lundi 21 juin 2010

A mi-2010 - Culture(s)


Consultant en intelligence économique et en management interculturel, Thierry Savatier publie un blog sous le titre "Les Mauvaises Fréquentations" (sous-entendu : les artistes). Pour raison de place, mon choix parmi les articles de ce 1er semestre de 2010, m’a fait mettre de côté ceux sur BHL (critiques, voire polémiques) et sur Michel Onfray (que l’auteur du blog sait présenter, de façon parfois convaincante, sous un jour favorable). J’ai retenu en revanche deux comptes-rendus d’ouvrage destiné à ceux qui veulent se rendre à l’étranger – appréciés ici en professionnel – un autre sur l’industrie du disque, puis sur Stéphane Guillon et Johnny Halliday, ainsi que sur l’exposition consacrée à Turner. Les condensés ou reconstitutions sous forme d'assemblages d'extraits peuvent générer des biais. Ceux-ci relèvent de ma responsabilité : il est alors recommandé de se reporter à la version originale sur le site : http://savatier.blog.lemonde.fr/.
L’industrie du disque connaît-elle la musique ?Emmanuel Torregano, journaliste, spécialiste de la musique et des nouvelles technologies, publie : Vive la crise du disque ! Dans une série d’entretiens avec les principaux acteurs du domaine, l’auteur tente d’en retracer l’historique et de dresser un état des lieux. Il pose les bonnes questions, sans se laisser leurrer par d’éventuels rideaux de fumée.

En six ans, le marché a perdu la moitié de son chiffre d’affaires. Pour les maisons de disque, un seul responsable : l’internaute qui pirate leurs catalogues. Raisonnement simpliste qui occulte leur propre responsabilité et justifie leur insistance en faveur de la loi répressive HADOPI. La réalité est différente : à partir de la fin des années 1980 le CD (peu coûteux à produire et proposé à un prix élevé) leur avait assuré plus d’une décennie d’insolente opulence. Les responsables ne virent pas arriver la révolution technologique : dématérialisation, format MP3, croissance des parcs informatique et Internet.

Face aux échanges gratuits P2P, ils choisirent une réponse purement défensive (verrous électroniques DRM). Après force consolidations et prises de participation, ils transformèrent les artistes en produits (merchandising qui n’a guère à voir avec la culture) et l’offre proposée aux consommateurs n’a pour l’heure toujours rien d’attractif. D’ailleurs, l’intention ne paraît nullement de vouloir diminuer les prix. Comme le souligne Bernard Miyet de la SACEM : Pour le moment, le 0,99 € par morceau est incontournable, puisqu’il y a concurrence du gratuit. Si demain il n’y a plus d’échanges illicites, les prix pourront augmenter et on serrera dans le même temps le cou aux fournisseurs. Voilà qui met en lumière les véritables motivations de la profession dans son insistance à promouvoir la loi HADOPI. Que la présomption d’innocence soit bafouée, que le renversement de la charge de la preuve mette à mal une conception essentielle du droit… pèsent peu au regard de la perspective de tondre plus efficacement le chaland (04 février).

Un vade-mecum pour les futurs expatriésAssia Rabinowitz vient de publier C’est décidé, je pars ! – un guide des premiers secours pour une expérience à l’étranger. Ses destinataires seront étudiants, professionnels, bénévoles humanitaires, etc. souhaitant séjourner assez longtemps dans un pays tiers. Un livre bien construit et sérieusement documenté, qui a peu d’équivalents actuellement.

On peut toutefois regretter que la problématique interculturelle ne soit que survolée, alors qu’elle constitue souvent une source d’échecs et de frustrations, si l’on n’y est pas soigneusement préparé. Le candidat au départ se sentira sans doute rassuré en lisant : En général, en vous familiarisant avec la langue et la culture de votre pays d’accueil, vous vous ‘réconciliez’ avec lui et la réalité. Vient alors la phase d’adaptation. Vous êtes en confiance, vous redécouvrez les aspects positifs de votre nouvel environnement.

Vision assez angélique qui se heurte à une autre réalité : 60% des actions internationales des entreprises connaissent un échec dû à des malentendus et des incompréhensions interculturels. Et le coût humain l’est davantage encore, chaque individu vivant une telle expérience négative comme un véritable traumatisme, tant professionnel que personnel, de nature à le marquer durablement. Des ouvrages existent, qui permettent de mieux connaître la vision du monde, les systèmes de valeurs, les manières de raisonner et de se comporter de la majorité des habitants du pays dans lequel on souhaite s’installer. Pour les expatriés et leur famille, il sera en outre prudent de demander à l’employeur d’organiser à leur intention une formation interculturelle adaptée (11 mars).

Il est fou, ce Guillon !Faut-il faire taire les humoristes, limiter leur répertoire à d’aimables plaisanteries ? Faut-il leur imposer les règles du politiquement correct ? Pour la troisième fois, Stéphane Guillon vient de provoquer l’ire de l’un des invités sur France Inter. Il y eut d’abord Dominique Strauss-Kahn, qui ne goûta guère le sketch au vitriol qui précéda son arrivée dans le studio. Il y eut Nicolas Hulot, furieux de s’être vu traité d’éco-tartuffe. C’est maintenant au tour d’Éric Besson, auquel la chronique décapante du 22 mars dernier n’avait pas plu, de s’indigner.

Les humoristes auraient-ils aujourd’hui la dent plus dure qu’hier, ou bien les politiques seraient-ils devenus moins tolérants ? Au pays de Rabelais, de Voltaire et de Beaumarchais, la satire reste une tradition bien ancrée. Thierry Le Luron, Coluche, Pierre Desproges savaient se montrer cruels avec leurs cibles favorites. Et si, aujourd’hui, Stéphane Guillon occupe une place de premier plan, c’est parce que ses chroniques corrosives et son sens de la formule qui tue (qu’on peut aimer ou non) réjouissent quasi quotidiennement deux millions d’auditeurs.

Choisir un métier public (spectacle, politique, etc.) implique souvent une exposition, notamment à la critique, au pamphlet et à la caricature. Cela fait partie du jeu : plus une personne s’expose, plus son pouvoir s’accroît, plus elle constitue une cible privilégiée. On objectera que Stéphane Guillon, plus que d’autres, outrepasse les limites de l’acceptable dans le registre satirique. Peut-être, mais ces limites ne sont-elles pas, à leur niveau, outrepassées par les politiques eux-mêmes, lorsqu’ils courtisent les média ?

Les humoristes, comme les artistes ou les écrivains, jouent un rôle particulier, subversif : choquer fait partie de leur métier, afin d’éviter que la société ne se sclérose dans un confortable ordre établi qui n’est jamais de bon augure. Ils sont ces fous ou bouffons qui divertissaient le roi de France mais aussi le raillaient, comme ils mettaient en lumière les travers des puissants. Le fou pouvait se permettre toutes les insolences, à condition qu’il le fît avec esprit. Il bénéficiait de la protection royale

Les politiques attaqués ne manquent d’ailleurs pas d’armes contre les charges dont ils font l’objet. Ils peuvent répondre par un trait d’esprit : Clemenceau se montrait redoutablement efficace dans ce registre. Ils peuvent avoir recours aux tribunaux, même si ce recours est rarement suivi d’une condamnation. Ils peuvent encore choisir de garder le silence. Enfin, pourquoi ne se consoleraient-ils pas simplement en faisant leur ce bon mot de Sacha Guitry : Si ceux qui disent du mal de moi savaient exactement ce que je pense d’eux, ils en diraient bien davantage. (26 mars)

Turner l’éblouissant, au Grand Palais
Avec Turner et ses peintres, le Grand Palais offre au public, jusqu’au 24 mai, l’une des plus passionnantes expositions de la saison. On pense toujours connaître William Turner (1775-1851), mais les œuvres auxquelles on se réfère sont généralement les plus tardives, ces incontournables paysages où celui que l’on considère, à juste titre, comme le plus célèbre des peintres anglais, se joue de la lumière et reproduit un éblouissement dans l’acception aussi bien optique qu’émotionnelle du terme.

C’est oublier que la carrière de l’artiste connut une longévité exceptionnelle pour son temps : soixante années durant lesquelles il puisa dans l’héritage des classiques et se mesura à la tradition pour, finalement, mieux s’en libérer. Il visita les musées, s’invita chez les collectionneurs, étudia les grands maîtres, sans pour autant oublier de porter un regard sur ses contemporains ni de prendre des séries de croquis sur le vif, au fil de ses voyages.

L’exposition nous montre l’évolution de sa peinture. L’accrochage met en évidence ses sources d’inspiration (sans doute quelques toiles pourront décevoir). On retrouvera quand même, avec un plaisir renouvelé, les paysages des années 1840 d’où tout académisme est absent, où l’artiste se libère de la tradition, où il peint moins la nature que les émotions qu’elle lui inspire, où il relève le défi de donner à l’huile la fluidité de l’aquarelle, où enfin, sous son pinceau lyrique, la lumière irradie la surface, synthétise les contours, dissout les formes, saute au visage du spectateur et l’invite à plonger à l’intérieur du tableau (24 avril)

Et pourquoi pas le Panthéon pour Johnny ?Décembre 2009 : sommet de Copenhague ; crise économique ; le chômage avait augmenté ; des attentats meurtriers au Pakistan, en Somalie, en Afghanistan, etc. On aurait pu légitimement imaginer qu’à l’Élysée, les conseillers du Président devaient se trouver fort affairés. Ils l’étaient, certainement. Pourtant, selon les journalistes Catherine Rambert et Renaud Revel, qui viennent de publier Johnny, les 100 jours où tout a basculé, certains membres du cabinet semblaient se préoccuper d'un sujet autrement plus important : l’état de santé de Johnny Halliday qui inspirait les plus vives inquiétudes et occupait une place inhabituelle dans les média. Il fallait donc réfléchir, en cas de décès, à la manière la plus appropriée de lui rendre un dernier hommage. Parmi les pistes retenues – mais non validées par le chef de l’Etat – on évoque un rapatriement du corps dans l’avion présidentiel, des obsèques nationales et même une descente du cercueil le long des Champs-Élysées (comme pour le retour des cendres de Napoléon 1er en décembre 1840 !).

Sous la Ve République, les funérailles nationales relèvent d’un décret du chef de l’État et leur coût est supporté par les finances publiques. Ces honneurs n’ont été rendus qu’à des personnalités militaires (notamment les généraux – qui seront faits maréchaux de France – Leclerc et de Lattre de Tassigny), politiques (Albert Lebrun, Léon Blum, Édouard Herriot, Jacques Chaban-Delmas, l’abbé Pierre) ou hautement symboliques (le dernier poilu de la Première guerre mondiale). Peu d’écrivains ou artistes y eurent droit : Victor Hugo, Paul Valéry, Colette et Aimé Césaire. Aucun chanteur.

Pourquoi, dans le même esprit, n’avoir d’ailleurs pas suggéré une inhumation au Panthéon ? Aux côtés de Voltaire, de Rousseau, de Zola, de Victor Schoelcher, de Jean Moulin ou de Marie Curie… cela aurait donné aux générations futures la mesure des valeurs de notre époque, ce culte du veau d’or médiatique qui s’est substitué à celui de l’héroïsme, du patriotisme et de l’intelligence (10 mai).

L’Amérique dans tous ses états
Voici un livre particulièrement utile pour tous ceux qui rêvent de s’embarquer pour les États-Unis : Ils sont fous ces Américains (Guide de premiers secours pour survivre aux USA) est l’œuvre de Tamarik, qui vient de passer les six dernières années chez l’Oncle Sam.

Dès les premières lignes, une précision capitale : Les Américains ne sont pas des Européens qui ne parlent que l’anglais, et les Européens ne sont pas des Américains qui parlent des langues étrangères. Un gouffre culturel séparant les deux peuples, au risque de redoutables déconvenues. Par ailleurs, cet immense pays, que l’on croit souvent à la pointe du modernisme, souffre d’une vétusté chronique de ses infrastructures (routes, conduites d’eau, couverture du réseau téléphonique portable, lenteur de l’Internet, services publics réduits au minimum…)

La personnalité de l’Américain moyen est assez bien présentée : inaltérable optimisme, paranoïa exacerbée depuis le 11 septembre, conviction messianique de l’absolue supériorité du modèle américain, priorité donnée à l’esprit d’action sur celui d’analyse –.ce qui explique pour partie la méfiance qu’éprouvent les Américains envers le monde intellectuel ou cultivé : la popularité initiale de George W. Bush trouvait là une justification non – la médiocrité de ses discours en faisait foi.

L’individualisme farouche des Américains n’est guère comparable à celui des Français : Nous ‘cultivons notre jardin’ pour notre plaisir propre, ils cultivent leur compte en banque ou tondent leur pelouse pour montrer à leur communauté combien ils ont réussi. Les Américains se trouvent soumis à une pression sociale que l’on ne rencontre que dans les sociétés de culture communautaire où l’individu n’existe qu’en relation avec son groupe de référence. Cette pression les oblige à constamment respecter des règles contraignantes de comportement et des impératifs hygiénistes concernant la pratique d’un sport, d’une religion ou encore – puritanisme oblige – à entretenir un rapport à l’alcool, au tabac et à la sexualité qui relève de la diabolisation.

S’agissant des croyances religieuses, l’Amérique apparaît dans tous ses contrastes. Dans ce pays où les universitaires obtiennent une large part des prix Nobel, une forte proportion de la population manifeste des croyances totalement irrationnelles : 68% pensent qu’anges et démons s’activent quotidiennement sur la planète ; 30% de chrétiens intégristes qui croient que la Bible est à prendre au pied de la lettre, ce qui explique les délires créationnistes et millénaristes qui y fleurissent.

En revanche le puritanisme religieux a débouché sur un désastre : Depuis les années 1980, le gouvernement américain a favorisé l’enseignement de l’abstinence sexuelle. […] les résultats ne démontrent que l’inexorabilité de l’effervescence hormonale adolescente. […] un quart des filles de quatorze à dix-neuf ans ont une MST […] et un Américain sur six a un herpès génital. Le taux des mères adolescentes est le plus élevé des pays industrialisés. En réintroduisant l’éducation sexuelle dans les programmes d’enseignement, Barack Obama passe pour un suppôt de Satan auprès des conservateurs, mais cette mesure était nécessaire pour inverser ces tendances inquiétantes

Ils sont fous ces Américains agacera les inconditionnels des États-Unis qui en ont construit une image idéalisée. Bien sûr, certains aspects de la culture américaine sont tout à fait positifs ; ainsi, il n’y a guère que dans ce pays que réside une facilité d’entreprendre et une liberté d’innover qui font trop souvent défaut sur notre vieux continent (09 juin).
Ce dernier article est illustré par un panneau publicitaire religieux :
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