mardi 8 juin 2010

Entre les deux… (2)


Toujours dans son introduction, Iain McGilchrist annonce sans grande surprise que la première partie de son livre s’attache à la description du cerveau ainsi divisé en deux hémisphères. Et s’est à partir de cet éclairage que, dans la seconde partie, il parcourra l’histoire de la culture occidentale.

Que savons-nous donc de ce cerveau dont les hémisphères, tout séparés qu’ils soient, coopèrent cependant ? Il nous faut d’abord éviter de le décrire comme une machine (de quoi s’agit-il ? quels en sont les rouages ?), et parvenir à en comprendre le fonctionnement de façon vivante.

C’est alors que les questions se bousculent :
- Le langage – polarisé du côté gauche et en même temps lié au côté droit ? La musique – simple extension ou, plus profondément au-delà du langage ? Pourquoi des droitiers (ou des gauchers) et si peu d’ambidextres ? Le corps – un ensemble moteur, greffé au cerveau ? L’émotion – un mode de connaissance, ou encore autre chose ? Les hémisphères – l’un situe les choses dans un contexte tandis que l’autre les en isole…
- Le gauche traite l’information en pièces détachées (dans le langage, les mots viennent l’un après l’autre) – le droit comme un tout (pensons aux images). Quelque part se trouve une capacité de comprendre la métaphore – ce qui n’est pas rien pour notre compréhension du monde et de nous-mêmes…
- La mise en phase avec ce qui est nouveau. Le rôle joué par l’imitation. Les différents types d’attention, selon l’hémisphère concerné – tout ce qui fonde et fait que nous entrons en relation avec le monde, ainsi que les uns avec les autres.

L’hypothèse de l’auteur est que, si les deux versions que nous en livrent chacun des hémisphères sont chacune authentique et hautement valable, il vaut mieux qu’elles restent distinctes l’une de l’autre. Et aussi que, tout autant cruciales l’une que l’autre, elles sous-tendent des valeurs et des priorités qui peuvent finalement entrer en conflit.

L’histoire de la culture occidentale
Par le biais du cerveau qui sert de médiateur à la pensée, le monde nous apparaît en fonction de la manière dont nous l’observons, y portons nos attentions, interagissons avec lui. Les extraordinaires développements qu’a connus la Grèce antique se sont accompagnés d’une prise de distance par rapport à ce monde, en même temps que les deux hémisphères cérébraux prenaient davantage d’autonomie l’un par rapport à l’autre – mais tout en coopérant de façon relativement harmonieuse.

Puis, après quelques allers-retours de balancier, l’importance prise par la conscience-de-soi, surtout depuis la Renaissance, s’est traduite par une altération de cette coopération – l’hémisphère gauche prenant le pouvoir : il est parvenu à une confiance en soi qui masque néanmoins qu’il vit en parasite sur l’hémisphère droit. C’est comme s’il nous avait enfermé dans un labyrinthe de miroirs (palais des glaces) dont toutes les échappées aménagées par le cerveau droit (le versant incarné de notre existence, les arts, les religions…) auraient été obstruées.

A ce point, l’auteur demande qu’on ne se méprenne pas sur ses intentions : il ne s’agit pour lui ni d’abandonner la raison (scepticisme anticartésien) ni de dénigrer la fonction du langage (terme utilisé en anglais : to traduce). Il faut, en revanche, éviter de se réfugier dans un rationalisme excessif et déplacé ou dans un matérialisme étroit.

Mais pourquoi donner tant d’importance au cerveau ?
En négatif, ne serait-ce déjà que parce qu’il ne filtre qu’une partie de la réalité : nous ne percevons pas, par exemple, les fréquences aiguës comme le font les chauves-souris – et quant une partie du cerveau est détruite, notre perception du monde en est affectée.

Autre angle d’attaque : ne pourrait-on plutôt pas se focaliser sur la pensée ? C’est que celle-ci s’appréhende en elle-même, tandis que l’on peut observer de l’extérieur le cerveau et sa structure – ce qui apporte un éclairage sur plusieurs des aspects de notre expérience.

Tout comme le corps où il prend sa place, le cerveau a évolué au fil des temps. Mais, à la différence du corps, cela s’est fait par additions, plutôt que par des remplacements : le cortex qui héberge les fonctions les plus avancées se greffe sur des structures sous-corticales qui participent de la régulation biologique à des niveaux inconscients. C’est grâce aux lobes frontaux que des fonctions telles que la planification, la prise de décision, la mise en perspective, l’autocontrôle… se sont mises en place.

Comprendre en quoi la structure du cerveau influence la pensée et comment s’agencent les fonctions intelligentes de notre expérience, n’est pas simple affaire de neurologues ou de psychiatres, mais vaut tout autant pour les philosophes, les artistes et tout un chacun. Le cerveau devient, en quelque sorte, une métaphore du monde.

The Master and his Emissary - The divided brain and the making of the Western world - Iain McGilchrist - Yale University Press - 2009 - 597 pages.
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Le présent billet fait partie d’une séquence sur le Cerveau commencée le 4 juin 2010 (voir la liste des thèmes dans la marge de droite). Il n'est pas exclu qu'au cours de la traduction et en cherchant à condenser, il y ait eu des erreurs ou une mauvaise compréhension : se référer directement à l'ouvrage mentionné ci-dessus.
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