Amérique reprend le chemin d’une croissance modeste mais réelle alors que l’Europe aura une croissance insignifiante. Il est donc normal que la relation entre l’Euro et le dollar se rééquilibre. Le niveau de novembre 2008 n’est pas en soi un signe dramatique.
Le Dow Jones (exclusivement composé d’actions américaines) a gagné 2,3% cette semaine : pas de panique de ce coté-la. L’évolution des obligations européennes a été significativement meilleure. De nombreuses voix estimaient l’Euro sous-évalué. Notre myopie nous amène à ne pas prendre en considération la croissance substantielle des pays émergents, y compris en Europe : l’indice Eurostoxx des actions de l’Europe centrale se comporte mieux que celui d’Europe occidentale. Sans une activité solidement implantée dans les pays émergents, particulièrement la Chine et l’Inde, les entreprises européennes risquent une marginalisation rapide. Pour le moment, c’est l’Asie qui sert de support à la croissance économique américaine, alors qu’elle joue un rôle moins important en Europe. Dans ce contexte, il me parait á tout le moins prématuré d’accuser les marchés de folie (16 mai).

Les jours se suivent… De grâce, cessez de nous abreuver de commentaires fanfarons qui décrédibilisent vos actions. Dans toute cette crise financière, les politiques ont souvent agi avec courage et détermination. Leur capacité de se détruire en démontrant par leurs déclarations leur incompétence en matière financière est illimitée (20 mai).

A lire les commentaires d’autorités en tous genres, vous pourriez croire que l’Euro est condamné à une mort plus ou moins lente. Or les mouvements sur le marché des changes atteignent 3 mille milliards d’Euros par jour. Pour influencer les cours on aurait donc besoin au minimum de 30 milliards pour représenter 1% de ces volumes. Par ailleurs, la grande masse de ces mouvements provient d’achats et de ventes de devises par des entreprises ou d’institutions qui ont à régler des factures au jour le jour en devises étrangères. Quant au rôle des hedge funds, il est dérisoire dans ces marchés : même s’ils échangeaient la totalité de leurs actifs spéculatifs, ils n’atteindraient pas 1% des mouvements. Revenir enfin aux anciennes devises demanderait une unanimité impossible des pays de la zone Euro… et au moins cinq ans pour se mettre en place (27 mai).

Notation de l’Espagne par Fitch : depuis qu’elles ont forcé les Etats à se soumettre à leur jugement régalien, les agences de notation ont montré que leur analyse était politique, quand elle ne cherchait pas à confirmer certaines opinions répandues parmi les traders et autres banques d’affaires. C’est en effet des investisseurs et des banques de marché que vient la demande de cette notation qui leur évite de devoir se poser des questions. Or cette notation est devenue un exercice d’une objectivité douteuse. Justification de l’agence Fitch : La dégradation reflète l’opinion que le processus d’ajustement vers un niveau plus bas d’endettement privé et extérieur va matériellement réduire le taux de croissance de l’économie espagnole à moyen terme. Quoi que fasse l’Espagne (réduire sa dette mais freiner sa croissance) sa notation baisse. Elle aurait donc bien tort de remettre ses finances en ordre (1er juin).

Prochaines décennies
Nous avons tous vécu cette dernière décennie au-dessus de nos moyens : plans de relance, crise financière, dépenses militaires – particulièrement aux États-Unis, accroissement du passif social. Il en est résulté un gonflement de la dette publique. L’ensemble de l’endettement des pays industrialisés du G20 a augmenté de 40% depuis 2000, alors qu’il restait stable dans les pays émergents.
L’Occident engouffre la plus grande part de la richesse mondiale : il faut renoncer à croire que l’on parviendra à retrouver les excès du passé. A court terme, il va falloir se serrer la ceinture, Mais l’austérité dont il s’agit est la gestion de ressources limitées pour une population en croissance.
Nous avons refusé le partage avec les pays les moins favorisés : maintenant il s’impose à nous. Des ressources aussi limitées que le pétrole, l’eau, la nourriture et les matières premières ne seront plus disponibles à bas prix. De surcroit les plus importantes ressources sont en dehors de l’Occident. Il suffit pour s’en convaincre de voir la bataille qui se livre entre les sidérurgistes et les miniers, qui utilisent la rareté du minerai de fer pour en augmenter le prix. Au lieu de diminuer leurs marges, les distributeurs de la chaine alimentaire accroissent les prix du lait et d’autres denrées alors que l’agriculteur voit ses revenus baisser sans que les pouvoirs publics ne sévissent. Nous n’avons plus les moyens de payer les pensions.
Le défi qui attend nos sociétés occidentales est immense et nous ne sommes même pas au début d’une réflexion inéluctable. Dominique Strauss Kahn a été encore plus direct à l’endroit de l’Europe : agir rapidement, faute de quoi la bataille se jouera entre les États-Unis et l’Asie, et l’Europe risque d’être marginalisée dans les vingt prochaines années. C’est le risque d’une guerre vraiment mondiale qui nous menace dans un avenir plus ou moins proche (2 avril).

La génération qui va progressivement être pensionnée laisse derrière elle un héritage financier lourd. Elle a en effet vécu sur une dette (privée et publique) difficile à porter et dont les bénéfices ont déjà été tirés. C’est un phénomène planétaire : ainsi la politique d’un enfant par couple les met les Chinois dans une situation inextricable. Les mesures que nous ne voulons pas prendre aujourd’hui se répercuteront demain et accélèreront la faillite du système.
C’est dans ce contexte que le recul de l’âge de la pension doit être examiné : l’âge mythique de mise à la retraite est en soi une absurdité : il peut représenter un droit, il n’est pas nécessaire d’en faire une obligation. De surcroit, la longévité s’est accrue de 15 ans. Le résultat est sidérant : chaque travailleur qui commence sa carrière aujourd’hui devrait, si rien ne change, mettre 40% de son salaire chaque mois dans un compte de pension pour maintenir son niveau de vie pendant ses années à la retraite. La jeune génération devrait se révolter contre ce système : même s’ils font un effort, ils n’auront pas les moyens de soutenir nos pensions.
Attitude responsable : nous sommes en meilleure santé que nos parents ; pour partager la charge des générations futures que nous avons lourdement accablées par nos excès, nous devrions accepter de travailler quelques années de plus (17 juin).

samedi 19 juin 2010

A mi-2010 - Blogs


Les fins d’années se succèdent à un rythme semestriel : l’année civile s’était close par Noël et la Saint-Sylvestre ; l’année scolaire s’achève au moment des feux de la Saint-Jean que l’on alimente avec force cahiers… et les maîtres au milieu. Il y a six mois, j’avais passé en revue quelques blogs qui avaient attiré mon attention en 2009. J’y reviens mais certaines choses ont changé.

Alors que les épreuves du bac ont fait provisoirement la une ces derniers jours, nous porterons le deuil de Qu’en pensent les philosophes ?. En fait, un demi-deuil. On se souvient que, pendant plus de deux ans, deux professeurs avaient presque quotidiennement proposé des sujets de réflexion et appelé aux commentaires – il y en avait eu 4000. Ce blog restant toujours affiché mais sans nouveau sujet depuis décembre 2009, et désormais fermé aux commentaires, je vois qu’il continue d’être visité et à un rythme très honorable : je viens d’y aller faire un tour – il y avait une dizaine de visiteurs en même temps que moi.

Il y avait un autre blog - Il y a un siècle – que j’ai laissé s’éloigner. Il était supposé être le journal d’un proche, bien placé au ministère de l’Intérieur, de Georges Clemenceau. Agréablement rédigé, donnant une information éclairante sur l’époque, je m’y étais volontiers laissé prendre comme bien d’autres (un million de pages lues sur deux ans, relatant 1908 et 1909). I’m afraid… c’est peut-être un principe éditorial de Peter : l’auteur a cédé à la tentation de publier et de mettre en vente pour les fêtes ces mêmes carnets portant sur l’année 1910. Soit – mais cela semble avoir asséché l’inspiration pour le blog actuel qui porte sur la même période, d’autant que, Clemenceau n’étant alors plus à la tête de l’État, les thèmes de bon niveau se sont faits plus rares et on est plus souvent remisé à l’anecdotique. Du premier semestre 2009 à celui de 2010, le nombre d’articles a chuté de 30%. Et lorsqu’on a enfin compris que l’auteur est un contemporain, le fait de tirer la morale des évènements sur la base de valeurs aujourd’hui en vogue – et de plus à l’avantage du signataire, on se demande pourquoi – détruit en partie la saveur de la replongée dans l’époque.

Troisième blog mis en veilleuse, celui des Échos sur l’économie. Il s’agit, certes, d’un suivi plus qu’honnête et sur un ton suffisamment égal d’un monde particulièrement chahuté. Ce qui me l’avait fait retenir, voici quelques mois, était le duo qui s’était instauré de façon systématique avec un commentateur octogénaire signant Blackstream, qui avait de toute évidence roulé sa bosse et qui n’avait pas mis sa plume dans sa poche et son mouchoir par-dessus. Deux tempéraments donc et la passion tonique qui s’en dégageait. Exit Blackstream. Débarque un peloton de commentateurs pour donner la réplique : pas inintéressant sur le fond mais tout ce monde évolue sur le même terrain. Je découvre que Blackstream vient de refaire surface ces jours derniers – mais il va de soi que le peloton ne s’éclipse pas pour autant. La saveur de l’échange de balles presque en forme de duel s'en est diluée.

Je garde, pour cette imminente revue de demi-année : Démystifier la finance, Les mauvaises fréquentations, Coups de cœur et de griffe à propos des films, et Des gadgets aux réseaux… plus l’évocation de quelques articles parus dans le quotidien suisse : Le Temps... Retrouvons-nous dans les jours qui viennent
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vendredi 18 juin 2010

Entre les deux… (4)

Rappels
L’introduction nous a servi d’apéritif : le livre d’Iain McGilchrist cherche à montrer que les deux hémisphères du cerveau, qui ne fonctionnent pas de la même manière, envisagent le monde dans des perspectives bien différentes. Le gauche vise à l’efficacité mais son champ d’intérêt est étroit et il privilégie la théorie par rapport l’expérience, les mécanismes plutôt que le vivant, ainsi que l’explicite plus que l’implicite – il manque d’empathie et peut se montrer déraisonnablement certain de ce qu’il avance. Moins sûr de lui-même, face à ce qui précède, l’hémisphère droit couvre, en revanche, un domaine plus large et son savoir, multi-facettes, est plus subtil.

L’auteur estime par ailleurs que, dans la culture occidentale, le conflit entre les deux hémisphères a prévalu au détriment d’une coopération pourtant souhaitable : le gauche l’a emporté, au risque d’une société déshumanisée, rigide et bureaucratique. Son ouvrage comporte ainsi deux parties : l’une, descriptive, sur le cerveau ; la seconde, plus historique, pour montrer comment celui-ci a façonné notre monde.

Avec la première partie, que nous abordons maintenant, nous allons approfondir nos connaissances en parcourant six étapes : (1) l’asymétrie du cerveau ; (2) à quoi s’emploient les deux hémisphères ; (3) langage, vérité et musique ; (4) les deux mondes propres à chacun des hémisphères ; (5) la primauté de l’hémisphère droit ; (6) mais le triomphe auquel le gauche est parvenu.

Commençons donc sur le thème de l’asymétrie

Pourquoi deux hémisphères ?
Chez l’homme, on les voit se développer bien nettement dès la 5ème semaine de la grossesse, de part et d’autre de la structure centrale, alors que celle-ci ainsi que des connexions entre les deux hémisphères, ne parviendront à quelque chose plus précis que plus tard.

Par ailleurs, malgré leur grand nombre (autour d’un demi-milliard) les connexions du corps calleux qui relie les deux hémisphères, n’intéressent qu’une toute petite partie de leurs neurones et jouent principalement un rôle d’inhibition et d’isolation entre eux deux (dans les cas où ce corps calleux a dû être sectionné, les perturbations qui en ont résulté ont été assez minimes dans la vie courante).

Il semble que plus le cerveau a pris d’importance au cours de l’évolution, plus les hémisphères sont devenus (asymétriquement) autonomes.

Digression sur "cerveau et pensée"
Bien qu’il ne veuille pas en traiter à fond dans son livre, l’auteur place ici cette digression (j’ai traduit mind par pensée tout en reconnaissant que le dictionnaire propose aussi esprit, voire âme si besoin). Peut-on définir la pensée comme l’expérience que le cerveau aurait de lui-même ? Pas évident – mais prenons-le en première approximation.

La conscience est-elle un produit du cerveau ? Pas évident non plus… et on pourrait même avancer qu’on a besoin de la conscience pour se représenter le cerveau. Descartes avait raison d’affirmer qu’il n’est pas possible de nier que nous ayons une conscience… mais il disait aussi que le corps et la pensée sont deux substances différentes. Le problème est qu’il raisonnait en termes de qu’est-ce que c’est ?

Cette digression permet à Iain McGilchrist d’expliciter une opposition sur laquelle il reviendra à plusieurs reprises entre (en anglais) whatness (que je traduis par qu’est-ce que c’est ?), approche typique de l’hémisphère gauche, et howness (comment ?), approche typique de l’hémisphère droit. Il remarque d’ailleurs que des opposants au dualisme (corps / pensée) de Descartes, se sont tout aussi bien laissés enfermer dans l’approche whatness, tels certains scientifiques matérialistes, des neurologues notamment, pour qui le corps et la pensée c’est tout un (ici c’est du monisme : il s’oppose certes au dualisme… mais en restant dans une optique qu’est-ce que c’est ?).

En adoptant l’autre démarche (howness), on évite de considérer la pensée comme une entité ou une chose (whatness), pour en faire un processus, un devenir. Tant qu’on raisonne en termes de qu’est-ce que c’est ?, on se permet de réduire quantitativement cette chose à une autre, en fonction de ses éléments composants. Tandis qu’en termes de comment ? (de manières d’être, de qualité), ce n’est plus possible.

Les lobes frontaux
Revenons-y. Ils occupent 7% dans le cerveau du chien et 17% chez les primates, pour atteindre les 35% chez les singes évolués et chez l’homme. Et chez ce dernier, on constate qu’il y a une proportion nettement plus importante, surtout du côté droit, de myéline – cette gaine qui enveloppe les conduits neuronaux (les axones) et en accélère significativement la vitesse de communication.

Non seulement nous habitons le monde de notre expérience corporelle – comme c’est le cas pour les animaux – mais nous sommes de plus en mesure de prendre de la distance au-dessus de ce territoire. Lorsque nous redescendons au ras des marguerites, l’expérience que nous avons à ce niveau vient de s’enrichir grâce à ce que dont nous avons bénéficié en prenant de la hauteur.

Mais, comme dans le cas de l’œil du lecteur et de la page devant lui, il nous faut trouver une distance optimale entre nous-mêmes et le monde que nous percevons – ni trop près ni trop loin. Ne pas trop mélanger à cet égard les notions de distance et de détachement. La distance nous permet d’être un froid calculateur. Le détachement s’oppose, lui, à l’empathie. Nous sommes ainsi en mesure de faire confiance et de trahir ; nous sommes des êtres sociaux mais aussi parmi les plus destructeurs de tous les animaux.
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The Master and his Emissary - The divided brain and the making of the Western world - Iain McGilchrist - Yale University Press - 2009 - 597 pages.
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Le présent billet fait suite à celui du 14 juin. Il fait partie d’une séquence sur le Cerveau commencée le 4 juin 2010 (voir la liste des thèmes dans la marge de droite). Il n'est pas exclu qu'au cours de la traduction et en cherchant à condenser, il y ait eu des erreurs ou une mauvaise compréhension : se référer directement à l'ouvrage mentionné ci-dessus.
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Les éléments utilisés pour illustrer de ce billet ont été trouvés sur le site :

lundi 14 juin 2010

Entre les deux… (3)


Esquisse pour une structure
La densité des interconnexions est considérable dans le cerveau. Cela se fait de façon étagée – de la même façon que l’on passe des villages aux cantons, aux régions, aux pays… – la plus forte densité se constatant au sein des entités locales. De niveau à niveau, on en arrive aux lobes qui se séparent en deux hémisphères. On a ainsi une esquisse de cette structure, ce qui n’est pas neutre quant à la nature de notre conscience qui y est associée.

Au sein de cette structure se mettent en jeu des forces qui s’opposent. Ce qui est important, si on se rappelle que c’est ainsi que l’on parvient à effectuer un travail de précision : pensons au jeu de contrôle réciproque qui s’instaure entre nos deux mains pour mener à bien une opération délicate.

Il semble qu’il en aille de même avec notre cerveau, et ce dans trois circonstances :
- Les effets inhibiteurs du cortex quand il reçoit des réponses automatiques en provenance des régions sous-corticales.
- Idem de la part des lobes frontaux pour ce qui lui arrive du cortex postérieur.
- Et, enfin, les influences réciproques entre les deux hémisphères.
C’est ce troisième type d’interactions que le présent ouvrage prend prioritairement en considération.

L’auteur s’apprête maintenant à boucler son introduction – mais il tient au préalable à attirer notre attention sur deux points.

Causes modestes, effets plus conséquents
Ceux qui ne veulent pas sombrer dans la caricature admettent volontiers que les différences entre les deux hémisphères sont, somme toute, assez relatives : ils sont tous deux parties prenantes pour la plupart de nos processus mentaux. Si, pourtant, le monde tel que nous le connaissons en est en quelque sorte la synthèse, l’apport de chacun d’eux reste néanmoins très spécifique – une différence qui a donc ses limites… mais indéniable.

Or si, sur un point donné, l’un des deux se révèle plus efficace, nous aurons souvent tendance à nous en remettre complètement à lui. Qui plus est : lui ayant une fois fait confiance, il nous arrive de récidiver la fois suivante… et, par habitude, de continuer à aller dans son sens à toute occasion – au risque d’adhérer à des schémas mentaux unilatéraux et inadéquats.

Illustration par le rappel de cette boutade qui remet en question la trop grande rigidité du dualisme cartésien – le monde se divise en deux sortes de gens : ceux qui considèrent qu’il y a deux sortes de gens… et les autres.

Mais si tout le monde n’est pas pareil ?
Belle évidence ! Mais qu’en est-il pour ce qui nous intéresse ? Pensons aux droitiers et aux gauchers, par exemple. Pour la quasi-totalité des gens, le centre du langage et de la parole se situe dans l’un ou l’autre des hémisphères (chez les Occidentaux : 95% dans le gauche – qu’ils soient droitiers ou gauchers – et, pour la plupart des autres, dans l'hémisphère droit). Il reste un pourcentage minime où ces fonctions sont plus diffuses entre les deux hémisphères, avec les avantages et inconvénients qui en résultent pour eux. Ce n’est pas parce que c’est peu fréquent que cela ne pose pas toute une série de questions : sur la transmission génétique de ces particularités, sur ce qui touche à la latéralisation, sur la créativité telle qu’elle s’y manifeste…

Même si, par la suite, on s’intéresse presqu’exclusivement aux 95 % qui possèdent une structure standard, il ne faut pas oublier ce qui est mis en relief par les autres 5%.

Un mot sur le titre du livre
Ainsi notre cerveau présente une asymétrie dont les deux volets conjuguent leurs représentations pour nous permettre d’appréhender celle que nous avons du monde. L’univers lui-même est d’ailleurs marqué par une certaine asymétrie : viennent à l’appui de cette affirmation un certain nombre d’évolutions physiques irréversibles comme celle de l’entropie, la flèche du temps, ou encore l’hypothèse qu’à la création de l’univers, un déséquilibre aurait permis à la matière de l’emporter sur l’antimatière…

[Voir à ce sujet l’article Intermède (du 12 juin) sur la notion d’entropie et celle de l’asymétrie entre matière et antimatière, lors du big bang.]

Au moment de conclure son introduction, l’auteur revient sur le titre de son ouvrage en disant l’avoir probablement emprunté à une allégorie figurant chez Nietzsche (very roughly, indeed, and I cannot now remember where). Le Maître était un homme sage dont le domaine florissait et s’étendait en conséquence. Il eut alors besoin de déléguer son autorité à des émissaires : l’un des plus habiles en abusa – et tout se termina mal. Iain McGilchrist vise ici la prise de pouvoir (en Occident depuis cinq siècles environ) par l’un des hémisphères et se demande comment y remédier.

The Master and his Emissary - The divided brain and the making of the Western world - Iain McGilchrist - Yale University Press - 2009 - 597 pages.

Le présent billet fait suite à celui du 8 juin, agrémenté de « l’intermède » du 12 juin. Il fait partie d’une séquence sur le Cerveau commencée le 4 juin 2010 (voir la liste des thèmes dans la marge de droite). Il n'est pas exclu qu'au cours de la traduction et en cherchant à condenser, il y ait eu des erreurs ou une mauvaise compréhension : se référer directement à l'ouvrage mentionné ci-dessus.

dimanche 13 juin 2010

Quand on grandit


Réunion à fin mai. Il apparaît clairement que la progression d’Émile qui a maintenant 7 ans et demi se poursuit : chacun des bénévoles a la satisfaction de se rendre compte qu’il participe à cette évolution si positive. Ce qui ne masque pas que, sur certains points, Émile se comporte comme s’il était encore un enfant d’un âge beaucoup plus jeune : il reste du chemin à parcourir.

Étapes récentes et marquantes
- Il progresse pour faire du vélo, en ce sens qu’il a encore besoin d’être maintenu (il n’y a pas de roulettes de part et d’autre de la roue arrière) mais c’est bien lui qui avance. Il faut en même temps reconnaître que, surtout pour lui, cela sollicite beaucoup de choses : la coordination des pieds et des mains ; le mouvement des pieds en asymétrique ; de l’équilibre et de l’attention.
- La propreté semble complètement acquise.
- Il a jeté son biberon à la poubelle et ne l’a plus redemandé.

Expression des sentiments et de la pensée
De façon plus générale, Émile manifeste plus ses émotions, exprime mieux ce qu’il pense – et déverse aussi des flots de paroles.

Émotions
- Une bénévole a été absente pendant quelques séances. A son retour, une série de colères. Ah non, pas une 4ème colère… lui fait-elle comprendre. Émile s’arrête et se met à rire (par ailleurs, une musicothérapeute lui apprend la maîtrise de ses colères par la musique).
- Il exprime aussi de la fierté, en disant par exemple qu’il est un grand garçon (mais il en joue quand ça l’arrange).

Intelligence et langage
- Émile parle maintenant beaucoup, par lui-même, sans reproduire des phrases toutes faites. Le vrai verbal semble arriver mais, comme avec les petits, cela commence par l’explosion d’un jargon et il a du mal a faire correspondre son langage avec sa pensée.
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- Au cours de cette réunion mensuelle, les participants s’interrogent parce qu'il ne reprend plus, d’une séance à l’autre, les mêmes activités – plus de variété, certes, mais parfois aussi un sentiment d’ennui. Mais la créativité dont Émile a besoin pour s’exprimer ne peut-elle justement pas naître en passant par cette phase d’ennui ? D’autant que, moins concentré sur ce qu’il est en train de faire, il porte davantage attention au monde qui l’entoure
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- Dans la perspective de rejoindre un cursus scolaire, certaines séances ont lieu avec des maitresses. Celles-ci remarquent maintenant sa bonne compréhension de ce qu’il lit, le fait qu’il met l’intonation, que son langage arrive à s’appliquer à des images qui ne sont pas accompagnées d’un texte. Il progresse aussi, en suivant la méthode adéquate, pour la résolution des problèmes. Un mieux également (on l’avait évoqué dans le billet consacré à la séance du mois d’avril) pour ce qui est des transvasements.

Du chemin à parcourir
Un exemple parmi d’autres : le ressenti du corps n’est pas encore complet. C’est ainsi qu’il n’enlève pas facilement ses chaussettes.

Avec la créativité et l’imaginaire, la découverte du corps figure parmi les priorités du mois.
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Ce billet fait partie d’une série qui permet de suivre l’évolution d’Émile (ce n’est pas son vrai prénom) depuis septembre 2008 : on y accède directement en cliquant sur le thème Autisme dans la marge de droite.
D’autres articles sont parfois voisins, notamment ceux sous le thème du Cerveau, ainsi que ceux des 15 et 16 juin 2009 (Chiffres, langues… et Savants vs neurotypiques, qui figurent aussi sous le thème de l’Autisme), ou du 27 juin 2009 (Mémoire photographique)