mercredi 28 juillet 2010

Courrier International – marée pastel


Désenchantement
Till s’était peut-être fait une image idéale de cet hebdomadaire dont il pensait qu’il apporterait à des lecteurs francophones une ouverture sur ce qui s’écrit dans la presse des différents pays. Il avait eu à quelques reprises l’occasion d’exprimer son désenchantement et ce bloc-notes s’en était fait plus ou moins l’écho. A la terrasse du café où nous devisons en cette fin juillet à Paris, il tire de sa serviette toujours bourrée de diverses publications, le dernier numéro – cause de son désarroi – l’ouvre à la page 40 et met le doigt sur la caricature qui s’y trouve.

Caricature
C’est celle d’un poisson dont on distingue bien la tête et la queue, entre lesquelles un code barre (0183215… le 018 de tête signifiant que c’est un produit étasunien) figure les arêtes. Le dessin est signé Falco (vraisemblablement Alex Falcó, de La Havane). Comme à la douteuse habitude chez Courrier International (CI), il illustre un article publié à des milliers de lieues de là, par le quotidien de centre gauche danois Politiken, sur les petits pêcheurs du coin. Habitude douteuse en ce que, numéro après numéro et article après article, elle permet à la rédaction d’agrémenter, comme innocemment de son grain de sel, le reflet qu’elle prétend donner du meilleur de la presse internationale – sélectionner les articles, les extraits et souvent improviser le sous-titrage ne suffisant pas.

Effet dialectique ? Pour Till cette fois, ce poisson à arêtes condense sur lui trois grands thèmes mis en valeur dans la présente livraison :
- La marée noire du golfe du Mexique (où se trouve Cuba), qui a les honneurs de l’éditorial et d’un dossier de six pages.
- Le petit journal de la crise, autre dossier désormais récurrent, d’où est tiré l’article de Politiken.
- Et, c’est là où il voulait en venir – les amateurs de Gombrowicz et de son Iwona, princesse de Bourgogne le comprendront aussitôt – le chanteur Prince… car c’est cette initiative qui est carrément restée en travers de la gorge de Till.

Émerveillement
C’est le troisième dossier de CI : il reprend un article du quotidien Het Nieuwsblad (pendant populaire moins politique, plus généraliste et plus sportif [que son grand frère De Standaard] qui s’adresse au petit employé conservateur et catholique de Flandre). Ça commence dès le sous-titre : Un journaliste flamand a eu la chance d’être invité à Minneapolis pour rencontrer l’artiste qui va enflammer notre été. Suivent, sur cinq pages, le compte rendu émerveillé par le dénomme Hans-Maarten Post, qui s’achève comme suit : Dans la chambre d’hôtel, allongé sur le lit, j’ai la tête qui tourne. J’avais encore tant de questions à lui poser. Ne se sentait-il pas trop seul ? J’ai eu ma réponse, non ? Je ne sais pas. Je n’avais jamais vu une superstar d’aussi près : ai-je rencontré l’artiste ou assisté à une magnifique pièce de théâtre ? Pas de photos, pas d’enregistrement de sa voix, seulement une tête pleine de souvenirs… et une bouteille d’eau. Personne ne voudra me croire.

Retour sur terre
Dans un encadré consacré aux évolutions de la démarche commerciale des musiciens de ce genre, on apprend que Prince, pour sa part, s’est tourné vers la presse, en montant dès 2007 un partenariat avec le quotidien britannique Daily Mail, qui a distribué son album Planet Earth. Estimant que ‘le Net est dépassé’, il réitère l’expérience en 2010 avec plusieurs publications européennes, dont Courrier International, et multiplie les concerts pour appuyer cette démarche.

On comprend alors mieux les deux pages et quelques de pub dans CI pour s’arracher les dernières placres au concert programmé à Nice pour le dimanche suivant, ou en mendier de gratuites sur le site de l’hebdomadaire :


Mieux encore, souligne Till, nous avons en main l’exemplaire que j’ai reçu par abonnement, dont la couverture – illustrée par un volatile mazouté – est consacrée à la marée noire… Mais en kiosque… c’est tout autre chose : sa couverture est une marée pastel, c’est notre Prince charmant !

Apothéose
Sur le site Internet de l’Express, il est précisé le 22 juillet que : Quelque 130 000 exemplaires du dernier CD de 10 titres de Prince sont offerts en exclusivité avec l'hebdomadaire vendu à son prix habituel de 3,50 euros, chez tous les marchands de journaux en France. Cette offre ne s'adresse pas aux abonnés du journal, qui bénéficient seulement d'un titre en écoute gratuite sur le site de l'hebdomadaire… pour ajouter : L'hebdomadaire Courrier International ne s'est jamais vendu aussi rapidement. Il faut dire que son supplément, 20ten, le nouvel album de Prince, fait fureur. Le dernier numéro de l'hebdomadaire s'arrachait dès sa mise en vente ce matin. En milieu de matinée, un millier de kiosques étaient déjà en rupture de stock. ‘Nous sommes ravis, c'est du jamais vu pour nous ! A dix heures, plus de mille kiosques avaient déjà tout vendu, c'est assez incroyable’, a déclaré à l'AFP le responsable de la communication de Courrier International.
(http://www.lexpress.fr/culture/musique/prince-en-rupture-de-stock_907903.html)

La vague pastel est même venue mourir aux pieds du Centre de recherche de la gendarmerie nationale : Le centre de recherche vous propose près de 700 mémoires de recherche et 15 500 ouvrages et périodiques – Auteur : Hans-Maarten POST – Documents disponibles écrits par cet auteur : Cinq heures avec le Prince de Paisley Park / Hans-Maarten POST in Courrier International, CI 2010 N°1029 (Du 22 au 28 juillet 2010).
(http://www-org.gendarmerie.interieur.gouv.fr/pmb/opac_css/index.php?lvl=author_see&id=4909)

Conflit d'intérêt ?

Chez CI, le responsable de la Com s’extasie. Surplombant son éditorial sur la marée noire de pétrole, le directeur de la rédaction garde son éternel sourire de Joconde. Conflit d’intérêt ? Pensez donc ! La main gauche ignore ce que fait la main droite. Un peu de prose pour ce pauvre Monsieur Jourdain qui s’imagine s’ouvrir au meilleur de la presse internationale… et de poésie de notre temps pour le petit employé conservateur et catholique de tous les pays. Le président et directeur de la publication (c’est le même) saura faire la synthèse.

Entre artistes
Au moment de nous séparer, Till arrache une page du The Economist qu’il a reçu le matin même et me la fourre entre les mains. L’article que j’ai présentement sous les yeux est sous-titré : Scientists at the Louvre have discovered the secret to the Mona Lisa’s face. On y lit notamment : […] For a long time, scientists and curators have wondered how da Vinci created shadows on her face with seemingly no brushstrokes or contours. Art experts call this technique sfumato – like the Italian word for smoke, fumo. […] Louvre scientists […] found that the artist would first paint in the basic flesh tones. Then da Vinci applied up to 30 incredibly thin strokes of glaze above the flesh tone – many just a few micrometers thick.

In cauda… l’article signale en fin de parcours : The French Ministry of Culture wants to relocate this laboratory […] in Cergy-Pontoise. To judge from the blog started by the centre’s disgruntled staff, their mood is decidedly sfumato.
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Sur un mode allusif, Till semble, en rapprochant les extraits des deux hebdomadaires, faire comprendre que l’opération CI l’a rendu fumasse.


L'illustration s'inspire de loin mais ne doit pas être confondue avec la caricature parue dans CI.

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