dimanche 29 novembre 2009

Sibérie - région laboratoire ?


Ceci est le premier de deux billets. Il m’a été inspiré par un récent dossier proposé par Courrier International : Quand la Sibérie sera chinoise (*). En contrepoint, un autre dossier consacré aux villes mondiales, cette fois tiré du magazine Sciences humaines, alimentera un billet suivant.

Accords russo-chinois pour l’exploitation de la Sibérie
Fil directeur pour aujourd’hui : aux yeux du Kremlin, il serait désormais acquis que le développement de la Russie passe par une meilleure exploitation des richesses naturelles de la Sibérie… mais que celle-ci n’est envisageable qu’avec l’aide massive de la Chine. Des accords économiques viennent d’être signés dans ce sens… mais un afflux de population chinoise dans ce territoire sous-peuplé risque de vite soulever un problème de souveraineté. En Russie comme en Chine, on se pose des questions.

Il est à noter que, curieusement, ce Programme de coopération 2009-2018 a été signé le 23 septembre dernier à New York entre les présidents russe Dmitri Medvedev et chinois Hu Jintao – coopération fondée sur le principe : nos matières premières contre vos technologies. J’ai trouvé intéressante l’analyse d’Alexandre Koustiarov, parue dans Tchastny Korrespondent sous le titre : Sécession, annexion ou condominium ? L’auteur estime qu’au moment où les importations de produits chinois deviennent plus massives et que le nombre de ressortissants chinois qui s’installent en Extrême-Orient russe augmente, la récente signature d’accords sur l’exploitation du sous-sol ressemble de plus en plus à une intégration de ces régions à la Chine.

Séquences d’une évolution historique
Cette analyse va plus loin. C’est d’abord le rappel qu’après un manque d’enthousiasme évident des Russes pour mettre en valeur une Sibérie éloignée, tant qu’il ne s’agissait que d’une colonisation agraire (depuis le XVIIe siècle), les choses avaient changé avec l’industrialisation… Mais qu’il s’était avéré très difficile d’y installer et maintenir une population slave, que l’on manie la carotte (salaires élevés) ou le bâton (goulag). La Russie orientale est dès lors devenue une zone où les attributs de la souveraineté géopolitique, la propriété, et la nature de la population, ne coïncidaient plus. Et c’est là qu’on change de braquet : il ne s’agit pas d’un cas isolé… et comment fait-on dans une telle situation ?

Afflux de populations
Pour Alexandre Koustiarov, une série de zones semblables ceinture la planète – en particulier, avec les États du sud-ouest des États-Unis qui se peuplent à toute allure de latino-américains et dans le cas de l’Europe occidentale, où s’exerce la pression démographique du Maghreb et de l’Afrique noire. Dans des temps anciens, il aurait résulté de l’arrivée d’un nouveau type de population que ces zones auraient dit adieu à leur ancienne puissance souveraine pour passer dans une autre sphère d’influence. Mais ce qui était encore accepté dans un monde d’espaces déserts et sans propriétaires bien définis a cessé de l’être dans un système d’États souverains. En outre, dans de tels cas, la guerre est désormais inefficace et même contre-productive. Les accords économiques prennent le relais.

Nouvelles formes de réalité géopolitique
Il en conclut que la Russie orientale et le sud-ouest des États-Unis deviennent ainsi des laboratoires où s’expérimente une nouvelle forme de réalité géopolitique qui découle d’une composante pluriethnique et marquée par des divergences entre souveraineté, propriété et citoyenneté. Pour le cas qui l’intéresse plus directement, l’auteur estime qu’il est peu probable que l’actuelle Russie orientale soit rattachée à la Chine : elle devrait plutôt devenir un condominium.

Sans trop ajouter mon grain de sel à ces propos, je reconnais que les zones mentionnées sont bien le lieu d’afflux de populations nouvelles – mais, tant d’un point de vue historique que s’agissant des ressorts économiques qui motivent ces migrations, le parallélisme s’épuise rapidement. En se plaçant sous l’angle d’approche des villes mondiales, un prochain billet cherchera à explorer d'autres mutations qui se dessinent et pourraient simultanément prendre le relais des États-nations.

(*) Ce dossier de Courrier International est accessible soit dans sa version papier, soit aux abonnés de son site (www.courrierinternational.com/). On y trouve :
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- Une carte économique documentée, complétée par deux autres (historique et démographiques) ainsi qu’un commentaire sur la teneur des accords.
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- Cinq extraits articles :
... Sécession, annexion ou condominium ? (Tchastny KorrespondentCorrespondant Privé. Ce quotidien a juste un an et paraît sur le Net depuis Moscou –
www.chaskor.ru).
... Attention, le Kremlin ne doit pas tout brader. (Également tiré de Tchastny Korrespondent)
... Sans les Chinois, pas de prospérité. (Shidai ZhoubaoThe Time Weekly, hebdomadaire lancé à Canton voici un an et tirant à 200 000 ex.)
... Vladivostok ou Haishenwai ?... Deux noms pour une même ville (Chongqing WanbaoChongqing Times, quotidien fondé en 2004 et tirant à 380 000 ex. Chongqing, est une municipalité autonome de 32 millions d’habitants au centre du pays, à l’Est du Sichuan).
... Les derniers colons russes – article sur les "Vieux croyants" qui avaient trouvé refuge en Sibérie au XVIIe siècle à la suite d’un schisme au sein de l’Orthodoxie russe, puis en Amérique latine après 1920, pour échapper au régime soviétique… Ils reprennent maintenant le chemin de la Sibérie. (OgoniokLa Petite Flamme, hebdomadaire vieux d’un siècle, paraissant à Moscou et tirant à près de 70 000 ex.)

mercredi 18 novembre 2009

Découpage temporel de nos activités


Les Indicateurs sociaux de l’OCDEIl y a 6 mois environ, l’OCDE a fait paraître une étude sur les indicateurs sociaux de ses pays-membres. Rappelons que l’OCDE regroupe une trentaine de pays, principalement d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord, ainsi que la Turquie, le Japon, la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Des contacts plus ou moins serrés permettent des comparaisons avec quelques nouveaux venus dans l’Union européenne (les pays de Višegrad y sont déjà), avec les pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), ainsi qu’avec l’Afrique du Sud, le Chili, Israël et l’Indonésie.

Un chapitre sur les loisirsParmi les thèmes abordés, celui des loisirs – ce qui permet d’évoquer en creux celui du travail. Selon une définition intéressante, même si elle est loin d’être parfaite, on pourrait en effet mettre sous le vocable de loisirs les activités pour lesquelles il n’est pas possible de payer quelqu’un pour les faire à notre place et que nous ne sommes pas obligés de pratiquer si tel n’est pas notre souhait.

D’où l’option prise dans le document OCDE de commencer par considérer le temps consacré aux loisirs comme ce qui reste, une fois soustrait celui du travail rémunéré, avant de déboucher sur des découpages plus fins en relation avec le cycle de vie : les années avant puis pendant la scolarisation ; celles avant puis après l’entrée sur le marché du travail – en distinguant les périodes rémunérées et celles qui ne le sont pas ; et après la cessation d’activité.

Mais plus le zoom se fait précis, moins on trouve de pays dont les statistiques permettent de les comparer entre eux. Avec l’aide secourable de l’ami Till, voici quelques aperçus concernant cette partie qui fait une trentaine de pages assez serrées.

1600 h de travail par an : restent 7200 hUn premier tableau nous dit que les gens ayant un travail en 2005-2006 y passent dans les 1600 h par an (près de 42 semaines de 38 heures), ce qui leur laisse près de 7200 h. Il y a bien sûr des différences d’un pays à l’autre : en Norvège on travaille 1300 h (36 semaines de 36 h) tandis qu’aux USA, c’est 1900 h (46 semaines de 41 h).

Depuis 1970, à l’exception des USA qui n’ont finalement pas beaucoup bougé, la tendance est à la baisse : en Norvège, on travaillait presqu’autant (1850 h) qu’aux USA aujourd’hui ; au Japon (2250 h) et en France (2000 h) on travaillait plus longtemps : désormais, le Japon est un peu au-dessous des USA et la France est descendue à 1450 h.

Ce qui précède vaut pour les gens qui travaillent. Mais regardons l’ensemble de la population d’un pays OCDE typique (en fait, une moyenne), en distinguant les hommes et les femmes.

Hommes : 6 ans de moins au travail et 14 de plus pour la retraiteEn 1970, les hommes entraient à 20 ans sur le marché du travail et, sur les 48 années qui leur restaient à vivre, en passaient 43 à travailler de façon rémunérée et 5 sans travail rémunéré – il ne leur restait même pas un an en moyenne pour la retraite. En 2005, les différences les plus notoires sont que leur vie s’est rallongée de près de 10 ans, qu’ils entrent un an plus tard sur le marché, qu’ils passent 7 ans de moins à travailler et 2 de plus sans travail rémunéré – et que le temps de la retraite est passé de 0 à 14 ans.

Femmes : 3 ans de plus au travail et 12 de plus pour la retraiteS’agissant des femmes, en 1970 elles entraient elles-aussi à 20 ans sur le marché du travail et, sur les 54 années qui leur restaient à vivre, en passaient 26 à travailler de façon rémunérée et 20 sans travail rémunéré – puis 8 ans de retraite. En 2005, les différences les plus notoires sont que leur vie s’est rallongée de 8 ans, qu’elles entrent un an plus tard sur le marché, qu’elles passent 3 ans de plus à travailler et 8 de moins sans travail rémunéré – et que la durée de leur retraite est passée de 8 à 20 ans.

Après avoir travaillé, étudié, dormi, mangé… les loisirs
Venons-en plus directement aux loisirs et ce, au sein d’une journée de 24 heures. Dans notre pays OCDE typique de 2006, nous interrogeons ceux qui ont plus de 15 ans et jusqu’aux retraités. En moyenne, ils ont consacré près de 4 h à un travail rémunéré ou à étudier (y compris le temps de déplacement, les pauses et celui pour chercher du travail) ; 3 h et 40 minutes à un travail non rémunéré (travaux domestiques, cuisiner, s’occuper des enfants, faire les courses…) ; près de 11 h pour les occupations personnelles (dormir, manger, hygiène et santé…) ; un peu plus de 5 h pour les loisirs (comme regarder la TV, jouer, faire du sport ou du jardinage, recevoir ou sortir…) ; avec ce découpage, il ne reste que 20 minutes pour d’autres activités mal définies.

Occupations personnellesC’est en France qu’on passerait le plus de temps (près de 12 h) aux occupations personnelles et le moins en Norvège (10 h et quart). Pour les loisirs, ce serait l’inverse : 6 h et 20 minutes en Norvège, contre 4 h et 25 minutes en France (devancée par le Japon avec 7 minutes de loisirs en moins… mais une heure de travail, rémunéré ou non, et d’étude en plus).

Les auteurs avouent que la définition des activités peut poser problème d’un pays à l’autre et modifier l’ordre des classements. Mais leur conclusion sur quelques points précis est que c’est en France que l’on dort le plus (8 h et 50 minutes) contrairement au Japon et en Corée (une heure de moins). S’agissant de boire et de manger, la France est également dans le peloton de tête (2 h et quart) à l’opposé du Canada et des USA où on descend à une heure et quart.

LoisirsSur les 5 h et 10 minutes que les ressortissants de notre pays OCDE typique accordent chaque jour aux loisirs, il y a quelques activités où ce temps est assez bien mesuré. Elles font un peu plus de 3 heurs au total – ce sont :
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. La TV et la radio, auxquelles ils consacrent 1 h et 52 minutes, les plus assidus se trouvant aux USA et en Grande-Bretagne (2 h et 17 minutes), presqu’une heure de plus qu’en Italie. En France, c’est une heure et demie.
. Recevoir et sortir (54 minutes), la palme allant à la Norvège (1 h et 48 minutes) et le peloton de queue étant formé par l’Australie et le Japon (14 et 10 minutes). Un peu plus d’une demi-heure en France.
. Pratiquer un sport (20 minutes), les champions se trouvant en Espagne (38 minutes) alors qu'en Grande-Bretagne on se contente de 12 minutes. Les Français sont ici dans la moyenne.
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Il reste ensuite un gros fourre-tout qui cumule deux bonnes heures et au sein duquel on trouve notamment les passe-temps, le téléphone et l’ordinateur, les jeux, etc.

mardi 10 novembre 2009

Mamies

En faisant un peu d’ordre dans mes fonds de tiroir, je redécouvre un article de journal et une photo. L’article a paru dans le New York Times, cela fait bien 7 ans, et rend compte d’un colloque international pluridisciplinaire consacré au rôle des grand-mères. La photo est d’une toute autre provenance – on y voit rassemblées quatre générations : une fillette de quelques mois, sa mère, sa grand-mère maternelle… et la mère de celle-ci.

Lignées de femmes et filiation par le nom
Restons un moment sur la photo. Si on les désigne par leur nom de jeune fille, ces 4 personnages portent 4 noms différents. Et pourtant, leur filiation biologique est bien mieux assurée qui si on nous avait montré la photo d’un garçon nouveau-né, de son père, de son grand-père paternel et du père de ce dernier – tous portant le même patronyme.

Si les rumeurs statistiques sont fondées, dans nos contrées 20% des enfants n’ont pas pour père biologique celui dont ils portent le nom : un simple calcul aboutit à supposer qu’il n’y a guère plus d’une chance sur 2 que l’ancêtre représenté sur la photo soit biologiquement l’arrière-grand-père du bambin. Si on remontait à l’époque de la Révolution ou du 1er Empire, on descendrait à une chance sur 5… à celle d’Henri IV et de la poule au pot à 4%... à moins d’une chance sur 10 000 du temps de Charlemagne… et à 1/10e de million au début de notre ère.

A une époque où la généalogie hante de plus en plus d’esprits et s’appuie sur des documents et des logiciels qui privilégient fortement le nom de famille, on peut rester rêveur.

Avoir une grand-mère chez soi
Quittons ce terrain pour parcourir quelques conclusions à l’issue du colloque évoqué au début. Ce qui ressort le plus nettement, c’est la convergence des conclusions, malgré la diversité des sociétés et des époques analysées. A titre d’exemples :

Dans plusieurs sociétés traditionnelles de subsistance, la présence d’une grand-mère contribue à diminuer la mortalité infantile : en parcourant les données démographiques, on en arrive souvent à la conclusion que si la grand-mère meurt, on le remarque car la survie des petits-enfants se met à chuter… mais si c’est le père qui meurt, ça ne change pas grand-chose.

Grâce à des documents retraçant de façon assez complète ce qui s’est passé pendant deux siècles dans un village du Japon, on en arrive à la conclusion que la présence dans la maison du couple parental de la grand-mère maternelle avait un effet inverse de celle de la grand-mère paternelle sur la survie des garçons : mortalité moitié moindre dans le premier cas, et moitié plus forte dans le second – pas d’effet notable en revanche pour les filles.

En Allemagne, une enquête récente parmi des personnes qui avaient gardé leurs 4 grands-parents jusqu’à l’âge de 7 ans au moins a montré que la grand-mère maternelle était l’aïeule préférée (dans la moitié des cas), que chaque grand-père avait cette faveur dans les 18% chacun et la grand-mère paternelle autour de 13%.