mardi 22 juin 2010

A mi-2010 – Info & Coms


Longtemps correspondant de journaux français en Amérique Latine, Francis Pisani s'est installé à San Francisco, a mis à profit son goût pour la technologie et tient depuis quelques années un blog (Transnets) qui couvre des gadgets aux réseaux (http://pisani.blog.lemonde.fr/)
En feuilletant le blog au cours du 1er semestre 2010, j’ai retenu quatre thèmes : les décisions de Google quant à sa présence en Chine ; Internet comme support à des hostilités belliqueuses ; journalisme et information participative ; et les déboires essuyés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans sa communication sur la pandémie.

Google et la ChineFrancis Pisani y a d’abord consacré trois billets : les 16, 18 et 19 janvier. Le 3ème a attiré plus de 70 commentaires, alors que la dose habituelle oscille entre 10 et 20. Deux mois plus tard, on passe de l’intention à l’annonce d’une décision (23 mars).

Google a annoncé le 12 janvier son intention d’arrêter de censurer son moteur de recherche chinois ne saurait s’expliquer par la seule volonté de protéger la liberté d’expression dans ce grand pays. Ses dirigeants sont payés pour faire prospérer l’entreprise – or la baisse (3%) enregistrée à Wall Street le lendemain montre aux qu’ils doivent faire attention s’ils ne veulent pas déclencher la colère de leurs actionnaires. Car bien que, à court terme, la fermeture de Google.cn ne représenterait qu’un coût limité, la société s’exposerait à devoir renoncer au marché potentiellement le plus important du monde.

Au même moment, par ailleurs, Google est attaqué par les médias les plus importants (entraînés par Rupert Murdoch et l’Associated Press), critiquée pour certains aspects de la façon dont elle numérise les livres, et rend inquiets d’autres acteurs en raison de son expansion dans trop de domaines (téléphonie mobile, la fourniture d’électricité…).

A son actif dans le cas présent, le recours à un petit billet de blog pour annoncer l’affrontement avec les autorités chinoises a été bien reçu. Il redore le blason de la compagnie auprès des utilisateurs inquiets pour leurs données personnelles. Aux États-Unis, la décision prend par les sentiments les congressistes américains. Bonne opération de relations publiques donc.

Entreprise commerciale, elle se positionne pour prendre la tête d’un mouvement de fermeté face à la Chine et se pose ainsi comme puissance mondiale inaugurant sans doute, une nouvelle ère. Au lieu de négocier discrètement, Google a publiquement défié un gouvernement puissant et soucieux de ne jamais perdre la face. Du (presque) jamais vu. L’affaire ne saurait être comprise comme un joli coup dans une partie d’échecs (ou de go) mais comme une action qui change la nature du jeu que l’on joue.

Il faut à cet égard noter que la puissance de Google se mesure en nombre de serveurs, à la taille de ses server farms stratégiquement placées dans le monde et à la bande passante qu’elle peut mobiliser. Pour circonvenir les mesures de contrôle prises par des gouvernements autoritaires et technologiquement compétents comme ceux d’Iran ou de Chine, il faut un très grand nombre d’adresses IP facilement renouvelables pour qu’il soit difficile de les bloquer toutes et assez de bande passante pour que le système tourne sans difficulté. Ce qui est impossible ou trop cher pour des militants qui défendent les droits de l’homme dans le monde, ne l’est – techniquement et économiquement – pas pour Google.

Deux mois ont passé…
La décision annoncée hier de rediriger vers le site basé à Hong Kong les recherches faites par des utilisateurs situés en Chine permet d’y voir plus clair dans le jeu et la stratégie des dirigeants de Google.

A un niveau élémentaire, cette décision apparaît comme sympathique (prise de position limpide contre la censure), risquée (couper la plus grande entreprise du web du plus grand marché d’utilisateurs), mesurée (les revenus de Google provenant directement du moteur de recherche chinois sont faibles), astucieuse (elle tente de positionner Google en tête de ceux qui protestent contre certaines pratiques du gouvernement chinois).

Sur le fond, Google vient de se montrer capable d’aller à l’affrontement direct face au géant chinois avec les risques (calculés) que cela implique. Je me demande quelles surprises cela nous réserve…

Cyber-guerre
Trois billets également, ont été consacrés à cet autre sujet (les 3, 11 et 22 février)… plus un autre sur un thème proche deux mois plus tard (7 avril).

Hamadoun Touré (Malien formé à Leningrad et à Moscou, puis ayant fait une partie de sa carrière à INTELSAT), patron de l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) vient de lancer à Davos un appel pour le contrôle des activités criminelles et des menaces de guerre sur l’Internet : une cyber-guerre serait pire qu’un tsunami. Il a invité à la signature d’un accord international qui reviendrait, pour les pays signataires, à s’engager à ne pas cyber-tirer les premiers. Renchérissant sur le même thème, Craig Mundie (responsable de la recherche et de la stratégie pour Microsoft) a déclaré qu’il faudrait une sorte d’Organisation Mondiale de la Santé pour l’Internet. Il en a profité pour demander un permis de cyber-conduire

Ce à quoi certains ont fait remarquer que, du moins en apparence, une cyber-guerre ce n’était pas une affaire de nations. N’allez pas croire pour autant que nous en avons fini avec les nations : les cyber-guerres, elles aiment ça. La première a été lancée contre l’Estonie en 2007. Tout indique que les attaques provenaient de Russie mais il n’a pas été possible de le démontrer. Dans les cyber-conflits les nations tendent à utiliser des groupes de hackers plus ou moins périphériques et s’arrangent pour nier toute intervention. Le manque de traces évidentes et la propagande font le reste. Ce type de cyber-guerre a en commun avec les formes traditionnelles qu’il est manifeste et qu’il peut donc entraîner des contre-attaques.

Un des paradoxes de la cyber-guerre c’est que moins elle détruit, plus elle est dangereuse : la victime survit et les opérations de la compagnie ou du pays visés sont simplement rendues moins effectives ou efficaces, à son insu, par la manipulation de son infrastructure informatique. Le danger est notamment accentué par notre volonté de tout connecter. Le cas a ainsi été étudié de l’U.S. Navy. Une attaque réussie contre les réseaux informatiques de la dite Navy et la flotte n’est plus qu’un tas de ferraille inutile. Il y a plus grave encore : le vol de propriété intellectuelle. Certains estiment que depuis au moins deux ans, si vous vivez dans un des pays du G20, la 3ème guerre mondiale et les cyber-attaques dont l’objet est le vol de propriété intellectuelle à des fins économiques ont déjà commencé.

Information qui arrive deux mois plus tard :
Ce qui me frappe dans la décision d’Obama de limiter l’usage des armes nucléaires de son pays c’est qu’elle s’applique même aux pays qui auraient lancé contre les États-Unis une guerre par des moyens conventionnels, biologiques ou chimiques OU une cyber-attaque d’envergure (à condition, bien sûr, qu’ils respectent les traités de non-prolifération).

Les pays sont donc maintenant invités à se préparer contre ce genre de menace. Il me semble notable qu’elle soit maintenant placée au même niveau que celles qui se mènent sur la base des conquêtes et des destructions. C’est peut-être cela le vrai changement d’ère…

Une éthique de l’information participative ?
On se réfère souvent à une éthique journalistique. Mais, maintenant, nous pouvons tous informer : la question éthique se pose à tout le monde.

Cinq défis me semblent particulièrement importants. Ils impliquent, au moins, un changement d’échelle par rapport à ce qui passait hier.
· La participation massive des non professionnels, comme témoins et comme analystes.
· La couverture en temps réel.
· L’excès d’information et, simultanément, le fait qu’il est presque aussi difficile de trouver une information publique de qualité que de révéler ce qui est vraiment secret et important.
· Les nouvelles formes de manipulation et de contrôle par les puissants qui peuvent, comme tout le monde, avoir recours aux technologies de l'information et de la communication (TIC).
· La possibilité de transparence – grâce aux liens hypertextuels entre autres.
Trois questions :
· Quelle importance accorder à la dimension éthique ?
· Quels sont les défis spécifiques de l’ère digitale ?
· Quelle peut-être la contribution des journalistes ? (22 mars)

L’OMS et pandémie: l’information n’est plus contrôlable
Au moment de faire le bilan d’une année de lutte contre la grippe H1N1, le Dr Fukuda, directeur de l’OMS s’en est pris à l’effet perturbateur de l’Internet. L’accès à l’information a été facilité mais l’OMS a été obligée de faire face à des informations, des rumeurs, beaucoup de spéculations et des critiques sur de nombreux supports. Le Dr Fukuda a également estimé que les campagnes anti-vaccins ont rendu plus difficile le travail des autorités sanitaires dans différents pays. Ce qui me semble difficile à contester.

Au même moment, des chercheurs de la City University de Londres ont déclaré que les messages parlant de grippe sur Twitter (et autres réseaux sociaux) pourraient être un bon indicateur de tendance permettant de prendre des mesures à temps. Google avait déjà montré qu’on peut obtenir de bonnes indications avec les questions concernant la grippe posées sur le moteur de recherche.

La question est d’apprendre à utiliser les TIC et, pour une institution comme l’OMS, de modifier la politique de communication traditionnelle pour l’adapter à un univers dans lequel l’information n’est plus contrôlable. C’est en qualifiant la H1N1 de Pandémie de niveau 6 que l’OMS a excité la machine aux rumeurs mais aussi aux appréciations différentes sur la nature de la menace (16 avril).

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