dimanche 20 juin 2010

A mi-2010 - Finance


Ce qui suit a été réalisé à partir d’extraits du blog de Georges Ugeux – qui est financier de profession : Démystifier la finance, Éthique et marchés – au cours du 1er semestre 2010. J’assume le choix des extraits et l’assemblage que j’en ai fait par la suite sur deux thèmes : De la Grèce à l’Euro – Les prochaines décennies. Se reporter au blog lui-même pour éviter d’éventuels biais :
(http://finance.blog.lemonde.fr/).
De la Grèce à l’EuroAvant que 2010 ne débute, les difficultés financières de la Grèce avaient été étalées au grand jour. Georges Ugeux les analyse comme une faiblesse du système européen qui permet des dérives bien connues et contre lesquelles la zone Euro semble impuissante. Il estime que la celle-ci ne peut risquer sa crédibilité, devra inévitablement participer au sauvetage, et ne devra pas s’arrêter au cas grec – plusieurs pays étant menacés (7 janvier). Mais pour cela il faudra du leadership – or une entité avec cinq présidents (Commission, BCE, Europe, Conseil, zone Euro) n’a pas de chef (8 février).

Passé le sommet de Bruxelles, Georges Ugeux conclut : Je ne sais pas si la réaction doit être la résignation, l’effarement ou la rage. Probablement les trois. La résignation : nous savions que ce sommet n’aurait pas de résultats tangibles – des déclarations et pas de plan d’action. L’effarement vient de l’amateurisme : c’était un sommet des 16 pays membres de la zone Euro qu’il fallait convoquer – ceux qui ont choisi de ne pas être dans l’Euro, et ceux qui n’y sont pas encore, ne sont pas concernés de la même manière. La rage vient de la futilité : on crée des attentes, l’Euro monte pendant le sommet et se dégonfle immédiatement après (12 février).

La spéculation contre l’Euro est une fausse mauvaise nouvelle. L’Euro (devise la plus détenue mondialement après le dollar) a connu une croissance due à la faiblesse structurelle du dollar. Il était en première ligne. Les marchés en découvrent certaines faiblesses structurelles, ainsi que du Traite de Maastricht, du Pacte de stabilité financière et de la gestion de la zone Euro. Les exportateurs de cette zone sont en train de massivement couvrir leurs ventes à un taux qui leur permettra de vendre dans de meilleures conditions a l’étranger (20 février).

Fin mars, un accord est trouvé. L’auteur du blog en prend acte : c’est un compromis politique face à une situation devenue intenable. Ne pas reconnaitre l’immense difficulté que les dirigeants européens ont eue à accoucher de cette solution bâtarde ne serait pas sérieux. Ils méritent d’être salués pour leur persistance. La question ouverte est celle des dégâts encourus. Il n’existe qu’un mécanisme politique pour faire face aux dérapages du Pacte de stabilité financière : aucune des sanctions prévues n’a été appliquée. Les ministres des Finances gèrent une forme de souk au sein duquel chacun tient l’autre par la barbichette.
De manière plus efficace, la Banque centrale européenne a décidé de changer ses critères pour les mises en gage d’obligations, ce qui lui permettra de prendre en pension des obligations grecques et de financer les banques détentrices de ces obligations. Mais l’absence d’institutions autres que la Banque centrale pour soutenir la zone Euro crée un vide institutionnel qui s’est avéré dramatique. Aucune intervention n’y est possible pour rétablir des situations compromises.
Le FMI a la capacité d’envoyer des équipes solides qui campent littéralement dans les bureaux des ministères des Finances et des Banques centrales concernées. Rien de tout cela n’a pu être mis en place, parce que rien n’est prévu. Les institutions européennes ont un quintet qui a sidéré par son absence (Herman Van Rompuy, président de l’Europe, Jean-Claude Junker, président de la zone Euro), son incompétence (Jose Barroso, président de la Commission européenne et Jose Luis Zapatero, président en exercice du Conseil des ministres de l’Union) et son impuissance institutionnelle (Jean Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne). Cette gouvernance absurde est apparue au grand jour (25 mars).

Début mai, nouvelle réunion à Bruxelles. Le dos au mur, les chefs de gouvernement nous annoncent que chacun des États de la zone Euro va prendre les mesures qui s’imposent pour réduire d’éventuels déficits budgétaires ou un endettement excessif. L’impression qui ressort de ce communiqué est une forme de fatigue. Ils sont à Bruxelles pour un sommet ou un autre toutes les semaines. Ils ont pourtant des pays à gérer, des problèmes de finances publiques, des problèmes de chômage et des réformes sociales en chantier (8 mai).

L’Europe a frappé fort, et surtout a démontré que les rumeurs folles sur l’éclatement de l’Euro ou la faillite de la Grèce étaient absurdes. Cette fois, la force des intentions semble se traduire en mesures musclées et il faut savoir reconnaitre l’effort colossal qui a été développé pour éviter ce qui aurait probablement été un bain de sang ce matin. Le Fonds annoncé soulève néanmoins des questions :
Qui sera le débiteur ? Emprunter 500 milliards d’euros ne se fait pas aisément, et il est crucial de définir qui pourrait être le(s) débiteur(s). Nous ne le savons pas encore.
Quelle gouvernance ? La Banque européenne d’Investissement dispose d’une gouvernance qui permet d’éviter une politisation des décisions ; elle a une longue expérience d’émission de titres pour compte de divers programmes de financement de la Communauté ; son crédit est reconnu AAA ; ses administrateurs sont les ministres des Finances.
Quelles mesures préventives ? Il est très coûteux de guérir, surtout avec un mécanisme de décision aussi lent que compliqué. La zone Euro doit se doter d’une structure d’analyse et d’une connaissance des marchés et des endettements au-dessus de tout soupçon et disposer de statistiques fiables (10 mai).

Éviter de se tromper d’analyse. Les mouvements de la semaine dernière ont été brutaux et contradictoires : la réalité est cependant plus simple. Depuis le début de l’année les investisseurs se sont montrés plus optimistes. C’est leur nature même d’anticiper, mais ils peuvent se tromper. Les mesures décidées à Bruxelles avaient surpris par leur ampleur et leur détermination. Le fait que les bourses aient ensuite baissé en Europe est le reflet d’une analyse plus sobre. L’Amérique reprend le chemin d’une croissance modeste mais réelle alors que l’Europe aura une croissance insignifiante. Il est donc normal que la relation entre l’Euro et le dollar se rééquilibre. Le niveau de novembre 2008 n’est pas en soi un signe dramatique.
Le Dow Jones (exclusivement composé d’actions américaines) a gagné 2,3% cette semaine : pas de panique de ce coté-la. L’évolution des obligations européennes a été significativement meilleure. De nombreuses voix estimaient l’Euro sous-évalué. Notre myopie nous amène à ne pas prendre en considération la croissance substantielle des pays émergents, y compris en Europe : l’indice Eurostoxx des actions de l’Europe centrale se comporte mieux que celui d’Europe occidentale. Sans une activité solidement implantée dans les pays émergents, particulièrement la Chine et l’Inde, les entreprises européennes risquent une marginalisation rapide. Pour le moment, c’est l’Asie qui sert de support à la croissance économique américaine, alors qu’elle joue un rôle moins important en Europe. Dans ce contexte, il me parait á tout le moins prématuré d’accuser les marchés de folie (16 mai).

Les jours se suivent… De grâce, cessez de nous abreuver de commentaires fanfarons qui décrédibilisent vos actions. Dans toute cette crise financière, les politiques ont souvent agi avec courage et détermination. Leur capacité de se détruire en démontrant par leurs déclarations leur incompétence en matière financière est illimitée (20 mai).

A lire les commentaires d’autorités en tous genres, vous pourriez croire que l’Euro est condamné à une mort plus ou moins lente. Or les mouvements sur le marché des changes atteignent 3 mille milliards d’Euros par jour. Pour influencer les cours on aurait donc besoin au minimum de 30 milliards pour représenter 1% de ces volumes. Par ailleurs, la grande masse de ces mouvements provient d’achats et de ventes de devises par des entreprises ou d’institutions qui ont à régler des factures au jour le jour en devises étrangères. Quant au rôle des hedge funds, il est dérisoire dans ces marchés : même s’ils échangeaient la totalité de leurs actifs spéculatifs, ils n’atteindraient pas 1% des mouvements. Revenir enfin aux anciennes devises demanderait une unanimité impossible des pays de la zone Euro… et au moins cinq ans pour se mettre en place (27 mai).

Notation de l’Espagne par Fitch : depuis qu’elles ont forcé les Etats à se soumettre à leur jugement régalien, les agences de notation ont montré que leur analyse était politique, quand elle ne cherchait pas à confirmer certaines opinions répandues parmi les traders et autres banques d’affaires. C’est en effet des investisseurs et des banques de marché que vient la demande de cette notation qui leur évite de devoir se poser des questions. Or cette notation est devenue un exercice d’une objectivité douteuse. Justification de l’agence Fitch : La dégradation reflète l’opinion que le processus d’ajustement vers un niveau plus bas d’endettement privé et extérieur va matériellement réduire le taux de croissance de l’économie espagnole à moyen terme. Quoi que fasse l’Espagne (réduire sa dette mais freiner sa croissance) sa notation baisse. Elle aurait donc bien tort de remettre ses finances en ordre (1er juin).

Prochaines décennies
Nous avons tous vécu cette dernière décennie au-dessus de nos moyens : plans de relance, crise financière, dépenses militaires – particulièrement aux États-Unis, accroissement du passif social. Il en est résulté un gonflement de la dette publique. L’ensemble de l’endettement des pays industrialisés du G20 a augmenté de 40% depuis 2000, alors qu’il restait stable dans les pays émergents.
L’Occident engouffre la plus grande part de la richesse mondiale : il faut renoncer à croire que l’on parviendra à retrouver les excès du passé. A court terme, il va falloir se serrer la ceinture, Mais l’austérité dont il s’agit est la gestion de ressources limitées pour une population en croissance.
Nous avons refusé le partage avec les pays les moins favorisés : maintenant il s’impose à nous. Des ressources aussi limitées que le pétrole, l’eau, la nourriture et les matières premières ne seront plus disponibles à bas prix. De surcroit les plus importantes ressources sont en dehors de l’Occident. Il suffit pour s’en convaincre de voir la bataille qui se livre entre les sidérurgistes et les miniers, qui utilisent la rareté du minerai de fer pour en augmenter le prix. Au lieu de diminuer leurs marges, les distributeurs de la chaine alimentaire accroissent les prix du lait et d’autres denrées alors que l’agriculteur voit ses revenus baisser sans que les pouvoirs publics ne sévissent. Nous n’avons plus les moyens de payer les pensions.
Le défi qui attend nos sociétés occidentales est immense et nous ne sommes même pas au début d’une réflexion inéluctable. Dominique Strauss Kahn a été encore plus direct à l’endroit de l’Europe : agir rapidement, faute de quoi la bataille se jouera entre les États-Unis et l’Asie, et l’Europe risque d’être marginalisée dans les vingt prochaines années. C’est le risque d’une guerre vraiment mondiale qui nous menace dans un avenir plus ou moins proche (2 avril).

La génération qui va progressivement être pensionnée laisse derrière elle un héritage financier lourd. Elle a en effet vécu sur une dette (privée et publique) difficile à porter et dont les bénéfices ont déjà été tirés. C’est un phénomène planétaire : ainsi la politique d’un enfant par couple les met les Chinois dans une situation inextricable. Les mesures que nous ne voulons pas prendre aujourd’hui se répercuteront demain et accélèreront la faillite du système.
C’est dans ce contexte que le recul de l’âge de la pension doit être examiné : l’âge mythique de mise à la retraite est en soi une absurdité : il peut représenter un droit, il n’est pas nécessaire d’en faire une obligation. De surcroit, la longévité s’est accrue de 15 ans. Le résultat est sidérant : chaque travailleur qui commence sa carrière aujourd’hui devrait, si rien ne change, mettre 40% de son salaire chaque mois dans un compte de pension pour maintenir son niveau de vie pendant ses années à la retraite. La jeune génération devrait se révolter contre ce système : même s’ils font un effort, ils n’auront pas les moyens de soutenir nos pensions.
Attitude responsable : nous sommes en meilleure santé que nos parents ; pour partager la charge des générations futures que nous avons lourdement accablées par nos excès, nous devrions accepter de travailler quelques années de plus (17 juin).

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